08 février, 2015

Mgr Reig Pla présente un livre important sur les liens entre doctrine et pastorale du mariage

Mgr Juan Antonio Reig Pla
L’évêque d’Alcala de Henares, Mgr Juan Antonio Reig Pla, a présidé à la présentation du livre Eucharistie et divorce, vers un changement doctrinal ?, du P. José Granados Garcia, consulteur de la Congrégation pour la doctrine de la Foi et vice-président de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille. La cérémonie s’est déroulée en l’université Francisco de Vitoria. Voilà une importante réflexion à verser au débat que certains voudraient voir ouvert sur une nouvelle « pastorale » du mariage – et des divorcés “remariés”. Je vous propose ci-dessous ma traduction de l’allocution de Mgr Reig Pla. –J.S.
Le livre que nous présentons, Eucharistie et divorce, vers un changement doctrinal ?, du Pr José Granados Garcia, publié par la BAC (Biblioteca de Autores Cristianos 2015), est une œuvre de maturité, fruit de nombreuses années d’études sur le mariage et la famille. L’auteur a pour propos d’approfondir les questions débattues lors du synode extraordinaire sur la famille (2014) de telle sorte que la prochaine assemblée synodale puisse être « providentielle, pour recréer de l’espérance sur le chemin des familles ».
Prenant comme point de départ le débat suscité autour de la « possibilité de voir les divorcés remariés accéder de nouveau aux sacrements de la pénitence et de l’Eucharistie » (Relatio synodi, 52), le professeur Granados nous invite à analyser les principes de base sans lesquels il est impossible d'envisager avec lucidité une pastorale familiale en accord avec l'Evangile du mariage et de la famille. A partir de la lecture de ce travail qui a pour fil conducteur le lien inséparable entre la doctrine chrétienne et la pastorale, je voudrais m’attarder sur quelques questions que je considère d’un grand intérêt.
1. Le nécessaire réalisme
Tout au long de cette première étape synodale on a continuellement fait référence à la nécessité d'analyser la réalité actuelle de la famille pour faire face aux nouveaux défis que doit relever une pastorale familiale adéquate. De fait il s'agit là de la première question que la secrétairerie du synode formule en vue la préparation de l’Instrumentum laboris en vue de la prochaine Assemblée synodale en faisant explicitement référence au fait qu'il faut « faciliter le nécessaire réalisme dans la réflexion des divers épiscopats, évitant ainsi que leurs réponses puissent être fournies selon des schémas et perspectives propres à une pastorale qui ne ferait qu’appliquer la doctrine » (Lineamenta pour la XIVe Assemblée générale ordinaire, introduction de la première partie.)
Suivant les règles du livre que nous présentons, et conformément au magistère des derniers papes, il est nécessaire de clarifier ce que nous entendons par « nécessaire réalisme ». Déjà le pape Benoît 16 nous disait : « La Parole de Dieu nous pousse à changer notre idée du réalisme : la personne réaliste est celle qui reconnaît dans le Verbe de Dieu, le fondement de tout. » (Verbum Domini, 10.) Nous devons donc pas confondre le réalisme avec la sociologie ou les statistiques, ou pire encore si c’était possible, en cédant devant la réalité sociologique et en canonisant ce qui détruit les personnes. Imaginons ce qui se serait passé si Pierre et Paul avaient choisi ce type de réalisme au vu de la société de la Rome impériale, où il leur a incombé de vivre. Le réalisme n’est ni pragmatisme, ni l'utilitarisme, ni le conséquentialisme. Le fondement de la réalité est le Christ, c'est-à-dire, le Fils de Dieu qui prend notre chair blessée et faible pour la sauver ; être réaliste c'est se laisser guider par Dieu pour qui rien n’est impossible (Luc, 1, 37).
