Je voudrais tout d’abord remercier les organisateurs de cette conférence, en particulier Riccardo Cascioli, ainsi que toute l’équipe de La Nuova Bussola Quotidiana de nous avoir donné aujourd’hui l’occasion de traiter de sujets qui sont de la plus grande importance pour chacun d’entre nous, parce qu’ils touchent au bien le plus fondamental de notre Sainte Mère à tous, l’Église catholique, le Corps mystique du Christ qui seul est le Sauveur du monde. Je voudrais remercier tout particulièrement le père Gerald Murray et le professeur Stefano Fontana pour les réflexions essentielles qu’ils nous ont présentées aujourd’hui. Ils viennent d’exposer, de démasquer je dirais, de manière très convaincante, les erreurs philosophiques, canoniques et théologiques, aujourd’hui largement répandues, concernant le Synode des évêques et sa prochaine session intitulée « Pour une Église synodale : communion - participation – mission ».
Je voudrais d’emblée recommander à votre lecture le livre de Julio Loredo et José Antonio Ureta, Le Processus synodal : Une boîte de Pandore. 100 questions et 100 réponses, disponible en italien et dans de nombreuses autres langues. L’étude sereine et profonde qui sous-tend ce livre offre une aide très précieuse pour affronter la confusion généralisée régnant autour de la session du Synode des évêques qui s’ouvrira demain.
Le professeur Fontana a déclaré : « La nouvelle synodalité, considérée suivant ses catégories propres de temps, de pratique et de procédure, est le moment final d’un long parcours qui a englobé toute la modernité. » En attirant notre attention sur les sources philosophiques de la soi-disant synodalité, il démasque sa mondanité. C’est pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, qui seul est notre Sauveur, n’est ni la racine ni le centre de la synodalité. C’est pourquoi la nature divine de l’Église dans sa fondation et dans sa vie organique et durable est laissée de côté et, à dire vrai, oubliée.
Le Saint-Esprit est très souvent invoqué dans la perspective du synode. L’ensemble du processus synodal est présenté comme une œuvre du Saint-Esprit qui guidera tous les membres du synode, mais on ne trouve pas un seul mot sur l’obéissance due aux inspirations du Saint-Esprit qui sont toujours conformes à la vérité de la doctrine pérenne et à la bonté de la discipline pérenne qu’Il a inspirée au cours des siècles. Il est malheureusement tout à fait manifeste que l’invocation, par certains, du Saint-Esprit a pour but de faire avancer un programme qui est plus politique et humain qu’ecclésial et divin. Le programme de l’Église est un, c’est la poursuite du Bien commun de l’Église, c’est-à-dire le salut des âmes, le salus animarum, qui « in Ecclesia suprema semper lex esse debet » [« doit toujours être la loi suprême de l’Église »].
Le Synode sur la « synodalité » est à la remorque de certaines perspectives très répandues dans l’Église d’aujourd’hui, qui ont également été illustrées par la récente reconstruction de la Curie romaine au moyen de la Constitution Apostolique Praedicate Evangelium. Celle-ci insiste principalement sur la nature missionnaire et la synodalité de l’Église comme étant les « caractéristiques » [marques], les « traits essentiels » de la vie ecclésiale, et semble faire découler la structure de la Curie romaine de ce point de départ. Mais, comme nous le professons dans le Credo et comme l’enseigne la Constitution dogmatique du Concile œcuménique Vatican II sur l’Église, Lumen Gentium, la Sainte Mère Église est, dans ses caractéristiques, dans ses caractères essentiels, « une, sainte, catholique et apostolique ».
La confusion qui règne dans les domaines de la théologie, de la morale et même de la philosophie élémentaire est alimentée par un important manque de clarté du vocabulaire utilisé, et cela est probablement voulu par certains. On assiste à un glissement sémantique de certains mots ou expressions, qui rend incompréhensible l’enseignement de l’Église sur certains points. Je pourrais citer l’expression « miséricorde de Dieu », par exemple. Mais parfois, de nouveaux mots sont lancés ou exagérés sans définition claire, comme c’est le cas pour le mot synodalité. Dans un tel état de confusion au sujet des caractères essentiels de l’Église, le risque existe de perdre l’identité de l’Église, et notre identité en tant que membres du Corps mystique du Christ, en tant que sarments de la « vraie vigne » qu’est le Christ, dont le Père éternel « est le vigneron ».
