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Alliance Vita, mais aussi la Fondation Lejeune et d'autres ont tôt prévenu du danger. |
Ni piqûre létale, ni suicide
assisté : le rapport Leonetti-Claeys sur la fin de vie recommande
d’instituer un « droit » à la sédation terminale continue qui assure
à chaque citoyen la possibilité d’éviter des souffrances insupportables au
moment de la mort. Ces souffrances doivent aussi être évitées par la
généralisation de l’accès aux soins palliatifs, aussi bien dans un
établissement de soins qu’à domicile. François Hollande, qui a promis dans son
engagement de campagne n°21 de faire bénéficier toute personne en phase
terminale d’une maladie incurable et cause de souffrances « physiques ou
psychiques » insupportables d’une « assistance médicalisée pour
terminer sa vie dans la dignité », en a été content. La proposition de loi
sera discutée au mois de janvier devant le Parlement, a-t-il promis. Alors, la
France échappe-t-elle à l’euthanasie ?
Non, on lui applique une sédation
anesthésique qui est bien dans la ligne de ce qui se passe dans des pays où
l’euthanasie est légale, comme la Belgique ou les Pays-Bas. L’euthanasie y est
de plus en plus fréquente, mais c’est surtout l’extension de son champ d’application
qui est remarquable. En revanche, les sédations appelées, à tort et à travers,
« palliatives », « terminales » ou « profondes »
ont fortement progressé. Aucun formalisme ne s’y attache, ce ne sont pas
des actes criminels dépénalisés, elles permettent d’« endormir » le
patient pour le faire mourir tout comme elles peuvent être légitimement
administrées pour éviter une agonie atroce. Je décrivais cela dès 2007 ici,
en me demandant si ce glissement vers la zone grise entre soins et mise à mort
n’allait pas s’imposer de plus en plus.
Avec la proposition
Leonetti-Claeys nous y sommes, en tout cas pour ce qui concerne la France. Le rapport
suggère que le « droit » des patients de prendre part à cette
décision de fin de vie assurera non seulement leur « autonomie » mais
évitera que des sédations terminales ne soient pratiquées à leur insu ou à
l’insu de leurs proches, évitant ainsi des euthanasies ou des procédures de fin
de vie pratiquées contre le gré des patients.
Zone grise : la sédation continue
en phase terminale, « lorsque le pronostic vital est engagé à court
terme » comme le dit le rapport, peut se justifier sur le plan moral, tant
qu’elle n’a pas pour objectif de procurer la mort et qu’elle ne la cause pas
délibérément.
Mais avec un droit à la sédation
terminale, l’ambiguïté entrerait de plain-pied dans le droit français,
légalisant en même temps l’« euthanasie lente » par laquelle une
personne qui le demande, sans même être forcément mourante, obtient un ensemble
d’actes médicaux qui débouchent nécessairement et à brève échéance sur la mort.
La mort programmée.
Il s’agit en fait d’un simple
élargissement, mais plus codifié, de ce que la loi Leonetti en vigueur depuis
2005 permet déjà en termes d’euthanasie : le refus de nourriture (et,
depuis moins longtemps, d’hydratation) en vue de faire mourir une personne qui
tire encore profit de son alimentation, et qui n’en souffre pas. C’est le cas
de Vincent Lambert, qui est tout sauf mourant : pour Jean Leonetti, sa loi
de 2005 s’applique pleinement à son cas pour permettre de le « laisser
mourir », comme ils disent, mais d’inanition et de déshydratation.
Au nom du droit à une mort
« digne et apaisée », et au terme d’une « longue marche vers la
citoyenneté totale, y compris jusqu’au dernier instant de sa vie », la
proposition Leonetti-Claeys veut créer un droit opposable qui puisse aller bien
plus loin que le cas des personnes à l’article de la mort et souffrant des
affres d’une agonie et d’une douleur que rien ne peut soulager.
Elle doit en effet, selon le
rapport, pouvoir s’appliquer à ceux qui n’entreront en « fin de vie »
que du fait de leur exercice du droit de refuser tout traitement, y compris –
c’est explicite – le « traitement » que constitueraient l’hydratation
et la nourriture : il est question de la « demande du patient d’arrêter tout traitement et de ce fait
entrant en phase terminale. La situation visée ici est celle du patient qui
décide de demander l’arrêt de tous les traitements qui le maintiennent en vie
parce qu’il estime qu’ils prolongent inutilement sa vie, étant trop lourds ou
ayant trop duré ». Il aura droit aux sédatifs profonds et aux
antalgiques. Mais il aura bien choisi la mort, la mort aura bien été procurée.
