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30 octobre, 2022

“Une certaine forme de catacombes” : Mgr Athanasius Schneider appelle les fidèles “chassés” par “Traditionis custodes” à conserver la messe traditionnelle

Dans un récent entretien avec John-Henry Westen de LifeSiteNews, dont je vous propose ci-dessous une rapide traduction quasi intégrale (hormis les salutations), Mgr Athanasius Schneider affirme le devoir des laïcs catholiques de chercher des lieux de culte alternatifs pour pouvoir continuer d’assister à la messe traditionnelle en cas de “persécution” de la part de leurs pasteurs, et demande aux prêtres de s’interroger “en conscience” quant aux décisions à prendre lorsque la célébration de la messe tridentine leur est interdite.

Il appelle également tous les fidèles à participer à des prières à travers le monde afin que Dieu accorde à son Eglise un « pape catholique fidèle, fort et courageux ». Voici le texte de cet entretien que vous trouverez ici en anglais. – J.S.

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John-Henry Westen : L’Église traverse actuellement des temps difficiles, des temps spirituellement difficiles. Vous avez souvent fait allusion à l’Église clandestine, et au fait qu’il faudrait peut-être entrer dans la clandestinité. Je sais que vous avez vous-même vécu cela quand vous étiez enfant. Pour cette raison, mais aussi en raison de votre position actuelle dans l’Église, il serait à mon avis très fructueux pour les fidèles d’entendre de votre bouche comment cela fonctionne en pratique. En Chine, par exemple, l’Église vit dans la clandestinité depuis longtemps, et encore aujourd’hui. Nous nous trouvons dans une situation un peu analogue. En Chine, des évêques infidèles font la promotion du communisme au mépris de la vérité du Christ. Mais il demeure des évêques nommés et approuvés par le pape François, et les prêtres doivent donc exister sous leur autorité, tout comme les fidèles, ce qui les place dans une situation de clandestinité.

En Occident, nous n’avons pas vraiment fait cette expérience. Mais il semble que nous y arrivions désormais, car nous avons des évêques infidèles qui ont pourtant été nommés par le pape François. Et ainsi, les prêtres et les fidèles doivent en quelque sorte vivre dans cette situation. Vous avez indiqué qu’il s’agit peut-être d’un temps où il faut vivre de manière clandestine. À quoi cela ressemble-t-il en pratique ? Comment y arriver ? Comment les prêtres et les fidèles peuvent-ils savoir à quel moment ils doivent se mettre à pratiquer de manière clandestine ? Et comment cela fonctionne-t-il ? 

Mgr Athanasius Schneider : Un exemple de ce type de situation, tant pour les fidèles que pour les prêtres – d’être en quelque sorte persécutés et marginalisés par ceux qui occupent les postes de haut rang dans l’Église, par les évêques – est celle que nous avons connue au quatrième siècle, avec l’arianisme. À cette époque, les évêques valides, les évêques licites, en tout cas la majorité d’entre eux, persécutaient les vrais catholiques qui gardaient la tradition de la foi en la divinité de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Telle était la question de vie et de mort, de la vérité, de la tradition de la foi. Et donc ceux-ci étaient chassés des églises, ils étaient obligés de descendre aux « racines », aux messes en plein air.

D’une certaine manière, nous pouvons nous aussi nous trouver face à de telles situations. Et c’est déjà arrivé, surtout après Traditionis custodes. Il y a des endroits où les gens sont littéralement chassés des églises paroissiales où ils avaient eu, pendant plusieurs années, la messe traditionnelle en latin approuvée par le pape Benoît XVI et par les évêques locaux. Aujourd’hui, dans le nouveau contexte de Traditionis custodes, certains évêques – je le répète – expulsent littéralement des églises, des églises paroissiales, les meilleurs fidèles, les meilleurs prêtres : ils les expulsent de l’église paroissiale qu’on appelle l’église mère. Et ces fidèles sont donc obligés de chercher de nouveaux lieux de culte, des gymnases, des écoles ou des salles de réunion, etc.

