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24 décembre, 2021

Mgr Roche répond à Edward Pentin sur les restrictions en matière de liturgie traditionnelle : un modèle d’idéologie

Je vous propose ci-dessous ma traduction intégrale de l’interview accordée par Mgr Arthur Roche, archevêque et préfet de la Congrégation pour le culte divin (de la graine de cardinal !), publiée hier par le
National Catholic Register. Ses réponses sont un modèle de méchanceté et d’idéologie dont il faudrait décortiquer à la fois le fond et la forme. Il ne laisse planer aucun doute : de la liturgie romaine traditionnelle, il ne doit rester aujourd’hui – sauf très rares exceptions, confirmation non comprise, dans les paroisses personnelles – que la messe, et encore marginalisée, interdite d’apostolat et de rayonnement au prétexte qu’on aurait profité de la situation pour en faire la « promotion ». L’objectif est bien qu’elle disparaisse avec ses derniers « adhérents » actuels.

Se pose-t-on des questions canoniques quant à la légalité et à l’autorité des Responsa ? Elles sont balayées par quelques mots lapidaires ; on ne saurait contester la Congrégation pour le culte divin.

Si l’on peut (ou devrait pouvoir) suivre Roche lorsqu’il proclame : « La liturgie n’est jamais une simple question de goûts ou de préférences personnelles », il faut noter que la liturgie réformée sous Paul VI est en pratique, bien souvent, un fatras de choix personnels et d’animations supposées créatives, de parenthèses pénibles où le célébrant se met en scène et de changements pour le changement, depuis sa conception jusqu’à sa mise en œuvre.

Roche ne répond pas à la question que lui pose Pentin sur la manière trompeuse dont a été présenté au pape le rapport d’enquête auprès des évêques sur Summorum pontificum. Il glisse…

Pour ce qui est de la citation de Benoît XVI, je la reproduis dans son contexte à la suite de la traduction.

Voici donc ma traduction de l’interview de Mgr Roche par Edward Pentin (en anglais ici). – J.S.

*


Excellence, les Responsa s’appliquent-elles aux ex-instituts Ecclesia Dei, en particulier en ce qui concerne les ordinations dans la forme traditionnelle du rite romain, ou ces ordinations vont-elles pouvoir se poursuivre dans ces instituts, dans la mesure où elles ne sont pas spécifiquement mentionnées dans les Responsa ?

Permettez-moi tout d’abord, en guise d’introduction à quelques-unes de vos questions, de préciser un point important. Le droit universel relatif à la liturgie antérieure aux réformes du Concile Vatican II est désormais établi par le Motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021, qui remplace toute législation antérieure.

Les Responsa ad dubia du 4 décembre 2021, publiées par la Congrégation du culte divin et de la discipline des sacrements, constituent une interprétation qui fait autorité de la manière dont cette loi doit être appliquée. La Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique est compétente pour les instituts particuliers que vous mentionnez. Cette Congrégation n’a pas fait de déclaration au sujet de ces instituts. Cependant, le principe est maintenant établi selon lequel les ordinations dans l’Église latine sont conférées selon le rite approuvé par la Constitution apostolique de 1968 [Promulgation des nouveaux rites d’ordination par le pape saint Paul VI].

Le deuxième Responsum affirme que l’évêque diocésain n’est pas autorisé à accorder la permission d’utiliser le Pontificale Romanum. Cela signifie-t-il que les évêques ne peuvent pas utiliser le Pontificale Romanum, ou qu’ils ne peuvent pas donner la permission de l’utiliser ? Dans ce dernier cas, à qui ne sont-ils pas autorisés à en permettre l’usage ?

Le Pontificale Romanum de cette liturgie antécédente n’est plus en usage. Toutefois, une concession a été faite pour l’utilisation du Rituale Romanum dans les paroisses personnelles, mais elle exclut le sacrement de la Confirmation, qui a été remplacé par Constitution Apostolique en 1971.

