Mgr Athanasius Schneider, l'un des prélats qui ont pris le plus courageusement et le plus clairement la défense de la doctrine traditionnelle de l'Eglise face aux ambiguïtés et aux interprétations hétérodoxes d'Amoris laetitia, vient de publier une lettre en défense des “Quatre Cardinaux” qui ont exprimé leurs « dubia », ou « doutes » au pape François en lui demandant de faire la clarté, au nom de sa charge pontificale.
Mgr Schneider m'a demandé de traduire son texte, paru mercredi soir sur le site du Remnant en langue anglaise, vers le français. Je vous prie d'excuser les inélégances liées au délai très court dont je disposais ; je précise notamment que ce délai ne m'a pas laissé le temps de trouver les traductions autorisées des Pères de l'Eglise cités par le prélat.
Mais c'est le texte qui importe. Un document à verser aux archives de l'histoire pour rendre compte de l'engagement de quelques-uns au service de la vérité en des temps de grande confusion. Que Mgr Schneider en soit à son tour remercié, au nom des simples fidèles que nous sommes.
Cette traduction est publiée également sur le site de L'Homme nouveau. – J.S.
« Nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité. » (2 Cor. 13: 8)
La voix prophétique de Quatre Cardinaux de la Sainte Eglise catholique romaine
Mus par une profonde préoccupation
pastorale, quatre Cardinaux de la Sainte Eglise catholique romaine, Son Eminence
Joachim Meisner, archevêque émérite de Cologne (Allemagne), Son Eminence Carlo
Caffarra, archevêque émérite de Bologne (Italie), Son Eminence Raymond Leo
Burke, Patron de l’Ordre militaire souverain de Malte, et Son Eminence Walter
Brandmüller, président émérite de la Commission pontificale des sciences
historiques, ont publié le 14 novembre 2016 le texte de cinq questions,
appelées dubia ( le mot latin signifiant « doutes ») que
préalablement, le 19 septembre 2016, ils avaient adressées au Saint-Père et au
Cardinal Gerhard Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi,
accompagnées d’une lettre. Les Cardinaux demandent au pape François de mettre
fin au « grave désarroi » et à la « grave confusion » à propos de
l’interprétation et de l’application pratique – en particulier du chapitre 8 –
de l’Exhortation apostolique Amoris laetitia et ses passages relatifs à
l’accès des divorcés remariés aux sacrements, et à l’enseignement moral de
l’Eglise.
Dans leur déclaration, qui a pour
titre Faire la clarté. Problèmes non
résolus posés par Amoris lætitia, les Cardinaux affirment que « pour
beaucoup de personnes – des évêques, des prêtres de paroisse, des fidèles – ces
paragraphes font allusion à, voire enseignent de manière explicite, un changement
dans la discipline de l’Eglise en ce qui concerne les divorcés qui vivent au
sein d’une nouvelle union. » En s’exprimant ainsi, les Cardinaux ont
simplement mis en évidence des faits réels de la vie de l’Eglise. Ces faits sont
attestés par des orientations pastorales de la part de plusieurs diocèses et
par des déclarations publiques de certains évêques et cardinaux, affirmant que
dans certains cas, des catholiques divorcés et remariés peuvent accéder à
communion alors même qu'ils continuent d’user des droits réservés par la loi divine
aux époux validement mariés.
En publiant un appel à la clarté
dans une matière qui touche simultanément à la vérité et à la sainteté des
trois sacrements du mariage, de la pénitence et de l’Eucharistie, les Quatre Cardinaux
n’ont fait que remplir leur devoir fondamental d’évêques et de cardinaux, qui
consiste à contribuer activement afin que la révélation transmise à travers les
apôtres puisse être gardée comme sacrée et interprétée fidèlement. Le concile
Vatican II a spécialement rappelé tous les membres du collège des évêques, en
tant que successeurs légitimes des apôtres, « de par l’institution et le
précepte du Christ, à cette sollicitude qui est, pour l’Eglise universelle,
éminemment profitable, même si elle ne s’exerce pas par un acte de juridiction.
Tous les évêques, en effet, doivent promouvoir et servir l’unité de la foi et
la discipline commune de l’ensemble de l’Eglise » (Lumen Gentium,
23 ; cf. également Christus Dominus, 5-6).
En adressant un appel public, les
évêques et les cardinaux doivent une véritable affection collégiale à l’égard
du successeur de Pierre et du Vicaire du Christ sur terre, conformément à
l’enseignement du concile Vatican II (cf. Lumen Gentium, 22) ; ce
faisant ils rendent « service au ministère primatial » du pape (cf. Directoire
pour le ministère pastoral des évêques, 13).