C’est une situation qui s’apparente à une certaine forme de temps de catacombes. Ce ne sont pas littéralement des catacombes, car ils peuvent encore célébrer publiquement, mais on peut comparer cela au temps des catacombes parce qu’ils ne peuvent pas utiliser les structures et bâtiments officiels de l’Église.

Cependant, chaque situation de persécution de l’histoire de l’Église a apporté de nombreuses bénédictions et a renforcé davantage la foi des personnes persécutées. Celles-ci n’ont pas seulement fortifié leur propre foi, en étant expulsées et en cherchant d’autres lieux, mais leur fidélité a renforcé l’Église entière. Et cela est important : grâce à la fidélité de ces fidèles, cette injustice et ce traitement injuste de ces catholiques en notre temps par le Vatican, par les ordres du Pape François, et par les évêques – certains d’entre eux, malheureusement, ont dû simplement exécuter les ordres qui venaient du nonce ou du Vatican de fermer les églises et de mettre fin à des messes, des messes traditionnelles –produisent vraiment beaucoup de fruits pour l’Église tout entière.

J.-H. W : L’un des effets de ce phénomène se manifeste de deux manières différentes, l’une du côté des fidèles et l’autre du côté des prêtres. J’aimerais d’abord parler des fidèles. Lors de la Conférence sur l’Identité Catholique où nous étions tous les deux, on m’a demandé comment il se peut que des catholiques, connus pour leur obéissance au Pape, prennent maintenant la parole pour résister au Pape. Comment est-ce seulement possible ? Nous en sommes même à prier ouvertement chaque jour à LifeSite – depuis que vous l’avez fait vous-même – pour la conversion du Pape. Je le fais avec mes propres enfants, et pour triste que soit cette situation, cette attitude témoigne tout de même d’un grand amour pour le pape. C’est pourquoi nous prions pour lui, non pour le haïr, mais bien pour lui. Mais nous traversons une période difficile, très difficile. Que conseillez-vous spécifiquement aux fidèles quant à la manière dont nous devons faire face à cette situation, y compris avec nos enfants ?

A.S. : Tout d’abord, nous il faut préciser le véritable concept et la signification de l’obéissance. Saint Thomas d’Aquin dit que l’obéissance absolue, inconditionnelle, nous ne la devons qu’à Dieu seul, et à aucune créature, fût-ce le Pape lui-même. L’obéissance envers le Pape et les évêques dans l’Église est donc une obéissance limitée.

Ainsi, lorsque le pape ou les évêques ordonnent une chose qui portera manifestement atteinte à la plénitude de la foi catholique et à la plénitude de la liturgie catholique – ce trésor de l’Église, la messe traditionnelle en latin – cela est nuisible puisque cela porte atteinte à la pureté de la foi ; en portant atteinte à la pureté du caractère sacré de la liturgie, on porte atteinte à l’Église tout entière. Nous diminuons le bien de l’Église, le bien spirituel de l’Église. Nous diminuons le bien de nos âmes. Et à cela, nous ne pouvons pas collaborer.
Comment pourrions-nous collaborer à une diminution de la pureté de la foi, comment pourrions-nous collaborer à une diminution du caractère sacré, sublime de la liturgie de la sainte Messe, la Messe traditionnelle millénaire de tous les saints ? Dans une telle situation, nous avons une obligation (il ne s’agit pas seulement de dire que nous « pouvons » dans certaines occasions) de dire au Saint-Père, aux évêques, « avec tout le respect et l’amour que nous vous devons, nous ne pouvons pas exécuter ces ordres que vous donnez parce qu’ils nuisent au bien de notre Sainte Mère l’Église ».