Dès lors que ces concepts prennent une place centrale et ne sont pas clairement définis, la porte est ouverte à tous ceux qui veulent les interpréter d’une manière qui rompt avec l’enseignement constant de l’Église en la matière. En effet, l’histoire de l’Église nous enseigne que la résolution des crises les plus graves, comme la crise arienne, commence toujours par une grande précision dans le vocabulaire et les concepts utilisés.
Revenons aux caractères essentiels de l’Église que propose Praedicate Evangelium pour mieux comprendre l’orientation que prend le synode : la nature missionnaire et la synodalité. Il s’agit de deux caractéristiques en un sens connues, mais leur élévation au rang de caractéristiques essentielles de l’Église et, par conséquent, de critères fondamentaux de la restructuration de la Curie romaine – et désormais, par ce synode, des caractères essentiels de la totalité de l’Église universelle – conduit à des ambiguïtés et à des malentendus qu’il est nécessaire de reconnaître et dissiper.
Il est légitime de dire que l’Église tout entière est missionnaire. Tous les fidèles sont appelés, en fonction de leur vocation et de leurs dons personnels, à témoigner du Christ dans le monde. Mais pour témoigner du Christ, les fidèles ont besoin de le rencontrer vivant dans l’Église à travers la Sainte Tradition, qui est doctrinale, liturgique et disciplinaire. Ils ont besoin de bons pasteurs – le Pontife romain et les évêques en communion avec lui, ainsi que les prêtres, principaux collaborateurs des évêques – qui les guident vers le Christ et qui sauvegardent pour eux la vie dans le Christ, en particulier par l’enseignement de la saine doctrine et de la bonne morale et, de façon plus parfaite et plus complète, par la sainte liturgie, le culte de Dieu « en esprit et en vérité ». En effet, ce sont l’enseignement de la vérité et le culte divin « en esprit et en vérité » qui favorisent la croissance de la vie dans le Christ de chaque croyant et de l’Église tout entière. Comme nous l’enseigne saint Paul, dans l’Église, il faut que « nous ne soyons plus des enfants ballottés et que nous ne soyons plus emportés à tout vent de doctrine, par la malice des hommes, par les artifices séduisants de l’erreur », mais que, « pratiquant la vérité dans la charité, nous croissions à tout égard en celui qui est le chef, le Christ ».
Selon l’enseignement constant de l’Église, le Christ a institué l’Office pétrinien pour que tous les évêques, et donc tous les fidèles, soient unis dans la foi. Le Concile Vatican II, dans la Constitution dogmatique sur l’Église, a déclaré que « pour que l’épiscopat lui-même fût un et indivis, il a mis saint Pierre à la tête des autres Apôtres, instituant, dans sa personne, un principe et un fondement perpétuels et visibles d’unité de la foi et de communion ». Voici comment le Concile définit l’Office pétrinien : « Le pontife romain, comme successeur de Pierre, est le principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles. »
La Curie romaine est l’instrument principal du Pontife romain dans le cadre de son service irremplaçable à l’Église universelle. Selon les mots des Pères du Concile : « Dans l’exercice de son pouvoir suprême, plénier et immédiat sur l’Église universelle, le Pontife romain se sert des dicastères de la Curie romaine ; c’est donc en son nom et par son autorité que ceux-ci remplissent leur tâche pour le bien des Églises et le service des pasteurs sacrés. » Le successeur de saint Pierre, par l’intermédiaire de la Curie romaine, aide les évêques à accomplir leur service fondamental, que le Concile décrit en ces termes : « Tous les évêques, en effet, doivent promouvoir et servir l’unité de la foi et la discipline commune de l’ensemble de l’Église, former les fidèles à l’amour envers tout le Corps mystique du Christ, surtout envers ses membres pauvres, souffrants, et envers ceux qui souffrent persécution pour la justice (cf. Mt 5, 10), ils doivent enfin promouvoir toute l’activité qui est commune à l’ensemble de l’Église, surtout en vue du progrès de la foi et pour que la lumière de la pleine vérité se lève sur tous les hommes. »
La nature missionnaire de l’Église est le fruit de cette unité de doctrine, de liturgie et de discipline ; elle est le fruit du Christ vivant qui est dans l’Église, dans les membres de son Corps mystique dont Il est la tête. C’est le Christ seul qui est proclamé et prêché à toutes les nations pour que beaucoup soient baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Telle est la mission de l’Église qui lui a été confiée par le Seigneur :
« Toute puissance M’a été donnée dans le Ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que Je vous ai commandé. Et voici que Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles. »
La mission du Christ est antérieure à toute activité missionnaire, à n’importe quelle caractéristique de la nature missionnaire. En réalité, la nature missionnaire n’est qu’une manifestation de la présence vivante du Christ dans l’Église pour faire « de toutes les nations des disciples », le Christ qui demeure toujours vivant dans l’Église « jusqu’à la consommation des siècles ».
