27 mai, 2021

Mgr Philippe Bordeyne, nouveau président de l’Institut Jean-Paul II, plaide pour une nouvelle pastorale pour les homosexuels

C’est clair et net : lorsque Mgr Philippe Bordeyne, jusqu’ici recteur de l’Institut catholique de Paris, prendra à la rentrée prochaine la présidence de l’Institut théologique pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille, il y veillera au respect du « nouveau paradigme » introduit dans la pastorale familiale par Amoris laetitia, et en particulier de son controversé chapitre 8. Le site diakonos.be, en proposant la traduction française de l’article du vaticaniste Sandro Magister sur la proposition de Bordeyne de mettre en place une possibilité de bénédiction – privée et individuelle – pour les partenaires homosexuels au sein d’une union stable, en vue de les accompagner sur leur chemin vers la sainteté, a déjà permis de connaître l’aspect le plus actuel de la nouvelle ligne politique de l’Institut Jean-Paul II, rénové et rebaptisé. Ses réflexions portent sur un essai que vient de faire paraître le théologien dans la revue de l’Institut catholique, Transversalités. C’est un texte qui mérite qu’on s’y arrête davantage, car la proposition de Bordeyne s’inscrit dans un ensemble et conclut un raisonnement dont la rupture avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise paraît évident, même si l’auteur s’en défend.

On y trouve un plaidoyer pour un changement d’approche à l’égard des homosexuels et de l’enseignement de l’Eglise en matière de sexualité, qui va de l’accueil pastoral à « l’intégration » en passant par le « discernement », pour aboutir éventuellement à la réception des sacrements malgré une « situation irrégulière » qu’on évitera au demeurant d’appeler ainsi, comme le souhaitait Amoris laetitia.

Des discussions lors des synodes sur la famille et sur l’Exhortation apostolique qui en a résulté, Philippe Bordeyne tire cette déclaration : « Cet ensemble pastoral et doctrinal offre aux personnes homosexuelles des éléments de discernement pour conduire leur vie affective et morale devant Dieu et pour l’inscrire dans un processus de croissance spirituelle. » Le changement de vie n’étant pas, dans le contexte, un pré-requis…

Avant de poursuivre cet article, je voudrais dire clairement ceci. Là où l’Eglise a toujours condamné les actes homosexuels comme « contre nature », c’est-à-dire contraires au plan de Dieu, indignes de l’hommes et objet d’une particulière réprobation, l’article de Bordeyne évoque en passant la hiérarchie des péchés et, en note, souligne avec Amoris laetitia que « l’Eglise a une solide réflexion sur les conditionnements et lees circonstances atténuantes ». Cela pour dissocier les notions de péché mortel et d’acte homosexuel et justifier cette nouvelle approche. Et on aboutit à vouloir bénir une personne « à raison » de son orientation homosexuelle (pour paraphraser la loi antiraciste française) : bénir, bien dire, dire du bien, invoquer la bienveillance divine sur une personne spécifiquement « à raison » de son engagement dans une relation avec une personne du même sexe. J’ose l’affirmer, c’est le comble de l’inversion.

Avec cela en tête, abordons donc cet article du futur président de l’Institut Jean-Paul II :  L’Eglise catholique en travail de discernement face aux unions homosexuelles. Ce travail, dit Bordeyne, est le résultat direct d’Amoris laetitia, même si la question n’avait pas été ouvertement posée.