Des canonistes ont qualifié les Responsa d’illicites, car elles ne respectent pas divers canons [à savoir le Canon 18 : « Les lois qui établissent une peine ou qui restreignent le libre exercice des droits ou qui comportent une exception à la loi sont d’interprétation stricte », et le Canon 87 : « Chaque fois qu’il le jugera profitable à leur bien spirituel, l’Évêque diocésain a le pouvoir de dispenser les fidèles des lois disciplinaires tant universelles que particulières portées par l’autorité suprême de l’Église pour son territoire ou ses sujets, mais non des lois pénales ou de procédure, ni de celles dont la dispense est spécialement réservée au Siège Apostolique ou à une autre autorité »], ni l’intégrité du rite traditionnel ; ils avancent aussi d’autres raisons juridiques. Ils affirment donc que le document n’a aucune force et peut être ignoré. Quelle est votre réponse à cela ?

Les réponses aux divers dubia sont évidemment légitimes et pleinement conformes au droit canonique dans leur élaboration par cette Congrégation, dont l’autorité en la matière est incontestée.

Les Responsa interdisent d’annoncer la messe traditionnelle parmi les horaires paroissiaux, tout en affirmant que cela ne constitue pas une marginalisation des catholiques traditionnels. Pourquoi une telle mesure a-t-elle été prise si les catholiques traditionnels font partie des fidèles et que cette initiative vise l’unité ? Cette mise en valeur de la différence ne fait-elle pas qu’accentuer les divisions, même au niveau local ?

Il est clair dans Traditionis custodes que la célébration de la messe selon le Missale Romanum de 1962 est une concession et qu’elle ne constitue donc pas la manière normale de procurer la liturgie de l’Église telle que prévue par le Concile Vatican II. 

Les rites approuvés par les saints papes Paul VI et Jean-Paul II sont l’expression unique de la liturgie de l’Église. Comme vous l’avez vous-même noté dans l’une de vos déclarations, la plupart des adhérents au Missel de 1962 n’ont aucun problème avec la liturgie réformée ou le Concile Vatican II, mais préfèrent celle de 1962, raison pour laquelle la célébration de la Messe selon ce Missel leur est accessible.

Toutefois, permettez-moi de clarifier un point important. La liturgie n’est jamais une simple question de goûts ou de préférences personnelles. C’est la lex orandi de l’Église, qui, dans la fidélité à la tradition reçue des temps apostoliques, est déterminée par l’Église et non par ses membres individuels. Le Missel romain des saints papes Paul VI et Jean-Paul II est le témoin d’une foi inaltérée et d’une tradition vivante et ininterrompue.

De nombreux catholiques traditionnels affirment avoir été injustement discriminés par Traditionis custodes et les Responsa ad dubia, et avoir été tenus à l’écart des consultations. Ils affirment que ces nouvelles règles leur ont été injustement imposées sur la foi d’une enquête menée en 2020 par la CDF auprès des évêques. Cependant, selon des informations bien documentées, et contrairement à la note explicative du Saint-Père sur Traditionis custodes, l’enquête a montré que la plupart des évêques souhaitaient procéder à une application prudente et attentive de Summorum pontificum. La CDF a ensuite transmis ces résultats au Saint-Père dans un rapport détaillé. La Congrégation pour le culte divin tiendra-t-elle donc compte de tous ces facteurs et préoccupations dans un esprit de synodalité et y répondra-t-elle, comme elle le ferait si tout cela faisait partie de l’actuel processus synodal universel ? La congrégation travaillera-t-elle également à partir des résultats réels de l’enquête plutôt qu’en s’appuyant sur une interprétation erronée de ceux-ci, comme l’affirment ces informations ?

La promotion de la liturgie antécédente a été restreinte mais cela ne caractérise pas une discrimination. Ni Ecclesia Dei de saint Jean-Paul II ni Summorum pontificum du pape Benoît XVI n’avaient prévu la promotion de ces liturgies qui, étant survenue par la suite, est devenue- problématique par rapport à ce que le Concile, qui est la plus haute forme de législation au sein de l’Église catholique, avait décrété.

