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27 mai, 2021
C’est clair et net : lorsque Mgr Philippe Bordeyne, jusqu’ici recteur de l’Institut catholique de Paris, prendra à la rentrée prochaine la présidence de l’Institut théologique pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille, il y veillera au respect du « nouveau paradigme » introduit dans la pastorale familiale par Amoris laetitia, et en particulier de son controversé chapitre 8. Le site diakonos.be, en proposant la traduction française de l’article du vaticaniste Sandro Magister sur la proposition de Bordeyne de mettre en place une possibilité de bénédiction – privée et individuelle – pour les partenaires homosexuels au sein d’une union stable, en vue de les accompagner sur leur chemin vers la sainteté, a déjà permis de connaître l’aspect le plus actuel de la nouvelle ligne politique de l’Institut Jean-Paul II, rénové et rebaptisé. Ses réflexions portent sur un essai que vient de faire paraître le théologien dans la revue de l’Institut catholique, Transversalités. C’est un texte qui mérite qu’on s’y arrête davantage, car la proposition de Bordeyne s’inscrit dans un ensemble et conclut un raisonnement dont la rupture avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise paraît évident, même si l’auteur s’en défend.
On y trouve un plaidoyer pour un changement d’approche à l’égard des homosexuels et de l’enseignement de l’Eglise en matière de sexualité, qui va de l’accueil pastoral à « l’intégration » en passant par le « discernement », pour aboutir éventuellement à la réception des sacrements malgré une « situation irrégulière » qu’on évitera au demeurant d’appeler ainsi, comme le souhaitait Amoris laetitia.
Des discussions lors des synodes sur la famille et sur l’Exhortation apostolique qui en a résulté, Philippe Bordeyne tire cette déclaration : « Cet ensemble pastoral et doctrinal offre aux personnes homosexuelles des éléments de discernement pour conduire leur vie affective et morale devant Dieu et pour l’inscrire dans un processus de croissance spirituelle. » Le changement de vie n’étant pas, dans le contexte, un pré-requis…
Avant de poursuivre cet article, je voudrais dire clairement ceci. Là où l’Eglise a toujours condamné les actes homosexuels comme « contre nature », c’est-à-dire contraires au plan de Dieu, indignes de l’hommes et objet d’une particulière réprobation, l’article de Bordeyne évoque en passant la hiérarchie des péchés et, en note, souligne avec Amoris laetitia que « l’Eglise a une solide réflexion sur les conditionnements et lees circonstances atténuantes ». Cela pour dissocier les notions de péché mortel et d’acte homosexuel et justifier cette nouvelle approche. Et on aboutit à vouloir bénir une personne « à raison » de son orientation homosexuelle (pour paraphraser la loi antiraciste française) : bénir, bien dire, dire du bien, invoquer la bienveillance divine sur une personne spécifiquement « à raison » de son engagement dans une relation avec une personne du même sexe. J’ose l’affirmer, c’est le comble de l’inversion.
Avec cela en tête, abordons donc cet article du futur président de l’Institut Jean-Paul II : L’Eglise catholique en travail de discernement face aux unions homosexuelles. Ce travail, dit Bordeyne, est le résultat direct d’Amoris laetitia, même si la question n’avait pas été ouvertement posée.
D’emblée, le texte se penche sur cette fameuse « intégration » acquise grâce au « discernement », et écorche au passage la mise en garde de saint Paul sur la réception de la communion, comme l’avait déjà fait Amoris laetitia en son numéro 186 : « L’Eucharistie exige l’intégration dans un unique corps ecclésial. Celui qui s’approche du Corps et du Sang du Christ ne peut pas en même temps offenser ce même Corps en causant des divisions et des discriminations scandaleuses parmi ses membres. Il s’agit en effet de “discerner” le Corps du Seigneur, de le reconnaître avec foi et charité soit dans ses signes sacramentaux, soit dans la communauté ; autrement, on mange et on boit sa propre condamnation. » Bordeyne n’en retient que le début et la fin : « L’Eucharistie exige l’intégration dans un unique corps ecclésial… autrement, on mange et on boit sa propre condamnation. »
C’est un glissement de curseur, pour le moins : s’il est vrai que l’attitude à l’égard du prochain est rappelée avec force par saint Paul, ses paroles fortes qui nous mettent en garde contre le fait de recevoir le Corps du Christ indignement, en invitant à un examen de conscience, portent sur quelque chose de bien plus large que l’accueil et le souci des pauvres : une révérence extérieure face à la réalité du sacrement – la messe n’est pas un repas comme un autre – et l’état de grâce et la bonne disposition intérieure.
