27 novembre, 2015

A l'Institut catholique, Mgr Brunin et Mgr Bordeyne parlent du synode sur la famille, qu'ils ont vécu. Révélateur…

Mgr Brunin, évêque du Havre, et Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut catholique, ont participé mercredi soir à l’Institut catholique à une conférence-débat sur le synode sur la famille, auquel ils ont tous deux assisté. La modératrice de la soirée était Isabelle de Gaulmyn, de La Croix, ce qui donnait déjà le ton. Une sorte de débriefing ou deux figures d’un « catholicisme de cheminement » sont venus expliquer ce qui a pu, et ce qui n’a pas pu se faire au synode.

Ils partaient en effet d’un présupposé que les faits n’allaient pas démentir : la salle attendait une évolution, des « avancées » au sein de l’Eglise.

Mode de travail, questions qui fâchent, que peut-on faire en attendant le document papal, probablement au mois de mars si la rumeur romaine se confirme : telle était la structure donnée à la soirée par Isabelle de Gaulmyn. Il s’agissait d’apprendre à la fois comment les choses s’étaient passées « à l’intérieur » et ce que cela pourra changer, « à l’extérieur ». Le public ? Nombre de jeunes, sans doute de nombreux étudiants à l’Institut catholique parmi lesquels beaucoup de Noirs, des religieuses en civil, mais majoritairement un public grisonnant qui a pu connaître des enthousiasmes de jeunesse pour la révolution liturgique.

Mgr Brunin était au synode en tant que père synodal élu par ses pairs, revêtu de l’autorité de président du conseil famille et société de la conférence des évêques de France. Mgr Bordeyne avait été appelé par le pape François en tant qu’expert théologique, sans droit de vote. Présent lors de toutes les sessions – notamment lors des circuli minores, affecté à celui présidé par le cardinal George Pell – il a notamment participé à la rédaction du rapport final qui est passé entre les mains d’une commission spécialisée. Ces groupes où « tout s’est joué », comme l’a dit l’évêque du Havre ?

Savez-vous pourquoi les évêques africains ont eu le sentiment de ne pas être pris en compte, ajoutant au sentiment de départ de « positions clivées » ? Mais c’est tout simplement parce que leur rapport « est arrivé hors délais », a expliqué Mgr Brunin ! (Serait-on un peu pélagien, à la secrétairerie du synode, faisant trop confiance aux structures et aux règles rigides ?)

Vous me permettrez de faire un compte-rendu linéaire, en soulignant typographiquement quelques moments-clefs de cette soirée peu encourageante… Il m'a paru utile de vous donner tous ces éléments très révélateur sur l'esprit de certains au synode et sur leur volonté de l'utiliser déjà dans un sens dynamique.