Vous vous souviendrez de ce que le pape Benoît XVI a déclaré à la presse lors de son voyage en France en 2008 : « Ce Motu proprio (il parlait de Summorum pontificum qui venait d’être publié) est simplement un acte de tolérance, dans un but pastoral pour des personnes qui ont été formées dans cette liturgie, l’aiment, la connaissent, et veulent vivre avec cette liturgie. C’est un petit groupe parce que cela suppose une formation en latin, une formation dans une certaine culture. » Malheureusement, beaucoup ont profité de l’occasion pour prendre une direction inverse.

Quant à votre remarque sur la consultation, le Saint-Père a écouté très attentivement les évêques et, plus récemment, la Congrégation a répondu aux questions soulevées par eux et par d’autres. 

Ce dont il importe de prendre conscience maintenant, c’est que le Saint-Père a parlé ; les possibilités liturgiques sont en place ; le défi est de s’y atteler sans lécher ses plaies alors que personne n’a été blessé. Quant à votre remarque sur la synodalité, le mot signifie « marcher ensemble », ce qui est l’objectif précis du Motu proprio en ce qu’il exprime la direction dans laquelle l’Église doit marcher dans sa prière.

De nombreux fidèles traditionnels n’ont aucun problème avec la liturgie réformée ou Vatican II mais préfèrent la forme traditionnelle. Pourquoi, dès lors, la forme traditionnelle du rite romain ne peut-elle pas être acceptée comme le sont d’autres formes traditionnelles différentes du rite romain, telles que les rites ambrosien, gallican, dominicain ou celui de l’ordinariat anglican ? 

Avec tout le respect que je vous dois, votre manière de présenter les rites n’est pas tout à fait exacte. Il n’y a qu’un seul rite romain, tout comme il n’y a qu’un seul rite ambrosien et un seul rite mozarabe. Le rite gallican a disparu il y a plusieurs siècles, bien que plusieurs de ses prières aient été incorporées dans divers livres liturgiques actuels. Les autres ne sont pas des rites mais des usages – des adaptations ou des inculturations du Rite Romain, qui ont reçu l’approbation du Siège Apostolique pour des raisons spécifiques.
 
Propos recueillis par Edward Pentin

*


Que dites-vous à ceux qui, en France, craignent que le Motu proprio ‘Summorum Pontificum’ marque un retour en arrière sur les grandes intuitions du Concile Vatican II ?

Réponse de Benoît XVI : C’est une peur infondée parce que ce Motu proprio est simplement un acte de tolérance, dans un but pastoral pour des personnes qui ont été formées dans cette liturgie, l’aiment, la connaissent, et veulent vivre avec cette liturgie. C’est un petit groupe parce que cela suppose une formation en latin, une formation dans une certaine culture. Mais il me semble que c’est exigence normale de la foi et de pastorale pour un évêque de notre Église d’avoir de l’amour et de la tolérance pour ces personnes et de leur permettre de vivre avec cette liturgie. Il n’y a aucune opposition entre la liturgie renouvelée par le Concile Vatican II et cette liturgie. Chaque jour, les pères conciliaires ont célébré la messe selon l’ancien rite et, en même temps, ils ont conçu un développement naturel pour la liturgie dans tout ce siècle car la liturgie est une réalité vivante qui se développe et conserve dans son développement son identité. Il y a donc certainement des accents différents, mais quand même une identité fondamentale qui exclue une contradiction, une opposition entre la liturgie renouvelée et la liturgie précédente. Je pense quand même qu’il y a une possibilité d’un enrichissement des deux parties. D’un côté les amis de l’ancienne liturgie peuvent et doivent connaître les nouveaux saints, les nouvelles préfaces de la liturgie, etc… d’autre part, la liturgie nouvelle souligne plus la participation commune mais, toujours, n’est pas seulement l’assemblée d’une seule communauté mais un acte de l’Église universelle, en communion avec tous les croyants de tous les temps, et un acte d’adoration. Dans ce sens, il me semble qu’il y a un enrichissement réciproque et il est clair que la liturgie renouvelée est la liturgie ordinaire de notre temps.

Une réponse entièrement sereine et positive, qui fait voir même la complémentarité et la possibilité d’un enrichissement réciproque des deux formes de la liturgie latine.


