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Mgr Juan Antonio Reig Pla |
L’évêque d’Alcala de Henares, Mgr Juan Antonio Reig Pla, a présidé à la
présentation du livre Eucharistie et divorce, vers un changement doctrinal ?, du P. José Granados Garcia, consulteur de
la Congrégation pour la doctrine de la Foi et vice-président de l’Institut
pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille. La
cérémonie s’est déroulée en l’université Francisco de Vitoria. Voilà une importante
réflexion à verser au débat que certains voudraient voir ouvert sur une
nouvelle « pastorale » du mariage – et des divorcés “remariés”. Je
vous propose ci-dessous ma traduction de l’allocution de Mgr Reig Pla. –J.S.
Le livre que nous présentons, Eucharistie et divorce, vers un changement
doctrinal ?, du Pr José Granados Garcia, publié par la BAC (Biblioteca de Autores Cristianos 2015),
est une œuvre de maturité, fruit de nombreuses années d’études sur le mariage
et la famille. L’auteur a pour propos d’approfondir les questions débattues
lors du synode extraordinaire sur la famille (2014) de telle sorte que la
prochaine assemblée synodale puisse être « providentielle, pour recréer de
l’espérance sur le chemin des familles ».
Prenant comme point de départ le
débat suscité autour de la « possibilité de voir les divorcés remariés
accéder de nouveau aux sacrements de la pénitence et de l’Eucharistie » (Relatio synodi, 52), le professeur
Granados nous invite à analyser les principes de base sans lesquels il est
impossible d'envisager avec lucidité une pastorale familiale en accord avec l'Evangile
du mariage et de la famille. A partir de la lecture de ce travail qui a pour
fil conducteur le lien inséparable entre la doctrine chrétienne et la
pastorale, je voudrais m’attarder sur quelques questions que je considère d’un
grand intérêt.
1. Le nécessaire réalisme
Tout au long de cette première
étape synodale on a continuellement fait référence à la nécessité d'analyser la
réalité actuelle de la famille pour faire face aux nouveaux défis que doit
relever une pastorale familiale adéquate. De fait il s'agit là de la première
question que la secrétairerie du synode formule en vue la préparation de l’Instrumentum laboris en vue de la
prochaine Assemblée synodale en faisant explicitement référence au fait qu'il
faut « faciliter le nécessaire réalisme dans la réflexion des divers
épiscopats, évitant ainsi que leurs réponses puissent être fournies selon des
schémas et perspectives propres à une pastorale qui ne ferait qu’appliquer la
doctrine » (Lineamenta pour la
XIVe Assemblée générale ordinaire, introduction de la première partie.)
Suivant les règles du livre que
nous présentons, et conformément au magistère des derniers papes, il est
nécessaire de clarifier ce que nous entendons par « nécessaire réalisme ».
Déjà le pape Benoît 16 nous disait : « La Parole de Dieu nous pousse
à changer notre idée du réalisme : la personne réaliste est celle qui reconnaît
dans le Verbe de Dieu, le fondement de tout. » (Verbum Domini, 10.) Nous devons donc pas confondre le réalisme avec
la sociologie ou les statistiques, ou pire encore si c’était possible, en
cédant devant la réalité sociologique et en canonisant ce qui détruit les
personnes. Imaginons ce qui se serait passé si Pierre et Paul avaient choisi ce
type de réalisme au vu de la société de la Rome impériale, où il leur a incombé
de vivre. Le réalisme n’est ni pragmatisme, ni l'utilitarisme, ni le
conséquentialisme. Le fondement de la réalité est le Christ, c'est-à-dire, le
Fils de Dieu qui prend notre chair blessée et faible pour la sauver ; être
réaliste c'est se laisser guider par Dieu pour qui rien n’est impossible (Luc,
1, 37).
Comme son prédécesseur, le pape
Francois est très clair à cet égard : « Le chrétien est une personne
qui pense et qui agit dans la vie quotidienne selon Dieu, une personne qui
laisse sa vie être animée, alimenté par le Saint-Esprit, pour qu'elle soit vie
en plénitude, la vie même d'enfants véritables. Et cela signifie réalisme et
fécondité. Celui qui se laisse guider par le Saint-Esprit est réaliste, il sait
comment mesurer et évaluer la réalité, il est aussi fécond. Sa vie engendre la
vie autour de lui.
