11 septembre, 2014
L’archevêque de
Chicago, le cardinal Francis George, a écrit
cette semaine dans son éditorial hebdomadaire du journal de son diocèse que les
Etats-Unis ont désormais leur « religion d’Etat » : le laïcisme.
Une religion qui s’impose parfois avec la même brutalité que « la
charia ».
Un tel
franc-parler surprend aujourd’hui de la part d’un prince de l’Eglise.
Plutôt que de
vous donner une idée, quelques citations, je vous propose de découvrir le
texte in extenso. Il en vaut la peine. Vous verrez que ce que le cardinal
George écrit vaut aussi pour la France et pour d’autres pays jadis chrétiens. Il explique notamment que s’engager sur la route du pouvoir, dans la situation actuelle, suppose une
forme d’apostasie : l’acceptation des idoles du jour.
Je vous propose
ici ma traduction de ce texte. Le titre choisi par le cardinal est détourné de
celui du roman de Dickens, A Tale of Two
Cities. – J.S.
Il était une
fois une Eglise fondée au moment où Dieu est entré dans l’histoire humaine afin
de donner à l’humanité un chemin vers le salut éternel et le bonheur avec lui.
Le Sauveur envoyé par Dieu, son Fils unique, n’écrivit pas de livre mais fonda
une communauté, une Eglise, sur le témoignage et le ministère de douze apôtres.
Il envoya à son Eglise le don de l’Esprit Saint, l’esprit d’amour entre le Père
et le Fils, l’Esprit de la vérité que Dieu avait révélée sur lui-même et sur
l’humanité en faisant irruption dans l’histoire de l’humanité pécheresse.
Cette Eglise,
communion hiérarchique, a continué son chemin au cours de l’histoire, vivant
parmi différents peuples et cultures mais toujours guidée pour ce qui fait
l’essentiel de sa vie et de son enseignement par le Saint Esprit. Elle se
disait « catholique » parce qu’elle avait pour raison d’être et pour
but de prêcher une foi universelle et une moralité universelle, qui embrassent
tous les peuples et toutes les cultures. Cette prétention devait souvent
provoquer des conflits avec les classes dominantes de nombreux pays. Au bout de
quelque 1.800 ans de son histoire souvent orageuse, cette Eglise s’est retrouvée
en tant que tout petit groupe dans un nouveau pays de l’Amérique du Nord-Est
qui promettait de respecter toutes les religions parce que cet Etat ne serait
pas confessionnel ; il n’allait pas tenter de jouer le rôle d’une
religion.
Cette Eglise
savait qu’elle était loin d’être socialement acceptable dans ce nouveau pays.
L’une des raisons pour lesquelles celui-ci avait été créé était précisément de
protester contre la décision du roi d’Angleterre de permettre la célébration
publique de la messe catholique sur le sol de l’Empire britannique dans les
territoires catholiques du Canada nouvellement conquis. Il avait trahi le
serment de son couronnement par lequel il s’était engagé à combattre le
catholicisme, défini comme « le plus grand ennemi de l’Amérique », et
de protéger le protestantisme, en mettant la religion pure des colonisateurs en
danger, leur donnant ainsi le droit moral de se révolter et de rejeter son
règne.
Pour autant,
bien des catholiques dans les colonies américaines pensaient que leur vie pourrait
être meilleure dans ce nouveau pays plutôt que sous un régime dont la classe
dominante les avait pénalisés et persécutés depuis la moitié du
XVIe siècle. Ils ont pris ce nouveau pays comme le leur et l’ont servi
fidèlement. Leur histoire sociale n’a pas manqué de conflits, mais de manière
générale l’Etat a gardé sa promesse de protéger toutes les religions et de ne
pas s’opposer à leur égard en faux rival, comme une fausse Eglise. Jusqu’à une
date récente.
Il y avait
toujours eu un élément quasi religieux dans le credo public de ce pays. Il
vivait du mythe du progrès humain, qui ne laissait guère de place à la
dépendance par rapport à la providence divine. Il tendait à exploiter la
religiosité des gens ordinaires en utilisant un langage religieux afin de les
coopter jusqu’à les faire adhérer aux objectifs de la classe dominante.
Diverses formes d’anti-catholicisme faisaient partie de son ADN social. Il
avait encouragé les citoyens à se considérer comme les créateurs de l’histoire
mondiale et comme les gérants de la nature, de telle sorte qu’il ne fût plus
nécessaire de consulter une source de vérité extérieure à eux-mêmes pour
vérifier la bonté de leurs objectifs et de leurs désirs collectifs. Mais il
n’avait jamais assumé explicitement les atours d’une religion, ni dicté
officiellement à ses citoyens ce qu’ils devaient penser ou quelles
« valeurs » ils devaient faire leurs afin de mériter de faire partie
de ce pays. Jusqu’à une date récente.
Ces dernières
années, la société a revêtu d’approbation sociale et législative toutes sortes
de relations sexuelles autrefois qualifiées de « péchés ». Puisque la
vision biblique de ce que signifie le fait d’être humain nous dit que toute
amitié, tout amour ne peut s’exprimer au travers de relations sexuelles, l’enseignement
de l’Eglise sur ces questions est désormais une preuve d’intolérance à l’égard
de ce que la loi civile affirme, voire impose. Là où jadis on demandait de
vivre et de laisser vivre, on exige maintenant l’approbation. La « classe
dominante » – ceux qui façonnent l’opinion dans les domaines de la
politique, de l’éducation, de la communication, du divertissement – utilise la
loi civile pour imposer à tous sa propre forme de moralité. On nous dit que,
même au sein du mariage, il n’y a pas de différence entre hommes et femmes,
alors que la nature et nos corps eux-mêmes apportent la preuve évidente
qu’hommes et femmes ne sont pas interchangeables à volonté lorsqu’il s’agit de
former une famille. Néanmoins, ceux qui ne se conforment pas à la nouvelle religion
– nous avertit-on – mettent leur citoyenneté dans la balance.
