22 septembre, 2014
Le cardinal
Kasper revient à la charge. A quelques semaines du synode extraordinaire sur la
famille, celui qui avait lancé au dernier consistoire sa bombe sur l’accès des
divorcés « remariés » à la communion vient d’accorder plusieurs interviews
en italien et en allemand où il accuse ceux qui ont manifesté leur désaccord
avec lui de viser, en réalité, le pape lui-même. C’est en particulier dans un
entretien publié par Il Matino que le
cardinal se montre le plus virulent : certains de ses adversaires, dit-il,
pourraient bien « vouloir une guerre doctrinale ».
Trois lignes de
force se dégagent de l’entretien. 1. On ne change pas la doctrine, on ne change
pas les principes. 2. Les temps ont changé et il devient nécessaire de faire
preuve de « discernement » dans l’application des principes. 3. La
réponse est donc dans la pastorale, le pape veut un synode pastoral, il ne
saurait y avoir de discussion sur les principes.
Le raisonnement
est habile : il affiche comme acquis l’accord sur le fond, et accuse les
opposants de ne pas l’admettre afin de pouvoir rejeter les mesures de
« miséricorde » qu’il convient de mettre en place au bénéfice de ceux
qui, tout en sachant qu’ils n’ont pas respecté le principe, qu’ils ont failli,
doivent pourtant obtenir les moyens nécessaires au salut. Pour caricaturer le
propos, ou plutôt pour en dégager l’ossature, on pourrait dire que Kasper
accuse en définitive ses opposants qui mettent en avant la doctrine
traditionnelle de l’Eglise de se satisfaire de la damnation des divorcés
« remariés », de vouloir les envoyer en enfer.
Ce faisant il
s’appuie sur l’autorité du pape, assurant avoir rendu visite par deux fois à
François qui serait comme lui dans l’attente d’un « synode
pastoral », et dont il a obtenu l'accord.
La pratique
n’aurait-elle donc pas d’influence sur la doctrine ? A en croire le
cardinal, non – à ceci près qu’il insiste sur le fait que la doctrine doit être
« approfondie », qu’elle n’est pas « fermée ». Pour Kasper,
la doctrine n’est pas en
discussion mais « il s’agit de discuter de l’application de la doctrine
aux situations complexes ».
A vrai dire, la
logique est éprouvée : elle n’est pas si éloignée de la technique de l’argumentation
autour de l’avortement qui s’appuie d’abord sur les « cas
limites » et raisonne sur
l’exception.
Il ne faut pas
pousser l’analogie trop loin, certes. Le cardinal Kasper ne justifie pas le
divorce et ne cherche pas à le « légaliser » dans l’Eglise. C’est
pourquoi il ne parle que du souci pastoral à l’égard de certains qui n’ont pas
eu l’héroïsme de rester fidèles à leur conjoint après une rupture, un héroïsme
qui « n’est pas pour le chrétien moyen » comme il l’a dit.
Cela suppose
déjà de leur part une forme de repentance. C’est elle qui permettra de passer
l’éponge pour que le divorcé engagé dans une nouvelle union puisse se sentir
accueilli et non rejeté dans cette Eglise dont il regrette d’avoir enfreint les
règles. Qu’il puisse donc communier, à la fois pour recevoir la grâce du
sacrement et pour continuer de faire partie de la communauté.
Mais sur le plan
humain, le fait de lever la sanction du refus de la communion dans certains
cas, sans qu’il y ait eu de la part du divorcé « remarié » l’engagement de ne plus
vivre en situation irrégulière (et là on peut légitimement imaginer différents
types de solutions), relativise nécessairement l’interdit. Si on peut
l’envisager, c’est donc que la rupture de l’alliance n’est pas si grave. Voilà
qui dévalue fortement le mariage : ce mariage qui est image de l’union du
Christ et de l’Eglise. Et par là même image de l’Eucharistie, du don que le
Christ fait de Lui-même à l’Eglise.
A quoi il faut
ajouter toute la richesse de la « Théologie du corps » développée par
Jean-Paul II, montrant que l’amour sponsal, qu’il s’exprime dans la
virginale union avec Dieu dans le célibat consacré, ou dans le mariage qui fait
du couple humain l’image – la faible analogie – de la vraie Sainte Famille
trinitaire, dans l’amour fidèle, fécond et qui donne tout, est au cœur du plan
de Dieu sur l’homme.
C’est parce que
ces réalités dépassent l’homme qu’elles lui imposent des contraintes qui
peuvent sembler le dépasser aussi ; cela ne veut pas dire que les portes
du paradis lui sont fermées à tout jamais s’il tombe ou échoue, puisque le
pardon et la miséricorde de Dieu sont plus grands que tout. Mais la solution
proposée par le cardinal Kasper consisterait pour le chrétien repentant non pas
à rechercher de nouveau l’amitié avec Dieu – la grâce sanctifiante – en
renonçant au péché, ou en demandant la grâce d’en avoir la force, mais de la
supposer acquise et de « bien vivre » au sein de sa nouvelle union,
de s’y ancrer, de s’y attacher au détriment de la réalité de la première ;
la vraie.