Or tout l’article de Bordeyne vise à subjectiviser cette notion de bonne disposition intérieure.
Il reconnaît aussi d’emblée, et c’est intéressant, que « les évolutions pastorales furent, dans l’histoire, corrélatives d’évolutions doctrinales en matière morale ».
Si Bordeyne rappelle la doctrine traditionnelle relative au mariage, il met aussi en avant les « limites » des « prescriptions universelles », avançant que l’enseignement de François « vient compléter » celui de Jean-Paul II en mettant en relief « la dimension singulière de la décision personnelle », invitant ainsi à aller au-delà de Veritatis splendor, main dans la main avec saint Alphonse de Liguori dont le « discernement pastoral visait “à conduire les gens à l’état de grâce et [à] les y garder” en tenant compte de leurs capacités, de leur contexte spécifique et des mauvaises habitudes contractées dans le passé ».
Outre que cela relève de la direction spirituelle et non d’une pastorale générale, comme l’observe opportunément un « liseur » du Forum catholique, il y a quand même fort à parier que saint Alphonse serait étonné d’être ainsi appelé au secours d’une réflexion sur « l’intégration » des homosexuels revendiqués (et revendiquants).
Bordeyne décrit alors, s’autorisant de saint Thomas d’Aquin « pour qui les normes sont toujours référées à la poursuite du “bien” », la situation des unions homosexuelles qui impliquent des personnes qui n’arrivent pas à vivre dans la continence, ou qui ne supportent pas la solitude, ou qui ayant sombré dans la promiscuité sexuelle se résolvent à vivre avec une seule « personne aimée » pour « accéder à une stabilité affective et relationnelle », ou encore celles qui n’envisagent pas une séparation à cause des « enfants accueillis au sein de l’union homosexuelle » – voire qui font le « choix du mariage » pour la sécurité de ceux-ci.
Voilà qui me rappelle une connaissance qui justifiait son concubinage lesbien par le fait qu’elle avait « peur de l’orage »… Ou encore, plus sérieusement, l’argumentation d’Amoris laetitia qui évoque le bien des enfants d’un remariage civil pour suggérer que la vie continente, dans ce cadre-là de difficile séparation, n’est pas le « bien » qu’il faut mettre en œuvre.
Il suffit donc de viser « le bien ici et maintenant » au terme d’un discernement particulier qui « ne doit pas être analysé comme un choix du moindre mal, mais plutôt comme la volonté de mettre en œuvre le bien possible ». Cette perspective, ajoute Bordeyne, « permet de restaurer la dignité morale de personnes qui, en conscience, posent des actes dont elles savent trop bien qu’ils ne correspondent pas à la norme universelle, mais qui procèdent d’un discernement devant Dieu sur ce qu’est, aujourd’hui, le bien à leur portée. »
Et hop, un petit coup de sodomie…
Pourquoi se gêner, d'ailleurs ? « Personne ne peut être condamné pour toujours », rappelle Bordeyne en citant Amoris laetitia.
On ne s’étonnera pas de voir l’auteur s’en référer au cardinal très bien en cour Blase Cupich, connu pour ses idées avancées, en citant son discours du 9 février 2018 à Cambridge, où il avait présenté « six nouveaux principes d’interprétation de la réalité » tirées d’Amoris laetitia. Comme celui-ci : « Les décisions prises en conscience par les couples et les familles traduisent l’assistance personnelle de Dieu dans les particularités de leurs vies… » Mieux, l’Eglise accueille « l’auto-révélation de Dieu dans la vie concrète des familles ».
Autrement dit, si on lit bien, c’est Dieu Lui-même qui se manifeste dans une décision de demeurer dans un remariage civil, ou de s’établir dans telle union stable avec un partenaire du même sexe.