D’emblée, le texte se penche sur cette fameuse « intégration » acquise grâce au « discernement », et écorche au passage la mise en garde de saint Paul sur la réception de la communion, comme l’avait déjà fait Amoris laetitia en son numéro 186 : « L’Eucharistie exige l’intégration dans un unique corps ecclésial. Celui qui s’approche du Corps et du Sang du Christ ne peut pas en même temps offenser ce même Corps en causant des divisions et des discriminations scandaleuses parmi ses membres. Il s’agit en effet de “discerner” le Corps du Seigneur, de le reconnaître avec foi et charité soit dans ses signes sacramentaux, soit dans la communauté ; autrement, on mange et on boit sa propre condamnation. » Bordeyne n’en retient que le début et la fin : « L’Eucharistie exige l’intégration dans un unique corps ecclésial… autrement, on mange et on boit sa propre condamnation. »

C’est un glissement de curseur, pour le moins : s’il est vrai que l’attitude à l’égard du prochain est rappelée avec force par saint Paul, ses paroles fortes qui nous mettent en garde contre le fait de recevoir le Corps du Christ indignement, en invitant à un examen de conscience, portent sur quelque chose de bien plus large que l’accueil et le souci des pauvres : une révérence extérieure face à la réalité du sacrement – la messe n’est pas un repas comme un autre – et l’état de grâce et la bonne disposition intérieure.

Or tout l’article de Bordeyne vise à subjectiviser cette notion de bonne disposition intérieure.

Il reconnaît aussi d’emblée, et c’est intéressant, que « les évolutions pastorales furent, dans l’histoire, corrélatives d’évolutions doctrinales en matière morale ».

Si Bordeyne rappelle la doctrine traditionnelle relative au mariage, il met aussi en avant les « limites » des « prescriptions universelles », avançant que l’enseignement de François « vient compléter » celui de Jean-Paul II en mettant en relief « la dimension singulière de la décision personnelle », invitant ainsi à aller au-delà de Veritatis splendor, main dans la main avec saint Alphonse de Liguori dont le « discernement pastoral visait “à conduire les gens à l’état de grâce et [à] les y garder” en tenant compte de leurs capacités, de leur contexte spécifique et des mauvaises habitudes contractées dans le passé ».

Outre que cela relève de la direction spirituelle et non d’une pastorale générale, comme l’observe opportunément un « liseur » du Forum catholique, il y a quand même fort à parier que saint Alphonse serait étonné d’être ainsi appelé au secours d’une réflexion sur « l’intégration » des homosexuels revendiqués (et revendiquants).

Bordeyne décrit alors, s’autorisant de saint Thomas d’Aquin « pour qui les normes sont toujours référées à la poursuite du “bien” », la situation des unions homosexuelles qui impliquent des personnes qui n’arrivent pas à vivre dans la continence, ou qui ne supportent pas la solitude, ou qui ayant sombré dans la promiscuité sexuelle se résolvent à vivre avec une seule « personne aimée » pour « accéder à une stabilité affective et relationnelle », ou encore celles qui n’envisagent pas une séparation à cause des « enfants accueillis au sein de l’union homosexuelle » – voire qui font le « choix du mariage » pour la sécurité de ceux-ci.

Voilà qui me rappelle une connaissance qui justifiait son concubinage lesbien par le fait qu’elle avait « peur de l’orage »… Ou encore, plus sérieusement, l’argumentation d’Amoris laetitia qui évoque le bien des enfants d’un remariage civil pour suggérer que la vie continente, dans ce cadre-là de difficile séparation, n’est pas le « bien » qu’il faut mettre en œuvre.

Il suffit donc de viser « le bien ici et maintenant » au terme d’un discernement particulier qui « ne doit pas être analysé comme un choix du moindre mal, mais plutôt comme la volonté de mettre en œuvre le bien possible ». Cette perspective, ajoute Bordeyne, « permet de restaurer la dignité morale de personnes qui, en conscience, posent des actes dont elles savent trop bien qu’ils ne correspondent pas à la norme universelle, mais qui procèdent d’un discernement devant Dieu sur ce qu’est, aujourd’hui, le bien à leur portée. »

Et hop, un petit coup de sodomie…

Pourquoi se gêner, d'ailleurs ? « Personne ne peut être condamné pour toujours », rappelle Bordeyne en citant Amoris laetitia.