Il me semble à
ce propos qu’il y a une argumentation qui porte à confusion dans la présentation
que [ici
Kasper disait encore qu’elle ne l’était que « secondairement », NDLR]
mais la grâce du Saint-Esprit, qui est donnée par la foi au Christ. Sans
l’Esprit qui œuvre dans les cœurs, la lettre de l’Evangile est une loi qui tue
(2, Cor. 3-6). C’est pourquoi l’Evangile de la famille ne veut pas être un
poids mais bien, en tant que don de la foi, une joie nouvelle, lumière et force
de la vie dans la famille. »
faisait le rapport du cardinal Kasper au consistoire de la loi divine sur
le mariage. Il écrivait : « Pour Thomas d’Aquin, la loi de la nouvelle Alliance n’est
pas une loi écrite,
Bien sûr. La
loi de Dieu est une loi de vie qui ouvre au bonheur éternel. Et le joug du
Christ est doux, et son fardeau léger. Il n’empêche : pour le pécheur
moyen, arriver à ce constat suppose déjà une certaine avancée sur les chemins
de Dieu, la capacité de résister aux passions mauvaises, le renoncement à bien
des choses qui nous semblent agréables, désirables et tellement faciles !
Plus loin, le
cardinal Kasper explique : « En
tant qu’image de Dieu, l’amour humain est une chose grande et belle, mais il
n’est pas de lui-même divin. La Bible démythifie la “banalisation”
antico-orientale de la sexualité dans la prostitution dans les temples et
condamne la débauche comme une idolâtrie.
Si un partenaire déifie l’autre et s’il
attend de lui qu’il lui prépare le ciel sur la terre, alors l’autre, forcément,
se sent trop sollicité ; il ne peut faire autre chose que de décevoir. A
cause de ces attentes excessives bien des mariages échouent. La communauté de
vie entre l’homme et la femme, ensemble avec leurs enfants, ne peut être
heureuse s’ils l’entendent tous deux comme un don qui les transcende. »
Là encore, le
diagnostic n’est pas faux, mais il semble bizarre d'y mêler les outrances du paganisme de manière à dévaluer le mariage. L'argument est-il utilisé pour justifier ces
échecs qu’il va falloir constater et prendre en compte dans la nouvelle
discipline ? Puisque les hommes ne sont pas des dieux ; puisqu’ils ne
savent même pas qu’ils ne le sont pas, eh bien, soyons indulgents… Votre
éminence, ne sommes-nous pas appelés à autre chose ? A savoir ce qui nous
éloigne de Dieu, et ce qui nous en rapproche ? Pourquoi l’Eglise
parle-t-elle de péché mortel – quel poids à porter ! – si ce n’est pour
nous mettre en garde, et aussi pour nous aider à en sortir ?
Que les propos
du cardinal Kasper, quoiqu’approuvés par le pape en ce qu’ils avaient ouvert le
débat, aient provoqué des mises aux points d’ailleurs de plus en plus nombreux
de la part d’autres cardinaux n’a donc rien d’étonnant ni d’inquiétant.
Mais Walter
Kasper se pose de plus en plus en victime par rapport à ces purs.
Dans son
interview à Il Mattino, il se plaint
de ce que le livre à venir (en anglais chez Ignatius Press, ici,
avec les signatures des cardinaux Brandmüller, Burke, Caffarra, De Paolis et
Müller (de la Congrégation pour la doctrine de la Foi) et quelques autres ait
été donné en avant-première à la presse, et non à lui. « C’est un peu
étrange… »
Lui qui assure
qu’il interviendra au synode, « mais comme un membre normal », est
quand même irrité par leur démarche : « Ils me contestent parce
qu’ils disent que le document de base est contraire à la Vérité ? »
[Ci-après la traduction de la suite de
l’entretien, avec les questions d’Il
Mattino en italique.]
— Que leur répondez-vous ?
— Nous sommes
tous pour la Vérité.
— Même ceux qui la contestent ?
— Eux prétendent savoir tout seuls ce
qu’est la Vérité. Mais la Doctrine catholique n’est pas un système fermé, mais
une tradition vivante qui se développe, comme l’a enseigné le concile Vatican
II. Ils veulent cristalliser la Vérité dans certaines formules.
— Cristalliser la vérité, dites-vous. Par
exemple ?
— Les formules
de la tradition.
— Et quelle pourrait être la formule qui,
selon vous, pourrait être cristallisée ?
