Une prière à
Pachamama, la « Terre Mère » vénérée par des tribus indigènes telles
que les Aymaras et les Quechua dans les Andes mais aussi dans les plaines du
nord de l'Argentine et au Brésil, près de la Bolivie et du Pérou, se trouve en
bonne place dans un livret officiel de la Fondazione Missio de la Conférence
des évêques d'Italie.
La prière est
présentée sans la moindre mise en garde quant au fait qu'elle ne s'adresse pas au vrai Dieu. D'ailleurs, une autre prière qui est présentée dans cette brochure avec
la même typographie et dans le même contexte illustratif s'adresse à la
« Très Sainte Trinité ». La prière à Pachamama, elle, a pour sujet
une divinité païenne, à laquelle on demande la prospérité matérielle et qui
dans la religion indigène vise à calmer les esprits de la Terre.
La brochure
fait partie d'une série de ressources présentant le travail et les objectifs de
la mission catholique et de ses missionnaires, avec un accent particulier sur
le Synode de l'Amazonie qui a eu lieu à Rome du 6 au 27 octobre.
Le livret dont
il est question a été publié bien avant l'ouverture du synode, au mois d'avril
dernier semble-t-il. La présence de la "Pachamama" dans une
publication officielle de l'agence missionnaire des évêques italiens consacrée
au synode suggère que le groupe des indigènes de la région amazonienne et leurs
accompagnateurs de type européen, aussi bien que la hiérarchie catholique à
Rome étaient pleinement conscients de la nature du culte à la « Terre
Mère » aux accents chrétiens syncrétiques qui s'est déroulé dans les
jardins du Vatican et à l'église Santa Maria in Traspontina, à la Basilique
Saint Pierre, dans une Via Crucis "amazonienne" et peut-être
ailleurs.
Cela éclaire
d'un jour nouveau la présence d'images en bois sculpté de femmes enceintes et nues
que le pape François lui-même a désignées comme des statuettes de la
« Pachamama ».
Les 30 pages du
livret consacré à « l'animation » et à la « formation » des
fidèles en vue du Synode amazonien sont disponibles
ici (en italien) sous letitre Sinodo sull'Amazzonia. Le livret explique comment le REPAM, le réseau
ecclésiastique de la région panamazonienne, a été créé en 2014 pour aider
l'Église à « marcher ensemble » avec ses habitants, en particulier
les tribus indigènes qui y vivent encore selon leurs traditions ancestrales, et
dont certaines refusent tout contact avec le reste du monde.
Il contient des
déclarations étonnantes, comme celle-ci : « Le bassin amazonien contient
20 % de l'eau douce non gelée de la planète. Sur 5 verres d'eau que vous
buvez, un vient du fleuve Amazone. »
Remarquablement,
le livret utilise aussi de multiples phrases et concepts qui se retrouvent
désormais dans le Document final du Synode, tiré du Document préparatoire
(2018) et du Document de travail (
Instrumentum laboris, juin 2019). Ni l'un ni
l'autre n'employait le mot « Pachamama » mais
le second mentionnait fréquemment
la
Madre Tierra qui est la traduction espagnole du concept de
Pachamama, "Terre Mère » ou « Mère de l'Univers ».
Les cérémonies
indigènes à la Pachamama comportent différents rites, dont le plus important a
lieu au début du mois d'août, lorsque la « Terre Mère » est censée être
fatiguée et usée. Le rite consiste à chanter, danser et boire autour d'une
couverture sur laquelle sont déposées des offrandes, certaines brûlées ou
fumées rituellement, pour « nourrir » la Terre qui nourrit, mais qui
détruit et tue aussi par tremblements de terre et autres catastrophes quand les
hommes utilisent par trop ses ressources, comme l'expliquent les légendes
païennes – et le discours sur le réchauffement climatique d'origine anthropique et celui sur l'épuisement de la planète. Le rituel est dirigé par un chaman local.
Souvent, un
trou est creusé dans le sol, symbolisant l'utérus de la Pachamama, et les
offrandes, éventuellement brûlées – y compris les très recherchés fœtus de lama censés apporter chance et richesse – sont rituellement versées dans ce
trou.
Des chamans,
hommes et femmes, participent à la conduite de ces cérémonies.
Historiquement,
avant l'arrivée des conquérants espagnols, le culte inca à Pachamama
s'accompagnait de sacrifices humains, souvent des enfants de 7 ou 8 ans dont la
mort était censée apaiser la « divinité » terrestre, pour éviter sa
colère et obtenir la prospérité. C'est ainsi que 200 jeunes ont été sacrifiés à
l'occasion du couronnement de Pachacutec à Cuzco, quelque part entre 1430 et
1440. Le sacrifice consistait souvent à congeler les enfants qui mouraient de
froid après avoir été drogués à la coca, la plante sacrée de nombreuses tribus
indigènes d'Amérique du Sud. Des momies d'enfants sacrifiés ont été retrouvées,
qui confirment la réalité de la pratique du sacrifice humain à Pachamama en
particulier.