Cela résume selon Bordeyne le « changement de paradigme » opéré par Amoris laetitia, et il est vrai que c’en est un. Il paraît que c’est la bonne manière de proposer des « itinéraires de croissance sur le chemin de la sainteté » en ces temps d’évolution des mœurs.
Voici venu le temps des « chemins de sainteté atypiques » sur lesquels l’Eglise « accompagne » désormais les fidèles, et « dont on n’osait pas parler ouvertement dans le passé ».
Et voilà le clou : « On peut donc espérer que ce mouvement vers plus de réalisme spirituel permettra, à terme, de contribuer à un renouvellement de la théologie chrétienne de la sexualité, précisément parce que la sexualité humaine, finalement assez peu déterminée, admet des formes et des expressions atypiques. »
L’enseignement traditionnel sur la continence des non mariés s’en trouve sérieusement écorné. Vis-à-vis des « voies de sainteté dans la condition homosexuelle », assure Bordeyne, Amoris laetitia a « permis une approche moins doloriste, plus positive ». Il paraît que c’est un appel « au réalisme dans la foi, conformément à l’adage thomiste : “Gratia non tollit naturam, sed perfecit.” » Parfaire la nature en s’appuyant sur ce qui est contre nature ? Bigre !
Certes, Bordeyne évoque l’abstinence possible et les dimensions « non génitales » que peut revêtir l’amour pour une personne du même sexe ; mais il se demande « comment accompagner les personnes qui ne parviennent pas à l’abstinence, en valorisant les “relations interpersonnelles” sans se focaliser sur les seuls “actes” homosexuels, et en nommant avec les personnes concernées “ce qu’il y a de plus beau dans leur relation”. » Là encore, on est plutôt dans le domaine de la direction spirituelle, avec l’inconvénient tout de même de brûler des étapes, comme on le verra plus loin, en balayant finalement l’objectivité du péché grave.
En attendant, je note que Bordeyne en appelle une nouvelle fois à la « tradition thomiste » à travers un « principe éprouvé de discernement moral » : « à savoir que le fait d’honorer l’inclination à conserver sa vie, inscrite dans la des êtres vivants, mérite une grande considération morale ». « N’oublions pas que le nombre de personnes homosexuelles se débattent, pendant leur adolescence et parfois bien plus longtemps, avec la tentation de la désespérance ou du suicide. Qu’elles soient parvenues à la surmonter justifie la reconnaissance, par les pasteurs, de leur cheminement vers la sainteté. »
Poursuivant sa réflexion sur le discernement, Philippe Bordeyne se penche alors sur les « attitudes spirituelles spécifiques » de ceux qui « en conscience » décident de ne pas vivre selon la norme universelle : « la discrétion et l’humilité ». Il cite ici le cardinal Schönborn qui incite à la « discrétion des communions » dans cette situation – celle d’homosexuels qui revendiquent leur choix de vie et y demeurent sans intention de s’en éloigner.
Après la communion des divorcés remariés civilement, voici celle des homosexuels en couple et fiers de l’être, et qu’on incite à se cacher un peu pour « éviter le scandale ou la démoralisation d’autres fidèles qui luttent pour rester fidèles à Dieu dans ce domaine ».
Cette discrétion, il la rapproche des recommandations de saint Paul vis-à-vis des « interdits alimentaires », mais en oubliant de dire que ces interdits alimentaires n’obligent pas en soi, mais sont prônées si la consommation de la viande sacrifiée aux idoles devait « scandaliser » les plus faibles, c’est-à-dire les pousser au mal. Ce n’est pas exactement le même cas de figure.