Toute l’Eglise, de nos jours, doit
réfléchir au fait que le Saint Esprit n’a pas inspiré en vain à saint Paul d’évoquer,
dans la Lettre aux Galates, l'incident de sa correction publique de Pierre. On
doit avoir confiance en ce que le pape François puisse accepter cet appel
public des Quatre Cardinaux dans l'esprit de l’apôtre Pierre, lorsque saint Paul
lui offrit une correction fraternelle pour le bien de toute l’Eglise. Que les
paroles de ce grand docteur de l’Eglise, saint Thomas d'Aquin, nous illuminent
et nous réconfortent tous : « Lorsqu’il existe un danger pour la foi, les
sujets sont tenus de réprouver leurs prélats, même publiquement, puisque Paul,
qui était sujet à Pierre, en raison du danger du scandale, l’a réprouvé
publiquement. Et Augustin commente : “Pierre lui-même a donné un exemple
aux supérieurs en ne dédaignant pas d’être corrigé par ses sujets lorsqu’il
leur est apparu qu’il s’était écarté du bon chemin”. » (Summa
theol., I-II, 33, 4c).
Le pape François appelle souvent à
un dialogue franc et sans crainte parmi tous les membres de l’Eglise dans les
domaines relatifs au bien spirituel des âmes. Dans l’Exhortation apostolique Amoris
laetitia, le pape évoque la nécessité « de continuer à approfondir
librement certaines questions doctrinales, morales, spirituelles et pastorales.
La réflexion des pasteurs et des théologiens, si elle est fidèle à l’Église, si
elle est honnête, réaliste et créative, nous aidera à trouver davantage de
clarté » (n°2). En outre, les relations à tous les niveaux au sein de l’Eglise
doivent être libres d’un climat de peur et d’intimidation, ainsi que le pape
François l’a demandé lors de ses diverses déclarations.
A la lumière de ces déclarations
du pape François et du principe de dialogue et d'acceptation de la légitime
pluralité des opinions, qui a été encouragé par les documents du concile
Vatican II, les réactions inhabituellement violentes et intolérantes de la part
de certains évêques et cardinaux face à la sollicitation calme et prudente des
Quatre Cardinaux provoquent un grand étonnement. Parmi de telles réactions
intolérantes, on trouve par exemple des affirmations comme celles-ci : les
Quatre Cardinaux sont écervelés, naïfs, schismatiques, hérétiques, et même
comparables aux hérétiques ariens.
De tels jugements apodictiques et
sans miséricorde ne révèlent pas seulement l’intolérance, le refus du dialogue,
et la rage irrationnelle, mais apportent également la preuve d’une capitulation
devant l’impossibilité de dire la vérité, une capitulation face au relativisme
dans la doctrine et dans la pratique, dans la foi et dans la vie. La réaction
cléricale sus-mentionnée contre la voix prophétique des quatre cardinaux fait
parader en dernière analyse l’impuissance face à la vue de la vérité. Une
réaction aussi violente n’a qu’un seul but : faire taire la voix de la vérité,
qui dérange et agace l’ambiguïté nébuleuse et apparemment paisible de ces
critiques cléricaux.
Les réactions négatives à la
déclaration publique des Quatre Cardinaux ressemblent à la confusion doctrinale
généralisée de la crise arienne au quatrième siècle. Il est utile à tous de
citer, dans cette situation de confusion doctrinale de notre temps, certaines
affirmations de saint Hilaire de Poitiers, l’« Athanase de
l’Occident ».
« Vous [les évêques de Gaule] qui
demeurez avec moi fidèles au Christ, n’avez pas cédé lorsque vous avez été
menacés par l’apparition de l’hérésie, et maintenant, en faisant face à cette
apparition vous avez brisé toute sa violence. Oui, mes frères, vous avez
vaincu, à la joie abondante de ceux qui partagent notre foi : et votre
constance sans faille a obtenu la double gloire de garder une conscience pure
tout en donnant un exemple d’autorité » (Hil. De Syn., 3).
« Votre foi invincible,
[évêques de Gaule], conserve la distinction honorable de la valeur consciencieuse
et, se satisfaisant de répudier l’action rusée, vague ou hésitante, demeure en
toute sûreté dans le Christ, en préservant la profession de sa liberté. Car
comme nous avons tous souffert d’un mal profond et douloureux devant les
actions des méchants contre Dieu, c’est uniquement à l’intérieur de nos
frontières que la communion dans le Christ a pu être trouvée depuis le temps où
l’Eglise a commencé à être harassée par des troubles telles l’expatriation des
évêques, la déposition des prêtres, l’intimidation du peuple, des menaces
contre la foi, et la définition du sens de la doctrine du Christ par la volonté
et la puissance humaines. Votre foi ferme ne prétend pas ignorer ces faits, ni
elle ne professe qu’elle peut les tolérer, conscient de ce que par l’acte d’un sentiment
hypocrite elle s'amènerait elle-même devant le tribunal de la conscience »
(Hil. De Syn., 4).
