14 novembre, 2016
Dans un entretien
avec le journaliste athée, cofondateur du parti radical italien, Eugenio
Scalfari, le pape François a commenté l’élection qui allait se montrer
favorable à Donald Trump en se disant d’abord préoccupé par la situation des
réfugiés et des migrants dans le monde, puis en affirmant que « l’on
pourrait dire que ce sont les communistes qui pensent comme les chrétiens ». La
rencontre a eu lieu le 7 novembre ; Scalfari en a rapporté la teneur quelques
jours plus tard. La même semaine, un nouvel entretien du pape François avec son
ami, le jésuite Antonio Spadaro, a également fait beaucoup de bruit, puisque,
prenant le contre-pied du pape émérite Benoît XVI, François adénoncé la
« rigidité » de certains parmi ceux qui restent attachés à la « forme
extraordinaire », spécialement les jeunes qui ne l’ont pas vécue avant le
Concile.
Cela fait beaucoup pour une seule
semaine…
*
Dans le premier cas, celui
d’Eugenio Scalfari, il sera sans doute expliqué que ce journaliste n’est pas
vraiment fiable dans la mesure où il retranscrit ses entretiens – déjà fort
nombreux – avec le pape François de mémoire, et éventuellement en déformant ses
propos. Il n’empêche. Le pape accepte régulièrement de lui parler aux fins de
publication, outre qu’il a avec lui de fréquents contacts téléphoniques, comme
le précise le journaliste. Et il n'exige pas de se relire. Cette fois-ci, selon
Scalfari, c’est même le pape François qui l'a convoqué au Vatican.
En tant que journaliste, je peux
dire que la demande d’une personnalité de revoir ses propos avant publication
me paraît tout à fait acceptable, et à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une
personne qui engage plus qu’elle-même dans son interview. C’est le cas du pape,
par excellence. Or voici qu'on nous explique, encore et toujours, qu'il parle
seulement à titre personnel. Cela est certainement vrai du point de vue du
poids magistériel de ses paroles. Mais sur le plan psychologique, elles sont
nécessairement reçues – avec enthousiasme ou inquiétude – par ceux qui se
sentent directement impliqués, qui ont charge d’âme, et par le catholique ordinaire,
comme les paroles d'un souverain pontife.
Donc, le pape François s’est
montré, dit le journaliste, non seulement « révolutionnaire » comme Scalfari a
l’habitude de le dire, mais « au-delà de la révolution ».
A propos des migrants, on peut
résumer la pensée du pape ainsi : dans les pays riches, même les pauvres ont
peur des migrants qui pourraient les appauvrir : « C’est un cercle vicieux
il faut le rompre. Nous devons abattre les murs qui nous divisent : nous devons
essayer d'augmenter le bien-être et l’étendre davantage, il nous faut détruire
les murs et construire des ponts qui nous permettent de réduire l’inégalité et
d’augmenter la liberté et les droits. Davantage de droits et une plus grande
liberté. »
Tel est le rêve actuel des
mondialistes qui parlent beaucoup de la difficulté à imposer leur idée à des
populations qui se sentent les oubliées du processus de globalisation : ils
veulent imposer davantage de liberté dans les échanges – y compris migratoires
– tout en assurant davantage de protection sociale dans le cadre d’une société
mondialisée. Du socialisme mondial ?
C’est en tout cas selon le pape
l’inégalité qui est à la racine des migrations. Mais il est optimiste : « Après
deux, trois, quatre générations, ces personnes sont intégrées et leur diversité
tend à disparaître complètement. »
La vraie question est alors de
savoir quelle est la masse qui se fond dans l’autre… Le propos n’est d’ailleurs
pas vérifié puisque les invasions musulmanes n’ont pas eu totalement raison du
christianisme du Proche-Orient, si ce n’est par des génocides répétés.
Scalfari répond : « J’appelle cela
un métissage universel au sens positif du terme. »
Réponse du pape, telle que la
rapporte le journaliste : « Bravo, c’est le mot exact. Je ne sais pas s’il sera
universel mais il sera bien plus prévalant qu’aujourd’hui. Ce que nous voulons,
c’est une bataille contre l’inégalité, qui est le pire mal qui existe au monde.