2. La relation entre la doctrine chrétienne et la pastorale
Tout au long de l'étape entre la
convocation et la célébration de l'Assemblée synodale extraordinaire sur le
mariage et la famille, nous avons entendu continuellement répéter cette
proposition de : « Il ne s'agit pas de changer la doctrine sur l'indissolubilité
du mariage mais de “rénover” ou de “changer” la pratique pastorale. »
Devant ce dilemme : « doctrine
ou pastorale », l'apport du professeur Granados est à mon avis très abouti
et il apporte une grande lumière pour le moment présent. Son étude, pour
éclairer ce que signifie la doctrine chrétienne et son lien inséparables avec
la pratique pastorale de l'Église, nous entraîne à déterminer tout ce que l'on
veut dire à travers les termes « vérité », « doctrine chrétienne »
et « dogme », à partir de l'Ancien Testament, du Nouveau Testament et
la Tradition chrétienne. La doctrine, conclut l'auteur, s'identifie avec le
récit de l'action de Dieu qui en Jésus s'est fait chair et chemin pour notre
existence. Pour reprendre les mots du professeur Granados, « la doctrine
se met au service de la vérité de notre vie, elle nous dit comment le Christ a
vécu, et comment vivre chaque instant à la lumière du Christ. » Cela rend
impossible la séparation entre la doctrine et la pratique pastorale, ou encore
– et c'est la même chose – on ne peut rompre le Christ, de la vie duquel nous
participons dès le baptême en devenant son Corps.
L’auteur explique le lien entre
l'indissolubilité du mariage et la pratique eucharistique en analysant la
tradition liturgique de l'Église (lex orandi, lex credendi), en s'attardant sur
une étude détaillée des textes de saint Irénée de Lyon, de saint Augustin et de
saint Thomas d'Aquin. « Le propre du christianisme, conclut-il, est d’avoir
introduit un nouveau principe de cohérence, le don de la Charité que nous
confère l'Esprit de Jésus. Celui qui aime sait que ce qu'il connaît et ce qu'il
aime ne peuvent se séparer, parce que l'amour est un, et qu'il possède à la
fois lumière et force. L'unité de doctrine et de pratique ne se trouve pas en
se focalisant sur l'individu, qui essaie de les unir en vain, mais à partir de
l'amour, qui nous les offre depuis toujours entrelacés. »
Le pape François a lui aussi
clairement montré que la vérité la doctrine qu'enseigne l'Eglise n'est pas une
idée mais le Christ lui-même, le Bon Pasteur, qui touche et qui guérit la
volonté et la vie des personnes – pastorale : Pour transmettre un contenu
purement doctrinal, une idée, un livre suffirait sans doute, ou bien la
répétition d’un message oral. Mais ce qui est communiqué dans l’Église, ce qui
se transmet dans sa Tradition vivante, c’est la nouvelle lumière qui naît de la
rencontre avec le Dieu vivant, une lumière qui touche la personne au plus
profond, au cœur, impliquant son esprit, sa volonté et son affectivité, et l’ouvrant
à des relations vivantes de communion avec Dieu et avec les autres. »
« Pour transmettre un contenu purement doctrinal, une idée, un livre
suffirait sans doute, ou bien la répétition d’un message oral. Mais ce qui est
communiqué dans l’Église, ce qui se transmet dans sa Tradition vivante, c’est
la nouvelle lumière qui naît de la rencontre avec le Dieu vivant, une lumière
qui touche la personne au plus profond, au cœur, impliquant son esprit, sa
volonté et son affectivité, et l’ouvrant à des relations vivantes de communion
avec Dieu et avec les autres. » (Pape François, Lumen Fidei, 40 et 41).
3. Indissolubilité du mariage : un idéal où le commandement du
Christ ?