Y a-t-il des catholiques qui ne comprendraient pas que des homosexuels revendiqués s’approchent de la table de communion ? Bordeyne affirme : « Les membres de l’Eglise doivent veiller mutuellement au chemin spirituel de chacun, en ayant le souci de ne pas scandaliser ceux qui, en raison de leur faiblesse, peinent à entrer dans un processus de discernement sur la hiérarchie des normes, sur le conflit entre elles, et sur les cas particuliers. La prise en considération du scandale potentiel doit inciter les personnes vivant dans une union homosexuelle à rechercher la discrétion lorsqu’elles approchent de la table eucharistique à l’issue d’un processus de discernement sur la mise en œuvre du bien possible dans leur vie. (…) Néanmoins, les communautés chrétiennes ont, de leur côté, la responsabilité de former les fidèles à la complexité du jugement moral, afin qu’ils comprennent davantage son irréductibilité à une application immédiate de la loi générale. Une telle formation fait partie intégrante de l’accompagnement pastoral d’une communauté chrétienne dans sa marche vers la sainteté. »
Ne serait-il pas plus indiqué, vu le degré d’ignorance de tant de catholiques aujourd’hui, de nous inculquer de meilleures notions de foi et de morale ?
Suivent les couplets sur la bénédiction possible des personnes homosexuelles, soit par le biais de la « prière universelle », soit par le biais d’une bénédiction privée sollicitée pour « accompagner leur amour, leur union ou l’enfant qu’elles ont accueilli », « pour éviter de donner prise aux revendications, explicites ou implicites, de légitimation des unions homosexuelles par analogie au mariage ».
Bordeyne ajoute : « De même, dans le cas où une prière de bénédiction serait envisagée, il conviendrait de s’en tenir à une bénédiction des personnes en écartant les formulations qui évoqueraient trop directement leur union. » Un peu, ça va ?
Dans la même veine, Bordeyne juge qu’il « serait souhaitable » – on admire le conditionnel accompagnant un simple souhait – que le ministre « procède successivement à deux prières personnelles de bénédiction, afin de marquer la différence avec les prières de bénédiction nuptiale », et afin que les concubins en tant que concubins puissent « grandir dans la disponibilité à la grâce. »
Le futur président de l’Institut Jean-Paul II va même jusqu’à « former le vœu que [l’Eglise catholique] ose enraciner » ce travail pastoral « dans la prière liturgique qui est le lieu par excellence où le Christ manifeste sa présence et sa puissance salvatrice à l’Eglise. »
Il fait donc clairement partie de ceux qui récusent le responsum de la Congrégration pour la Doctrine de la foi affirmant l’impossibilité de bénir des unions homosexuelles. On dira que Bordeyne lui aussi rejette une telle bénédiction, mais il demande bien une bénédiction spécifique pour des personnes homosexuelles engagées dans une union, ce qui revient logiquement à « bien dire », à invoquer la bienveillance divine sur l’homosexualité active.
Philippe Bordeyne a même trouvé une formule, celle qui s’adresse aux plus fragiles, les vieillards, qu’il trouve apte pour les personnes homosexuelles qui, « ayant renoncé au mariage, ont néanmoins besoin de recevoir l’aide de l’Eglise pour cheminer vers la sainteté avec leurs limites en se disposant chaque jour davantage à accomplir la loi morale, en prêtant attention tant à sa dimension universelle qu’à sa dimension particulière ».
Et que dit cette formule, qu’il cite pour terminer ? « Que Jésus-Christ notre Seigneur soit près de vous et vous protège. Qu’il soit devant vous pour vous guider, qu’il soit derrière vous pour vous garder… »
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27 novembre, 2015
A l'Institut catholique, Mgr Brunin et Mgr Bordeyne parlent du synode sur la famille, qu'ils ont vécu. Révélateur…
Mgr Brunin, évêque du Havre, et Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut catholique, ont participé mercredi soir à l’Institut catholique à une conférence-débat sur le synode sur la famille, auquel ils ont tous deux assisté. La modératrice de la soirée était Isabelle de Gaulmyn, de La Croix, ce qui donnait déjà le ton. Une sorte de débriefing ou deux figures d’un « catholicisme de cheminement » sont venus expliquer ce qui a pu, et ce qui n’a pas pu se faire au synode.
Ils partaient en effet d’un présupposé que les faits n’allaient pas démentir : la salle attendait une évolution, des « avancées » au sein de l’Eglise.
