07 octobre, 2013

Suicide assisté pour une aveugle : la dérive néerlandaise

Le quotidien néerlandais Trouw rapporte cette double information : l'an dernier, aux Pays-Bas, une femme de 70 ans a bénéficié d'une assistance au suicide parce qu'elle était devenue aveugle et ne le supportait pas, et – deuxième fait remarquable – l'acte vient d'être évalué comme conforme à la loi. Exceptionnellement, les cinq commissions régionales d'évaluation se sont toutes penchées sur le cas jugé inhabituel. Elles l'ont toutes approuvé.

La victime était malvoyante de naissance. Ces dernières années sa vision avait été réduite à néant et elle manifestait depuis huit ans le désir de mourir, aggravé par la mort de son mari et par le fait qu'elle vivait seule. Elle ne souffrait d'aucune autre maladie ou affection. Elle avait fait plusieurs tentatives de suicide et avait essayé de cesser de boire et de manger, sans parvenir à « tenir bon » assez longtemps pour mourir.

Il faut croire que son médecin traitant n'a pas voulu accéder à sa demande puisque la victime s'est adressée à la clinique de fin de vie qui s'est précisément constituée l'an dernier pour venir en aide, au moyen d'équipes volantes, aux personnes qui ne voient pas leur demande honorée dans les conditions ordinaires.

La clinique a multiplié les précautions avant de passer à l'acte, s'adressant à un médecin gériatre – c'est inhabituel – au lieu d'un médecin SCEN spécialisé dans l'évaluation préalable des cas aux côtés de médecins de famille saisis de demandes d'euthanasie – pour prendre un avis l'exonérant d'une éventuelle responsabilité pénale. Lia Bruin a abordé l'affaire avec « scepticisme », a-t-elle indiqué à Trouw. « Soixante mille Néerlandais sont aveugles, pensais-je. Pourquoi sont-ils capables de vivre avec et pas cette femme ? »

Ce qui l'a convaincue, c'est que cette patiente souffrait de manière inhabituelle de son handicap. « Ainsi elle était très soignée et elle trouvait cela épouvantable de ne pas pouvoir voir les éventuelles taches sur ses vêtements. Acheter des vêtements, une activité qui lui avait procuré tant de plaisir, était devenu une corvée insupportable. »

Vous avez bien lu : c'est pour des questions d'apparence que cette femme s'est fait supprimer. Et une incroyable dose d'amour-propre : elle ne voulait pas être en maison de soins et elle refusait d'avoir un chien guide d'aveugle  « Je veux bien sortir le chien, disait-elle ; je ne veux pas qu'il me sorte. »

Etait-elle dépressive ? Un psychiatre l'a entendue et, bien qu'elle pleurait tous les jours, a décidé que non.

Et ce sont d'autre médecins : Mme Bruin et les responsables de la clinique de fin de vie, qui ont décidé qu'en effet sa souffrance – psychique en l'occurrence – était insupportable et sans perspectives, la condition nécessaire mais aussi suffisante pour qu'une personne en mesure d'exprimer sa volonté puisse réclamer une euthanasie ou une assistance au suicide. Dans cette décision « médicale » il y a aussi une part de subjectivité… Il n'a pas été question d'une interprétation plus large de la loi, assure Steven Pleiter, directeur de la clinique.

La patiente s'est donc suicidée l'an dernier, en présence de ses enfants et de Lia Bruin qui n'avait jamais assisté à une « fin de vie volontaire ». C'est elle qui lui a tendu le cocktail lytique. Bruin raconte qu'elle n'a jamais vu personne boire avec autant d'avidité une mixture aussi infecte.

Commentaire de la clinique de fin de vie : on a peut-être évité un suicide inhumain.


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© leblogdejeannesmits



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un cocktail lytique qui se boit?

D'autre part, si l'acte est inexcusable, nier la gravité de la souffrance de cette personne - qui n'a malheureusement pas été aidée de la façon qui aurait convenu - me semble quelque peu exagéré... Peut-on vraiment parler de "questions d'apparence" quand il s'agit d'un élément aussi important dans le sentiment de sa propre dignité que la propreté matérielle, et d'une "incroyable dose d'amour propre" pour qualifier la détresse non irrémédiable mais bien naturelle de cette femme qui tente de repousser les signes d'une perte d'autonomie qu'elle perçoit comme une déchéance? Pourquoi blâmer cette pauvre femme, quand les vrais coupables sont, par omission, ceux qui ne lui ont pas porté secours - on a ici affaire, avant tout, à une personne désespérément seule, et peut-être un simple contact humain autre que celui de ces psychiatres et "médecins" aurait-il suffi à écarter ses pensées de mort - et, par action, ceux qui se sont empressés, au lieu de chercher une véritable solution, d'accéder à la demande irrationnelle de cette personne aussi aveuglée dans son intelligence par la souffrance psychologique qu'elle l'avait été dans son corps?
Quoi qu'il en soit, voilà une bien triste histoire.

Jeanne Smits a dit…

Je vous concède l'emploi non scientifique des mots "cocktail lytique", qui pour un médecin a un sens bien précis. Mais pour un journaliste, il est bien permis de s'en tenir au sens commun des mots : cocktail lytique, mélange de produits servis dans un verre et à l'effet mortel définitif, si vous me permettez aussi la redondance.

D'accord aussi pour dire que cette femme a manqué de quelque chose dans son entourage. Et que sa souffrance a certainement été abominable. Il n'empêche, la manière dont la chose est relatée dans la presse néerlandaise laisse cette désagréable impression que je n'ai pas voulu occulter.

 
[]