Brunin comme Bordeyne ont insisté sur le consensus qui est arrivé non au terme d’affrontements et d’oppositions, mais d’un « discernement » décidément omniprésent dans leur discours et dans le document synodal.
Puis Bordeyne raconte les sessions en aula, la salle plénière. Elles ont participé, dit-il, à une dynamique constituée par l’interaction au sein des groupes linguistiques et par l’interaction entre l’aula et le pape. Celui-ci restait immobile, impassible. « Il y a eu quelques interventions marquantes où on voyait le pape se déplier et écouter, surtout si c’était concret » : d’où ce poids lié à sa présence, même s’il ne parlait pas.
Personnellement, Mgr Bordeyne estime que la lecture par les 17 rapporteurs des textes issus des groupes linguistiques a « fait bouger les lignes » ; l’idée était donc bien de faire changer les choses.
On comprend mieux la logique de l’ensemble lorsque Bordeyne raconte comment il a eu « la chair de poule » en écoutant le discours du pape à l’occasion du 50e anniversaire du l’institution du synode des évêques que d’aucuns avaient « séché », pensant à leur fatigue et au peu de rapport que cela semblait avoir avec le synode sur la famille. En réalité on devine qu’il était absolument central, partie intégrante de l’ensemble de par la volonté du pape François. A-t-il choisi la date du synode pour coïncider – à quelques semaines près – avec cet anniversaire ? Quoi qu’il en soit, Mgr Bordeyne a vu dans cette annonce d’une certaine décentralisation et d’une accentuation de la synodalité un « grand texte ecclésiologique ».
Cela veut sans doute dire que les partisans du changement vont s’appuyer fortement sur lui.
Mgr Brunin a pris le relais pour répondre à la question de savoir quel avait été le rôle du pape dans ce synode. Important, à l’en croire : c’est François qui a voulu qu’il s’étale sur une durée de deux ans, avec des consultations des fidèles, des « remontées ».
Pour un texte aussi longuement préparé les quidams que nous sommes peuvent être frappés par son manque de souffle, de profondeur, de nouveauté dans le bon sens du terme, celle qu’on aurait pu espérer pour trouver des réponses et des stratégies doctrinalement solides face à l’apostasie immanente en Occident par exemple. Ce n’est pas ce qui saute aux yeux dans le rapport final du synode qui n’a donc pas été fait pour cela…
Mgr Brunin estime, lui, que le synode aura été l’occasion de faire « travailler la collégialité, le sensus fidei, le travail des théologiens ». Tout au long de la soirée à l’Institut catholique, ces derniers étaient décidément à l’honneur, ce qui ne manquera pas d’inquiéter. La lecture des réponses de 26 théologiens aux questions sur la famille dans un ouvrage francophone paru quelques semaines avant l’ouverture du synode à l’initiative de Mgr Brunin et de Mgr Bordeyne ne laisse aucun doute quant à leur orientation. Je m’étais attelée au pensum : face à la centaine de réponses à des questions posées de manière à valoriser les positions progressistes, ou plus exactement hétérodoxes, la quasi totalité des réponses que j’avais voulu classer, de manière optimiste, de -4 à +4, ont récolté des -4. J’ai relevé deux +1.
Cette manière de « faire synode », Mgr Brunin l’impute au pape et estime que la méthode a été annoncée dès Evangelii Gaudium, le « discours programmatique » de François. Où « le temps est supérieur à l’espace » (il faut « sortir et rejoindre pour initier des processus ») ; « l’unité prévaut sur le conflit » (« le pape habite sereinement la pluralité, alors que souvent la pluralité fait peur »). François « invite à ce que les différences et les divergences soient exprimées : ce n’est pas du relativisme mais un acte de foi ; l’unification sans le Christ, c’est Babel ».
Troisième ligne de force : « La réalité est plus importante que l’idée » : c’est ce qui explique le temps d’une semaine du synode donnée aux défis de la famille, que de nombreux pères synodaux ont, soit dit en passant, dénoncée comme trop sociologique. Et enfin : « Revisiter la tradition à partir des réalités concrètes », ce qui constitue tout de même une inversion du chemin où l’on cherche à transformer les réalités concrètes en trouvant le moyen pour qu’y passe la grâce.
C’est ce qui aboutit à la « parabole du polyèdre », plus riche avec ses facettes que la sphère lisse, et à cette assertion qui est en effet, si l’on veut bien regarder les choses en face, centrale dans le discours issu du synode : « Même les personnes qui sont dans l’erreur ont quelque chose à apporter. » Ce n’est pas faux, mais utilisé à l’envers : comme forme de justification.