© leblogdejeannesmits pour la traductions.

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14 novembre, 2016

Nouvelles déclarations du pape François à Spadaro et Scalfari sur les pauvres, le communisme, la liturgie traditionnelle…

Dans un entretien avec le journaliste athée, cofondateur du parti radical italien, Eugenio Scalfari, le pape François a commenté l’élection qui allait se montrer favorable à Donald Trump en se disant d’abord préoccupé par la situation des réfugiés et des migrants dans le monde, puis en affirmant que « l’on pourrait dire que ce sont les communistes qui pensent comme les chrétiens ». La rencontre a eu lieu le 7 novembre ; Scalfari en a rapporté la teneur quelques jours plus tard. La même semaine, un nouvel entretien du pape François avec son ami, le jésuite Antonio Spadaro, a également fait beaucoup de bruit, puisque, prenant le contre-pied du pape émérite Benoît XVI, François adénoncé la « rigidité » de certains parmi ceux qui restent attachés à la « forme extraordinaire », spécialement les jeunes qui ne l’ont pas vécue avant le Concile.
Cela fait beaucoup pour une seule semaine…
*
Dans le premier cas, celui d’Eugenio Scalfari, il sera sans doute expliqué que ce journaliste n’est pas vraiment fiable dans la mesure où il retranscrit ses entretiens – déjà fort nombreux – avec le pape François de mémoire, et éventuellement en déformant ses propos. Il n’empêche. Le pape accepte régulièrement de lui parler aux fins de publication, outre qu’il a avec lui de fréquents contacts téléphoniques, comme le précise le journaliste. Et il n'exige pas de se relire. Cette fois-ci, selon Scalfari, c’est même le pape François qui l'a convoqué au Vatican.
En tant que journaliste, je peux dire que la demande d’une personnalité de revoir ses propos avant publication me paraît tout à fait acceptable, et à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une personne qui engage plus qu’elle-même dans son interview. C’est le cas du pape, par excellence. Or voici qu'on nous explique, encore et toujours, qu'il parle seulement à titre personnel. Cela est certainement vrai du point de vue du poids magistériel de ses paroles. Mais sur le plan psychologique, elles sont nécessairement reçues – avec enthousiasme ou inquiétude – par ceux qui se sentent directement impliqués, qui ont charge d’âme, et par le catholique ordinaire, comme les paroles d'un souverain pontife.
Donc, le pape François s’est montré, dit le journaliste, non seulement « révolutionnaire » comme Scalfari a l’habitude de le dire, mais « au-delà de la révolution ».
A propos des migrants, on peut résumer la pensée du pape ainsi : dans les pays riches, même les pauvres ont peur des migrants qui pourraient les appauvrir : « C’est un cercle vicieux il faut le rompre. Nous devons abattre les murs qui nous divisent : nous devons essayer d'augmenter le bien-être et l’étendre davantage, il nous faut détruire les murs et construire des ponts qui nous permettent de réduire l’inégalité et d’augmenter la liberté et les droits. Davantage de droits et une plus grande liberté. »
Tel est le rêve actuel des mondialistes qui parlent beaucoup de la difficulté à imposer leur idée à des populations qui se sentent les oubliées du processus de globalisation : ils veulent imposer davantage de liberté dans les échanges – y compris migratoires – tout en assurant davantage de protection sociale dans le cadre d’une société mondialisée. Du socialisme mondial ?
C’est en tout cas selon le pape l’inégalité qui est à la racine des migrations. Mais il est optimiste : « Après deux, trois, quatre générations, ces personnes sont intégrées et leur diversité tend à disparaître complètement. »
La vraie question est alors de savoir quelle est la masse qui se fond dans l’autre… Le propos n’est d’ailleurs pas vérifié puisque les invasions musulmanes n’ont pas eu totalement raison du christianisme du Proche-Orient, si ce n’est par des génocides répétés.
Scalfari répond : « J’appelle cela un métissage universel au sens positif du terme. »