« J’ai parlé de ce que j’ai
moi-même cru, conscient que c’était mon devoir de soldat au service de l’Eglise
de vous envoyer par ces lettres, en accord avec l’enseignement de l’Evangile, la
voix de l'office que je remplis dans le Christ. Il nous appartient de discuter,
de prévoir et d’agir, afin que la fidélité inviolable où vous vous tenez puisse
être gardée toujours par des cœurs consciencieux, et afin que vous puissiez
continuer de garder ce que vous gardez maintenant » (Hil. De Syn.,
92).
Les paroles suivantes de saint
Basile le Grand, adressées aux évêques latins, peuvent être dans certains
aspects appliqués la situation de ceux qui, en notre temps, demandent la clarté
doctrinale, y compris nos Quatre Cardinaux : « L’unique charge qui
aujourd’hui est sûre d’attirer une punition sévère, c’est la garde attentive
des traditions des Pères. Nous ne sommes pas attaqués à cause des richesses, de
la gloire, ou de quelque avantage temporel. Nous nous tenons dans l'arène pour
lutter pour notre héritage commun, pour le trésor de la foi certaine, transmise
par nos pères. Lamentez-vous avec nous, vous tous qui aimez les frères, devant
le bâillonnement de nos hommes de vraie religion, et devant l'ouverture des
lèvres enhardies dans le blasphème de tous ceux qui disent des iniquités contre
Dieu. Les piliers et la fondation de la vérité sont éparpillés en tous sens.
Nous autres, dont l’insignifiance a permis qu'on ne nous remarque pas, sommes
privées de notre droit de libre parole » (Ep. 243, 2,4).
Aujourd’hui ces évêques et ces
cardinaux, qui demandent la clarté et qui essaient de remplir leur devoir de
garder en tant que trésor sacré, et d’interpréter fidèlement la divine Révélation
qui nous a été transmise par rapport aux sacrements de mariage et de
l’Eucharistie, ne sont plus exilés comme l’étaient les évêques Nicéens pendant
la crise arienne. Contrairement à ce qui passait à l’époque de la crise arienne,
aujourd’hui, comme l’écrivait Rudolf Graber, l’évêque de Ratisbonne, en 1973, l’exil
des évêques est remplacé par des stratégies d’étouffement et par des campagnes
de diffamation (cf. Athanasius und die Kirche unserer Zeit, Abensberg
1973, p. 23).
Un autre champion de la foi
catholique pendant la crise arienne était Grégoire de Nazianze. Il a rédigé une
mise en scène frappante du comportement de la majorité des pasteurs de l’Eglise
en ce temps-là. Cette voix du grand docteur de l'Eglise devrait constituer une
mise en garde salutaire pour les évêques de tous les temps : « Certainement,
les pasteurs ont agi sottement ; car à l’exception d’un très petit nombre, qui
soit ont été ignorés en raison de leur insignifiance, ou qui ont résisté en
raison de leur vertu, et qui devaient être nécessaires comme semences et
racines pour le resurgissement et la renaissance d’Israël par les influences de
l’Esprit, tous ont temporisé, se distinguant les uns des autres seulement par
le fait que certains ont succombé plus tôt, et d’autres plus tard ; certains
étaient les champions et les chefs de cette course vers l’impiété, et d’autres ont
rejoint le deuxième rang de la bataille, ayant été vaincus par la peur, ou par
l’intérêt, ou par la flatterie, ou – et c’est le plus excusable – par leur propre
ignorance » (Orat. 21, 24).
Lorsqu’en 357 le pape Libère a
signé l’une des dites formules de Sirmium, dans laquelle il a délibérément
écarté l’expression dogmatiquement définie de « homo-ousios », et
excommunié saint Athanase afin d’obtenir la paix et l’harmonie avec les évêques
ariens et semi-ariens de l’Orient, des catholiques fidèles et un petit nombre
d’évêques, spécialement Saint Hilaire de Poitiers, ont été profondément choqués.