C’est l’argent qui la crée et qui va contre les mesures qui essayent de mieux
diffuser la richesse et ainsi de promouvoir l’égalité. »
L’inégalité, le pire de tous les
maux ? Le Christ a dit que nous aurions toujours les pauvres avec nous. Le pire
malheur, le pire mal n’est pas de ne pas en avoir autant que son voisin
(« Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui »), mais de perdre son âme.
« Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? »,
dit aussi le Christ.
Le plus grand mal est donc d’agir
contre la volonté de Dieu, de pécher gravement sans s’en repentir. Et sur le
plan politique et social, de favoriser cette révolte. Le monde qui nous entoure
est visiblement en révolte contre Dieu. François ne l’aurait-il pas
remarqué ?
Ravi, Scalfari rebondit : « Vous
m’avez dit il y a quelques temps que le précepte “aime ton prochain comme
toi-même” devait changer, vue la période noire que nous traversons, pour
devenir “plus que toi-même”. Ainsi, vous aspirez à une société ou l’égalité
domine. C’est, comme vous le savez, le programme du socialisme marxiste, puis
du communisme. Pensez-vous donc à un type de société marxiste ? »
Réponse du pape François : « On l’a
dit bien des fois, et ma réponse a toujours été que l’on pourrait dire que ce
sont des communistes qui pensent comme les chrétiens. Le Christ a parlé d’une
société où les pauvres, les faibles et les marginalisés ont le droit de
décider. Non pas les démagogues, ni Barabbas, mais le peuple, les pauvres,
qu’ils aient foi ou non en un Dieu transcendant. Ce sont eux qui doivent aider
à atteindre l’égalité et la liberté. »
On pourrait discourir sans fin sur
cette réponse, si elle est en effet celle que le pape a donnée à Scalfari. On
pourrait se contenter de dire que toutes les révolutions ont abouti à rendre
les pauvres encore plus pauvres, plus malheureux, plus opprimés. Tout en
soulignant au passage que le Christ n’a pas prêché un royaume politique en
direction des pauvres : il leur a promis la vie éternelle en invitant chacun à
prendre sa croix et à le suivre. On n’oubliera pas non plus que si le
communisme a prétendu lutter contre de vraies injustices, de vrais abus, il
n’en est pas moins intrinsèquement pervers : radicalement, par son refus de
Dieu et son refus de l'ordre naturel. Ordre qui se construit sur les inégalités
fécondes.
On pourrait rappeler aussi la
boutade de Margaret Thatcher : « Personne ne se rappellerait le bon Samaritain
s'il n’avait que de bonnes intentions ; il avait aussi de l’argent. »
L’entretien s’est déroulé quelques jours après que le pape eut pris la parole devant les Mouvements populaires
(indigénistes). Scalfari l’a interrogé pour savoir s’il voulait que les pauvres
entrent directement en politique.
« Oui, c’est exact. Pas la
politique politicienne – se battre à propos du pouvoir, l’égoïsme, la
démagogie, l’argent – mais une politique plus haute, créative, la politique
d’une grande vision. Celle dont parlait Aristote », répond le pape. Il y a
ici une véritable idéalisation d’une certaine catégorie humaine. Comme si les
pauvres allaient nécessairement faire une politique vertueuse. Comme s’ils
étaient exempts du péché originel, de l’envie et tous les autres défauts.
Parlant des chrétiens, le pape
conclut : « Nous avons répandu la foi en suivant l’exemple de Jésus-Christ. Il
était le martyr des martyrs et il a donné à l’humanité la semence de la foi.
Mais je suis trop avisé pour demander le martyre à ceux qui se battent pour une
politique orientée vers les pauvres, pour l’égalité et la liberté. Cette
politique est quelque chose de différent de la foi il y a beaucoup de pauvres
qui n’ont pas une foi. Néanmoins, ils ont des besoins urgents et vitaux, et
nous devons les soutenir tout comme nous soutenons tous les autres. Comme nous
pouvons et comme nous savons le faire. »
*
A propos de la liturgie
traditionnelle, les propos du pape cette semaine n’ont pas été moins vifs. Ils
ont paru dans le dernier livre du pape François, présenté ainsi bien qu’il
s’agisse des homélies du cardinal Bergoglio à Buenos Aires entre 1999 et 2013,
dans l’entretien avec le père Spadaro qui les accompagne. Je cite d’après la traduction
anglaise de Rorate Caeli.