Sur les théologiens, Mgr Bordeyne est tout aussi enthousiaste, d’autant qu’il en fait partie. La « réussite » du synode est « une mayonnaise qui a pris », mettant en présence des gens très différents.
Il rapporte ainsi une anecdote qu’il considère extraordinaire : il a rencontré parmi les auditeurs laïcs du synode des personnes d’autres continents qui ont donné raison aux évêques qui estiment avoir la mission d’enseigner » ; des laïcs qui ont raconté comment cet enseignement avait provoqué et soutenu leur conversion. Pour Mgr Bordeyne, cela est presque exotique…
Mais il a vu aussi des évêques « accepter de changer d’avis », grâce au travail entre évêques et théologiens pour faire passer des amendements.
Mgr Bordeyne a voulu mettre l’auditoire sur une piste de recherche en soulignant qu’un élément du paragraphe 4 du rapport final est à son avis dû à un théologien qui n’était pas au synode : Eberhard Schockenhoff. Il a cru en tout cas reconnaître ses paroles dans les mots utilisés comme amendement par un père synodal : « L’amour ne se réduit pas à l’illusion du moment. L’amour n’est pas une fin en soi. L’amour cherche la fiabilité d’un “tu donné personnellement. Dans la promesse réciproque d’amour, pour le meilleur et pour le pire, l’amour se veut continu pour toute la vie, jusqu’à la mort. »
Schockenhoff fait justement partie de ceux qui veulent une « approche différente » de l’Eglise à l’égard des divorcés remariés, comme il le prêche depuis longtemps.
Bordeyne s’est également félicité de la composition de la commission finale composée de théologiens et de cinq évêques ou cardinaux : dont Baldisseri, Erdö, Forte (« très grand théoligien », celui qui avait imposé la thématique de l’homosexualité au premier synode) et « un petit nombre d’experts qui ont beaucoup apporté dans la rédaction.
Il a salué également un « 5e protagoniste » au terme d’un « raisonnement par l’absurde » : le texte de l’Instrumentum laboris, « suffisamment mauvais » et donc « formidable puisque tout le monde pouvait crier dessus : cela a généré une créativité,  la logique de fabriquer des amendements ».
Le processus de synodalité (on l’a entendu plusieurs fois au cours de la réunion) devrait « inspirer les relations internationales ».
Retour à Mgr Brunin. « Ce synode a débloqué une situation présentée comme clivante, entre ceux venus pour affirmer la doctrine et pour l’approuver, et ceux venus pour le pastoral », a-t-il expliqué. C’est une « troisième voie » qui a été choisie entre « la simple fourniture de repères normatifs, doctrinaux », et celle d’un « accueil bienveillant », « un peu niais », « aux évolutions sociétales ».
La voie choisie est celle de « la vocation, du cheminement, de l’accompagnement ». Où le mariage n’est pus un « modèle à suivre mais une vocation à laquelle il faut répondre ». Relisez cela : ce ne sont que des mots…
Il parle du « contenu d’une parole de miséricorde, une parole qui appelle, qui dévoile une vocation, qui pose des exigences mais ne désespère jamais de la personne ». Mais où a-t-on vu le catholicisme traditionnel désespérer de la personne ?
Il faut croire que Mgr Bordeyne l’a rencontré ; pour lui, les oppositions aux perspectives de la « pédagogie divine » (sa spécialité) sont le signe que, « hélas, des chrétiens, des évêques, n’ont sans doute pas encore assimilé Vatican II ».
Aujourd’hui, grâce au synode, on affirme que « la mission des familles se fonde sur le baptême plus que sur le sacrement de mariage ». C’est intéressant. C’est ainsi que le pape François a parlé à la femme luthérienne d’un mari catholique qui regrettait de ne pas communier avec lui à la même « Cène du Seigneur » : « un seul baptême » les unit. Donc…
Dans la logique de Vatican II, a-t-il poursuivi, il faut insister sur « l’acceuil pastoral », tout rattacher au « mystère pascal » : « Ne pas s’étonner si un homme et une femme qui adhèrent à cette folie d’amour, qu’il puisse leur arriver des bricoles. »
Sur la question de la communion pour les divorcés « engagés dans une nouvelle union civile », Isabelle de Gaulmyn observe dans sa transition vers la deuxième partie du débat qu’on s’est peut-être arrêté en chemin au fameux paragraphe 86.
« Précisément parce que c’est un chemin », répond Mgr Brunin. « Si on avait posé comme terme l’accès à la réconciliation, à l’Eucharistie, ça aurait bloqué. » Il a concédé que la raison en était « stratégique », « mais pas seulement ».
Il estime que le passage d’un « chemin pénitentiel » (proposé par Kasper) et un « chemin de discernement » retenu au synode a permis d’aboutir à quelque chose de « tout à fait différent ».