Au cours du débat synodal il s’est
trouvé des personnes pour défendre la doctrine de l’indissolubilité du mariage
comme un idéal auquel il faut tendre mais que certains ne peuvent atteindre en
raison de différentes circonstances parfois difficiles et douloureuses. Bien
plus, certains aimeraient même voir dans le langage du pape François lorsqu'il
parle de l'« idéal évangélique » une expression de cette même
opinion.
Comment faut-il donc interpréter
les paroles du Saint-Père recueillies dans les Lineamenta pour la prochaine assemblée ordinaire du Synode, au
numéro 19 : « Sans diminuer la valeur de l’idéal évangélique, il faut
accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des
personnes qui se construisent jour après jour » (Evangelii gaudium, 44).
C'est le même pape François qui
est dans son propre texte (Evangelii
gaudium, 50) renvoie à l'Exhortation apostolique Familiaris consortio de saint Jean Paul II qui traite de
l'itinéraire moral des époux et qui dit textuellement : « Ils ne
peuvent toutefois considérer la loi comme un simple idéal à atteindre dans le
futur, mais ils doivent la regarder comme un commandement du Christ Seigneur
leur enjoignant de surmonter sérieusement les obstacles. “C'est pourquoi ce
qu'on appelle la ‘loi de gradualité’ ou voie graduelle ne peut s'identifier à
la ‘gradualité de la loi‘, comme s'il y avait, dans la loi divine, des degrés
et des formes de préceptes différents selon les personnes et les situations
diverses. Tous les époux sont appelés à la sainteté dans le mariage, selon la
volonté de Dieu, et cette vocation se réalise dans la mesure où la personne
humaine est capable de répondre au précepte divin, animée d'une confiance
sereine en la grâce divine et en sa propre volonté”. »
Les paroles de Jésus :
« Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas » (Mt. 19, 6), outre
qu’elles renvoient au dessein créateur de Dieu (« au début il n'en était
pas ainsi »), supposent la nouveauté de la grâce de la rédemption par
laquelle ce qui n'est pas possible aux hommes est possible à Dieu. Précisément
parce que l'indissolubilité est un don de Dieu, qui se reçoit dans le sacrement
du mariage (participation de la Charité sponsale du Christ), elle devient un
commandement.
C'est ce que ratifie la doctrine
enseignée par saint Jean-Paul II dans la Lettre encyclique Veritatis splendor : « Les possibilités “concrètes” de l'homme ne se trouvent que dans le
mystère de la Rédemption du Christ. “Ce serait une très grave erreur
que d'en conclure que la règle enseignée par l'Eglise est en elle même
seulement un ‘idéal’ qui doit ensuite être adapté, proportionné, gradué, en
fonction, dit-on, des possibilités concrètes de l'homme, selon un ‘équilibrage
des divers biens en question’. Mais quelles sont les ‘possibilités concrètes de
l'homme’ ? Et de quel homme
parle-t-on ? De l'homme dominé par
la concupiscence ou bien de l'homme racheté
par le Christ ? Car c'est de cela qu'il s'agit : de la réalité de la Rédemption par le
Christ. Le Christ nous a
rachetés ! Cela signifie : il nous a donné la possibilité de réaliser l'entière vérité de notre être ; il
a libéré notre liberté de la
domination de la concupiscence”. » (Veritatis Splendor,103)
4. Peut-on changer la doctrine sur l'indissolubilité du mariage ?
A la suite du débat du synode sur
la famille on a entendu des voix réclamer une révision de la doctrine sur
l'indissolubilité du mariage et la possibilité d'élargir ce qu'on appelle le
pouvoir des clefs où le pouvoir du pape pour dissoudre le lien conjugal.
Pour nous saisir de cette question
il convient de rappeler que lorsque nous parlons du caractère absolu de
l'indissolubilité du mariage nous nous référons au mariage contracté « entre
baptisés, ratifié (valide) et consommé ». En ce sens le professeur
Granados nous offre, de la main de John Newman, une explication magnifique sur
le développement de la doctrine chrétienne, en prenant comme image ce qui se
passe dans un organisme vivant identifié « comme le Corps du Christ, comme
extension de la présence de Jésus dans le monde à travers les âges ».
