26 septembre, 2012

Rapport sur l’euthanasie aux Pays-Bas en 2011 (II)

Suite de l’analyse publiée hier.

La première partie du rapport annuel des commissions régionales de suivi de l’euthanasie aux Pays-Bas rapportait, pour 2011, une nette augmentation des euthanasies de personnes démentes. Elle rend également compte de la manière de plus en plus laxiste dont les commissions évaluent les « souffrances insupportables » qui doivent être constatées pour justifier l’euthanasie, de mises à mort de patients psychiatriques, et de personnes lasses des multiples désagréments de la vieillesse. Je poursuis mon analyse en proposant de nouveau la traduction résumée de certains cas très parlants, sélectionnés pour le rapport en raison de leur caractère emblématique.

La question de la nature de la souffrance insupportable à prendre en compte s’affine, si l’on peut dire, dans le sens de la largeur. On parle non plus de souffrances actuelles mais de la crainte d’une situation future, même si à la rigueur dans cet état le patient ne s’en rendrait même plus compte…

Souffrances insupportables et sans perspectives pour le malade : on pense pourtant immédiatement à des douleurs qui ne cèderaient pas devant un bon protocole de soins palliatifs, et c’est ce genre de situation qui est toujours mis en avant pour justifier la légalisation de l’euthanasie. Le rapport 2011 aux Pays-Bas montre que le champ en est élargi : on admet que la perspective de soins palliatifs, même capables de soulager la douleur, puisse en elle-même constituer une charge jugée insupportable par le patient : « Des patients utilisent le terme “sans perspectives” pour indiquer que le fait qu’aucune amélioration n’est plus possible est pour eux inacceptable et qu’ils souhaitent voir la fin de leurs souffrances. En ce sens l’absence de perspectives, telle qu’elle est perçue par le patient contribue au caractère insupportable des souffrances. »

Le rapport illustre cela avec le cas n° 8, qui concerne également une femme atteinte de troubles psychiatriques profonds.

• Cas d’une femme sexagénaire dépressive depuis 23 ans, et sujette à des troubles bipolaires qui avaient fini par être partiellement jugulés alors qu’elle se trouvait en institution psychiatrique fermée depuis deux ans, mais pour lesquels aucune thérapeutique plus efficace n’existait selon le psychiatre. Plusieurs tentatives de suicide. Pour la patiente le caractère insupportable de ses souffrances était constitué par le fait que la vie n’avait plus de sens pour elle. Elle n’avait plus aucune expérience de la couleur, de l’odeur ou du goût. Ses parents étaient mort ainsi qu’une proche amie ; peu de relations avec sa famille. Cela faisait des années qu’elle n’anticipait plus rien et qu’elle n’éprouvait plus de réel plaisir. Elle n’osait plus tenter de se suicider de peur de se rater. Elle avait du mal à marcher et ne pouvait plus conduire. 
6 mois avant sa mort, alors qu’elle exprimait toujours son désir de mort, son psy a estimé qu’elle n’était pas spécialement déprimée à ce moment-là. Il l’a jugée en état de demander l’euthanasie et a fait vérifier cela par un deuxième consultant. Elle a bénéficié d’un suicide assisté une semaine plus tard. OK.

La tremblote humiliante et dépendance (cas n° 9).

• Cas d’une nonagénaire atteinte d’une maladie neurodégénérative qui faisait trembler ses mains et sa voix, l’empêchant progressivement de se laver les dents, allumer une cigarette, rentrer un code pin, écrire, reposer le téléphone ; puis de manger – même avec les mains, ce qu’elle avait essayé mais trouvé humiliant. « Vie fatigante à cause des tremblements continus. » Elle envisageait le suicide mais ne voulait pas faire cette peine à son entourage. Alors qu’elle ne pouvait plus faire que de grands gestes – faire son lit par exemple – elle a appelé le médecin pour lui dire qu’elle désirait être euthanasiée, parce qu’elle devenait de plus en plus dépendante, conformément à une déclaration faite 20 ans plus tôt et régulièrement renouvelée. A ce moment-là elle venait de tenter de ne plus boire ou manger mais avait trouvé cela inhumain : le médecin la « rassura » en disant que l’euthanasie était un autre choix possible. Euthanasie : OK.