Saint Hilaire a transmis la lettre écrite par le pape Libère aux évêques
orientaux, annonçant l'acceptation de la formule de Sirmium et
l’excommunication de saint Athanase. Dans sa profonde douleur et dans son
désarroi, saint Hilaire a ajouté à sa lettre, comme avec désespérance, la
phrase : “Anathema tibi a me dictum, praevaricator Liberi” ( je te dis
anathème, prévaricateur Liberius), cf. Denzinger-Schönmetzer, n° 141. Libère
voulait la paix et l’harmonie à n’importe quel prix, même au prix de la vérité
divine. Dans sa lettre aux évêques latins hétérodoxes, Ursace, Valence et
Germinius, annonçant les décisions ci-dessus mentionnées, il écrivait qu'il
préférait la paix et l’harmonie au martyre (cf. Denzinger-Schönmetzer, n. 142).
Quel contraste dramatique offre ce
comportement du pape Libère par rapport à cette ferme affirmation de saint
Hilaire de Poitiers : « Ne faisons pas la paix au prix de la vérité, en faisant
des concessions en vue d'acquérir une réputation de tolérance. Nous faisons la
paix en nous battant légitimement selon les règles du Saint Esprit. Il y a un
danger à s’allier subrepticement avec l’incroyance sous le beau vocable de la
paix » (Hil. Ad Const., 2, 6, 2).
Le bienheureux John Henry Newman a
commenté ces faits tristes et inhabituels avec cette affirmation sage et
équilibrée : « Alors qu’il est historiquement vrai, il n’est d’aucune manière
doctrinalement faux que le pape, en tant que docteur privé, et d’autant plus
des évêques, lorsqu’ils n’enseignent pas formellement, puissent errer comme
nous constatons qu’ils ont en effet erré au quatrième siècle. Le pape Libère
peut bien signer une formule eusébienne à Sirmium, et la masse des évêques peut
bien l’avoir fait à Ariminum et pourtant, en dépit de cette erreur, ils peuvent
être infaillibles dans leurs décisions ex cathedra » (Les Ariens
du IVe siècle, Londres, 1876, p.465).
Les Quatre Cardinaux avec leur
voix prophétique qui demande la clarté doctrinale et pastorale ont un grand
mérite face à leur propre conscience, face à l’histoire, et face aux
innombrables simples fidèles catholiques de nos jours, qui sont poussés vers la
périphérie ecclésiastique en raison de leur fidélité à l’enseignement du Christ
à propos de l’indissolubilité du mariage. Mais par-dessus tout, les Quatre Cardinaux
ont un grand mérite aux yeux du Christ. A cause de leur voix courageuse, leurs
noms brilleront avec éclat lors du Jugement Dernier. Car ils ont obéi à la voix
de leur conscience, se rappelant les paroles de saint Paul : « Car nous ne
pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité. » (2 Cor 13.8). Certainement
au Jugement Dernier, les critiques des Quatre Cardinaux mentionnés plus haut,
clercs pour la plupart, ne trouveront pas de réponse facile pour rendre compte
de leur attaque violente contre un acte aussi juste, digne et méritoire de ces
quatre membres du Sacré Collège des cardinaux.
Les paroles suivantes, inspirées
par le Saint Esprit, conservent leur valeur prophétique, spécialement par
rapport à la diffusion de la confusion doctrinale et pratique à propos du
sacrement du mariage en notre temps : « Car il viendra un temps où les
hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais ils amasseront autour
d’eux des docteurs selon leurs désirs ; et éprouvant aux oreilles une vive
démangeaison, ils détourneront l’ouïe de la vérité, et ils la tourneront vers
des fables. Mais toi, sois vigilant, travaille constamment, fais l’œuvre d’un
évangéliste, acquitte-toi pleinement de ton ministère ; sois sobre » (2
Tim. 4: 3-5).
Que tous ceux qui en notre temps
prennent encore au sérieux les vœux de leur baptême et leurs promesses
sacerdotales et épiscopales, reçoivent la force et la grâce de Dieu afin qu’ils puissent redire, avec saint Hilaire, ces paroles : « Que je puisse
demeurer toujours en exil, si seulement la vérité recommence à être prêchée ! »
(De Syn., 78). Cette force et cette grâce, nous les souhaitons de tout
cœur à nos Quatre Cardinaux, et aussi à ceux qui les critiquent.
23 novembre 2016
+ Athanasius Schneider, évêque
auxiliaire de l’archidiocèse de Sainte Marie d’Astana
© Traduction Jeanne Smits, avec l'aimable autorisation de Mgr Schneider.
• Voulez-vous être tenu au courant des informations originales paraissant sur ce blog ? Abonnez-vous gratuitement à la lettre d'informations. Vous recevrez au maximum un courriel par jour. S'abonner
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire