27 novembre, 2015
Brunin comme Bordeyne ont insisté
sur le consensus qui est arrivé non au terme d’affrontements et d’oppositions,
mais d’un « discernement » décidément omniprésent dans leur discours
et dans le document synodal.
Puis Bordeyne raconte les sessions
en aula, la salle plénière. Elles ont
participé, dit-il, à une dynamique constituée par l’interaction au sein des
groupes linguistiques et par l’interaction entre l’aula et le pape. Celui-ci restait immobile,
impassible. « Il y a eu quelques interventions marquantes où on
voyait le pape se déplier et écouter, surtout si c’était concret » :
d’où ce poids lié à sa présence, même s’il ne parlait pas.
Personnellement, Mgr Bordeyne
estime que la lecture par les 17 rapporteurs des textes issus des groupes
linguistiques a « fait bouger les lignes » ; l’idée était donc
bien de faire changer les choses.
On comprend mieux la logique de
l’ensemble lorsque Bordeyne raconte comment il a eu « la chair de
poule » en écoutant le
discours du pape à l’occasion du 50e anniversaire du l’institution du
synode des évêques que d’aucuns avaient « séché », pensant à leur
fatigue et au peu de rapport que cela semblait avoir avec le synode sur la
famille. En réalité on devine qu’il était absolument central, partie intégrante
de l’ensemble de par la volonté du pape François. A-t-il choisi la date du synode
pour coïncider – à quelques semaines près – avec cet anniversaire ?
Quoi qu’il en soit, Mgr Bordeyne a vu dans cette annonce d’une certaine
décentralisation et d’une accentuation de la synodalité un « grand texte
ecclésiologique ».
Cela veut sans doute dire que les
partisans du changement vont s’appuyer fortement sur lui.
Mgr Brunin a pris le relais pour
répondre à la question de savoir quel avait été le rôle du pape dans ce synode.
Important, à l’en croire : c’est François qui a voulu qu’il s’étale sur
une durée de deux ans, avec des consultations des fidèles, des
« remontées ».
Pour un texte aussi longuement
préparé les quidams que nous sommes peuvent être frappés par son manque de
souffle, de profondeur, de nouveauté dans le bon sens du terme, celle qu’on
aurait pu espérer pour trouver des réponses et des stratégies doctrinalement
solides face à l’apostasie immanente en Occident par exemple. Ce n’est pas ce
qui saute aux yeux dans le rapport final du synode qui n’a donc pas été fait
pour cela…
Mgr Brunin estime, lui, que le
synode aura été l’occasion de faire « travailler la collégialité, le
sensus fidei, le travail des théologiens ». Tout au long de la soirée à
l’Institut catholique, ces derniers étaient décidément à l’honneur, ce qui ne manquera
pas d’inquiéter. La lecture des réponses de 26 théologiens aux questions sur la
famille dans un ouvrage francophone paru quelques semaines avant l’ouverture du
synode à l’initiative de Mgr Brunin et de Mgr Bordeyne ne laisse aucun doute
quant à leur orientation. Je m’étais attelée au pensum : face à la
centaine de réponses à des questions posées de manière à valoriser les
positions progressistes, ou plus exactement hétérodoxes, la quasi totalité des
réponses que j’avais voulu classer, de manière optimiste, de -4 à +4, ont
récolté des -4. J’ai relevé deux +1.
Cette manière de « faire
synode », Mgr Brunin l’impute au pape et estime que la méthode a été
annoncée dès Evangelii Gaudium, le
« discours programmatique » de François. Où « le temps est
supérieur à l’espace » (il faut « sortir et rejoindre pour initier
des processus ») ; « l’unité prévaut sur le conflit »
(« le pape habite sereinement la pluralité, alors que souvent la pluralité
fait peur »). François « invite à ce que les différences et les
divergences soient exprimées : ce n’est pas du relativisme mais un acte de
foi ; l’unification sans le Christ, c’est Babel ».
Troisième ligne de force :
« La réalité est plus importante que l’idée » : c’est ce qui
explique le temps d’une semaine du synode donnée aux défis de la famille, que
de nombreux pères synodaux ont, soit dit en passant, dénoncée comme trop
sociologique. Et enfin : « Revisiter la tradition à partir des
réalités concrètes », ce qui constitue tout de même une inversion du
chemin où l’on cherche à transformer les réalités concrètes en trouvant le
moyen pour qu’y passe la grâce.
C’est ce qui aboutit à la
« parabole du polyèdre », plus riche avec ses facettes que la sphère
lisse, et à cette assertion qui est en effet, si l’on veut bien regarder les
choses en face, centrale dans le discours issu du synode : « Même les
personnes qui sont dans l’erreur ont quelque chose à apporter. » Ce n’est
pas faux, mais utilisé à l’envers : comme forme de justification.
Sur les théologiens, Mgr Bordeyne
est tout aussi enthousiaste, d’autant qu’il en fait partie.
La « réussite » du synode est « une mayonnaise qui a
pris », mettant en présence des gens très différents.
Il rapporte ainsi une anecdote
qu’il considère extraordinaire : il a rencontré parmi les auditeurs laïcs
du synode des personnes d’autres continents qui ont donné raison aux évêques
qui estiment avoir la mission d’enseigner » ; des laïcs qui ont
raconté comment cet enseignement avait provoqué et soutenu leur conversion.
Pour Mgr Bordeyne, cela est presque exotique…
Mais il a vu aussi des évêques
« accepter de changer d’avis », grâce au travail entre évêques et
théologiens pour faire passer des amendements.
Mgr Bordeyne a voulu mettre
l’auditoire sur une piste de recherche en soulignant qu’un élément du paragraphe
4 du rapport final est à son avis dû à un théologien qui n’était pas au
synode : Eberhard Schockenhoff. Il a cru en tout cas reconnaître ses
paroles dans les mots utilisés comme amendement par un père synodal :
« L’amour ne se réduit pas à l’illusion du moment. L’amour n’est pas une
fin en soi. L’amour cherche la fiabilité d’un “tu” donné
personnellement. Dans la promesse réciproque d’amour, pour le meilleur et pour
le pire, l’amour se veut continu pour toute la vie, jusqu’à la mort. »
Schockenhoff
fait justement partie de ceux qui veulent une « approche
différente » de l’Eglise à l’égard des divorcés remariés, comme il le
prêche depuis longtemps.
Bordeyne s’est également félicité
de la composition de la commission finale composée de théologiens et de cinq
évêques ou cardinaux : dont Baldisseri, Erdö, Forte (« très grand
théoligien », celui qui avait imposé la thématique de l’homosexualité au
premier synode) et « un petit nombre d’experts qui ont beaucoup apporté
dans la rédaction.
Il a salué également un « 5e
protagoniste » au terme d’un « raisonnement par
l’absurde » : le texte de l’Instrumentum
laboris, « suffisamment mauvais » et donc « formidable
puisque tout le monde pouvait crier dessus : cela a généré une
créativité, la logique de
fabriquer des amendements ».
Le processus de synodalité (on l’a
entendu plusieurs fois au cours de la réunion) devrait « inspirer les
relations internationales ».
Retour à Mgr Brunin. « Ce
synode a débloqué une situation présentée comme clivante, entre ceux venus pour
affirmer la doctrine et pour l’approuver, et ceux venus pour le
pastoral », a-t-il expliqué. C’est une « troisième voie » qui a
été choisie entre « la simple fourniture de repères normatifs,
doctrinaux », et celle d’un « accueil bienveillant », « un
peu niais », « aux évolutions sociétales ».
La voie choisie est celle de
« la vocation, du cheminement, de l’accompagnement ». Où le mariage
n’est pus un « modèle à suivre mais une vocation à laquelle il faut
répondre ». Relisez cela : ce ne sont que des mots…
Il parle du « contenu d’une
parole de miséricorde, une parole qui appelle, qui dévoile une vocation, qui
pose des exigences mais ne désespère jamais de la personne ». Mais où
a-t-on vu le catholicisme traditionnel désespérer de la personne ?
Il faut croire que Mgr Bordeyne
l’a rencontré ; pour lui, les oppositions aux perspectives de la
« pédagogie divine » (sa spécialité) sont le signe que, « hélas,
des chrétiens, des évêques, n’ont sans doute pas encore assimilé
Vatican II ».
Aujourd’hui, grâce au synode, on
affirme que « la mission des familles se fonde sur le baptême plus que sur
le sacrement de mariage ». C’est intéressant. C’est ainsi que le pape
François a parlé à la femme luthérienne d’un mari catholique qui regrettait de
ne pas communier avec lui à la même « Cène du Seigneur » :
« un seul baptême » les unit. Donc…
Dans la logique de Vatican II,
a-t-il poursuivi, il faut insister sur « l’acceuil pastoral », tout
rattacher au « mystère pascal » : « Ne pas s’étonner si un
homme et une femme qui adhèrent à cette folie d’amour, qu’il puisse leur
arriver des bricoles. »
Sur la question de la communion
pour les divorcés « engagés dans une nouvelle union civile »,
Isabelle de Gaulmyn observe dans sa transition vers la deuxième partie du débat
qu’on s’est peut-être arrêté en chemin au fameux paragraphe 86.
« Précisément parce que c’est
un chemin », répond Mgr Brunin. « Si on avait posé comme terme
l’accès à la réconciliation, à l’Eucharistie, ça aurait bloqué. » Il a
concédé que la raison en était « stratégique », « mais pas
seulement ».
Il estime que le passage d’un
« chemin pénitentiel » (proposé par Kasper) et un « chemin de
discernement » retenu au synode a permis d’aboutir à quelque chose de
« tout à fait différent ».