La synodalité, en tant que terme abstrait, est un néologisme dans la doctrine relative à l’Église. Il est bien connu que le Concile Vatican II a voulu éviter les termes abstraits de conciliarité et de collégialité, qui ne se trouvent pas dans les textes conciliaires. On doit supposer que le Concile lui-même aurait cherché à éviter un terme abstrait comme celui de synodalité, s’il l’avait seulement connu.
La tradition canonique connaît l’institution du Synode comme un instrument chargé de conseiller les pasteurs sacrés ; l’Église n’est pas décrite comme synodale, mais au contraire comme communion hiérarchique. Ce sont les pasteurs au sein de la communion sauvegardée et renforcée par l’Office pétrinien, c’est-à-dire la hiérarchie, qui ont la responsabilité de la conduite doctrinale, liturgique et morale de l’Église. Le synode est une aide offerte aux pasteurs pour qu’ils puissent accomplir leur service. Il ne remplace jamais et ne peut pas remplacer l’office pastoral voulue et instituée par le Christ lui-même.
Le Synode des évêques est décrit comme « la réunion des Évêques qui, (…) se rassemblent à des temps fixés afin de favoriser l’étroite union entre le Pontife Romain et les Évêques et d’aider de ses conseils le Pontife Romain pour le maintien et le progrès de la foi et des mœurs, pour conserver et affermir la discipline ecclésiastique, et aussi afin d’étudier les questions concernant l’action de l’Église dans le monde. » Le P. Murray nous a magistralement rappelé la nature du Synode des évêques, suivant le canon 342 du Code de droit canonique que je viens de citer.
Je me contenterai d’ajouter que, dans le même ordre d’idées, le synode diocésain est décrit comme « la réunion des délégués des prêtres et des autres fidèles de l’Église particulière qui apportent leur concours à l’Évêque diocésain pour le bien de la communauté diocésaine tout entière ». Le synode, en tant qu’institut canonique, désigne un moyen solennel parmi plusieurs autres par lesquels tous les fidèles, par leur vocation et au moyen de leurs talents, aident leurs pasteurs sacrés à remplir leurs responsabilités en tant que véritables maîtres de la foi. Le canon 212 du Code de droit canonique, qui a sa source originelle dans l’enseignement du Seigneur sur la correction fraternelle, fournit les normes qui régissent les rapports entre les pasteurs sacrés et les fidèles au sein de la communion hiérarchique de l’Église. Parmi ces modes, l’institution du synode est extraordinaire, exigeant une préparation longue et adéquate, et une célébration bien disciplinée afin d’éviter les malentendus qui peuvent facilement, surtout dans une culture totalement sécularisée et mondaine, rendre le processus synodal néfaste pour l’Église.
Je voudrais maintenant partager avec vous quelques réflexions que j’ai exposées aux autres vénérables confrères du Collège des Cardinaux lors de la réunion des Cardinaux, il y a un peu plus d’un an. Elles concernent plus directement la structure de la Curie romaine, mais elles sont très étroitement liées à notre sujet.
La nature missionnaire et la synodalité en tant que qualités, et non pas en tant qu’« attributs » ou « caractères essentiels » [marques] de la vie ecclésiale, ne changent pas la nature de l’Office pétrinien ou le service que rend la Curie romaine au Successeur de Pierre en tant que « fondement perpétuel et visible d’unité de la foi et de communion ». En effet, ils présupposent l’Office pétrinien assisté par la Curie romaine. À la lumière de ce qui précède, voici quelques observations.
Premièrement. La Constitution apostolique insiste sur le fait que la Curie romaine « est au service du Pape, Successeur de Pierre, et des évêques, successeurs des apôtres ». Mais le service de la Curie romaine se rapporte au successeur de saint Pierre. En servant le Pontife romain, la Curie romaine sert également les évêques dans leur relation avec le Pape. Il n’est pas réaliste d’exiger que la Curie romaine soit au service de tous les évêques. En réalité, ceux-ci ont leurs propres curies pour les aider à remplir leurs responsabilités de vrais pasteurs. En cela, le service distinct du successeur de saint Pierre doit demeurer clairement perceptible.
En même temps, définir la Curie romaine comme étant au service des évêques individuels risquerait d’aboutir à une vision mondaine de l’Église dans laquelle les Églises particulières seraient des branches ou des filiales de l’Église de Rome, toutes servies par la même Curie romaine. Ce serait une distorsion de la relation du Successeur de Pierre avec les évêques.
Deuxièmement. Utiliser le terme dicastère, en tant que terme générique séculier, tiré du droit romain, pour les divers offices de nature différente au sein de la Curie romaine, n’exprime pas suffisamment l’aspect de communion hiérarchique inhérent au traitement des questions doctrinales, liturgiques, éducatives, missionnaires, etc. et n’exprime pas la différence réelle, non pas de rang (tous les dicastères sont juridiquement égaux), mais de matière et de compétence.
Troisièmement. Il semble juste de rendre à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sous une forme ou sous une autre, au plus tard au cours de la prochaine phase de mise en œuvre de la Constitution apostolique, la première place parmi toutes les Congrégations de la Curie romaine, en vertu de sa mission qui est « d’aider le Pontife romain et les évêques dans l'annonce de l'Évangile dans le monde entier, en promouvant et en sauvegardant l'intégrité de la doctrine catholique sur la foi et les mœurs, en puisant au dépôt de la foi et en cherchant à l'approfondir toujours davantage face aux nouvelles questions. »
Quatrièmement. Il serait important de mettre au premier plan des qualités requises des Officiers et des Consulteurs, la saine doctrine et la cohérence à l’égard de la saine discipline ecclésiastique.
Il ne me semble pas nécessaire d’aller dans le détail pour comprendre que le synode qui s’ouvrira demain n’est rien d’autre que le prolongement direct de ce qui a déjà été exposé dans la Constitution Apostolique Praedicate Evangelium. Il est donc pour le moins étrange de dire que l’on ne sait pas dans quelle direction ira le synode, alors qu’il est à ce point manifeste que ce qui est recherché, c’est de modifier profondément la constitution hiérarchique de l’Église. Un processus similaire a été employé dans l’Église d’Allemagne en vue d’atteindre le même, et si néfaste objectif.
On entend souvent dire que cette insistance sur la synodalité de l’Église n’est rien d’autre que la réappropriation d’une caractéristique ecclésiale que l’Église d’Orient a toujours sauvegardée. J’ai des contacts réguliers avec des évêques et des prêtres orientaux, tant catholiques qu’orthodoxes, qui m’ont tous dit que la manière dont le synode actuel est organisé n’a rien à voir avec les synodes orientaux. Cela vaut non seulement en ce qui concerne la place des laïcs dans ces assemblées, mais aussi, plus généralement, pour ce qui est de leur mode de fonctionnement et même des questions qu’elles abordent. Il y a une confusion autour du terme de synodalité, que l’on tente artificiellement de rattacher à une pratique orientale, alors qu’il a en réalité toutes les caractéristiques d’une invention récente, concernant notamment le laïcat.
Un tel changement dans la compréhension que l’Église a d’elle-même a encore pour conséquence l’affaiblissement de l’enseignement de la morale ainsi que de la discipline dans l’Église. Je ne m’attarde pas sur ces points, dont chacun connaît le caractère dramatique : la théologie morale a perdu tous ses repères. Il est urgent de considérer l’acte moral dans sa totalité, et non pas seulement dans son aspect subjectif. L’anniversaire tout proche de la publication de Veritatis Splendor peut nous y aider. Je salue et encourage les initiatives dont j’ai pris connaissance à ce sujet. Les commandements du Décalogue sont et resteront valides comme ils l’ont toujours été, de tout temps, simplement parce qu’ils sont inhérents à la nature humaine.
Compte tenu de tout ce que j’ai observé et que nous approfondissons dans le cadre de notre réunion d’aujourd’hui, j’ai présenté au cours de l’été, avec quatre autres cardinaux, Leurs Éminences le Card. Walter Brandmüller, le Card. Juan Sandoval Íñiguez, le Card. Robert Sarah et le Card. Joseph Zen, tous issus de continents différents, des dubia au Souverain Pontife afin de clarifier un certain nombre de points fondamentaux relatifs au dépôt de la foi qui sont aujourd’hui remis en question, tout particulièrement dans le cadre de ce que l’on appelle la synodalité. De nombreux frères dans l’épiscopat et dans le Collège des cardinaux soutiennent cette initiative, même s’ils ne figurent pas dans la liste officielle des signataires.
Il Giornale a publié aujourd’hui un article du journaliste du Vatican Fabio Marchese Ragona sur les dubia soumis au Pape François. À la fin de l’article, il cite les commentaires sur les dubia de « deux pères synodaux » qu’il a interviewés. Je cite leur commentaire :
Nous sommes désolés, les temps de l’Église ne sont pas ceux de ces frères ! Ils ne peuvent pas dicter l’ordre du jour au Pape, qui plus est en infligeant des blessures et en sapant l’unité de l’Église. Mais nous y sommes désormais habitués : ils cherchent seulement à frapper François.
Ces commentaires révèlent l’état de confusion, d’erreur et de division qui imprègne la session du Synode des évêques qui débutera demain. Les cinq dubia traitent exclusivement de la doctrine et de la discipline pérennes de l’Église, et non d’un programme du pape. Ils ne traitent pas des « temps » passés. Le langage utilisé est très révélateur d’une vision mondaine. Les dubia ne traitent pas non plus de la personne du Saint-Père. Au contraire, ils sont par leur nature même l’expression d’une juste vénération de l’Office pétrinien et du successeur de saint Pierre.
Ces commentaires semblent refléter une erreur fondamentale récemment exprimée par le nouveau Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi dans une interview qu’il a accordée à Edward Pentin du National Catholic Register. Au cours de cette interview, il a déclaré qu’au-delà du dépôt de la foi, le pontife romain jouit d’un « don vivant et actif » qui se traduit par ce qu’il appelle « la doctrine du Saint-Père ». Il accuse même d’hérésie et de schisme ceux qui critiquent cette « doctrine du Saint-Père ».
Mais l’Église n’a jamais enseigné que le Pontife romain eût le don spécial de constituer sa propre doctrine. Le Saint-Père est le premier maître du dépôt de la foi, qui est en lui-même toujours vivant et dynamique. C’est ce qu’enseigne la Constitution dogmatique de Divina Revelatione Dei verbum du Concile œcuménique Vatican II :
La sainte Tradition et la Sainte Écriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église ; en s’attachant à lui, le peuple saint tout entier uni à ses pasteurs reste assidûment fidèle à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières (cf. Ac 2, 42 grec), si bien que, pour le maintien, la pratique et la profession de la foi transmise, s’établit, entre pasteurs et fidèles, un remarquable accord.
Il est indispensable de réfléchir à la gravité de la situation de l’Eglise lorsque le Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi accuse d’hérésie et de schisme ceux qui demandent au Saint-Père d’exercer l’Office pétrinien pour sauvegarder et promouvoir le Depositum Fidei.