Comme son prédécesseur, le pape Francois est très clair à cet égard : « Le chrétien est une personne qui pense et qui agit dans la vie quotidienne selon Dieu, une personne qui laisse sa vie être animée, alimenté par le Saint-Esprit, pour qu'elle soit vie en plénitude, la vie même d'enfants véritables. Et cela signifie réalisme et fécondité. Celui qui se laisse guider par le Saint-Esprit est réaliste, il sait comment mesurer et évaluer la réalité, il est aussi fécond. Sa vie engendre la vie autour de lui.
2. La relation entre la doctrine chrétienne et la pastorale
Tout au long de l'étape entre la convocation et la célébration de l'Assemblée synodale extraordinaire sur le mariage et la famille, nous avons entendu continuellement répéter cette proposition de : « Il ne s'agit pas de changer la doctrine sur l'indissolubilité du mariage mais de “rénover” ou de “changer” la pratique pastorale. »
Le livre du Pr Granados
est édité par la
Biblioteca de Autores Cristianos
Devant ce dilemme : « doctrine ou pastorale », l'apport du professeur Granados est à mon avis très abouti et il apporte une grande lumière pour le moment présent. Son étude, pour éclairer ce que signifie la doctrine chrétienne et son lien inséparables avec la pratique pastorale de l'Église, nous entraîne à déterminer tout ce que l'on veut dire à travers les termes « vérité », « doctrine chrétienne » et « dogme », à partir de l'Ancien Testament, du Nouveau Testament et la Tradition chrétienne. La doctrine, conclut l'auteur, s'identifie avec le récit de l'action de Dieu qui en Jésus s'est fait chair et chemin pour notre existence. Pour reprendre les mots du professeur Granados, « la doctrine se met au service de la vérité de notre vie, elle nous dit comment le Christ a vécu, et comment vivre chaque instant à la lumière du Christ. » Cela rend impossible la séparation entre la doctrine et la pratique pastorale, ou encore – et c'est la même chose – on ne peut rompre le Christ, de la vie duquel nous participons dès le baptême en devenant son Corps.
L’auteur explique le lien entre l'indissolubilité du mariage et la pratique eucharistique en analysant la tradition liturgique de l'Église (lex orandi, lex credendi), en s'attardant sur une étude détaillée des textes de saint Irénée de Lyon, de saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin. « Le propre du christianisme, conclut-il, est d’avoir introduit un nouveau principe de cohérence, le don de la Charité que nous confère l'Esprit de Jésus. Celui qui aime sait que ce qu'il connaît et ce qu'il aime ne peuvent se séparer, parce que l'amour est un, et qu'il possède à la fois lumière et force. L'unité de doctrine et de pratique ne se trouve pas en se focalisant sur l'individu, qui essaie de les unir en vain, mais à partir de l'amour, qui nous les offre depuis toujours entrelacés. »
Le pape François a lui aussi clairement montré que la vérité la doctrine qu'enseigne l'Eglise n'est pas une idée mais le Christ lui-même, le Bon Pasteur, qui touche et qui guérit la volonté et la vie des personnes – pastorale : Pour transmettre un contenu purement doctrinal, une idée, un livre suffirait sans doute, ou bien la répétition d’un message oral. Mais ce qui est communiqué dans l’Église, ce qui se transmet dans sa Tradition vivante, c’est la nouvelle lumière qui naît de la rencontre avec le Dieu vivant, une lumière qui touche la personne au plus profond, au cœur, impliquant son esprit, sa volonté et son affectivité, et l’ouvrant à des relations vivantes de communion avec Dieu et avec les autres. » « Pour transmettre un contenu purement doctrinal, une idée, un livre suffirait sans doute, ou bien la répétition d’un message oral. Mais ce qui est communiqué dans l’Église, ce qui se transmet dans sa Tradition vivante, c’est la nouvelle lumière qui naît de la rencontre avec le Dieu vivant, une lumière qui touche la personne au plus profond, au cœur, impliquant son esprit, sa volonté et son affectivité, et l’ouvrant à des relations vivantes de communion avec Dieu et avec les autres. » (Pape François, Lumen Fidei, 40 et 41).
