« Idéologie »,
« fondamentalisme », « musée » : les termes choisis
par le cardinal Walter Kasper pour
Demeurer dans la vérité du Christ, paru
chez Artège en français en début de semaine.
qualifier ceux qui ont rejeté avec clarté sa
proposition d’assouplir la « discipline » de l’Eglise par rapport aux
divorcés « remariés » donnent le ton d’un affrontement qu’il
souhaite, selon toute vraisemblance, frontal. Car ceux qu’il dénonce en
priorité sont ces cardinaux – notamment les cinq qui ont contribué au livre
Dans une énième interview,
cette fois au journal argentin La Nacion,
le cardinal a donc accentué ses critiques à l’approche de l’ouverture du synode
extraordinaire sur la famille, dimanche. Il les avait déjà accusés d’attaquer
le pape à travers lui, assurant
que le pape François était en accord avec lui : voici qu’il déclaré avoir
découvert chez eux « un
fondamentalisme théologique qui n’est pas catholique ».
C’est toute l’interview qui
manifeste cette violence, qui lui assure dans le même temps une grande
répercussion médiatique – c’est un langage que chacun peut comprendre sans
avoir la moindre notion de la foi catholique, et qui tranche de manière
spectaculaire avec le sérieux des adversaires du cardinal Kasper, qui
s’efforcent d’examiner ses arguments, de les comprendre et de les confronter
avec la doctrine, l’histoire et la pratique de l’Eglise.
Le cardinal Kasper ne les crédite
pas de ce souci d’exactitude, affirmant au contraire qu’ils craignent seulement
un « effet domino » si la discipline change –comme si la question
était là. Il explique :
« Je crois qu’ils ont peur
d’un effet domino : qu’en changeant un point, tout s’effondre. Voilà leur
crainte. Tout cela se combine avec l’idéologie, une interprétation idéologique
de l’Evangile, mais l’Evangile n’est pas un code pénal. Comme l’a dit le pape
dans l’exhortation apostolique Evangelii
Gaudium, citant saint Thomas d’Aquin, l’Evangile est une grâce de l’Esprit
Saint qui se manifeste dans la foi qui œuvre par l’amour. C’est une
interprétation différente. Ce n’est pas un musée. C’est une réalité vivante
dans l’Eglise et nous devons marcher avec tout le peuple de Dieu et voir quels
sont ses besoins. Ensuite, nous devons faire un discernement à la lumière de
l’Evangile, qui n’est pas un code de doctrine et de commandements. Nous ne
pouvons simplement prendre une phrase de l’Evangile de Jésus et tout en
déduire. Il manque une herméneutique pour entendre l’ensemble du message de
l’Evangile et ensuite distinguer ce qui relève de la doctrine, et ce qui relève
de la discipline. La discipline peut changer. C’est pourquoi il me semble que
nous avons ici affaire à un fondamentalisme qui n’est pas catholique. »
Voici la suite de l'interview, dont je vous propose la traduction intégrale.
— Vous dites, alors, qu’on ne peut
pas changer la doctrine, mais la discipline, oui ?
— La doctrine ne peut pas changer.
Personne ne nie l’indissolubilité du mariage. Mais la discipline, elle, peut
changer, et elle a effectivement plusieurs fois changé, ainsi que nous le voyons
dans l’histoire de l’Eglise.
— Qu’avez-vous ressenti quand vous
vous êtes rendu compte qu’on allait publier un livre de cinq cardinaux qui
attaquent votre position ?
— Tout le monde est libre
d’exprimer son opinion, ce n’est pas un problème pour moi. Le pape voulait un
débat ouvert ; je crois que c’est une nouveauté et c’est quelque chose de
sain qui aide beaucoup l’Eglise.
— Il y a de la peur parmi certains
cardinaux parce que, comme l’a dit le pape, il y a une construction morale qui
pourrait s’écrouler comme un château de cartes ?— Oui, c’est une idéologie, ce
n’est pas l’Evangile !
— Y a-t-il aussi une peur par
rapport à une discussion ouverte au synode ?
— Oui, parce qu’ils ont peur que
tout s’écroule. Mais avant toute chose, nous vivons dans une société ouverte et
plurielle, et il est bon pour l’Eglise qu’il y ait une discussion ouverte,
telle que nous avons eu au concile Vatican II (1962-1965). C’est bon aussi
pour l’image de l’Eglise, car une Eglise fermée n’est pas une Eglise saine.
D’autre part, quand nous débattons sur le mariage et la famille, nous devons
écouter ceux qui vivent cette réalité. Il y a un sensus fidelium. Tout ne peut pas être décidé d’en haut, depuis la
hiérarchie de l’Eglise, et en particulier on ne peut pas citer des vieux textes
du siècle dernier, il faut observer la situation d’aujourd’hui, faire un
discernement de l’esprit et arriver à des résultats concrets. Je pense que
c’est cela, l’approche du pape, alors que beaucoup d’autres partent de la
doctrine et utilisent ensuite une méthode plus déductive.
— Dans un entretien avec un média
italien vous avez dit que la vraie cible des attaques des cinq cardinaux
conservateurs n’est pas vous-même, mais le pape…
— J’ai peut-être été imprudent.