On nous dit que l’Église dont nous professons, en communion avec nos ancêtres dans la foi depuis le temps des Apôtres, qu’elle est une, sainte, catholique et apostolique, doit maintenant être définie par la synodalité, un terme qui n’a pas d’histoire dans la doctrine de l’Église et dont il n’y a pas de définition raisonnable. Il s’agit manifestement d’une construction artificielle, qui ressemble davantage à une construction humaine qu’à l’Église bâtie sur le roc qu’est le Christ (cf. 1 Cor. 10, 4). L’Instrumentum Laboris de la prochaine session du Synode des évêques contient incontestablement des déclarations qui s’écartent de manière frappante et grave de l’enseignement pérenne de l’Église. Tout d’abord, nous devons réaffirmer publiquement notre foi. En cela, les évêques ont le devoir de confirmer leurs frères. Les évêques et les cardinaux d’aujourd’hui ont besoin de beaucoup de courage pour affronter les graves erreurs qui viennent de l’intérieur même de l’Église. Les brebis sont tributaires du courage des bergers qui doivent les protéger du poison de la confusion, de l’erreur et de la division.
Je voudrais cependant conclure en vous exhortant à prier pour implorer l’aide du Ciel contre toutes les puissances, humaines et préternaturelles, qui rêvent de la destruction de l’Église. Non prevalebunt ! Nous savons que le bien est toujours tenu en estime aux yeux de Dieu et qu’il sera justement récompensé, tout comme le mal sera puni. De nombreux jeunes en sont conscients et cherchent à vivre, avec le soutien des sacrements, une vie authentique de Foi, d’Espérance et de Charité ; à vivre toujours plus pleinement dans le Christ, avec un cœur qui s’offre toujours davantage, avec le Cœur Immaculé de Marie, à son Sacré Cœur. Voilà où se situe clairement le véritable avenir de l’Église, le seul qui portera vraiment du fruit (cf. Mt 7, 15-17).
Aujourd’hui, les bons chrétiens doivent être prêts à souffrir le martyre blanc de l’incompréhension, du rejet et de la persécution, et parfois le martyre rouge de l’effusion de sang, afin d’être des témoins fidèles du Christ, ses « coopérateurs dans la vérité ». Bien que la confusion actuelle soit particulièrement grande, et même d’importance historique, pour ne pas dire sans précédent, nous ne pouvons pas croire que la situation soit irréversible. Comme je viens de le dire, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église. Le Seigneur a promis de demeurer avec nous dans l’Église « jusqu’à la consommation des siècles ». Il ne ment pas. Il est toujours fidèle à ses promesses. Nous pouvons toujours faire confiance au Seigneur qui vit pour nous dans l’Église. Et il est certain que nous ne devons jamais abandonner le Seigneur, mais rester avec lui dans l’Église qui est son Corps mystique. Nous devons toujours demeurer des sarments fermement unis à la vigne qu’est le Seigneur. Cependant, force est de constater que beaucoup d’âmes prennent le chemin de la perdition à cause de cette confusion, c’est pourquoi nous devons beaucoup prier et agir pour la dissiper au plus vite.
Invoquons la Bienheureuse Vierge Marie, en particulier son Cœur Immaculé, saint Joseph, Protecteur de la Sainte Église, les saints Apôtres Pierre et Paul, et tous les saints, afin que chacun de nous reste fidèle au Christ et à Son Église, Une, Sainte, Catholique et Apostolique, la Sainte Église Romaine ; et que l’Église elle-même, sans tache ni ride, puisse se libérer au plus vite de l’état actuel de confusion et de division pour abréger ces temps où le risque de perte d’âmes est grand. Salus animarum « in Ecclesia suprema semper lex esse debet ».
Je vous remercie de votre attention. Que Dieu vous bénisse toujours, vous et vos foyers, et que la Vierge Mère de Dieu, saint Joseph, les saints Pierre et Paul et tous les saints vous guident et protègent votre chemin.
Raymond Leo Cardinal BURKE