3. Indissolubilité du mariage : un idéal où le commandement du Christ ?
Au cours du débat synodal il s’est trouvé des personnes pour défendre la doctrine de l’indissolubilité du mariage comme un idéal auquel il faut tendre mais que certains ne peuvent atteindre en raison de différentes circonstances parfois difficiles et douloureuses. Bien plus, certains aimeraient même voir dans le langage du pape François lorsqu'il parle de l'« idéal évangélique » une expression de cette même opinion.
Comment faut-il donc interpréter les paroles du Saint-Père recueillies dans les Lineamenta pour la prochaine assemblée ordinaire du Synode, au numéro 19 : « Sans diminuer la valeur de l’idéal évangélique, il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour » (Evangelii gaudium, 44).
C'est le même pape François qui est dans son propre texte (Evangelii gaudium, 50) renvoie à l'Exhortation apostolique Familiaris consortio de saint Jean Paul II qui traite de l'itinéraire moral des époux et qui dit textuellement : « Ils ne peuvent toutefois considérer la loi comme un simple idéal à atteindre dans le futur, mais ils doivent la regarder comme un commandement du Christ Seigneur leur enjoignant de surmonter sérieusement les obstacles. “C'est pourquoi ce qu'on appelle la ‘loi de gradualité’ ou voie graduelle ne peut s'identifier à la ‘gradualité de la loi‘, comme s'il y avait, dans la loi divine, des degrés et des formes de préceptes différents selon les personnes et les situations diverses. Tous les époux sont appelés à la sainteté dans le mariage, selon la volonté de Dieu, et cette vocation se réalise dans la mesure où la personne humaine est capable de répondre au précepte divin, animée d'une confiance sereine en la grâce divine et en sa propre volonté”. »
Les paroles de Jésus : « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas » (Mt. 19, 6), outre qu’elles renvoient au dessein créateur de Dieu (« au début il n'en était pas ainsi »), supposent la nouveauté de la grâce de la rédemption par laquelle ce qui n'est pas possible aux hommes est possible à Dieu. Précisément parce que l'indissolubilité est un don de Dieu, qui se reçoit dans le sacrement du mariage (participation de la Charité sponsale du Christ), elle devient un commandement.
C'est ce que ratifie la doctrine enseignée par saint Jean-Paul II dans la Lettre encyclique Veritatis splendor : « Les possibilités “concrètes” de l'homme ne se trouvent que dans le mystère de la Rédemption du Christ. “Ce serait une très grave erreur que d'en conclure que la règle enseignée par l'Eglise est en elle même seulement un ‘idéal’ qui doit ensuite être adapté, proportionné, gradué, en fonction, dit-on, des possibilités concrètes de l'homme, selon un ‘équilibrage des divers biens en question’. Mais quelles sont les ‘possibilités concrètes de l'homme’ ? Et de quel homme parle-t-on ? De l'homme dominé par la concupiscence ou bien de l'homme racheté par le Christ ? Car c'est de cela qu'il s'agit : de la réalité de la Rédemption par le Christ. Le Christ nous a rachetés ! Cela signifie : il nous a donné la possibilité de réaliser l'entière vérité de notre être ; il a libéré notre liberté de la domination de la concupiscence”. » (Veritatis Splendor,103)
4. Peut-on changer la doctrine sur l'indissolubilité du mariage ?
A la suite du débat du synode sur la famille on a entendu des voix réclamer une révision de la doctrine sur l'indissolubilité du mariage et la possibilité d'élargir ce qu'on appelle le pouvoir des clefs où le pouvoir du pape pour dissoudre le lien conjugal.
Pour nous saisir de cette question il convient de rappeler que lorsque nous parlons du caractère absolu de l'indissolubilité du mariage nous nous référons au mariage contracté « entre baptisés, ratifié (valide) et consommé ». En ce sens le professeur Granados nous offre, de la main de John Newman, une explication magnifique sur le développement de la doctrine chrétienne, en prenant comme image ce qui se passe dans un organisme vivant identifié « comme le Corps du Christ, comme extension de la présence de Jésus dans le monde à travers les âges ».