—
L’indissolubilité du mariage. Il est nécessaire de la vérifier dans des
situations complexes. Moi, dans mon rapport au Consistoire extraordinaire, j’ai
dit clairement que nous devions être honnêtes. Entre la doctrine de l’Eglise
sur le mariage et sur la famille et les convictions vécues de beaucoup de
chrétiens il s’est créé un abîme. La tâche du synode sera de parler de nouveau
de la beauté et de la joie de la famille qui est toujours la même et qui est
pourtant toujours nouvelle, comme l’enseigne Evangelii Gaudium.
— L’Eglise a le devoir de voir les
situations complexes, affirmez-vous. Mais pourquoi alors ce livre de cinq
cardinaux qui contestent vos ouvertures sur les thèmes de la famille ?
— Je veux
d’abord lire le livre.
— Vous utilisez beaucoup le critère de la miséricorde.
(…) Pourquoi insistez-vous tant sur cette théologie de la miséricorde ?
— Parce que la
miséricorde est le thème central du message de Jésus. C’est le mot clef du
Nouveau Testament. C’est le point central du message évangélique. La
miséricorde n’annule pas les autres commandements.
— La famille demeure-t-elle la cellule
naturelle de la société ?
— La famille est la cellule centrale de
la société et de l’Eglise.
— Mais le principe de la Création
homme-femme demeure-t-il intact ?
— Certainement,
il n’y a aucun doute à propos de ce principe.
— L’un des thèmes des plus graves
accusations à votre propos, de la part de vos collègues cardinaux, est celui de
la possibilité de donner la communion aux divorcés. Comment
répondez-vous ?
— Parmi les
échecs des mariages il y a des situations qui sont très différentes entre
elles. Il faut un discernement à propos de toutes les situations : une
chose est la personne qui détruit délibérément une famille, autre est la
situation où l’un des conjoints s’éloigne de l’autre. D’où la nécessité de
discernement. Oui ; un discernement pastoral sur les situations. Je ne
suis pas pour une ouverture acritique, généralisée, mais j’invite à évaluer les
situations singulières. L’individualisme et le consumérisme contemporains, je
l’ai toujours dit aux frères cardinaux au consistoire en février dernier, ont
mis en cause la culture traditionnelle de la famille. Et l’Eglise est mise au
défi de ces nouvelles situations.
— Au synode, qui prévaudront : les
défenseurs à outrance de la Doctrine ou les théologiens de la pastorale ?
— J’espère que
le synode se constituera d’un échange sérieux et tranquille sur les expériences
pastorales. Les évêques sont les pasteurs de leurs Eglises et ils ne sont pas
là pour une guerre idéologique.
— Donc ce ne sera pas une guerre idéologique,
selon le schéma classique conservateurs contre progressistes ?
— J’espère
qu’il n’en sera pas ainsi. Le synode doit se demander, avant tout, comment
l’Eglise peut aider au chemin dans l’histoire de l’homme contemporain. L’Eglise
doit partager les joies et les espérances des hommes, les tristesses et les
angoisses du monde.
— Certains, selon vous, veulent une guerre
doctrinale ?
— Oui, certains
veulent une guerre doctrinale, mais ce n’est pas cela, la tâche du synode. La
Doctrine est claire. On ne la change pas, on l’approfondit et on l’applique aux
situations complexes de l’homme contemporain.
— Comment approfondir les situations
complexes ? Par exemple, le drame d’une famille divorcée qui a violé le
sacrement du mariage indissoluble ?
— Les
situations complexes, on les approfondit une à une. Personne ne doit juger,
mais discerner. La lumière de l’Evangile nous aide au discernement dans toutes
les situations concrètes, à la lumière de la miséricorde.
— Revenons au danger d’une guerre doctrinale
au synode.
— Moi, je n’en
veux certainement pas. Eux, peut-être, la veulent-ils. Moi, je pense à un
synode pastoral.
— C’est ce que veut le pape ?
— C’est
clair. Le pape lui aussi veut un synode pastoral.
— Vous attendiez-vous à cette polémique à
propos de votre rapport de base au consistoire ?
— Je ne suis
pas naïf. Je sais qu’il y a d’autres positions mais je n’ai pas pensé que le
débat se transformerait, et qu’il se montrerait comme il le fait aujourd’hui
sans allure. Aucun de mes confrères cardinaux n’a parlé avec moi. Moi, au
contraire, j’ai parlé deux fois avec le Saint Père. J’ai convenu de tout avec
lui. Il était d’accord. Que peut faire un cardinal, si ce n’est être avec le
pape ? Je ne suis pas la cible, la cible est un autre.
— Le pape François ?
— Probablement
oui.
— Que dites-vous, pour finir, à vos
opposants ?
— Ils savent
que je n’ai pas fait cette chose de moi-même. Je me suis mis d’accord avec le
pape, j’ai parlé deux fois avec lui. Il s’est montré content. Maintenant ils
font cette polémique. Un cardinal doit rester près du pape, à ses côtés. Les
cardinaux sont les coopérateurs du pape.
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