Plusieurs cas d’affections multiples liées à la vieillesse.

• Cas d’un octogénaire perdant l’acuité visuelle, l’ouïe, ayant des problèmes d’équilibre, n’arrivant plus à écouter de la musique classique, éprouvant des difficultés à dormir, à se mouvoir, dépendant davantage de l’aide d’autrui. Il n’arrivait ni à lire ni à écouter des livres lus ; il arrivait moins à se concentrer lorsqu’il recevait des visites. Sa qualité de vie, a-t-il fait savoir au médecin, était devenue insuffisante. Celui-ci proposa diverses aides à l’audition et à la mobilité, mais le patient les rejeta, estimant que son principal problème de qualité de vie n’en serait pas amélioré. L’euthanasie a eu lieu. OK.
 • Cas d’une nonagénaire souffrant de malvoyance à la suite d’un glaucome, de sensation d’étouffement et d’angina pectoris, et d’arthrose à la colonne vertébrale, ce qui l’avait amenée à un isolement de plus en plus grand. Elle n’était plus sortie de sa maison depuis deux ans au moment de la demande d’euthanasie et était couchée depuis trois semaines en raison d’une chute. Le traitement de la douleur était efficace, celui des autres affections moins. « Sa vision était si mauvaise qu’elle ne pouvait même plus regarder la télévision… » Et en outre, sa vie avait été malheureuse. Le médecin a jugé que ses souffrances étaient, notamment parce qu’elle se sentait maltraitée par la vie et désillusionnée, insupportables. Euthanasie. OK.
 
Les désordres psychiatriques anciens et persistants sont aussi pris en compte. Cas n° 12.

• Cas d’une quadragénaire souffrant depuis la puberté de désordres de l’alimentation, anorexie généralement et un long épisode de boulimie, le tout accompagné de troubles de la personnalité (« borderline »), rien n’ayant cédé devant les soins les plus modernes. Trois ans après sa mort elle décide de refuser tout soin, que ce soit pour les affections psychiatriques ou pour les désordres physiques en découlant. Mal à l’aise face à sa demande d’euthanasie, le médecin écrit un article dans la presse spécialisée, entre en relation avec des collègues dont un dit avoir vécu un cas semblable. Un deuxième psychiatre a estimé la femme capable de prendre une décision libre et éclairée. Il la trouve capable d’humour sur elle-mêmeIl est entendu que le désir de la patiente de ne plus être soignée doit être respecté. Mais son médecin est mal à l’aise : pour  lui éviter de passer à l’acte, la patiente essaie sans succès de se laisser mourir en refusant de boire et de manger. Pour finir elle insiste, disant en avoir assez de lutter avec son « côté obscur ». Un médecin spécialisé SCEN la trouve capable de prendre plaisir de l’existence, sa maison, ses créations artistiques, capable de se moquer d’elle-même, souriante, mais « tout ce qu’elle disait avait un arrière-fonds de tristesse ». Pas de dépression pour autant selon le spécialiste. On parle essentiellement de lassitude de se battre, doublée de problèmes physiques liés au refus de soins et à l’emploi continuel de laxatifs lié à son anorexie. Euthanasie. OK.

Tout comme un deuil pathologique. Cas n° 13.