Mais beaucoup de gens le disent, on entend ça dans la rue tous les jours. Je ne
veux juger personne, mais il est évident qu’il y a des gens qui ne sont pas
totalement d’accord avec ce pape, c’est quelque chose qui n’est pas nouveau et
cela s’est déjà produit pendant le concile Vatican II, lorsqu’il y avait
de nombreuses oppositions à l’aggiornamento
de Jean XXIII et Paul VI.
— Beaucoup d’analystes pensent que
ce n’est pas par hasard si le livre sort précisément à la veille du synode…
— Oui, c’est un problème. Je n’ai
pas souvenir d’une situation semblable, où de manière aussi organisée cinq
cardinaux aient écrit un tel livre. C’est ainsi que manœuvrent les politiques,
mais je crois qu’au sein de l’Eglise nous ne devrions pas nous comporter ainsi.
— Qu’espérez-vous du synode ?
— Je crois que beaucoup dépendra
de la manière dont le pape lui-même ouvrira le synode. Il ne peut pas nous
donner une solution d’emblée, mais il peut, ça oui, nous donner une
perspective, une direction. J’espère qu’il y aura une discussion sereine et
amicale sur tous les problèmes liés à la famille, et pas un seul. Je crois que
nous arriverons à un grand consensus, comme nous l’avons eu au concile
Vatican II.
— Ces derniers jours, le pape a
parlé plusieurs fois de la miséricorde, il a dit qu’il fallait capter
« les signes des temps », que les pasteurs doivent être proches des
gens, ce qui laisse penser que la chose qu’il veut est très claire…
— Oui, lire les signes des temps a
été fondamental pendant le concile Vatican II. Je n’arrive pas à
m’imaginer que la majorité du synode puisse s’opposer au pape sur ce point.
— Sur la question des divorcés
remariés : la communion est-elle une récompense pour celui qui est parfait
ou est-ce une aide au pécheur ?
— La communion a un effet de
guérison. Et ce sont spécialement les personnes vivant dans des situations
difficiles qui ont besoin de l’aide de la grâce, qui ont besoin des sacrements.
— Une autre solution serait
d’annuler plus rapidement les mariages.
— Il y a des situations où
l’annulation est possible. Mais prenez le cas d’un couple marié depuis dix ans,
avec des enfants, qui aux premières années a eu un mariage heureux, mais qui
pour diverses raisons échoue. Ce mariage était une réalité et dire qu’il était
canoniquement nul n’a pas de sens.
Que le cardinal Kasper ait
lui-même fait campagne pendant des mois sur un point – la communion à certains
divorcés « remariés » – dont il déplore aujourd’hui qu’il soit au
centre de l’attention ne semble pas avoir frappé la journaliste Elizabetta
Piqué. En tout cas elle ne soulève pas ce point.
La réalité du mariage sacramental,
son lien avec l’alliance du Christ avec son Eglise, sa signification
théologique, sa proximité avec l’Eucharistie n’étaient pas non plus à l’ordre
du jour. C’est toute la doctrine – de la grâce, de la Rédemption, de la justice
de Dieu et même de sa miséricorde infinie – qui est ici passée sous silence.
Car la miséricorde de Dieu n’est pas sans conditions, du côté des hommes du
moins, et c’est finalement faire insulte à leur liberté de dire qu’ils peuvent
faire comme si leur engagement définitif et validé par Dieu lui-même n’est pas
si important.
Le cardinal Raymond Burke a réagi
très vivement aux propos du cardinal Kasper lors d’une conférence de presse
téléphonée, mardi. Il a qualifié d’« outrageante » l’idée que toute
critique adressée à Kasper est une critique du pape François. « Le pape n’a pas la laryngite. Le
pape n’est pas muet. Il peut parler pour son propre compte. Si c’est ceci qu’il
veut, il le dira. »
Le cardinal a ajouté que quelles
que soient les opinions du pape François sur le fait de laisser accéder les
divorcés « remariés » à la communion, on ne pouvait l’accepter parce
que lui, comme tous les évêques et les cardinaux, « est tenu à l’obéissance à la foi ».
Pour le reste, il faut se reporter
au livre Demeurer dans la vérité du
Christ : il est remarquable. Aux cinq cardinaux – Brandmüller, Müller,
Caffarra, De Paolis et Burke lui-même – s’y ajoutent des spécialistes de
l’histoire et même de l’histoire orthodoxe. Ils essaient loyalement
d’interpréter les propositions du cardinal Kasper de la manière la plus
bienveillante, en voyant si elles peuvent de près ou de loin correspondre à une
interprétation juste. Leur réponse est « non ». Ils expliquent
pourquoi. En attendant de le finir, et sans déprécier les contributions plus
techniques, je vous signale d’ores et déjà la hauteur de vue et la profondeur
magnifique du texte du cardinal Caffarra.
Et, oui, tous ces auteurs s’appuient
sur les paroles de l’Evangile, sur l’enseignement certain, serein, d’autorité,
donné par Jésus lui-même sur le mariage et sur le bien de l’homme – à une
époque où il semblait à tous impensable.
Cela dit bien la grande importance
et la gravité de ce combat qui se mène désormais à armes nues. Il s’agit de
savoir s’il faut « contextualiser » les paroles du Christ, ou les
écouter et les suivre parce qu’Il est la Vérité et la Vie.
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