Réponse du pape, telle que la rapporte le journaliste : « Bravo, c’est le mot exact. Je ne sais pas s’il sera universel mais il sera bien plus prévalant qu’aujourd’hui. Ce que nous voulons, c’est une bataille contre l’inégalité, qui est le pire mal qui existe au monde. C’est l’argent qui la crée et qui va contre les mesures qui essayent de mieux diffuser la richesse et ainsi de promouvoir l’égalité. »
L’inégalité, le pire de tous les maux ? Le Christ a dit que nous aurions toujours les pauvres avec nous. Le pire malheur, le pire mal n’est pas de ne pas en avoir autant que son voisin (« Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui »), mais de perdre son âme. « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? », dit aussi le Christ.
Le plus grand mal est donc d’agir contre la volonté de Dieu, de pécher gravement sans s’en repentir. Et sur le plan politique et social, de favoriser cette révolte. Le monde qui nous entoure est visiblement en révolte contre Dieu. François ne l’aurait-il pas remarqué ?
Ravi, Scalfari rebondit : « Vous m’avez dit il y a quelques temps que le précepte “aime ton prochain comme toi-même” devait changer, vue la période noire que nous traversons, pour devenir “plus que toi-même”. Ainsi, vous aspirez à une société ou l’égalité domine. C’est, comme vous le savez, le programme du socialisme marxiste, puis du communisme. Pensez-vous donc à un type de société marxiste ? »
Réponse du pape François : « On l’a dit bien des fois, et ma réponse a toujours été que l’on pourrait dire que ce sont des communistes qui pensent comme les chrétiens. Le Christ a parlé d’une société où les pauvres, les faibles et les marginalisés ont le droit de décider. Non pas les démagogues, ni Barabbas, mais le peuple, les pauvres, qu’ils aient foi ou non en un Dieu transcendant. Ce sont eux qui doivent aider à atteindre l’égalité et la liberté. »
On pourrait discourir sans fin sur cette réponse, si elle est en effet celle que le pape a donnée à Scalfari. On pourrait se contenter de dire que toutes les révolutions ont abouti à rendre les pauvres encore plus pauvres, plus malheureux, plus opprimés. Tout en soulignant au passage que le Christ n’a pas prêché un royaume politique en direction des pauvres : il leur a promis la vie éternelle en invitant chacun à prendre sa croix et à le suivre. On n’oubliera pas non plus que si le communisme a prétendu lutter contre de vraies injustices, de vrais abus, il n’en est pas moins intrinsèquement pervers : radicalement, par son refus de Dieu et son refus de l'ordre naturel. Ordre qui se construit sur les inégalités fécondes.
On pourrait rappeler aussi la boutade de Margaret Thatcher : « Personne ne se rappellerait le bon Samaritain s'il n’avait que de bonnes intentions ; il avait aussi de l’argent. »
L’entretien s’est déroulé quelques jours après que le pape eut pris la parole devant les Mouvements populaires (indigénistes). Scalfari l’a interrogé pour savoir s’il voulait que les pauvres entrent directement en politique.
« Oui, c’est exact. Pas la politique politicienne – se battre à propos du pouvoir, l’égoïsme, la démagogie, l’argent – mais une politique plus haute, créative, la politique d’une grande vision. Celle dont parlait Aristote », répond le pape. Il y a ici une véritable idéalisation d’une certaine catégorie humaine. Comme si les pauvres allaient nécessairement faire une politique vertueuse. Comme s’ils étaient exempts du péché originel, de l’envie et tous les autres défauts.
Parlant des chrétiens, le pape conclut : « Nous avons répandu la foi en suivant l’exemple de Jésus-Christ. Il était le martyr des martyrs et il a donné à l’humanité la semence de la foi. Mais je suis trop avisé pour demander le martyre à ceux qui se battent pour une politique orientée vers les pauvres, pour l’égalité et la liberté. Cette politique est quelque chose de différent de la foi il y a beaucoup de pauvres qui n’ont pas une foi. Néanmoins, ils ont des besoins urgents et vitaux, et nous devons les soutenir tout comme nous soutenons tous les autres. Comme nous pouvons et comme nous savons le faire. »