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Le Pr José Granados de l'Institut pontifical Jean-Paul II |
Selon l'auteur « ce pouvoir
de l'Église s’est clarifié au cours du temps, au fur et à mesure que l'on résolvait
des cas difficiles ; le pape pouvait dissoudre un mariage entre non
chrétiens (privilège paulin) et aussi un mariage sacramentel non consommé (le
mal nommé privilège pétrinien). Dans les deux cas le principe de discernement est
le même : ces mariages n'entrent pas pleinement dans l'ordre de la
rédemption du Christ, soit parce qu'ils se réalisent entre des non baptisés,
soit parce qu'ils ne contiennent pas la plénitude de l'union entre le Christ et
de son Eglise en une seule chair.
Face à ceux qui affirment le
pouvoir du pape de dissoudre ces unions, saint Jean Paul II a clos la
question « de manière définitive » : « Il ressort donc avec
clarté que la non-extension de la puissance du Pontife Romain aux mariages
sacramentels conclus et consommés est enseignée par le Magistère de l'Eglise
comme doctrine à conserver de façon définitive, même si celle-ci n'a pas été
déclarée sous une forme solennelle à travers un acte définitif. En effet, cette
doctrine a été proposée de façon explicite par les Pontifes Romains en termes
catégoriques, de façon constante et sur une période suffisamment longue. Elle a
été adoptée et enseignée par tous les évêques en communion avec le Siège de
Pierre, dans la conscience qu'elle doit toujours être maintenue et acceptée par
les fidèles. Dans ce sens, elle a été reproposée par le Catéchisme de l'Eglise
catholique. Il s'agit par ailleurs d'une doctrine confirmée par la pratique
pluriséculaire de l'Eglise, maintenue avec une pleine fidélité et avec héroïsme,
parfois même face à de graves pressions de la part des puissants de ce monde. »
(Discours du 21 janvier 2000.)
5. Une pastorale familiale féconde
Au tréfonds de l'œuvre que nous
présentons il y a cette ferme conviction du Pr Granados : la
pastorale suit la doctrine parce qu'il s'agit de mener à leur accomplissement
les paroles du Seigneur : « Je suis venu pour que vous ayez la vie et
que vous l'ayez en abondance » (Jn, 10,10.) Ainsi, « en vertu de la
sacramentalité de leur mariage, les époux sont liés l'un à l'autre de la façon
la plus indissoluble. S'appartenant l'un à l'autre, ils représentent
réellement, par le signe sacramentel, le rapport du Christ à son Eglise ».
(Familiaris consortio, 13). De là provient
le lien nécessaire entre l'indissolubilité et le mystère, actualisation du
sacrifice du Christ, où Il unit à l’Eglise à lui, en l’unissant à son corps et
formant « une seule chair ».
« A partir de là, conclut
l'auteur, la pratique de l'indissolubilité, qui se traduit par le fait de
maintenir le lien entre la vie eucharistique et la vie matrimoniale, est la
véritable pastorale féconde. L'alternative qui consisterait à dissocier ces
deux dimensions, en éliminant la relation étroite entre l'Eucharistie et
la vie conjugale, conduit à de fausses pistes pastorales, qui se révèlent
stériles. »
L'histoire, maîtresse de vie, nous
enseigne que c'est là le véritable chemin de la Miséricorde, qui comprend le
fait de ne pas occulter le sens de la souffrance, c'est-à-dire le fait de ne
pas occulter la Croix glorieuse du Seigneur ressuscité qui est scandale pour
les enfants et folie pour les autres (CF 1. Co. 1, 23), mais « la folie de
Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse de Dieu est plus
forte que la force des hommes » (1 Co. 1, 25). Les premiers chrétiens se
laissaient conduire par le Bon Samaritain, qui leur offrait la rédemption du cœur,
guérissant leurs plaies avec l'huile de l’Esprit Saint, et qui les a conduits
vers l'auberge : l'Eglise ou le bercail où se trouvent les pâturages qui
nous font atteindre la plénitude de vie. Ainsi ont-ils gagné peu à peu le cœur de
cette vieille Europe qui aujourd'hui, séduite par d'autres voix et chants de
sirènes, se refuse à écouter la voix du Bon Pasteur. »
Mgr Juan Antonio Reig Pla
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