On ne s’étonnera pas de voir l’auteur s’en référer au cardinal très bien en cour Blase Cupich, connu pour ses idées avancées, en citant son discours du 9 février 2018 à Cambridge, où il avait présenté « six nouveaux principes d’interprétation de la réalité » tirées d’Amoris laetitia. Comme celui-ci : « Les décisions prises en conscience par les couples et les familles traduisent l’assistance personnelle de Dieu dans les particularités de leurs vies… » Mieux, l’Eglise accueille « l’auto-révélation de Dieu dans la vie concrète des familles ».

Autrement dit, si on lit bien, c’est Dieu Lui-même qui se manifeste dans une décision de demeurer dans un remariage civil, ou de s’établir dans telle union stable avec un partenaire du même sexe.

Cela résume selon Bordeyne le « changement de paradigme » opéré par Amoris laetitia, et il est vrai que c’en est un. Il paraît que c’est la bonne manière de proposer des « itinéraires de croissance sur le chemin de la sainteté » en ces temps d’évolution des mœurs.

Voici venu le temps des « chemins de sainteté atypiques » sur lesquels l’Eglise « accompagne » désormais les fidèles, et « dont on n’osait pas parler ouvertement dans le passé ».

Et voilà le clou : « On peut donc espérer que ce mouvement vers plus de réalisme spirituel permettra, à terme, de contribuer à un renouvellement de la théologie chrétienne de la sexualité, précisément parce que la sexualité humaine, finalement assez peu déterminée, admet des formes et des expressions atypiques. »

L’enseignement traditionnel sur la continence des non mariés s’en trouve sérieusement écorné. Vis-à-vis des « voies de sainteté dans la condition homosexuelle », assure Bordeyne, Amoris laetitia a « permis une approche moins doloriste, plus positive ». Il paraît que c’est un appel « au réalisme dans la foi, conformément à l’adage thomiste : “Gratia non tollit naturam, sed perfecit.” » Parfaire la nature en s’appuyant sur ce qui est contre nature ? Bigre !

Certes, Bordeyne évoque l’abstinence possible et les dimensions « non génitales » que peut revêtir l’amour pour une personne du même sexe ; mais il se demande « comment accompagner les personnes qui ne parviennent pas à l’abstinence, en valorisant les “relations interpersonnelles” sans se focaliser sur les seuls “actes” homosexuels, et en nommant avec les personnes concernées “ce qu’il y a de plus beau dans leur relation”. » Là encore, on est plutôt dans le domaine de la direction spirituelle, avec l’inconvénient tout de même de brûler des étapes, comme on le verra plus loin, en balayant finalement l’objectivité du péché grave.
En attendant, je note que Bordeyne en appelle une nouvelle fois à la « tradition thomiste » à travers un « principe éprouvé de discernement moral » : « à savoir que le fait d’honorer l’inclination à conserver sa vie, inscrite dans la des êtres vivants, mérite une grande considération morale ». « N’oublions pas que le nombre de personnes homosexuelles se débattent, pendant leur adolescence et parfois bien plus longtemps, avec la tentation de la désespérance ou du suicide. Qu’elles soient parvenues à la surmonter justifie la reconnaissance, par les pasteurs, de leur cheminement vers la sainteté. »

Poursuivant sa réflexion sur le discernement, Philippe Bordeyne se penche alors sur les « attitudes spirituelles spécifiques » de ceux qui « en conscience » décident de ne pas vivre selon la norme universelle : « la discrétion et l’humilité ». Il cite ici le cardinal Schönborn qui incite à la « discrétion des communions » dans cette situation – celle d’homosexuels qui revendiquent leur choix de vie et y demeurent sans intention de s’en éloigner.
Après la communion des divorcés remariés civilement, voici celle des homosexuels en couple et fiers de l’être, et qu’on incite à se cacher un peu pour « éviter le scandale ou la démoralisation d’autres fidèles qui luttent pour rester fidèles à Dieu dans ce domaine ».
Cette discrétion, il la rapproche des recommandations de saint Paul vis-à-vis des « interdits alimentaires », mais en oubliant de dire que ces interdits alimentaires n’obligent pas en soi, mais sont prônées si la consommation de la viande sacrifiée aux idoles devait « scandaliser » les plus faibles, c’est-à-dire les pousser au mal. Ce n’est pas exactement le même cas de figure.

