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Le Dr Dor sortant de l'audience de 1e instance, en septembre 2013. |
La cour d’appel de Paris entendait
cette après-midi l’« affaire des chaussons » où le Dr Xavier Dor
avait été condamné
en première instance pour avoir offert une médaille miraculeuse et des
chaussons de nouveau-né à une jeune femme qui se rendait au Planning familial à
Paris. Le fondateur de SOS Tout-Petits s’était vu infliger une lourde peine
d’amende pour « entrave à l’avortement » : 10.000 euros pour
s’être rendu dans les locaux publics du Planning dans le 2e arrondissement,
afin d’y entrer en dialogue avec les militantes, mais surtout pour avoir parlé,
en repartant, dans la cage d’escalier commun de l’immeuble où ils se trouvent,
à une jeune femme qui semblait s’y rendre. Devant la cour, on a parlé de
« pressions morales et psychologiques », de « violences »,
d’un « vieux monsieur indigne » qui « veut faire souffrir »
les femmes.
Pour qui connaît Xavier Dor, les
accusations sont surréalistes. Elles n’ont d’ailleurs qu’une seule explication
rationnelle : c’est que l’avortement est une violence qui laisse chez
elles des traces lourdes et pénibles à porter. Car si ce n’est pas le cas, en
quoi des chaussons peuvent-ils constituer une sorte d’arme par destination ?
Xavier Dor, donc, 85 ans, la vue
qui baisse, l’allure fragile, prompt à parler de la souffrance des femmes qui
choisissent l’avortement, est aux yeux de tous ces militants de l’avortement un
homme dangereux et malveillant,
qui doit cesser de nuire. Il faisait face à quatre adversaires :
l’Assistance publique hôpitaux de Paris (APHP), qui n’avait pas obtenu sa
condamnation en première instance pour une manifestation aux abords de
l’hôpital Saint-Vincent de Paul – 2.500 « IVG » par an –, et le Mouvement
français pour le Planning familial, la Coordination des associations pour le
droit à l’avortement, et l’ANCIC, association nationale des centres
d’interruption de grossesse et de contraception.
Pourquoi cette mobilisation ?
A écouter les associations et pourvoyeurs d’avortement, Xavier Dor met à lui
seul en péril leur mission. Ce ne sont pourtant pas les réunions de prière
qu’il organise, avec leurs quelques dizaines ou centaines de participants, ni
son entrée par deux fois dans un bureau du Planning qui vont – à vue humaine –
changer quoi que ce soit à la loi ou à la pratique de l’« interruption
volontaire de grossesse ». Son rôle demeure, qu’on le veuille ou non,
confidentiel.
Mais il irrite. Il frappe – sans
violence ! – les consciences. Il dérange. On a fait des lois pour lui, ou
plutôt contre lui : l’extension du délit d’entrave à l’IVG s’est faite à
chaque fois parce que la non-violence de ses actions – plus de 200 ! –
empêchait de le condamner. On en est aux « pressions morales et
psychologiques », où l’entrave ou la tentative d’entrave à l’avortement
sont constitués par le fait de tenter de dissuader une femme d’avorter.
Me Claude Katz, plaidant pour le
Planning familial, avancera un argument qui permet de mieux comprendre ce qui
se passe : « Le droit à
l’avortement est un droit conquis de haute lutte. Une des plus importantes
avancées pour l’humanité. Votre combat est un combat perdu d’avance. La
décision de la cour ne pourra pas permettre qu’il y ait, au-dessus de la loi,
un intérêt supérieur. »
C’est cela qu’il reproche
principalement à Xavier Dor : de penser et d’agir « comme s’il y avait une loi au-dessus de la loi votée
souverainement par la représentation française – une sorte de loi
céleste. »
C’était Chirac qui disait un
« non » sans appel à « la loi morale qui primerait la loi
civile ». Il n’était pas le seul : Marine Le Pen en a fait autant,
avec quasiment les mêmes mots, confortant l’idée qu’il y a un « ticket
d’entrée » dans la République. Ne pas accepter de le payer, c’est se
condamner à rester au dehors. Voire à se retrouver à la barre des prévenus.
C’est le même raisonnement qui a
été tenu par l’avocate de la CADAC. Elle s’est demandée si
« M. Dor » avec son « comportement délinquant » estime
peut-être « que les lois de la République ne s’appliquent pas à lui,
peut-être se réfère-t-il à des lois supérieures ». « Aucune femme ne devrait jamais avoir à croiser la route de M. Dor ou d’un militant du même
genre. »
Interrogé en début d’audience, le
Dr Dor avait reconnu que le geste de remettre des chaussons à une femme
pouvait être assimilée à une « violence » : une « douce
violence », destinée à montrer symboliquement la « fragilité »
et la « faiblesse » de l’enfant à naître et la « tendresse que
sa mère aurait pour lui ». « Une
expression hallucinante », a estimé l’avocate de la CADAC : « Il sait lorsqu’il fait cela qu’il
cause de la souffrance, l’objectif est de faire mal, de culpabiliser. »
Mais une fois de plus, pourquoi l’évocation d’un nouveau-né ferait-il souffrir
si l’avortement n’élimine pas un être humain ?