Nous devons donc chercher d’autres lieux en étant néanmoins en quelque sorte formellement désobéissants. Mais en fait nous serons obéissants à notre Sainte Mère l’Église, qui est plus grande qu’un pape en particulier. La Sainte Mère Église est plus grande qu’un Pape particulier ! Et donc, nous obéissons à notre Sainte Mère l’Église. Nous obéissons aux Papes de tous les âges qui ont promu, défendu, protégé la pureté de la foi catholique, inconditionnellement, sans compromis, et qui ont également défendu le caractère sacré et la liturgie immuable de la sainte Messe à travers les siècles.

J.-H. W : Pour les prêtres, la question est encore plus grave,  car les prêtres doivent obéir à leur évêque. Et pourtant, certains de ces évêques leur donnent des instructions, en exigeant qu’ils éloignent les fidèles, qu’ils leur refusent la messe traditionnelle, qu’ils refusent même les activités pro-vie à l’intérieur des paroisses, en les qualifiant de politiques. Dans le même temps, nous avons des paroisses qui font la promotion de la lutte contre le changement climatique et tout le reste, toutes ces absurdités qui se passent dans les paroisses. Mais ces prêtres ont un sentiment qu’on pourrait exprimer ainsi : « Je dois obéir à l’évêque. Que puis-je faire d’autre ? J’avais l’habitude de célébrer la messe traditionnelle en latin. Maintenant, nous n’avons plus le droit de le faire. » Que peuvent faire les prêtres quant à l’obéissance ? Peuvent-ils, eux aussi, entrer en quelque sorte dans la clandestinité, se cacher de leurs évêques et faire les choses d’une manière un peu cachée ?

A.S. : C’est une question très délicate, et je pense que qu’elle touche à la conscience de ces prêtres. La réponse pourrait bien être différente pour chaque prêtre. Mais chaque prêtre doit demander à Dieu en conscience ce qu’il doit faire en ce moment. Il se peut aussi que certains prêtres obéissent, et en ce cas, ils ne peuvent pas aider les catholiques traditionnels, peut-être parce qu’ils veulent au moins rester dans les structures officielles, pour faire du bien. Cela pourrait en tout cas être une option.

Mais il y a une autre option, qui serait également légitime, si en conscience ils décidaient devoir désobéir à l’évêque de manière formelle en continuant de célébrer la messe et les sacrements traditionnels – pas seulement la sainte messe, mais aussi les sacrements, que ce soit de manière clandestine ou d’une manière peut-être officielle mais non approuvée.
Mais ce ne sera que pour une courte période : ce sera une solution temporaire. Et ils doivent pour autant garder leur amour pour l’évêque qui les persécute. Ils doivent prier pour cet évêque, ils doivent garder leur amour pour le pape François et prier pour lui. Ce temps passera. Ce phénomène n’est que temporaire. Dieu nous donnera de nouveau un Pape fort qui défendra la messe traditionnelle et la foi traditionnelle, et ensuite des évêques. Cela adviendra sûrement, sans aucun doute. Nous devons simplement supporter cette situation temporelle, tout comme ces prêtres, en ayant foi en l’intervention divine.

J.-H. W : Vous avez dit à propos de l’Eglise qu’elle aura un nouveau Saint-Père qui embrassera la vérité dans la plénitude de la foi. Et je sais que cette supposition est la vôtre, venant de votre propre cœur et de votre propre discernement dans la prière. Mais quelle est votre pensée à ce sujet ? On dit beaucoup aujourd’hui que le Pape François semble avoir noyauté le collège des cardinaux, et l’élection ne va évidemment pas tarder. Le pape François est un homme âgé et sa santé n’est pas bonne. Nombreux sont ceux qui considèrent que le collège est à ce point rempli des siens qu’on peut s’attendre à voir arriver un nouveau pape de la même veine que la sienne. Que faire de tout cela ? La situation semble assez désespérée. Lorsque vous parlez de quelque chose de temporaire, le délai correspond-il dans votre esprit à plusieurs décennies ? Ou pensez-vous à un temps plus court ?