*
A propos de la liturgie traditionnelle, les propos du pape cette semaine n’ont pas été moins vifs. Ils ont paru dans le dernier livre du pape François, présenté ainsi bien qu’il s’agisse des homélies du cardinal Bergoglio à Buenos Aires entre 1999 et 2013, dans l’entretien avec le père Spadaro qui les accompagne. Je cite d’après la traduction anglaise de Rorate Caeli.
Le P. Spadaro raconte la conversation, et explique notamment :
« La simplicité des enfants me fait aussi penser aux adultes, avec un rite qui est direct, auquel la participation est intense, aux messes paroissiales vécues avec tant de piété. On pense aux propositions encourageant les prêtres à tourner le dos aux fidèles, à repenser Vatican II, à utiliser le latin. Je demande au pape ce qu’il en pense. Le pape répond :
“Le pape Benoît a accompli un geste juste et magnanime en tendant la main à une certaine mentalité de certains groupes et personnes qui ressentaient de la nostalgie et qui s’éloignaient. Mais c’est une exception. C’est pourquoi l’on parle d’un rite ‘extraordinaire’. Ce qui est ordinaire dans l’Eglise, ce n’est pas cela. Il est nécessaire d’approcher avec magnanimité de ceux qui sont attachés à une certaine forme de prière. Mais l’ordinaire n’est pas cela. Vatican II et Sacrosanttum Concilium doivent continuer comme ils sont. Parler d’une ‘réforme de la réforme’ est une erreur.” »
 L’idée, sinon les mots, était pourtant celle du cardinal Ratzinger, puis de Benoît XVI…
Spadaro poursuit: « Outre ceux qui sont sincères et qui demandent cette possibilité par habitude ou par dévotion, ce désir peut-il exprimer autre chose ? Y a-t-il des dangers ? »
Le pape répond : « Je me pose des questions à propos de cela. Par exemple, j’ai toujours cherché à comprendre ce qui anime ces individus qui sont trop jeunes pour avoir vécu la liturgie préconciliaire, et qui la veulent néanmoins. Je me suis trouvé parfois devant des personnes qui sont trop rigides, une attitude de rigidité. Et je me demande : pourquoi tant de rigidité ? On creuse, on creuse, cette rigidité cache toujours quelque chose : de l’insécurité, parfois, peut-être, autre chose… la rigidité est sur la défensive. L’amour vrai n’est pas rigide. »
Le Père Spadaro « insiste », dit-il. « Mais la tradition ? Certains la comprennent d’une manière rigide. »
Le pape : « Mais non ! La tradition fleurit ! Il y a un traditionalisme qui est un fondamentalisme rigide : il n’est pas bon. La fidélité implique au contraire une croissance. La tradition, dans la tradition d’un âge à l’autre du dépôt de la foi, croît et se consolide avec le passage du temps, comme le disait Saint Vincent de Lérins dans son Commonitorium Primum. Je lis toujours dans mon bréviaire : ‘Ita etiam christianae religionis dogma sequatur has decet profectuum leges, ut annis scilicet consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate.’ ( « Le dogme de la religion chrétienne doit suivre cette même loi du progrès, afin qu’il se renforce avec les années, qu’il se développe avec le temps, qu’il s’exalte avec l’âge ».)
Certes. Mais Vincent de Lérins ne s’arrêtait pas là, il ajoutait : « Et qu'il soit entier et parfait dans toutes les dimensions de ces mesures, comme dans ses propres membres et sens, car il n’admet ensuite aucune mutation, aucune perte de ses propriétés, aucune variation de son contenu. »
Toute la question de la réforme liturgique est là : dans une édulcoration du contenu, un amoindrissement de la connaissance du dogme, qui n’est pas une rigidité mais la connaissance de la vérité et l’adhésion à celle-ci.
Et si les jeunes sont si nombreux à admirer, à demander, à préférer la liturgie traditionnelle, c’est qu’ils en perçoivent la richesse, la capacité à nourrir leur âme et leur intelligence. En les présentant comme des passéistes, voire comme des coincés, le pape François semble décidément les repousser vers des « périphéries » que même lui est prêt à oublier.


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