Que cela puisse aller loin est mis
en évidence par le rapport lui-même. « Préserver
la dignité de leur fin de vie, c’est leur permettre, alors qu’ils sont proches
de la mort, s’ils le demandent, de s’endormir plutôt que d’être confrontés à la
souffrance ou à un état qu’ils considèrent comme une déchéance. » Déchéance
de la douleur ? De l’incontinence ? De la dépendance ? Dans les
pays où l’euthanasie est légale, tout cela est déjà admis, et le champ s’étend.
Les patients hors d’état
d’exprimer leur volonté ne sont pas oubliés. La proposition Leonetti-Claeys
insiste sur l’obligation du médecin de ne pas pratiquer « l’obstination
déraisonnable » : il devra suivre les « directives
anticipées » du patient, en recherchant sa volonté et en respectant une
procédure collégiale. La sédation profonde et continue sera alors mise en place
« jusqu’au décès ». Cela vaut, précise le rapport, pour les personnes
en « état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel » –
c’est-à-dire sans conscience constatée (mais la science médicale est loin
d’être absolue sur ce point), dans le premier cas, ou en situation de
conscience minimale.
Ici il faut citer le rapport à
propos de ces personnes profondément handicapées, mais ni mourantes ni en fin
de vie :
« Le ministère de la Santé estime à 1500 le nombre de personnes
actuellement dans cette situation. Ces personnes sont “hors d’état d’exprimer
sa volonté” selon les termes de la loi de 2005 et sont nombreuses à n’avoir pas
rédigé de directives anticipées. Or, il est permis de penser que ces personnes
pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles
pouvaient s’exprimer. Dans ces cas d’une grande complexité, il est nécessaire
de rechercher la volonté du patient, à la lumière des éléments qu’il est
possible de recueillir sur la volonté de la personne tout en prenant le temps
nécessaire d’une décision apaisée. »
Le rapport précise encore ceci, et
c’est à retenir :
« La sédation profonde et continue doit nécessairement donner lieu
l’arrêt de tout traitement de maintien en vie et tout arrêt de traitement de
maintien en vie engageant le pronostic vital à court terme doit nécessairement
être associé à une sédation profonde et continue pour le patient inconscient et
à la demande de tout patient conscient. Ne pas associer ces deux actes médicaux
serait incohérent, les effets de l’un contrariant les effets de l’autre. Il
s’agit de l’arrêt de tout traitement thérapeutique : techniques invasives de
réanimation, traitements antibiotiques ou anticoagulants mais également
traitements dits “de survie”, parmi lesquels la nutrition et l’hydratation
artificielles, ainsi que le Conseil d’Etat l’a confirmé dans un arrêt du 24
juin 2014. »
Autrement dit : pas de
sédation terminale sans mort certaine dont la survenue est assurée par l’arrêt
de la nourriture, et plus encore de l’hydratation. Quoi qu’en dise le Conseil
d’Etat ce sont là des soins ordinaires, et non des traitements, toujours dus
dans la mesure où ils répondent à leur finalité propre, qu’ils ne causent pas
de souffrances indues et qu’ils ne sont pas absurdes du fait que le patient est
effectivement en train de mourir.
La volonté homicide est ici on ne
peut plus claire.
D’autant que Jean Leonetti et
Alain Claeys manifestent leur volonté de traquer l’obstination déraisonnable où
qu’elle se trouve, et notamment dans les EHPAD (établissements d’hébergement
pour personnes âgées dépendantes). Là, les deux auteurs, dans un bel élan
d’humanisme fraternel, estiment
« que la possibilité de mettre en place ou de poursuivre des traitements
ne devrait être envisagée que si elle a du sens pour le malade ». Quel
sens peut avoir un traitement pour une personne profondément atteinte d’une
maladie neurodégénérative comme Alzheimer ? Poser la question, c’est
deviner l’objectif. Le rapport trouve d’ailleurs que trop de personns en EHPAD
sont conduites aux urgences pendant les 15 derniers jours de leur vie, on ne
sait pas assez y prévoir leur mort inéluctable. C’est sans doute vrai, mais
dans la logique inverse ne risque-t-on pas de pousser des gens vers la
sortie ?
Les auteurs du rapport expliquent
une des raisons de leur choix : « La
sédation est profonde pour garantir l’altération totale de la conscience, cet
endormissement prévenant toute souffrance, y compris celle résultant de “se
voir mourir”. Selon les termes de Jean-Claude Ameisen, président du CCNE, lors
de son audition “je ne suis pas obligé d’être le témoin de ce qui va
advenir”. »
Il s’agit d’annihiler la
conscience du moment suprême de la vie des hommes. Il me semble bien qu’il
s’agit de leur voler leur mort. Pour qui croit que la vie ne s’arrête pas là,
mais que justement c’est le grand moment de la conscience, c’est une régression
mortelle.
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