Mode de travail, questions qui fâchent, que peut-on faire en attendant le document papal, probablement au mois de mars si la rumeur romaine se confirme : telle était la structure donnée à la soirée par Isabelle de Gaulmyn. Il s’agissait d’apprendre à la fois comment les choses s’étaient passées « à l’intérieur » et ce que cela pourra changer, « à l’extérieur ». Le public ? Nombre de jeunes, sans doute de nombreux étudiants à l’Institut catholique parmi lesquels beaucoup de Noirs, des religieuses en civil, mais majoritairement un public grisonnant qui a pu connaître des enthousiasmes de jeunesse pour la révolution liturgique.
Mgr Brunin était au synode en tant que père synodal élu par ses pairs, revêtu de l’autorité de président du conseil famille et société de la conférence des évêques de France. Mgr Bordeyne avait été appelé par le pape François en tant qu’expert théologique, sans droit de vote. Présent lors de toutes les sessions – notamment lors des circuli minores, affecté à celui présidé par le cardinal George Pell – il a notamment participé à la rédaction du rapport final qui est passé entre les mains d’une commission spécialisée. Ces groupes où « tout s’est joué », comme l’a dit l’évêque du Havre ?
Savez-vous pourquoi les évêques africains ont eu le sentiment de ne pas être pris en compte, ajoutant au sentiment de départ de « positions clivées » ? Mais c’est tout simplement parce que leur rapport « est arrivé hors délais », a expliqué Mgr Brunin ! (Serait-on un peu pélagien, à la secrétairerie du synode, faisant trop confiance aux structures et aux règles rigides ?)
Vous me permettrez de faire un compte-rendu linéaire, en soulignant typographiquement quelques moments-clefs de cette soirée peu encourageante… Il m'a paru utile de vous donner tous ces éléments très révélateur sur l'esprit de certains au synode et sur leur volonté de l'utiliser déjà dans un sens dynamique.
Brunin comme Bordeyne ont insisté
sur le consensus qui est arrivé non au terme d’affrontements et d’oppositions,
mais d’un « discernement » décidément omniprésent dans leur discours
et dans le document synodal.
Puis Bordeyne raconte les sessions
en aula, la salle plénière. Elles ont
participé, dit-il, à une dynamique constituée par l’interaction au sein des
groupes linguistiques et par l’interaction entre l’aula et le pape. Celui-ci restait immobile,
impassible. « Il y a eu quelques interventions marquantes où on
voyait le pape se déplier et écouter, surtout si c’était concret » :
d’où ce poids lié à sa présence, même s’il ne parlait pas.
Personnellement, Mgr Bordeyne
estime que la lecture par les 17 rapporteurs des textes issus des groupes
linguistiques a « fait bouger les lignes » ; l’idée était donc
bien de faire changer les choses.
On comprend mieux la logique de
l’ensemble lorsque Bordeyne raconte comment il a eu « la chair de
poule » en écoutant le
discours du pape à l’occasion du 50e anniversaire du l’institution du
synode des évêques que d’aucuns avaient « séché », pensant à leur
fatigue et au peu de rapport que cela semblait avoir avec le synode sur la
famille. En réalité on devine qu’il était absolument central, partie intégrante
de l’ensemble de par la volonté du pape François. A-t-il choisi la date du synode
pour coïncider – à quelques semaines près – avec cet anniversaire ?
Quoi qu’il en soit, Mgr Bordeyne a vu dans cette annonce d’une certaine
décentralisation et d’une accentuation de la synodalité un « grand texte
ecclésiologique ».
Cela veut sans doute dire que les
partisans du changement vont s’appuyer fortement sur lui.
Mgr Brunin a pris le relais pour
répondre à la question de savoir quel avait été le rôle du pape dans ce synode.
Important, à l’en croire : c’est François qui a voulu qu’il s’étale sur
une durée de deux ans, avec des consultations des fidèles, des
« remontées ».