« On a posé quelques balises sur ce chemin : l’anamnèse de l’échec, prendre la mesure de sa part de responsabilité, (…). Un chemin pénitentiel, c’est trop réducteur, il y a aussi la reconstruction, avoir pardonné, ne plus être dans la haine… »
« On n’a pas posé le terme parce qu’on ne sait pas où cela va mener. Dans ce synode on a réintroduit la conscience, c’est une référence à Gaudium et spes », a-t-il dit. « On a réintroduit la dimension de la conscience personnelle, éclairée avec un accompagnement spirituel » (comme si la conscience avait disparu entre-temps).
Rien de tout cela n’est très explicite et n’a pas voulu l’être : si la conscience éclairée doit aboutir quelque part, c’est au discernement de la vérité et au constat de ses propres manquements par rapport à une vérité donnée par Dieu – et c’est ce que Mgr Brunin a évité de dire.
Il a ainsi parlé de la responsabilité dans le cadre de la contraception et de la nécessité de formation de la conscience qui est « le centre le plus secret de l’homme », « sans liste d’interdits ». « Il y a eu un échec de la réception d’Humanae vitae car il n’y pas eu suffisamment de renvoi à la responsabilité de la conscience », a-t-il dit de manière sibylline, et que c’était un peu la même chose « pour les personnes divorcées engagées dans une deuxième union civile ».
En tout cas, a répété Mgr Brunin, « le terme du chemin, on n’a pas à le poser d’emblée ». Manière prudente de dire que plusieurs solutions sont possibles.
A Mgr Bordeyne, Isabelle de Gaulmyn demande : « Ya-t-il eu une inflexion de la morale familiale ? »
Réponse : « Au fond, ce n’était pas possible. Mais il faut voir ce qu’il y a à la place. » Le paragraphe 84 parle du baptême comme « point de référence » pour les divorcés, « rien sur la communion ». « Ce sont des baptisés. Ils ont des dons et des charismes pour le bien de tous. » Et de se féliciter qu’on ne parle plus de « situations irrégulières » mais de « situations matrimoniale complexe »…
La référence au baptême ouvre selon lui une « autres pistes qu’il faut creuser ».
Quant à la nouvelle unions visible, « si elle n’a pas la possibilité d’être sacramentelle, elle a la capacité de faire passer un message »…
Mgr Brunin renchérit. « Les divorcés remariés ne sont pas dans une impasse. Ils sont toujours appelés à avancer » (c’est vrai). Mais il ajoute que le regard sur eux est modifié : « On cherche à découvrir ce qu’il y a de positif, dans ce qu’il y a de complexe ou difficile – même chose pour la cohabitation. »
Sur celle-ci aussi, qui concerne « 80 % des couples » qui demandent le mariage, il faut un « regard positif » et « non un regard qui condamne, qui enferme, qui rejette », qui sait regarder ce qui est déjà opéré « par la grâce » : « C’est un acquis du synode », pense Mgr Brunin.
Un acquis effectif, selon Mgr Bordeyne puisque pour lui, la relatio synodii n’est pas un texte de propositions, mais un texte synodal adopté à la majorité des deux tiers qui « fait partie du processus de synodalité », le « produit d’une interaction », « l’attestation forte d’un travail synodal » qui devra entrer en « interaction » avec l’exhortation post-synodale ou « autre chose » que le pape choisira de publier.
Mgr Brunin est d’accord : puisque le pape a choisi de faire publier le rapport final, « celui-ci demande à être reçu dans les Eglises locales ». Et donc déjà mis en œuvre. Tout cela est dans la logique du discours du 17 octobre sur le cinquantenaire du synode des évêques. « L’attente de l’exhortation ne doit pas être passive, l’Esprit continue de travailler ! »
La séance de questions subséquente a porté sur le rôle des laïcs, la remontée de leurs prises de positions, parfois un « défouloir » parce que c’était la première fois ; elle a porté sur la « décentralisation » pour laquelle Mgr Bordeyne « ne sen(t) pas les choses très mûres pour un pouvoir donné » ; mais voit plutôt « une étape préalable à travers le discernement ». Qui passe par « le mouvement anthropologique de l’écoute et de la parole » qui correspond à la volonté du pape ».
On comprend mieux en écoutant Brunin. Il pense que le pape parle de « conférences épiscopales continentales », avec « la nécessité qu’il soit au service de l’unité, mais avec des facettes différentes ». « Ce qui peut apparaître comme juste dans un endroit comme décision pastorale peut paraître, ailleurs, inacceptable » : voilà une manière de relativiser la vérité.
Le pape « est le garant de l’unité, mais il nous dit de ne pas nous contenter d’entendre le peuple de Dieu, mais de l’écouter » : ce qui veut dire, quelque part, le suivre.
(à suivre…)
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