20 septembre, 2014
L'agitation médiatique qui a entouré la courte vie et la mort du petit Titouan a été utilisé pour promouvoir l'idée de l'euthanasie. Né à 24 semaines, le 31 août dernier, le petit garçon avait reçu des soins de réanimation au CHU de Poitiers. À moins de 900 g, il avait peu de chances de s'en tirer. Mais grâce aux progrès de la médecine, le voici apparemment sauvé, grâce au ventilateur et à l'intubation qui compensent son incapacité à respirer de manière autonome. Fragile, il subit plusieurs hémorragies cérébrales, avec un risque de rester handicapé à vie.
C'est alors que, se prévalant de la loi sur la fin de vie – la loi Leonetti – ses parents vont se répandre dans les médias pour dire leur désaccord avec les soins prodigués à leur enfant. Ils assurent que l'équipe médicale ne les écoute pas, qu'elle fait de l'acharnement thérapeutique, qu'elle fait souffrir le petit garçon. Et ils demandent l'arrêt immédiat des soins.
L’équipe médicale, on le sait, refuse au motif que d'une part, Titouan ne reçoit pas de soins lourds, et de l'autre, qu'il n'est pas encore possible d'évaluer sa situation et les risques qu'il encourt du fait de sa grande prématurité.
Les médias vont prendre fait et cause pour Mélanie et Aurélien, les parents du petit garçon. Entrant clairement dans une logique euthanasique, ils emploient à l'encontre de ceux qui font le pari de la vie à peu près les mêmes arguments qu'ils réservent aux opposants de l'avortement ou de la mort choisie.
Pourtant il ne s'agit pas d'une affaire d’euthanasie.
À mesure que l'on a avancé les limites où il devient possible de sauver un prématuré, de vraies questions éthiques se sont posées. Est-on toujours obligé de réanimer ? Jusqu'à quel point ? Faut-il tenir compte du risque de très grands handicaps, et en ce cas « laisser partir » l’enfant ? S’agirait-il alors d'une mort délibérément infligée ?
En fait ces cas ne sont pas si rares dans les hôpitaux français où les équipes de néonatologie ont tendance à tout faire pour essayer de sauver les grands prématurés. Et en règle générale, les décisions d’arrêt de soins lourds sont pris en accord avec la famille.
Que c'est il passé dans l'affaire de Titouan ? Il y a sans doute dans cette affaire des dimensions personnelles qui ne seront jamais connues. Mais on sait que ses parents ne voulaient pas d'un enfant lourdement handicapé. Ils voulait qu'on mette fin à ses souffrances. On est là déjà dans une logique d’euthanasie, renforcée par les déclarations pour le moins maladroites d’un néonatologiste de Bordeaux, Christophe Elleau, affirmant qu'il n'est « jamais d'urgent de tuer, d’autant que c’est irréversible ».
En réalité, on voit mal comment on peut parler ici d’euthanasie car justement il n'est pas question de poser un acte qui a pour but d'entraîner la mort, mais de s'incliner devant une situation où la médecine, malgré des efforts extraordinaires, ne fait que prolonger de la vie par des moyens disproportionnés.
Pour en être sûrs toutefois, les médecins avaient besoin de savoir si le petit Titouan n’allait pas s'en sortir. C'est une loterie, il y a des enfants plus résistants que d'autres qui dans sa situation, supportent bien la réanimation et finissent par retrouver une vie normale fût-ce avec un petit handicap. Ou même un gros ; mais l'hémiplégie n'est pas incompatible avec la vie.
Dans le cas de Titouan, jeudi – au bout de quelques semaines de vie – une dégradation de son état a semble-t-il fait comprendre aux médecins que les efforts de réanimation allaient – mais allaient seulement à partir de ce moment-là – devenir disproportionnés par rapport à son état. En accord avec la famille cette fois, ils ont décidé d’« accompagner la fin de vie » du petit garçon. Cela ne veut pas dire qu'ils ont cessé des soins en vue de le faire mourir, mais qu'ils ont retiré la ventilation artificielle qui aurait pu lui faire passer le cap de sa grande prématurité. Pour reprendre les termes de la loi Leonetti, c’eût été de l’« obstination déraisonnable ».
L'histoire ne dit pas si Titouan a ensuite respiré de manière autonome. S'il y était parvenu de manière durable, il aurait selon toute probabilité était soigné car il semble bien qu'il n'y ait eu aucune intention de le faire mourir. Il s'agissait de laisser la nature suivre son cours.
Le docteur Alain de Broca, neuropédiatre et spécialiste de l'éthique médicale au CHU d’Amiens, a bien voulu éclairer cette affaire pour les lecteurs de ce blog ; il est également spécialiste des soins palliatifs et de la notion d'autonomie dans la décision médicale :
« Le cerveau des grands prématurés et comme du parchemin. C'est le processus de maturation lui-même qui provoque des hémorragies. Selon la gravité, elles peuvent être résorbées, et l’enfant grandira, ira à l'école, fera des bêtises comme les autres. Elles peuvent au contraire causer de graves lésions, ou même de très graves lésions. Dans ce cas les techniques extrêmes n’apporteront plus de bénéfices. Et alors ce n'est pas tant la question de l’arrêt du traitement qui se pose, que celle de la mettre en place, ou non, chaque jour étant l'occasion d'une réitération de la décision. Et alors il nous faut accepter que nous n'avons pas la toute-puissance thérapeutique. »
Il en va de même pour le grand cancéreux qui pourra préférer renoncer à une chimiothérapie invasive qui le fera souffrir sans apporter une réelle amélioration.
C'est une décision, a-t-il ajouté, que le médecin ne peut pas prendre seul et en dernier ressort, quoi qu’en dise la loi Leonetti, car il est important justement que les parents y soient associés. Il ne s'agit pas d'une décision de mise à mort, mais bien d'une abstention par rapport à des moyens déraisonnables. « Les parents le comprennent bien en général. »
Le débat, en réalité, ne porte pas sur l’euthanasie, mais sur le fait de ne pas mettre en oeuvre des moyens qui prolongent artificiellement la vie, étant posé ce point capital rappelé par le docteur de Broca : « Ce n’est pas nous qui arrêtons la vie, c’est la maladie. »
Il a également souligné combien il est important que l'enfant, que le prématuré, ne voie pas sa vie abrégée délibérément. Il y a une différence entre s’incliner devant ce qui est devenue inévitable et prendre la décision de tuer. Ces jours de vie sont importants, ils peuvent permettre à la famille, aux oncles, aux tantes, aux grands-parents, de connaître l'enfant, de le laisser s'inscrire dans l'histoire familiale, explique-t-il. Et le deuil est moins difficile alors. « On ne peut pas bien lui dire au revoir qui si on a bien dit bonjour. » Si ce n’est pas le cas, « le deuil sera souvent pathologique »… « Il est important d’accompagner cet enfant qu’on a pu embrasser : le deuil ne se fait bien que si on a fait un bon lien », souligne le docteur de Broca. Le deuil se passe mieux, aussi lorsque l'enfant meurt dans les bras de ses parents, a-t-il constaté : cela les aide à accepter la folie de sa mort.
Cela montre que le respect de la vie est dans l'ordre des choses, on souffre davantage de vouloir escamoter les souffrances qui sont bien là.
Reste un paradoxe, c'est lui de l’avortement médical possible jusqu'à la fin de la grossesse, qui permet d'éliminer des enfants moins gravement handicapés qui après la naissance aurait été soigné le mieux possible.
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