A.S. : Eh bien, il ne nous appartient pas de connaître le temps, ainsi que Jésus-Christ l’a dit aux Apôtres dans les Actes des Apôtres. Il ne nous appartient pas de connaître le temps. Dieu sait déjà quand il donnera de nouveau à son Église un pape catholique fort, cent pour cent traditionnel, et Il sait que tout pape doit être cent pour cent catholique, cent pour cent traditionnel. Ce fut le cas de saint Pierre, et ce fut le cas de tous les papes à travers l’histoire, à de très rares exceptions près. Il est inhérent à la nature de la fonction papale d’être vraiment un défenseur traditionnel à cent pour cent de la foi et du caractère sacré de la sainte liturgie. Et cela viendra, parce que c’est, je le répète, la nature de la fonction papale. Actuellement, au cours des dernières décennies, cette nature a été obscurcie par la crise actuelle de l’Église.

Nous ne connaissons donc pas exactement l’heure, mais il nous faut prier pour que le temps soit abrégé. Et l’intervention de Dieu dépend de nos prières. Nous devons faire une coalition, une alliance, peut-être une alliance mondiale de prières, une chaîne de prières, de chapelets pour implorer une intervention très rapide de Dieu pour accorder à l’Eglise un Pape catholique fidèle, fort et courageux.

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• Pour approfondir le sens de la messe avec Mgr Athanasius Schneider, rien de mieux que son dernier livre, La Messe catholique, que j’ai eu le grand honneur de traduire. Je gage qu’il vous fera encore davantage aimer la messe, et en particulier la messe traditionnelle. A découvrir absolument ! On peut se le procurer ici via ce blog.




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14 août, 2021

Les fidèles ont plein droit de se défendre contre des agressions liturgiques – même lorsqu’elles émanent du Pape

Je publie volontiers ci-dessous l’intégralité de la traduction d’une réflexion de José Antonio Ureta publiée en italien il y a quelques semaines sur le blog d’Aldo Maria Valli. Je remercie vivement l’auteur de m’avoir adressé pour publication sa propre traduction française de ce texte important, qui donne les raisons précises pour lesquelles il est permis aux catholiques de résister à l’application du Motu proprio
Traditionis Custodes.

José Antonio Ureta fait appel à des éléments anciens et nouveaux détaillant la doctrine de l’Eglise sur sa liturgie et sur l’impossibilité, même pour un pape, d’interdire la célébration des rites traditionnels, comme prétend le faire le pape François à travers la nouvelle obligation qu’il fait peser sur les prêtres de rite romain d’obtenir une autorisation préalable, de l’évêque ou même du Saint-Siège pour les nouveaux ordonnés, pour célébrer selon l’Usus antiquior. – J.S.

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Les fidèles ont plein droit de se défendre contre des
agressions liturgiques – même lorsqu’elles émanent du Pape

par José Antonio Ureta

D’un trait de plume, le pape François a pris des mesures concrètes pour abolir dans la pratique le rite romain de la Sainte Messe, qui était en vigueur essentiellement depuis saint Damase à la fin du IVe siècle – avec des ajouts par saint Grégoire le Grand à la fin du VIe siècle – jusqu’au missel de 1962, promulgué par Jean XXIII. L’intention de restreindre progressivement, jusqu’à son extinction, l’usage de ce rite immémorial est évidente dans la lettre qui accompagne le motu propio Traditionis Custodes, dans laquelle le pontife régnant exhorte les évêques du monde entier à « pourvoir au bien de ceux qui sont enracinés dans la forme de célébration précédente et ont besoin de temps pour revenir au Rite Romain promulgué par les saints Paul VI et Jean-Paul II », qui devient « la seule expression de la lex orandi du Rite Romain ». Sa conséquence pratique est que les prêtres de rite romain n’ont plus le droit de célébrer la messe traditionnelle, et ne peuvent le faire qu’avec la permission de l’évêque – et du Saint-Siège, pour ceux qui seront ordonnés dorénavant !

