02 octobre, 2014

Divorcés-« remariés » : le cardinal Kasper taxe la théologie de ses adversaires de « fondamentalisme »

« Idéologie », « fondamentalisme », « musée » : les termes choisis par le cardinal Walter Kasper pour Demeurer dans la vérité du Christ, paru chez Artège en français en début de semaine.
qualifier ceux qui ont rejeté avec clarté sa proposition d’assouplir la « discipline » de l’Eglise par rapport aux divorcés « remariés » donnent le ton d’un affrontement qu’il souhaite, selon toute vraisemblance, frontal. Car ceux qu’il dénonce en priorité sont ces cardinaux – notamment les cinq qui ont contribué au livre
Dans une énième interview, cette fois au journal argentin La Nacion, le cardinal a donc accentué ses critiques à l’approche de l’ouverture du synode extraordinaire sur la famille, dimanche. Il les avait déjà accusés d’attaquer le pape à travers lui, assurant que le pape François était en accord avec lui : voici qu’il déclaré avoir découvert chez eux « un fondamentalisme théologique qui n’est pas catholique ».
C’est toute l’interview qui manifeste cette violence, qui lui assure dans le même temps une grande répercussion médiatique – c’est un langage que chacun peut comprendre sans avoir la moindre notion de la foi catholique, et qui tranche de manière spectaculaire avec le sérieux des adversaires du cardinal Kasper, qui s’efforcent d’examiner ses arguments, de les comprendre et de les confronter avec la doctrine, l’histoire et la pratique de l’Eglise.
Le cardinal Kasper ne les crédite pas de ce souci d’exactitude, affirmant au contraire qu’ils craignent seulement un « effet domino » si la discipline change –comme si la question était là. Il explique :
« Je crois qu’ils ont peur d’un effet domino : qu’en changeant un point, tout s’effondre. Voilà leur crainte. Tout cela se combine avec l’idéologie, une interprétation idéologique de l’Evangile, mais l’Evangile n’est pas un code pénal. Comme l’a dit le pape dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, citant saint Thomas d’Aquin, l’Evangile est une grâce de l’Esprit Saint qui se manifeste dans la foi qui œuvre par l’amour. C’est une interprétation différente. Ce n’est pas un musée. C’est une réalité vivante dans l’Eglise et nous devons marcher avec tout le peuple de Dieu et voir quels sont ses besoins. Ensuite, nous devons faire un discernement à la lumière de l’Evangile, qui n’est pas un code de doctrine et de commandements. Nous ne pouvons simplement prendre une phrase de l’Evangile de Jésus et tout en déduire. Il manque une herméneutique pour entendre l’ensemble du message de l’Evangile et ensuite distinguer ce qui relève de la doctrine, et ce qui relève de la discipline. La discipline peut changer. C’est pourquoi il me semble que nous avons ici affaire à un fondamentalisme qui n’est pas catholique. »
Voici la suite de l'interview, dont je vous propose la traduction intégrale.
Vous dites, alors, qu’on ne peut pas changer la doctrine, mais la discipline, oui ? 
— La doctrine ne peut pas changer. Personne ne nie l’indissolubilité du mariage. Mais la discipline, elle, peut changer, et elle a effectivement plusieurs fois changé, ainsi que nous le voyons dans l’histoire de l’Eglise. 
Qu’avez-vous ressenti quand vous vous êtes rendu compte qu’on allait publier un livre de cinq cardinaux qui attaquent votre position ? 
— Tout le monde est libre d’exprimer son opinion, ce n’est pas un problème pour moi. Le pape voulait un débat ouvert ; je crois que c’est une nouveauté et c’est quelque chose de sain qui aide beaucoup l’Eglise. 
Il y a de la peur parmi certains cardinaux parce que, comme l’a dit le pape, il y a une construction morale qui pourrait s’écrouler comme un château de cartes ?— Oui, c’est une idéologie, ce n’est pas l’Evangile ! 
— Y a-t-il aussi une peur par rapport à une discussion ouverte au synode ? 
— Oui, parce qu’ils ont peur que tout s’écroule. Mais avant toute chose, nous vivons dans une société ouverte et plurielle, et il est bon pour l’Eglise qu’il y ait une discussion ouverte, telle que nous avons eu au concile Vatican II (1962-1965). C’est bon aussi pour l’image de l’Eglise, car une Eglise fermée n’est pas une Eglise saine. D’autre part, quand nous débattons sur le mariage et la famille, nous devons écouter ceux qui vivent cette réalité. Il y a un sensus fidelium. Tout ne peut pas être décidé d’en haut, depuis la hiérarchie de l’Eglise, et en particulier on ne peut pas citer des vieux textes du siècle dernier, il faut observer la situation d’aujourd’hui, faire un discernement de l’esprit et arriver à des résultats concrets. Je pense que c’est cela, l’approche du pape, alors que beaucoup d’autres partent de la doctrine et utilisent ensuite une méthode plus déductive. 
Dans un entretien avec un média italien vous avez dit que la vraie cible des attaques des cinq cardinaux conservateurs n’est pas vous-même, mais le pape… 