Pour un texte aussi longuement
préparé les quidams que nous sommes peuvent être frappés par son manque de
souffle, de profondeur, de nouveauté dans le bon sens du terme, celle qu’on
aurait pu espérer pour trouver des réponses et des stratégies doctrinalement
solides face à l’apostasie immanente en Occident par exemple. Ce n’est pas ce
qui saute aux yeux dans le rapport final du synode qui n’a donc pas été fait
pour cela…
Mgr Brunin estime, lui, que le
synode aura été l’occasion de faire « travailler la collégialité, le
sensus fidei, le travail des théologiens ». Tout au long de la soirée à
l’Institut catholique, ces derniers étaient décidément à l’honneur, ce qui ne manquera
pas d’inquiéter. La lecture des réponses de 26 théologiens aux questions sur la
famille dans un ouvrage francophone paru quelques semaines avant l’ouverture du
synode à l’initiative de Mgr Brunin et de Mgr Bordeyne ne laisse aucun doute
quant à leur orientation. Je m’étais attelée au pensum : face à la
centaine de réponses à des questions posées de manière à valoriser les
positions progressistes, ou plus exactement hétérodoxes, la quasi totalité des
réponses que j’avais voulu classer, de manière optimiste, de -4 à +4, ont
récolté des -4. J’ai relevé deux +1.
Cette manière de « faire
synode », Mgr Brunin l’impute au pape et estime que la méthode a été
annoncée dès Evangelii Gaudium, le
« discours programmatique » de François. Où « le temps est
supérieur à l’espace » (il faut « sortir et rejoindre pour initier
des processus ») ; « l’unité prévaut sur le conflit »
(« le pape habite sereinement la pluralité, alors que souvent la pluralité
fait peur »). François « invite à ce que les différences et les
divergences soient exprimées : ce n’est pas du relativisme mais un acte de
foi ; l’unification sans le Christ, c’est Babel ».
Troisième ligne de force :
« La réalité est plus importante que l’idée » : c’est ce qui
explique le temps d’une semaine du synode donnée aux défis de la famille, que
de nombreux pères synodaux ont, soit dit en passant, dénoncée comme trop
sociologique. Et enfin : « Revisiter la tradition à partir des
réalités concrètes », ce qui constitue tout de même une inversion du
chemin où l’on cherche à transformer les réalités concrètes en trouvant le
moyen pour qu’y passe la grâce.
C’est ce qui aboutit à la
« parabole du polyèdre », plus riche avec ses facettes que la sphère
lisse, et à cette assertion qui est en effet, si l’on veut bien regarder les
choses en face, centrale dans le discours issu du synode : « Même les
personnes qui sont dans l’erreur ont quelque chose à apporter. » Ce n’est
pas faux, mais utilisé à l’envers : comme forme de justification.
Sur les théologiens, Mgr Bordeyne
est tout aussi enthousiaste, d’autant qu’il en fait partie.
La « réussite » du synode est « une mayonnaise qui a
pris », mettant en présence des gens très différents.
Il rapporte ainsi une anecdote
qu’il considère extraordinaire : il a rencontré parmi les auditeurs laïcs
du synode des personnes d’autres continents qui ont donné raison aux évêques
qui estiment avoir la mission d’enseigner » ; des laïcs qui ont
raconté comment cet enseignement avait provoqué et soutenu leur conversion.
Pour Mgr Bordeyne, cela est presque exotique…
Mais il a vu aussi des évêques
« accepter de changer d’avis », grâce au travail entre évêques et
théologiens pour faire passer des amendements.
Mgr Bordeyne a voulu mettre
l’auditoire sur une piste de recherche en soulignant qu’un élément du paragraphe
4 du rapport final est à son avis dû à un théologien qui n’était pas au
synode : Eberhard Schockenhoff. Il a cru en tout cas reconnaître ses
paroles dans les mots utilisés comme amendement par un père synodal :
« L’amour ne se réduit pas à l’illusion du moment. L’amour n’est pas une
fin en soi. L’amour cherche la fiabilité d’un “tu” donné
personnellement. Dans la promesse réciproque d’amour, pour le meilleur et pour
le pire, l’amour se veut continu pour toute la vie, jusqu’à la mort. »
Schockenhoff
fait justement partie de ceux qui veulent une « approche
différente » de l’Eglise à l’égard des divorcés remariés, comme il le
prêche depuis longtemps.