La question évidente qui se pose face à cette mesure drastique est la suivante : un Pape a-t-il le pouvoir de déroger à un rite en vigueur dans l’Église depuis 1400 ans et dont les éléments essentiels proviennent des temps apostoliques ? Car, si, d’une part, le Vicaire du Christ a la plena et suprema potestas dans les questions « qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier » (1), comme l’enseigne le Concile Vatican I, d’autre part il doit respecter les coutumes universelles de l’Église en matière liturgique.

Une réponse péremptoire est donnée au paragraphe 1125 du Catéchisme de l’Église catholique promulgué par Jean-Paul II : « Aucun rite sacramentel ne peut être modifié ou manipulé au gré du ministre ou de la communauté. Même l’autorité suprême dans l’Église ne peut changer la liturgie à son gré, mais seulement dans l’obéissance de la foi et dans le respect religieux du mystère de la liturgie. »

Commentant ce texte, le cardinal Joseph Ratzinger écrivait alors : « Il me semble très important que le Catéchisme, lorsqu’il mentionne les limites du pouvoir de l’autorité suprême de l’Église en ce qui concerne la réforme, rappelle ce qui est l’essence de la primauté de Pierre telle qu’elle est soulignée par les Conciles Vatican I et II : le Pape n’est pas un monarque absolu dont la volonté fait loi, mais plutôt le gardien de l’authentique Tradition et par là même, le premier garant de l’obéissance. Il ne peut pas faire ce qu’il veut, et c’est justement pour cela qu’il peut s’opposer à ceux qui entendent faire ce qu’ils veulent. La loi à laquelle il doit s’en tenir n’est pas d’agir ad libitum, mais l’obéissance à la foi. C’est pourquoi, par rapport à la liturgie, il exerce la tâche du jardinier, et non pas celle du technicien qui construit des machines neuves en jetant les vieilles. Le “rite”, c’est-à-dire la forme de célébration et de prière qui mûrit dans la foi et dans la vie de l’Église, est une forme condensée de la Tradition vivante dans laquelle la sphère du rite exprime l’ensemble de sa foi et de sa prière, permettant ainsi en même temps d’expérimenter la communion entre les générations, la communion avec ceux qui priaient avant nous et prieront après nous. Ainsi le rite apparaît comme un don fait à l’Église, une forme vivante de paradosis. » (2)

Dans son excellent ouvrage La Réforme liturgique en question, Mgr. Klaus Gamber – considéré par le cardinal Joseph Ratzinger comme l’un des plus grands liturgistes du XXe siècle – développe cette pensée. Il part du constat que les rites de l’Église catholique, au sens de formes obligatoires du culte, remontent définitivement à Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais ils se sont progressivement développés et différenciés à partir de la coutume générale, corroborée plus tard par l’autorité ecclésiastique.

De cette réalité, le liturgiste allemand tire les conclusions suivantes :

1. « Si le rite est né de la coutume générale – et cela ne fait aucun doute pour le connaisseur de l’histoire de la liturgie –, il ne peut être recréé dans sa totalité. » Cela ne s’est même pas produit au début de l’Église, car « les formes liturgiques des jeunes communautés chrétiennes ne se sont que progressivement séparées du rituel juif ».

2. « Comme le rite s’est toujours développé au cours des temps, il pourra continuer à le faire à l’avenir. Mais ce développement devra tenir compte de l’intemporalité de chaque rite et s’effectuer de façon organique (…) sans rupture avec la tradition et sans intervention dirigiste de la part des autorités ecclésiastiques. Celles-ci n’avaient d’autre souci, lors des conciles pléniers ou provinciaux, que d’écarter les irrégularités dans l’exercice du rite. »

3. « Il y a dans l’Église plusieurs rites indépendants. En Occident, outre le rite romain, il y a les rites gallican (disparu), ambrosien et mozarabe ; en Orient, entre autres, les rites byzantin, arménien, syriaque et copte. Chacun de ces rites a parcouru une évolution autonome, au cours de laquelle ses particularités se sont formées. Voilà pourquoi on ne peut simplement échanger entre eux des éléments de ces différents rites. »