Y a-t-il des catholiques qui ne comprendraient pas que des homosexuels revendiqués s’approchent de la table de communion ? Bordeyne affirme : « Les membres de l’Eglise doivent veiller mutuellement au chemin spirituel de chacun, en ayant le souci de ne pas scandaliser ceux qui, en raison de leur faiblesse, peinent à entrer dans un processus de discernement sur la hiérarchie des normes, sur le conflit entre elles, et sur les cas particuliers. La prise en considération du scandale potentiel doit inciter les personnes vivant dans une union homosexuelle à rechercher la discrétion lorsqu’elles approchent de la table eucharistique à l’issue d’un processus de discernement sur la mise en œuvre du bien possible dans leur vie. (…) Néanmoins, les communautés chrétiennes ont, de leur côté, la responsabilité de former les fidèles à la complexité du jugement moral, afin qu’ils comprennent davantage son irréductibilité à une application immédiate de la loi générale. Une telle formation fait partie intégrante de l’accompagnement pastoral d’une communauté chrétienne dans sa marche vers la sainteté. »

Ne serait-il pas plus indiqué, vu le degré d’ignorance de tant de catholiques aujourd’hui, de nous inculquer de meilleures notions de foi et de morale ?

Suivent les couplets sur la bénédiction possible des personnes homosexuelles, soit par le biais de la « prière universelle », soit par le biais d’une bénédiction privée sollicitée pour « accompagner leur amour, leur union ou l’enfant qu’elles ont accueilli », « pour éviter de donner prise aux revendications, explicites ou implicites, de légitimation des unions homosexuelles par analogie au mariage ».

Bordeyne ajoute : « De même, dans le cas où une prière de bénédiction serait envisagée, il conviendrait de s’en tenir à une bénédiction des personnes en écartant les formulations qui évoqueraient trop directement leur union. » Un peu, ça va ?

Dans la même veine, Bordeyne juge qu’il « serait souhaitable » – on admire le conditionnel accompagnant un simple souhait – que le ministre « procède successivement à deux prières personnelles de bénédiction, afin de marquer la différence avec les prières de bénédiction nuptiale », et afin que les concubins en tant que concubins puissent « grandir dans la disponibilité à la grâce. »

Le futur président de l’Institut Jean-Paul II va même jusqu’à « former le vœu que [l’Eglise catholique] ose enraciner » ce travail pastoral « dans la prière liturgique qui est le lieu par excellence où le Christ manifeste sa présence et sa puissance salvatrice à l’Eglise. »
Il fait donc clairement partie de ceux qui récusent le responsum de la Congrégration pour la Doctrine de la foi affirmant l’impossibilité de bénir des unions homosexuelles. On dira que Bordeyne lui aussi rejette une telle bénédiction, mais il demande bien une bénédiction spécifique pour des personnes homosexuelles engagées dans une union, ce qui revient logiquement à « bien dire », à invoquer la bienveillance divine sur l’homosexualité active.
Philippe Bordeyne a même trouvé une formule, celle qui s’adresse aux plus fragiles, les vieillards, qu’il trouve apte pour les personnes homosexuelles qui, « ayant renoncé au mariage, ont néanmoins besoin de recevoir l’aide de l’Eglise pour cheminer vers la sainteté avec leurs limites en se disposant chaque jour davantage à accomplir la loi morale, en prêtant attention tant à sa dimension universelle qu’à sa dimension particulière ».

Et que dit cette formule, qu’il cite pour terminer ? « Que Jésus-Christ notre Seigneur soit près de vous et vous protège. Qu’il soit devant vous pour vous guider, qu’il soit derrière vous pour vous garder… »

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