Le P. Spadaro raconte la
conversation, et explique notamment :
« La simplicité des enfants me
fait aussi penser aux adultes, avec un rite qui est direct, auquel la
participation est intense, aux messes paroissiales vécues avec tant de piété.
On pense aux propositions encourageant les prêtres à tourner le dos aux
fidèles, à repenser Vatican II, à utiliser le latin. Je demande au pape ce
qu’il en pense. Le pape répond :
“Le pape Benoît a accompli un
geste juste et magnanime en tendant la main à une certaine mentalité de
certains groupes et personnes qui ressentaient de la nostalgie et qui
s’éloignaient. Mais c’est une exception. C’est pourquoi l’on parle d’un rite
‘extraordinaire’. Ce qui est ordinaire dans l’Eglise, ce n’est pas cela. Il est
nécessaire d’approcher avec magnanimité de ceux qui sont attachés à une certaine
forme de prière. Mais l’ordinaire n’est pas cela. Vatican II et Sacrosanttum
Concilium doivent continuer comme ils sont. Parler d’une ‘réforme de la
réforme’ est une erreur.” »
L’idée, sinon les mots, était pourtant celle
du cardinal Ratzinger, puis de Benoît XVI…
Spadaro poursuit: « Outre ceux qui
sont sincères et qui demandent cette possibilité par habitude ou par dévotion, ce
désir peut-il exprimer autre chose ? Y a-t-il des dangers ? »
Le pape répond : « Je me pose des
questions à propos de cela. Par exemple, j’ai toujours cherché à comprendre ce
qui anime ces individus qui sont trop jeunes pour avoir vécu la liturgie préconciliaire,
et qui la veulent néanmoins. Je me suis trouvé parfois devant des personnes qui
sont trop rigides, une attitude de rigidité. Et je me demande : pourquoi tant
de rigidité ? On creuse, on creuse, cette rigidité cache toujours quelque chose
: de l’insécurité, parfois, peut-être, autre chose… la rigidité est sur la
défensive. L’amour vrai n’est pas rigide. »
Le Père Spadaro
« insiste », dit-il. « Mais la tradition ? Certains la
comprennent d’une manière rigide. »
Le pape : « Mais non ! La
tradition fleurit ! Il y a un traditionalisme qui est un fondamentalisme rigide
: il n’est pas bon. La fidélité implique au contraire une croissance. La
tradition, dans la tradition d’un âge à l’autre du dépôt de la foi, croît et se
consolide avec le passage du temps, comme le disait Saint Vincent de Lérins
dans son Commonitorium Primum. Je lis toujours dans mon bréviaire : ‘Ita etiam christianae religionis dogma
sequatur has decet profectuum leges, ut annis scilicet consolidetur, dilatetur
tempore, sublimetur aetate.’ ( « Le dogme de la religion chrétienne
doit suivre cette même loi du progrès, afin qu’il se renforce avec les années,
qu’il se développe avec le temps, qu’il s’exalte avec l’âge ».)
Certes. Mais Vincent de Lérins ne
s’arrêtait pas là, il ajoutait : « Et qu'il soit entier et parfait dans
toutes les dimensions de ces mesures, comme dans ses propres membres et sens,
car il n’admet ensuite aucune mutation, aucune perte de ses propriétés, aucune
variation de son contenu. »
Toute la question de la réforme
liturgique est là : dans une édulcoration du contenu, un amoindrissement de la
connaissance du dogme, qui n’est pas une rigidité mais la connaissance de la
vérité et l’adhésion à celle-ci.
Et si les jeunes sont si nombreux
à admirer, à demander, à préférer la liturgie traditionnelle, c’est qu’ils en
perçoivent la richesse, la capacité à nourrir leur âme et leur intelligence. En
les présentant comme des passéistes, voire comme des coincés, le pape François
semble décidément les repousser vers des « périphéries » que même lui est prêt
à oublier.
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1 commentaire:
La Vaticanose chronique est une maladie qui semble empirer avec le temps...
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