4. « Chaque rite constitue une unité homogène. Aussi, la modification de quelques-unes de ses composantes essentielles signifie la destruction du rite tout entier. C’est ce qui s’est passé pour la première fois au temps de la Réforme, lorsque Martin Luther fit disparaître le canon de la messe et relia le récit de l’Institution directement à la distribution de la communion. »

5. « Le retour à des formes primitives ne signifie pas, dans des cas isolés, qu’on modifie le rite, et de ce fait, ce retour est possible dans certaines limites. C’est ainsi qu’il n’y a pas eu rupture avec le rite romain traditionnel, lorsque le pape saint Pie X a rétabli le chant grégorien dans sa forme primitive. »

Le fondateur de l’Institut théologique de Ratisbonne poursuit en commentant que, « alors que la révision de 1965 avait laissé intact le rite traditionnel », « on créait avec l’ordo de 1969 un nouveau rite », qu’il appelle le ritus modernus. Car « il ne suffit pas que quelques parties du missel antérieur aient été conservées dans le nouveau (…) pour parler d’une continuité du rite romain, même si l’on essaie sans cesse d’en apporter la preuve ».

Pour le démontrer d’un point de vue strictement liturgique – car les graves erreurs théologiques, telles l’abaissement du caractère sacrificiel et propitiatoire de la messe, mériteraient un article séparé – il suffit de citer ce que le Pr Roberto de Mattei a écrit sur cette véritable dévastation liturgique :

« Au cours de la Réforme on introduisit progressivement toute une série de nouveautés et de variantes, un certain nombre d’entre elles non prévues ni par le Concile ni par la constitution Missale Romanum de Paul VI. Le quid novum ne saurait être limité à la substitution des langues vulgaires au latin. Il consiste également dans la volonté de concevoir l’autel comme une “table”, pour souligner l’aspect du banquet à la place du sacrifice ; dans la celebratio versus populum, substituée au versus Deum, avec, pour conséquence, l’abandon de la célébration vers l’Orient, c’est-à-dire vers le Christ symbolisé par le soleil naissant ; dans l’absence de silence et de recueillement pendant la cérémonie et dans la théâtralité de la célébration accompagnée souvent de chants qui tendent à désacraliser une Messe dans laquelle le prêtre est souvent réduit à un rôle de “président de l’assemblée” ; dans l’hypertrophie de la liturgie de la parole par rapport à la liturgie eucharistique ; dans le “signe” de la paix qui remplace les génuflexions du prêtre et des fidèles, comme action symbolique du passage de la dimension verticale à celle horizontale de l’action liturgique ; dans la sainte communion reçue par les fidèles debout et dans la main ; dans l’accès des femmes à l’autel ; dans la concélébration, tendant à la “collectivisation” du rite. Il consiste surtout et enfin dans le changement et la substitution des prières de l’Offertoire et du Canon. L’élimination en particulier des mots Mysterium Fidei de la formule eucharistique, peut être considérée, comme l’observe le cardinal Stickler, comme le symbole de la démythification et donc de l’humanisation du noyau central de la Sainte Messe. »

La plus grande révolution liturgique a effectivement eu lieu à l’Offertoire et au Canon. L’offertoire traditionnel, qui préparait et préfigurait l’immolation sans effusion de sang de la Consécration, fut remplacé par le Beràkhôth du Kiddouch, c’est-à-dire par les bénédictions du repas pascal des Juifs. Le Père Pierre Jounel, du Centre Pastoral Liturgique et de l’Institut Supérieur de Liturgie de Paris, l’un des spécialistes du Consilium qui a préparé la réforme liturgique, a décrit dans le journal La Croix l’élément fondamental de la réforme de la Liturgie de l’Eucharistie : « La création de trois nouvelles prières eucharistiques, alors que jusque-là il n’en existait qu’une, la Prière eucharistique I, fixée dans le canon romain dès le IVe siècle. La deuxième a été reprise de la prière d’Hippolyte (IIIe siècle) telle qu’elle fut découverte dans une version éthiopienne à la fin du XIXe siècle. La troisième s’est inspirée du schéma des liturgies orientales. La quatrième a été élaborée en une nuit par une petite équipe autour du P. Gelineau. » (3)