Le Pr José Granados
de l'Institut pontifical Jean-Paul II
Selon l'auteur « ce pouvoir de l'Église s’est clarifié au cours du temps, au fur et à mesure que l'on résolvait des cas difficiles ; le pape pouvait dissoudre un mariage entre non chrétiens (privilège paulin) et aussi un mariage sacramentel non consommé (le mal nommé privilège pétrinien). Dans les deux cas le principe de discernement est le même : ces mariages n'entrent pas pleinement dans l'ordre de la rédemption du Christ, soit parce qu'ils se réalisent entre des non baptisés, soit parce qu'ils ne contiennent pas la plénitude de l'union entre le Christ et de son Eglise en une seule chair.
Face à ceux qui affirment le pouvoir du pape de dissoudre ces unions, saint Jean Paul II a clos la question « de manière définitive » : « Il ressort donc avec clarté que la non-extension de la puissance du Pontife Romain aux mariages sacramentels conclus et consommés est enseignée par le Magistère de l'Eglise comme doctrine à conserver de façon définitive, même si celle-ci n'a pas été déclarée sous une forme solennelle à travers un acte définitif. En effet, cette doctrine a été proposée de façon explicite par les Pontifes Romains en termes catégoriques, de façon constante et sur une période suffisamment longue. Elle a été adoptée et enseignée par tous les évêques en communion avec le Siège de Pierre, dans la conscience qu'elle doit toujours être maintenue et acceptée par les fidèles. Dans ce sens, elle a été reproposée par le Catéchisme de l'Eglise catholique. Il s'agit par ailleurs d'une doctrine confirmée par la pratique pluriséculaire de l'Eglise, maintenue avec une pleine fidélité et avec héroïsme, parfois même face à de graves pressions de la part des puissants de ce monde. » (Discours du 21 janvier 2000.)
5. Une pastorale familiale féconde
Au tréfonds de l'œuvre que nous présentons il y a cette ferme conviction du Pr Granados : la pastorale suit la doctrine parce qu'il s'agit de mener à leur accomplissement les paroles du Seigneur : « Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l'ayez en abondance » (Jn, 10,10.) Ainsi, « en vertu de la sacramentalité de leur mariage, les époux sont liés l'un à l'autre de la façon la plus indissoluble. S'appartenant l'un à l'autre, ils représentent réellement, par le signe sacramentel, le rapport du Christ à son Eglise ». (Familiaris consortio, 13). De là provient le lien nécessaire entre l'indissolubilité et le mystère, actualisation du sacrifice du Christ, où Il unit à l’Eglise à lui, en l’unissant à son corps et formant « une seule chair ».
« A partir de là, conclut l'auteur, la pratique de l'indissolubilité, qui se traduit par le fait de maintenir le lien entre la vie eucharistique et la vie matrimoniale, est la véritable pastorale féconde. L'alternative qui consisterait à dissocier ces deux dimensions, en éliminant la relation étroite entre l'Eucharistie et la vie conjugale, conduit à de fausses pistes pastorales, qui se révèlent stériles. »
L'histoire, maîtresse de vie, nous enseigne que c'est là le véritable chemin de la Miséricorde, qui comprend le fait de ne pas occulter le sens de la souffrance, c'est-à-dire le fait de ne pas occulter la Croix glorieuse du Seigneur ressuscité qui est scandale pour les enfants et folie pour les autres (CF 1. Co. 1, 23), mais « la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que la force des hommes » (1 Co. 1, 25). Les premiers chrétiens se laissaient conduire par le Bon Samaritain, qui leur offrait la rédemption du cœur, guérissant leurs plaies avec l'huile de l’Esprit Saint, et qui les a conduits vers l'auberge : l'Eglise ou le bercail où se trouvent les pâturages qui nous font atteindre la plénitude de vie. Ainsi ont-ils gagné peu à peu le cœur de cette vieille Europe qui aujourd'hui, séduite par d'autres voix et chants de sirènes, se refuse à écouter la voix du Bon Pasteur. »
Mgr Juan Antonio Reig Pla


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