« On a posé quelques balises
sur ce chemin : l’anamnèse de l’échec, prendre la mesure de sa part de
responsabilité, (…). Un chemin pénitentiel, c’est trop réducteur, il y a aussi
la reconstruction, avoir pardonné, ne plus être dans la haine… »
« On n’a pas posé le terme
parce qu’on ne sait pas où cela va mener. Dans ce synode on a réintroduit la
conscience, c’est une référence à Gaudium
et spes », a-t-il dit. « On a réintroduit la dimension de la
conscience personnelle, éclairée avec un accompagnement spirituel » (comme
si la conscience avait disparu entre-temps).
Rien de tout cela n’est très
explicite et n’a pas voulu l’être : si la conscience éclairée doit aboutir
quelque part, c’est au discernement de la vérité et au constat de ses propres
manquements par rapport à une vérité donnée par Dieu – et c’est ce que Mgr
Brunin a évité de dire.
Il a ainsi parlé de la
responsabilité dans le cadre de la contraception et de la nécessité de
formation de la conscience qui est « le centre le plus secret de
l’homme », « sans liste d’interdits ». « Il y a eu un échec
de la réception d’Humanae vitae car
il n’y pas eu suffisamment de renvoi à la responsabilité de la
conscience », a-t-il dit de manière sibylline, et que c’était un peu la
même chose « pour les personnes divorcées engagées dans une deuxième union
civile ».
En tout cas, a répété Mgr Brunin,
« le terme du chemin, on n’a pas à le poser d’emblée ». Manière
prudente de dire que plusieurs solutions sont possibles.
A Mgr Bordeyne, Isabelle de
Gaulmyn demande : « Ya-t-il eu une inflexion de la morale
familiale ? »
Réponse : « Au fond, ce
n’était pas possible. Mais il faut voir ce qu’il y a à la place. » Le
paragraphe 84 parle du baptême comme « point de référence » pour les
divorcés, « rien sur la communion ». « Ce sont des baptisés. Ils
ont des dons et des charismes pour le bien de tous. » Et de se féliciter qu’on
ne parle plus de « situations irrégulières » mais de
« situations matrimoniale complexe »…
La référence au baptême ouvre
selon lui une « autres pistes qu’il faut creuser ».
Quant à la nouvelle unions
visible, « si elle n’a pas la possibilité d’être sacramentelle, elle a la
capacité de faire passer un message »…
Mgr Brunin renchérit. « Les
divorcés remariés ne sont pas dans une impasse. Ils sont toujours appelés à
avancer » (c’est vrai). Mais il ajoute que le regard sur eux est
modifié : « On cherche à découvrir ce qu’il y a de positif, dans ce
qu’il y a de complexe ou difficile – même chose pour la cohabitation. »
Sur celle-ci aussi, qui concerne
« 80 % des couples » qui demandent le mariage, il faut un
« regard positif » et « non un regard qui condamne, qui enferme,
qui rejette », qui sait regarder ce qui est déjà opéré « par la
grâce » : « C’est un acquis du synode », pense Mgr Brunin.
Un acquis effectif, selon Mgr
Bordeyne puisque pour lui, la relatio
synodii n’est pas un texte de propositions, mais un texte synodal adopté à
la majorité des deux tiers qui « fait partie du processus de
synodalité », le « produit d’une interaction »,
« l’attestation forte d’un travail synodal » qui devra entrer en
« interaction » avec l’exhortation post-synodale ou « autre
chose » que le pape choisira de publier.
Mgr Brunin est d’accord :
puisque le pape a choisi de faire publier le rapport final, « celui-ci
demande à être reçu dans les Eglises locales ». Et donc déjà mis en œuvre.
Tout cela est dans la logique du discours du 17 octobre sur le cinquantenaire du
synode des évêques. « L’attente de l’exhortation ne doit pas être passive,
l’Esprit continue de travailler ! »
La séance de questions subséquente
a porté sur le rôle des laïcs, la remontée de leurs prises de positions,
parfois un « défouloir » parce que c’était la première fois ;
elle a porté sur la « décentralisation » pour laquelle Mgr Bordeyne
« ne sen(t) pas les choses très mûres pour un pouvoir donné » ;
mais voit plutôt « une étape préalable à travers le discernement ». Qui
passe par « le mouvement anthropologique de l’écoute et de la parole »
qui correspond à la volonté du pape ».
On comprend mieux en écoutant
Brunin. Il pense que le pape parle de « conférences épiscopales
continentales », avec « la nécessité qu’il soit au service de l’unité,
mais avec des facettes différentes ». « Ce qui peut apparaître comme juste
dans un endroit comme décision pastorale peut paraître, ailleurs, inacceptable » :
voilà une manière de relativiser la vérité.
Le pape « est le garant de l’unité,
mais il nous dit de ne pas nous contenter d’entendre le peuple de Dieu, mais de
l’écouter » : ce qui veut dire, quelque part, le suivre.
(à suivre…)
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