• Cas d’une septuagénaire qui vit un enfer après la mort de son mari un an plus tôt. Deux anti-dépresseurs ne donnant pas de résultat on en déduit qu’elle n’est pas dépressive. Les séances de parole chez un psychologue ne donnent rien non plus. Sa souffrance insupportable est donc un « deuil insupportable »… Elle avait vécu une relation fusionnelle avec son mari, ils avaient peu de vie sociale se suffisant l’un à l’autre… Malade, son mari avait demandé l’euthanasie, la femme la voulait en même temps ce qui avait conduit le médecin à retarder l’acte. Lorsque la femme avait fini par accepter il avait euthanasié le mari.
Les médecins consultés se sont demandés si les symptômes du deuil n’allaient pas s’amoindrir avec le temps. Du fait de l’isolement de la femme et de l’intensité de la peine au bout de l’an, ils ont pensé qu’un rétablissement était « moins probable ». Parce qu’aucun médicament n’avait allégé la tristesse – considérée comme d’ordre médical – on a jugé qu’il y avait peu de chance de voir l’état de la patiente s’améliorer. Euthanasie. OK.

Etat comateux ou de conscience diminuée. Ici les choses se compliquent. En état de coma, le patient est supposé ne pas être en mesure de souffrir, et encore moins de souffrir de manière insupportable. En état de conscience diminuée, cela est moins certain : c’est un état qui peut être induit par les médicaments donnés pour réduire la douleur mais le médecin peut, en voyant le patient, acquérir la conviction que celui-ci souffre de manière insupportable. D’où des directives du collège royal des médecins néerlandais (KNMG) qui ont posé en juin 2010 la règle suivante : si le médecin était déjà « dans les starting-blocks » (sic) pour pratiquer l’euthanasie, il n’est pas nécessaire de ramener le patient à la conscience pour passer à l’acte pour demander une consultation avec un deuxième médecin. Et même si le malade n’est plus en état d’exprimer sa volonté, il n’est pas nécessaire d’exiger la présence un testament de fin de vie. Cas n° 14.

• Cas d’un septuagénaire souffrant d’un cancer pour lequel il ne reçoit plus que des soins palliatifs car il est prononcé inguérissable au moment d’être diagnostiqué. Reçoit morphine et oxygène. La sensation d’étouffement s’aggrave, ne cède pas devant les soins palliatifs et le patient demande l’euthanasie, que le médecin estime pouvoir pratiquer dans les circonstances. Et ce bien que le patient soit sous fortes doses de morphine et de midazolam. Ce qui pose problème à la commission : le patient était-il suffisamment en possession de ses moyens ? Le médecin, interrogé plus avant, a fait savoir qu’u moment de l’euthanasie, le patient n’était plus en état d’exprimer sa volonté du fait des médicaments reçus et de l’oxygène administrée, mais qu’il s’était entendu avec le patient au préalable pour l’euthanasier au moment où les choses en arriveraient là. 
La commission a retenu que le patient était en état d’exprimer librement sa volonté lorsque la demande d’euthanasie a été faite. La conscience amoindrie était due au soins palliatifs. Le coma était donc réversible mais le retour à la conscience n’était pas souhaitable pour le patient et donc l’euthanasie était… OK.

L’impression générale laissée par ces cas, et ceux évoqués dans mon message d’hier, est celle d’une grande misère qui ne trouve pas de soulagement, de souffrances morales que rien ne vient expliquer ou faire accepter, d’orgueil parfois, de solitude souvent. Bref, ce sont des morts dans une société qui a évacué toute spiritualité, où la souffrance ne trouve pas de consolation et où le malade cède – mais est-ce de sa faute ? – à une forme de révolte ou de désespoir. L’euthanasie est présentée ici comme un acte de pitié, seul capable de mettre fin à une situation que non seulement le malade considère comme intolérable, mais aussi, finalement, son médecin.

Je note que le glissement progressif vers l’élimination des malades psychiatriques, des personnes démentes ou en voie de le devenir, de ceux qui ne sont pas ou plus en mesure de donner leur avis, annonce probablement une pression accrue pour une application plus large de l’euthanasie dans une société qui ne voudra bientôt plus s’occuper de ses vieux et de ceux qui souffrent aussi profondément et aussi réellement que les personnes évoquées dans ces cas.


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1 commentaire:

Anonyme a dit…

A quand l'élimination des handicapés mentaux à ce compte là?

Cela me touche profondémment en tant que père d'un petit garçon sévèrement handicapé mental, mais plein de vie!

VD

 
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