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Klaus Günter Annen |
Dans l’affaire Annen c. Allemagne, la Cour européenne
des droits de l’homme vient de donner raison à Klaus Günter Annen à qui la
justice allemande avait interdit de distribuer des tracts contre l’avortement à
proximité d’une clinique pratiquant l’« IVG ». C’est une belle
victoire pour la liberté d’expression – liberté d’exprimer la vérité, s’entend
– et elle a été obtenue précisément sur ce fondement, celui de l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui affirme le respect de
cette liberté.
Les tracts que distribuait Klaus
Annen lors d’une campagne provie en 2005 à Weinheim mentionnaient pourtant les
noms et adresses de deux médecins travaillant dans la clinique, avec une
accusation qui paraissait en soi diffamatoire puisqu’ils étaient désignés comme
pratiquant des « avortements illégaux ». Notion morale et non
juridique : le même tract précisait, en plus petits caractères, que la loi
allemande permet l’avortement qui n’est pas sanctionné pénalement.
Le tract précisait ainsi : « Le certificat de consultation protège le
“médecin” et la mère des poursuites pénales mais ne les protège pas de leur
responsabilité devant Dieu. » Et il ajoutait, suprême injure surtout en
Allemagne : « L’assassinat
d’êtres humains à Auschwitz était illégal, or l’État nazi en déshérence morale
a permis le meurtre d’innocents sans le sanctionner pénalement. » Il était
fait mention ensuite d’un site internet administré par Klaus Annen,
www.babycaust.de, qui comportait une liste de « médecins avorteurs »,
parmi lesquels figuraient les deux médecins qui dirigeaient l’établissement.
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Les deux médecins portèrent
plainte selon une procédure d’urgence qui ne devait aboutir qu’en janvier 2007
devant une cour régionale. Celle-ci leur donna raison en enjoignant à Klaus
Annen de cesser la distribution des tracts à proximité de la clinique et de
retirer les noms des deux intéressés de sa liste noire des « médecins
avorteurs » sur Internet. L’appel interjeté par Klaus Annen n’eut pas
davantage de succès et il n’obtint pas de la Cour constitutionnelle fédérale
que celle-ci se saisît de l’affaire.
Annen avait été condamné en
Allemagne au motif que ses tracts donnaient la fausse impression que les
avortements pratiqués dans la clinique étaient hors-la-loi, et que ses attaques
contre les médecins étaient particulièrement violentes en raison de la
référence à l’Holocauste.
La CEDH a refusé cette
argumentation pour une raison extrêmement intéressante : elle a noté que
le droit pénal allemand distingue entre les avortements jugés
« nécessaires » et donc légaux destinés à préserver la vie ou la
santé de la femme, et les avortements qui sont des délits simplement
dépénalisés lorsqu’ils sont pratiqués au cours des 12 premières semaines et que
la femme est passée par la consultation obligatoire, requise en Allemagne pour
échapper aux sanctions. « Dès lors,
il était juridiquement exact de dire dans les tracts que des avortements
“illégaux” étaient pratiqués dans la clinique », note le communiqué de
presse de la CEDH sur l’affaire. Les juges ont estimé que les précisions
données dans le tract, fussent-elles en petits caractères, étaient suffisamment
claires « même aux yeux du profane ».
Si Annen a donné le nom de
médecins avorteurs, « la Cour
estime cependant qu’il avait recouru à cette méthode d’exposition de ses
arguments axée sur la personnalisation de manière à mieux véhiculer le message
de sa campagne, laquelle contribuait manifestement à un débat d’intérêt public
particulièrement polémique », note le même communiqué. Autrement dit,
cela s’est justifié par la volonté de transmettre un message efficace.
Et la référence à
l’Holocauste ? On sait à quel point l’établissement d’un parallèle entre
le massacre de l’avortement et celui de l’Holocauste est décrié, et on aurait
pu penser que pour une affaire se déroulant en Allemagne, la CEDH aurait pu
aller dans le sens du vent. Mais tout en reconnaissant le contexte historique
particulier dans le pays où a sévi l’idéologie nazie, les juges ont refusé de
donner raison aux tribunaux allemands qui estimèrent Klaus Annen coupable
d’avoir comparé les médecins et leurs activités professionnelles au régime nazi.
Voici ce qu’en dit le service de
presse de la Cour : « On peut
plutôt y voir un moyen de
sensibiliser les gens au fait plus général que le droit peut diverger de la
morale. Si elle est consciente du message sous-jacent aux propos de M. Annen,
aggravé par le renvoi au site internet www.babycaust.de, la Cour constate qu’il
n’a pas explicitement assimilé l’avortement à l’Holocauste. Elle n’est donc pas
convaincue que l’interdiction de continuer à distribuer les tracts fût
justifiée par une violation des droits des médecins à la personnalité sur la
base d’une seule référence à l’Holocauste. »
Le droit peut diverger de la
morale ! C’est la grande leçon, la grande respiration de cet arrêt de la
Cour européenne. La loi civile ne prime pas la loi morale ! Sauf à justifier
tous les excès de tous les régimes totalitaires qui ont imposé le mal et
poursuivi ceux qui osaient – qui osent – toujours affirmer le bien.
La Cour n’a même pas cédé à la
requête de faire supprimer les noms des deux médecins du site internet de Klaus
Annen, affirmant que les tribunaux allemands n’avaient pas pris la peine de se
pencher sur le contenu du site, de définir les termes « médecins
avorteurs » alors qu’ils pratiquent effectivement des avortements, ni
moins encore de déterminer si la publication de leurs noms « risquait de
les exposer à des violences ou des agressions ». Les juges allemands
avaient donc condamné le militant pro-vie sans respecter les « exigences
procédurales » de l’article 10.
L’Allemagne devra verser 13.696,87
euros à Klaus Annen au titre des frais et dépenses.
L’arrêt a été rendu par une
chambre de la Cour européenne des droits de l’homme et à ce titre, il est
susceptible d’appel dans un délai de trois mois.
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