Dans les années
1960 on rencontrait des vestiges du culte de la Pachamama, mais depuis lors, la
rhétorique de la « Terre Mère » est devenue plus présente, à défaut d'être dominante, parmi certaines communautés indigènes des régions andines. Evo
Morales, président autochtone de Bolivie depuis 2006, a joué un rôle important
dans la remise à l'honneur des coutumes et des rites précolombiens ; il est
même allé jusqu'à faire mentionner la « cosmogonie » syncrétique des
autochtones dans la constitution bolivienne.
En novembre
2014, le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la
culture,
a participé à un rite pachamama au cours duquel le principal officiant
et représentant de l'Institut des cultures autochtones (ICA), Victor Acebo,
présentait un long discours plaintif sur la « spiritualité » païenne
de la « Terre Mère ». Le discours, en espagnol, était clairement
compréhensible sur le site Internet « Atrio de los gentiles », dans
la vidéo mise en ligne par ses responsables ; elle semble avoir été
retirée du site depuis. Le « Parvis des Gentils » (2009) était une initiative du
Pape Benoît XVI par laquelle il cherchait à inviter les intellectuels
non-catholiques et les athées à découvrir la foi catholique. En Argentine, en
2014, c'est donc l'inverse qui s'est produit.
La Pachamama
n'était donc pas tout à fait inconnue à Rome lorsqu'une série de statuettes
brunes et noires de femmes autochtones, nues, enceintes, avec leurs utérus rouge
sang et leurs fœtus clairement visibles – comme dans les représentations
modernes de la Terre Mère – a envahi la Ville.
On ne peut pas
non plus ignorer la signification et le sens de la « prière » à la
Pachamama incluse dans un livret officiel de l'agence missionnaire de la
Conférence épiscopale italienne, d'autant plus que l'on peut trouver ce
document sur certains sites web des diocèses italiens, comme celui de Bergame.
Voici la prière
complète, telle que traduite de l'italien :
Pachamama de
ces lieux,
bois et mange
autant que tu le voudras de ces offrandes,
afin que cette
terre soit féconde.
Pachamama,
bonne Mère
Sois propice !
Sois propice !
Que les bœufs
marchent bien,
et qu'ils ne se
fatiguent pas.
Donnez un bon
goût à la graine,
que rien de mal
ne lui arrive,
que le gel ne
puisse le perturber,
qu'il produise
de la bonne nourriture.
Nous te le
demandons :
donne-nous
tout.
Sois propice !
Sois propice !
(Prière à la
Terre Mère des peuples Incas)
Il est
intéressant de noter que la version originale quechua de la prière et sa
traduction espagnole contemporaine sont légèrement différentes.
Les deux
premières lignes se lisent comme suit dans la prière quechua :
Pachamama
de ces lieux,
Bois,
mâche de la coca et mange autant que tu voudras de ces offrandes…
Apparemment, la
Fondazione Missio s'est méfiée des mots évoquant la mastication de
la coca, la
coca étant illégale dans presque tous les pays de monde, sauf en Bolivie et quelques
autres où son utilisation traditionnelle est autorisée. Considérée par l'ONU
comme une substance addictive, la feuille de coca est tenue pour sacrée par les
tribus indigènes des Andes et sa mastication est créditée de nombreuses vertus
: elle est riche en vitamines, elle réduit l'appétit et agit comme un
stimulant.
D'autre part,
bien que la production de cocaïne à partir de la feuille de coca nécessite un
certain nombre de processus chimiques complexes, elle agit comme une drogue
même lorsqu'elle est simplement mâchée, provoquant des hallucinations et
d'autres effets qui sont ceux d'un stupéfiant naturel. En tant que tel, le coca
était largement utilisé dans les rites indigènes traditionnels. Il joue un rôle
important dans le rituel de la Pachamama, en particulier en raison de ses
caractéristiques « stimulantes », et il est aussi utilisé pour
prévoir l'avenir. Cela fait désordre, alors on censure !
La version
expurgée de la prière à la Pachamama a été utilisée lors d'une veillée missionnaire à Vérone, selon une photo d'une partie du dépliant de la cérémonie
publiée par un commentateur sous le message Facebook de Michael Hichborn.
Mise à jour : Infovaticana nous apprend qu'un chant à la Pachamama a accompagné la procession d'entrée de la messe en la cathédrale de Lima au Pérou le 1er septembre dernier, présidée par Mgr Carlos Castillo, archevêque du lieu. C'est par ici, avec le texte complet du chant en espagnol et la video.
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