Bordeyne s’est également félicité
de la composition de la commission finale composée de théologiens et de cinq
évêques ou cardinaux : dont Baldisseri, Erdö, Forte (« très grand
théoligien », celui qui avait imposé la thématique de l’homosexualité au
premier synode) et « un petit nombre d’experts qui ont beaucoup apporté
dans la rédaction.
Il a salué également un « 5e
protagoniste » au terme d’un « raisonnement par
l’absurde » : le texte de l’Instrumentum
laboris, « suffisamment mauvais » et donc « formidable
puisque tout le monde pouvait crier dessus : cela a généré une
créativité, la logique de
fabriquer des amendements ».
Le processus de synodalité (on l’a
entendu plusieurs fois au cours de la réunion) devrait « inspirer les
relations internationales ».
Retour à Mgr Brunin. « Ce
synode a débloqué une situation présentée comme clivante, entre ceux venus pour
affirmer la doctrine et pour l’approuver, et ceux venus pour le
pastoral », a-t-il expliqué. C’est une « troisième voie » qui a
été choisie entre « la simple fourniture de repères normatifs,
doctrinaux », et celle d’un « accueil bienveillant », « un
peu niais », « aux évolutions sociétales ».
La voie choisie est celle de
« la vocation, du cheminement, de l’accompagnement ». Où le mariage
n’est pus un « modèle à suivre mais une vocation à laquelle il faut
répondre ». Relisez cela : ce ne sont que des mots…
Il parle du « contenu d’une
parole de miséricorde, une parole qui appelle, qui dévoile une vocation, qui
pose des exigences mais ne désespère jamais de la personne ». Mais où
a-t-on vu le catholicisme traditionnel désespérer de la personne ?
Il faut croire que Mgr Bordeyne
l’a rencontré ; pour lui, les oppositions aux perspectives de la
« pédagogie divine » (sa spécialité) sont le signe que, « hélas,
des chrétiens, des évêques, n’ont sans doute pas encore assimilé
Vatican II ».
Aujourd’hui, grâce au synode, on
affirme que « la mission des familles se fonde sur le baptême plus que sur
le sacrement de mariage ». C’est intéressant. C’est ainsi que le pape
François a parlé à la femme luthérienne d’un mari catholique qui regrettait de
ne pas communier avec lui à la même « Cène du Seigneur » :
« un seul baptême » les unit. Donc…
Dans la logique de Vatican II,
a-t-il poursuivi, il faut insister sur « l’acceuil pastoral », tout
rattacher au « mystère pascal » : « Ne pas s’étonner si un
homme et une femme qui adhèrent à cette folie d’amour, qu’il puisse leur
arriver des bricoles. »
Sur la question de la communion
pour les divorcés « engagés dans une nouvelle union civile »,
Isabelle de Gaulmyn observe dans sa transition vers la deuxième partie du débat
qu’on s’est peut-être arrêté en chemin au fameux paragraphe 86.
« Précisément parce que c’est
un chemin », répond Mgr Brunin. « Si on avait posé comme terme
l’accès à la réconciliation, à l’Eucharistie, ça aurait bloqué. » Il a
concédé que la raison en était « stratégique », « mais pas
seulement ».
Il estime que le passage d’un
« chemin pénitentiel » (proposé par Kasper) et un « chemin de
discernement » retenu au synode a permis d’aboutir à quelque chose de
« tout à fait différent ».
« On a posé quelques balises
sur ce chemin : l’anamnèse de l’échec, prendre la mesure de sa part de
responsabilité, (…). Un chemin pénitentiel, c’est trop réducteur, il y a aussi
la reconstruction, avoir pardonné, ne plus être dans la haine… »
« On n’a pas posé le terme
parce qu’on ne sait pas où cela va mener. Dans ce synode on a réintroduit la
conscience, c’est une référence à Gaudium
et spes », a-t-il dit. « On a réintroduit la dimension de la
conscience personnelle, éclairée avec un accompagnement spirituel » (comme
si la conscience avait disparu entre-temps).
Rien de tout cela n’est très
explicite et n’a pas voulu l’être : si la conscience éclairée doit aboutir
quelque part, c’est au discernement de la vérité et au constat de ses propres
manquements par rapport à une vérité donnée par Dieu – et c’est ce que Mgr
Brunin a évité de dire.