Le P. Joseph Gelineau, S.J. susmentionné ne s’est pas trompé lorsqu’il a salué avec enthousiasme la réforme en déclarant : « Non seulement les paroles, les mélodies et certains gestes sont différents mais à dire la vérité, il s’agit d’une liturgie différente de la Messe. Ceci doit être dit sans ambiguïté : le rite romain tel que nous l’avons connu n’existe plus : il est détruit. » (4)

Comment, alors, le pape François entend-il affirmer, dans sa récente lettre aux évêques, que « quiconque désire célébrer avec dévotion selon la forme liturgique antécédente n’aura aucune difficulté à trouver dans le Missel Romain réformé selon l’esprit du Concile Vatican II, tous les éléments du Rite Romain, en particulier le canon romain, qui constitue un des éléments les plus caractéristiques » ? Cela semble une ironie aussi amère que le titre du motu propio Traditionis Custodes...

Si le Novus Ordo Missae n’est pas une simple réforme et implique une telle rupture avec le rite traditionnel, la célébration de ce dernier ne peut être interdite, comme Mgr Klaus Gamber le souligne : « Pas un seul document, pas même le Codex iuris canonici, n’a déclaré expressément que le pape, en tant que pasteur suprême de l’Église, avait le droit d’abolir le rite traditionnel. Il n’est même nulle part question d’un droit à modifier des coutumes liturgiques particulières. Ce silence est, dans le cas présent, lourd de signification. »

De plus, s’il le faisait, il risquerait de se séparer de l’Église. Mgr Gamber écrit, en effet, que « le célèbre théologien Suarez († 1617), se réclamant d’auteurs plus anciens comme Cajetan († 1534), pense que le pape serait schismatique “s’il ne voulait pas – comme il est de son devoir – maintenir l’unité et le lien avec le corps tout entier de l’Église, par exemple s’il essayait d’excommunier l’Église tout entière ou s’il voulait modifier tous les rites confirmés par la tradition apostolique” ».

C’est probablement pour éviter ce risque de schisme que huit des neuf cardinaux de la Commission nommée par Jean-Paul II en 1986 pour étudier l’application de l’Indult de 1984 ont déclaré que Paul VI n’avait pas réellement interdit l’ancienne messe. Par ailleurs, à la question : « Un évêque, quel qu’il soit, peut-il interdire à un prêtre, en règle avec les autorités, de célébrer, à nouveau, la messe tridentine ? », le Cardinal Stickler a répondu que « à l’unanimité, les neuf cardinaux ont admis qu’aucun évêque ne pouvait interdire à un prêtre catholique de dire la messe tridentine. Il n’y a pas d’interdiction officielle et je pense que jamais le pape ne décrèterait un interdiction officielle ». (5)

Dans le motu propio Traditionis Custodes, le pape François a néanmoins autorisé les évêques à interdire cette célébration. À tel point que la Conférence épiscopale du Costa Rica s’est empressée de décréter collectivement que « l’usage du Missale Romanum de 1962 ou de l’une quelconque des expressions de la liturgie antérieures à 1970 n’est pas autorisé », de sorte qu’« aucun prêtre n’est autorisé à continuer de célébrer selon l’ancienne liturgie ». (6)

Pour tout ce qui précède, nous souscrivons pleinement aux conclusions tirées par l’Abbé Francisco José Delgado : « Je pense que la chose intelligente à faire maintenant est de défendre d’une façon calme et pacifique la vérité sur les lois iniques. Le Pape ne peut pas changer la Tradition par décret ou dire que la liturgie post-Vatican II est la seule expression de la lex orandi dans le Rite Romain. Comme cela est faux, la législation qui découle de ce principe est invalide et, selon la morale catholique, elle ne doit pas être observée, ce qui n’implique pas la désobéissance. » (7)

Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste en ecclésiologie pour comprendre que l’autorité et l’infaillibilité papales ont des limites et que le devoir d’obéissance n’est pas absolu. De nombreux théologiens de la meilleure espèce reconnaissent explicitement la légitimité de la résistance publique aux mauvaises décisions ou enseignements des pasteurs, y compris du Souverain Pontife. Ils ont été largement cités dans l’étude d’Arnaldo Xavier da Silveira intitulée « La résistance publique aux décisions de l’autorité ecclésiastique », publiée par la revue Catolicismo en août 1969.

Dans le cas présent, il est permis non seulement de « ne pas observer » le motu proprio du Pape François, mais même de résister à son application, selon le modèle enseigné par saint Paul (Ga 2, 11). Il ne s’agit pas de remettre en cause l’autorité pontificale, pour laquelle notre amour et notre vénération doivent toujours grandir. C’est l’amour pour la papauté elle-même qui doit nous conduire à dénoncer Traditionis Custodes, pour avoir tenté d’éliminer dictatorialement le rite le plus ancien et le plus vénérable du culte catholique, dans lequel tous les fidèles ont le droit de s’abreuver.

L’illustre théologien Francisco de Vitoria (1483-1546) observe : « Selon la loi naturelle, il est licite de repousser la violence par la violence. Or, par des ordres et des dispenses de ce genre, le pape fait violence parce qu’il agit contre la loi, comme nous l’avons prouvé. Il est donc légitime de s’opposer à lui. Ainsi que le fait remarquer Cajetan, nous affirmons tout cela non pas parce que quelqu’un a le droit de juger le pape, ou possède une autorité sur lui – prima Sedes a nemine judicatur –, mais plutôt parce qu’il est légitime de se défendre. De fait, n’importe qui a le droit de résister à un acte injuste, d’essayer de l’empêcher, et de se défendre. » (8)

Pour formuler leur désaccord, les catholiques fidèles peuvent s’inspirer du modèle, tout à la fois ferme et empreint de respect pour le souverain Pontife, utilisé en avril 1974 par le regretté professeur Plinio Corrêa de Oliveira pour sa déclaration de résistance à l’Ostpolitik du pape Paul VI. Les paragraphes clés de cette déclaration, intitulée « La politique de détente du Vatican avec les gouvernements communistes : pour les TFP, s’abstenir ou résister ? » disaient :
« Le lien d’obéissance au successeur de Pierre, que nous ne romprons jamais, que nous aimons dans les profondeurs de notre âme, et auquel nous rendons notre plus haut hommage d’amour, ce lien nous l’embrassons au moment même où, submergés par le chagrin, nous affirmons notre position. Et à genoux, contemplant avec vénération la figure de Sa Sainteté Paul VI, nous lui exprimons toute notre fidélité.

« Dans cet acte filial, nous disons au Pasteur des pasteurs : Notre âme est vôtre, notre vie est vôtre. Commandez-nous de faire ce que vous voulez. Mais ne nous commandez pas de ne rien faire face au loup rouge qui fonce. À cela, notre conscience s’oppose. » (9)


NOTES

1. Const. Pastor Aeternus, ch. 3
3. Paradosis est un terme grec utilisé 13 fois dans la Bible, qui peut être traduit par tradition, instruction, transmission.
5. Demain la liturgie — Essai sur l’évolution des assemblées chrétiennes, Cerf, 1979, in Christophe Geoffroy et Philippe Maxence,  Enquête sur la messe traditionnelle, La Nef hors-série n° 6, p. 51-52.
Ces déclarations du Cardinal Stickler ont paru pour la première fois dans la revue américaine The Latin Mass et ont été reproduites par La Nef, dans le numéro 53 de septembre 1995.
6. https://www.facebook.com/169949476400642/posts/4383320898396791/
8. Obras, p. 486-487


© José Antonio Ureta pour la traduction

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