Lorsqu’une
récente affaire d’objection religieuse à l’égard d’une des dispositions de la
Health Care Act (NDLR : l’Obamacare) aboutit à un jugement qui allait
contre la religion d’Etat, le Huffington Post (le 30 juin 2014) exprima
son « inquiétude » quant au fait de pouvoir être « à la fois
catholique et bon citoyen ». Et ce n’est pas en écho aux nativistes qui
élevèrent la voix contre l’immigration catholique dans les années 1830. Ce n’est
pas davantage la voix de ceux qui ont brûlé des couvents et des églises à
Boston et à Philadelphie, une dizaine d’années plus tard. Il ne s’agit pas
davantage d’une expression du Know-Nothing Party des années 1840 et 1850, ni du
Ku Klux Klan qui brûlait des croix devant les églises catholiques du Midwest
après la guerre civile. C’est une voix bien plus sophistiquée que celle de
l’American Protective Association, dont les membres s’engageaient à ne jamais
voter pour un candidat catholique à une charge publique. Il s’agit plutôt de la
voix pharisaïque de certains membres de l’Establishment américain aujourd’hui,
qui se voient comme des « gens de progrès », des
« illuminés ».
Pour beaucoup
de catholiques, le résultat inévitable est une crise de la foi. Tout au long de
l’histoire, lorsque les catholiques et les autres croyants de la religion
révélée ont été contraints de choisir entre être enseignés par Dieu ou
instruits par des politiques, des professeurs, des éditorialistes de grands
journaux et des artistes du monde du divertissement, nombreux sont ceux qui ont
choisi d’aller du côté du manche. Cela permet d’amoindrir une importante
tension au cœur de leur vie, même si cela entraîne aussi l’idolâtrie d’un faux
dieu. On n’a pas besoin de courage moral pour se conformer au gouvernement et à
la pression sociale. Il faut une foi profonde pour « nager à
contre-courant », ainsi que le pape François a encouragé les jeunes à le
faire lors des JMJ de l’été dernier.
Nager à
contre-courant signifie limiter son propre accès aux positions de prestige et
de pouvoir au sein de la société. Cela veut dire que ceux qui choisissent de
vivre conformément à la foi catholique ne seront pas les bienvenus en tant que
candidats politiques aux postes nationaux, qu’ils ne feront pas partie des
conseils éditoriaux des grands journaux, qu’ils ne seront pas chez eux dans la
plupart des facultés universitaires, qu’ils ne feront pas une belle carrière
d’acteurs ou d’artistes. Ni eux, ni leurs enfants, qui seront également
suspects. Dans la mesure où toutes les institutions publiques, peu importe qui
les possède ou les fait fonctionner, seront agents du gouvernement et
conformeront leurs activités aux exigences de la religion officielle,
l’exercice de la médecine et du droit deviendra plus difficile pour les
catholiques fidèles. Cela signifie déjà dans certains Etats que ceux qui ont
des entreprises sont obligés de conformer leur activité à la religion
officielle ou payer une amende, de même que les chrétiens et les juifs doivent
payer une amende à cause de leur religion dans les pays gouvernés par la
charia.
Celui qui lit
le conte des deux Eglises, un observateur extérieur, pourrait noter que la loi
civile américaine a beaucoup fait pour affaiblir et pour détruire l’unité de
base de toute société humaine : la famille. Alors que s’affaiblissent les
contraintes internes qu’enseigne toute saine vie familiale, l’Etat aura besoin
d’imposer toujours plus de contraintes extérieures sur l’activité de chacun.
L’observateur extérieur pourrait également noter qu’inévitablement,
l’imposition par la religion officielle à tous les citoyens et même au monde
entier de tout ce que ses adeptes désirent, engendre le ressentiment.
L’observateur pourrait faire remarquer que le statut social joue un rôle
important dans la détermination des principes de la religion d’Etat officielle.
Le « mariage des couples de même sexe », pour prendre un exemple
actuel, n’est pas une question qui intéresse les pauvres ni ceux qui sont en
marge de la société.
Comment ce
conte se finit-il ? Nous n’en savons rien. La situation actuelle est
évidemment bien plus complexe que celle du scénario d’un conte, et il y a
beaucoup d’acteurs et de personnages, y compris au sein de la classe dominante,
qui ne veulent pas voir leur cher pays se transformer en fausse église. On
aurait tort de perdre espoir, puisqu’il y a tant de gens bons et fidèles.
Les catholiques
savent, avec la certitude de la foi, que lorsque le Christ reviendra dans la
gloire pour juger les vivants et les morts, l’Eglise, qui sera reconnaissable
d’une manière ou d’une autre dans sa forme catholique et apostolique, sera là
pour l’accueillir. Il n’y a aucune garantie divine de cette sorte pour quelque
pays, culture ou société de quelque époque que ce soit.
+ Cardinal
Francis George, OMI.
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