Il a ainsi parlé de la
responsabilité dans le cadre de la contraception et de la nécessité de
formation de la conscience qui est « le centre le plus secret de
l’homme », « sans liste d’interdits ». « Il y a eu un échec
de la réception d’Humanae vitae car
il n’y pas eu suffisamment de renvoi à la responsabilité de la
conscience », a-t-il dit de manière sibylline, et que c’était un peu la
même chose « pour les personnes divorcées engagées dans une deuxième union
civile ».
En tout cas, a répété Mgr Brunin,
« le terme du chemin, on n’a pas à le poser d’emblée ». Manière
prudente de dire que plusieurs solutions sont possibles.
A Mgr Bordeyne, Isabelle de
Gaulmyn demande : « Ya-t-il eu une inflexion de la morale
familiale ? »
Réponse : « Au fond, ce
n’était pas possible. Mais il faut voir ce qu’il y a à la place. » Le
paragraphe 84 parle du baptême comme « point de référence » pour les
divorcés, « rien sur la communion ». « Ce sont des baptisés. Ils
ont des dons et des charismes pour le bien de tous. » Et de se féliciter qu’on
ne parle plus de « situations irrégulières » mais de
« situations matrimoniale complexe »…
La référence au baptême ouvre
selon lui une « autres pistes qu’il faut creuser ».
Quant à la nouvelle unions
visible, « si elle n’a pas la possibilité d’être sacramentelle, elle a la
capacité de faire passer un message »…
Mgr Brunin renchérit. « Les
divorcés remariés ne sont pas dans une impasse. Ils sont toujours appelés à
avancer » (c’est vrai). Mais il ajoute que le regard sur eux est
modifié : « On cherche à découvrir ce qu’il y a de positif, dans ce
qu’il y a de complexe ou difficile – même chose pour la cohabitation. »
Sur celle-ci aussi, qui concerne
« 80 % des couples » qui demandent le mariage, il faut un
« regard positif » et « non un regard qui condamne, qui enferme,
qui rejette », qui sait regarder ce qui est déjà opéré « par la
grâce » : « C’est un acquis du synode », pense Mgr Brunin.
Un acquis effectif, selon Mgr
Bordeyne puisque pour lui, la relatio
synodii n’est pas un texte de propositions, mais un texte synodal adopté à
la majorité des deux tiers qui « fait partie du processus de
synodalité », le « produit d’une interaction »,
« l’attestation forte d’un travail synodal » qui devra entrer en
« interaction » avec l’exhortation post-synodale ou « autre
chose » que le pape choisira de publier.
Mgr Brunin est d’accord :
puisque le pape a choisi de faire publier le rapport final, « celui-ci
demande à être reçu dans les Eglises locales ». Et donc déjà mis en œuvre.
Tout cela est dans la logique du discours du 17 octobre sur le cinquantenaire du
synode des évêques. « L’attente de l’exhortation ne doit pas être passive,
l’Esprit continue de travailler ! »
La séance de questions subséquente
a porté sur le rôle des laïcs, la remontée de leurs prises de positions,
parfois un « défouloir » parce que c’était la première fois ;
elle a porté sur la « décentralisation » pour laquelle Mgr Bordeyne
« ne sen(t) pas les choses très mûres pour un pouvoir donné » ;
mais voit plutôt « une étape préalable à travers le discernement ». Qui
passe par « le mouvement anthropologique de l’écoute et de la parole »
qui correspond à la volonté du pape ».
On comprend mieux en écoutant
Brunin. Il pense que le pape parle de « conférences épiscopales
continentales », avec « la nécessité qu’il soit au service de l’unité,
mais avec des facettes différentes ». « Ce qui peut apparaître comme juste
dans un endroit comme décision pastorale peut paraître, ailleurs, inacceptable » :
voilà une manière de relativiser la vérité.
Le pape « est le garant de l’unité,
mais il nous dit de ne pas nous contenter d’entendre le peuple de Dieu, mais de
l’écouter » : ce qui veut dire, quelque part, le suivre.
(à suivre…)
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