L’avocate de l’ANCIC croit pour sa
part avoir mis au jour « la personnalité très complexe » de ce
« vieux Monsieur indigne », qui derrière « sa voix
tremblotante » n’est « pas si vieux que ça » puisqu’il a
« eu l’idée des commandos anti-IVG » et qu’il « ne lâche pas son
argumentation ». « La seule
chose qui puisse avoir le moindre impact sur lui, c’est une forte condamnation
à peine d’amende », assure-t-elle. Elle est même persuadée que le Dr
Dor est le « président d’Alliance Vitalis » au « budget de 2,4
millions d’euros », on peut donc frapper fort. Pense-t-elle à Alliance
Vita, au budget de 1,3 millions en 2013 ? Peut-être. Elle connaît
décidément mal son sujet.
Puisqu’on parle d’argent :
aussi bien le MPFP qui assure une « mission de service public » que
la CADAC, qui selon ses propres dires « vit essentiellement de subventions
publiques », ont demandé que les dommages intérêts symboliques prononcés à
l’encontre du Dr Dor en première instance soient considérablement augmentées.
Pour renflouer leurs caisses à l’heure où le gouvernement fait des économies…
L’avocat général, lui, s’est voulu
plus moralisateur, assurant que le Dr Dor devait apprendre à ne « pas
jeter la pierre » aux femmes, fût-ce « des chaussons » : «
Il doit prendre conscience du mal psychologique qu’il fait. Il serait peut-être
temps qu’il arrête. Retraité, il faudrait peut-être qu’il vaque à d’autres
occupations et qu’il laisse ces femmes régler elles-mêmes ces questions de
conscience dures, avec des souffrances très dures qu’il n’est pas la peine
d’augmenter. » Qu’il prenne acte de la laïcité : « La justice se
rend sous le buste de Marianne. » Il a demandé la confirmation pure et
simple du premier jugement.
Me Rosny Minvielle a plaidé
plusieurs nullités et autres points de procédure – il n’est pas sûr que les
juges suivront. Sur le fond, il a plaidé la liberté d’expression, mais aussi la
lettre de la loi qui continue d’affirmer, dans l’article 2211-2 du code de la
santé publique, « le respect de la vie dès son commencement ». Xavier
Dor, a-t-il souligné, dénonce un « génocide » caractérisé ; il a
le droit de dénoncer un avortement qui n’est pas « légal » :
pour qu’il le soit, la loi exige la condition de « nécessité », et,
au moment des faits, l’existence d’une « détresse » dont nul n’a
apporté la preuve.
Le plus étrange dans cette
histoire, c’est que rien n’apporte même la preuve qu’il y ait eu même
avortement, ou volonté d’avorter. La jeune femme qui est le pivot des
poursuites, puisque c’est elle qui a reçu médaille miraculeuse et chaussons,
est celle qui donne corps à la notion de « pressions psychologiques et
morales » : dès le départ du Dr Dor, elle serait entrée dans les
bureaux du Planning « en sanglots », très ébranlée par la rencontre
qu’elle venait de faire.
Mais cette jeune femme,
« catholique de surcroît », mère de trois enfants, était-elle
seulement enceinte ? Envisageait-elle d’avorter ? Personne n’a songé
à lui poser la question, alors qu’elle était là, et qu’elle s’est exprimée à la
barre. Peut-être par pudeur, ou par respect de son émotion. Il n’empêche :
quand son avocat lui a demandé de parler de ses émotions, en ce fameux
26 juin 2012, elle a pleuré. Et s’est tue.
Si c’est une preuve de sa
grossesse au moment des faits, cela nous ramène au point clef : le fait
d’avoir avorté, ou d’avoir perdu cet enfant, ou de regretter d’avoir pensé à le
faire, laisse des traces profondes. Comment alors reprocher à un vieil homme
d’avoir voulu la mettre en garde.
Si elle n’était pas enceinte
alors, si elle n’a jamais avorté, les larmes sont plus incompréhensibles. Mais
on peut dire qu’elles manquent leur but, puisque l’effet est toujours le
même : elles témoignent de ce que l’avortement n’est pas une réalité
anodine, qu’il fait souffrir.
Personne n’était en tout cas en
mesure de dire si avortement ou intention d’avorter il y avait. Peut-on alors
parler encore d’« entrave à l’avortement » ? La jurisprudence des « délits
impossibles » qui considère l’intention du prévenu ou de l’accusé et non
le résultat de son action rendue impossible faute d’objet, par exemple, laisse
penser que la simple volonté de vouloir empêcher une IVG, réelle ou supposée,
suffit.
Arrêt le 27 octobre.
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