— J’ai peut-être été imprudent. Mais beaucoup de gens le disent, on entend ça dans la rue tous les jours. Je ne veux juger personne, mais il est évident qu’il y a des gens qui ne sont pas totalement d’accord avec ce pape, c’est quelque chose qui n’est pas nouveau et cela s’est déjà produit pendant le concile Vatican II, lorsqu’il y avait de nombreuses oppositions à l’aggiornamento de Jean XXIII et Paul VI. 
— Beaucoup d’analystes pensent que ce n’est pas par hasard si le livre sort précisément à la veille du synode… 
— Oui, c’est un problème. Je n’ai pas souvenir d’une situation semblable, où de manière aussi organisée cinq cardinaux aient écrit un tel livre. C’est ainsi que manœuvrent les politiques, mais je crois qu’au sein de l’Eglise nous ne devrions pas nous comporter ainsi. 
— Qu’espérez-vous du synode ? 
— Je crois que beaucoup dépendra de la manière dont le pape lui-même ouvrira le synode. Il ne peut pas nous donner une solution d’emblée, mais il peut, ça oui, nous donner une perspective, une direction. J’espère qu’il y aura une discussion sereine et amicale sur tous les problèmes liés à la famille, et pas un seul. Je crois que nous arriverons à un grand consensus, comme nous l’avons eu au concile Vatican II. 
— Ces derniers jours, le pape a parlé plusieurs fois de la miséricorde, il a dit qu’il fallait capter « les signes des temps », que les pasteurs doivent être proches des gens, ce qui laisse penser que la chose qu’il veut est très claire… 
— Oui, lire les signes des temps a été fondamental pendant le concile Vatican II. Je n’arrive pas à m’imaginer que la majorité du synode puisse s’opposer au pape sur ce point. 
— Sur la question des divorcés remariés : la communion est-elle une récompense pour celui qui est parfait ou est-ce une aide au pécheur ? 
— La communion a un effet de guérison. Et ce sont spécialement les personnes vivant dans des situations difficiles qui ont besoin de l’aide de la grâce, qui ont besoin des sacrements. 
— Une autre solution serait d’annuler plus rapidement les mariages. 
— Il y a des situations où l’annulation est possible. Mais prenez le cas d’un couple marié depuis dix ans, avec des enfants, qui aux premières années a eu un mariage heureux, mais qui pour diverses raisons échoue. Ce mariage était une réalité et dire qu’il était canoniquement nul n’a pas de sens.
Que le cardinal Kasper ait lui-même fait campagne pendant des mois sur un point – la communion à certains divorcés « remariés » – dont il déplore aujourd’hui qu’il soit au centre de l’attention ne semble pas avoir frappé la journaliste Elizabetta Piqué. En tout cas elle ne soulève pas ce point.
La réalité du mariage sacramental, son lien avec l’alliance du Christ avec son Eglise, sa signification théologique, sa proximité avec l’Eucharistie n’étaient pas non plus à l’ordre du jour. C’est toute la doctrine – de la grâce, de la Rédemption, de la justice de Dieu et même de sa miséricorde infinie – qui est ici passée sous silence. Car la miséricorde de Dieu n’est pas sans conditions, du côté des hommes du moins, et c’est finalement faire insulte à leur liberté de dire qu’ils peuvent faire comme si leur engagement définitif et validé par Dieu lui-même n’est pas si important.
Le cardinal Raymond Burke a réagi très vivement aux propos du cardinal Kasper lors d’une conférence de presse téléphonée, mardi. Il a qualifié d’« outrageante » l’idée que toute critique adressée à Kasper est une critique du pape François. « Le pape n’a pas la laryngite. Le pape n’est pas muet. Il peut parler pour son propre compte. Si c’est ceci qu’il veut, il le dira. »
Le cardinal a ajouté que quelles que soient les opinions du pape François sur le fait de laisser accéder les divorcés « remariés » à la communion, on ne pouvait l’accepter parce que lui, comme tous les évêques et les cardinaux, « est tenu à l’obéissance à la foi ».
Pour le reste, il faut se reporter au livre Demeurer dans la vérité du Christ : il est remarquable. Aux cinq cardinaux – Brandmüller, Müller, Caffarra, De Paolis et Burke lui-même – s’y ajoutent des spécialistes de l’histoire et même de l’histoire orthodoxe. Ils essaient loyalement d’interpréter les propositions du cardinal Kasper de la manière la plus bienveillante, en voyant si elles peuvent de près ou de loin correspondre à une interprétation juste. Leur réponse est « non ». Ils expliquent pourquoi. En attendant de le finir, et sans déprécier les contributions plus techniques, je vous signale d’ores et déjà la hauteur de vue et la profondeur magnifique du texte du cardinal Caffarra.
Et, oui, tous ces auteurs s’appuient sur les paroles de l’Evangile, sur l’enseignement certain, serein, d’autorité, donné par Jésus lui-même sur le mariage et sur le bien de l’homme – à une époque où il semblait à tous impensable.
Cela dit bien la grande importance et la gravité de ce combat qui se mène désormais à armes nues. Il s’agit de savoir s’il faut « contextualiser » les paroles du Christ, ou les écouter et les suivre parce qu’Il est la Vérité et la Vie.

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