21 février, 2020

Mgr Schneider : Querida Amazonia, “Une lueur d'espoir au milieu de la confusion actuelle” (traduction intégrale)

Chers lecteurs, je vous propose ci-dessous ma traduction intégrale du texte – véritable lettre pastorale – publié le 18 février par Mgr Athanasius Schneider sur LifeSiteNews à propos de l'Exhortation apostolique post-synodale “Querida Amazonía”.  Je la publie avec son approbation. Mgr Schneider relève les points positifs qui s'y trouvent indéniablement du point de vue de la doctrine, tout en mettant en garde contre ses faiblesses – un penchant pour le panthéisme, une préoccupation indue pour les choses terrestres alors que l'Eglise est chargée du salut des âmes. C'est un long texte mais il mérite d'être lu attentivement jusqu'au bout, tant il éclaire sur ce qu'il y a de bon, mais aussi de confus, de mauvais ou d'inquiétant dans le texte du pape François. – J.S.


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Querida Amazonía : une lueur d’espoir au milieu de la confusion actuelle
par Mgr Athanasius Schneider


La majorité des observateurs s’accordent à dire que la publication de l’Exhortation apostolique Querida Amazonía a provoqué un tremblement de terre spirituel. Dans son Exhortation apostolique, le Pape François n’a pas ouvert la porte à l’ordination des hommes mariés qualifiés de viri probati. Le pape a également rejeté la proposition d’ordonner sacramentellement les femmes au diaconat permanent, pourtant approuvée par un vote majoritaire au Synode pan-amazonien. Tant les médias anti-chrétiens traditionnels qu’un puissant réseau de cardinaux, d’évêques, de théologiens et de bureaucrates laïcs bien payés, dont l’esprit a été conformé à l’esprit incrédule et relativiste du monde, sont restés initialement sans voix, choqués – et ils ont réagi avec une frustration ouverte ou étouffée.

Le 13 février 2020, dans l’émission d’information quotidienne Tagesthemen, la chaîne publique allemande ARD a laissé son commentateur officiel critiquer le pape François en ces termes : « Le pape François nous a surpris par sa décision d’interpréter le célibat de manière stricte. Le monde était apparemment prêt, et de son côté. Ce n’est plus un secret que l’Argentin est personnellement favorable à un assouplissement de la loi catholique de continence pour le clergé. Pour de nombreux croyants, il aurait été logique d’assouplir avec précaution la loi du célibat dans un premier temps, comme l’a suggéré le Synode de l’Amazonie. Pire encore que son “non” à l’assouplissement de la règle du célibat est la décision du chef de l’Église à propos du rôle des femmes. Les femmes continuent d’être largement privées de la possibilité de poursuivre une carrière au sein de l’Église. »

Le président du Comité central des catholiques allemands (Zentralkommittee der Deutschen Katholiken) a déclaré : « Malheureusement, le pape François n’a pas eu le courage de mettre en œuvre de véritables réformes quant à l’ordination des hommes mariés et des ministères liturgiques des femmes, questions dont on débat depuis 50 ans. » Une réaction étonnamment véhémente contre le pape François s’est également manifestée de la part du père Paulo Suess, un théologien allemand qui vit au Brésil et qui fut un participant important au Synode de l’Amazonie. Il a déclaré que, dans certaines parties de l’Exhortation, la vision du pape François sur l’Église en Amazonie constitue un cauchemar.

Il ressort clairement de ces réactions que tous ces groupes et individus étaient sûrs de la victoire et attendaient avec confiance la réalisation de leur objectif tant désiré, à savoir l’abolition du célibat sacerdotal et l’approbation de l’ordination féminine. Dans un éditorial du 13 février intitulé "Habemus Coelibatum !!!", le blog allemand Im Beiboot Petri a fait ce commentaire remarquable : « Quelle journée. Les journalistes du monde occidental ont assiégé le Vatican dès les premières heures du matin afin d’être les premiers à rapporter la nouvelle sensationnelle que tous attendaient : “Enfin, le dernier bastion est tombé. C’était le résultat logique, car la ‘majorité’ d’octobre en avait ainsi décidé. Désormais, plus rien ne peut aller de travers, car si la majorité décide, ni Dieu ni le pape ne peuvent la contester. La presse militante de gauche, également connue sous le pseudonyme de MainStreamMedia, avait déjà bouclé ses articles dans ses ordinateurs, de sorte qu’une fois l’annonce officielle faite, elle pouvait se contenter d’appuyer sur le bouton d’envoi pour être la première à diffuser ces nouvelles sensationnelles dans le monde. Mais les choses se sont passées autrement. »

La norme apostolique du célibat sacerdotal et la vérité divinement révélée à propos de l’ordination sacramentelle, réservée au sexe masculin, constituaient le dernier bastion du catholicisme romain, et les réseaux sécularisés et protestants de l’Église n’ont pas encore réussi à le faire tomber. Ils ont réussi à endommager sérieusement le bastion de la loi pérenne de la prière, la lex orandi, par une mise en œuvre universelle d’éléments protestants dans la forme et le contenu des célébrations liturgiques. Ils ont réussi, en pratique, à introduire le divorce à travers l’approbation papale de normes locales permettant à des catholiques vivant en union adultère d’accéder à la Sainte Communion. Ils ont réussi à légitimer l’activité homosexuelle au sein de l’Église dans la mesure où des cardinaux et les évêques sont restés impunis alors qu’ils avaient ouvertement  soutenant les événements de la « Gay Pride » et les activistes des groupes dits « LGBT ». Ils ont réussi à détourner la hiérarchie de l’Église catholique, et concrètement le pape, de la primauté du surnaturel et de l’éternel dans la mission de l’Église, afin de donner une importance égale à la mission de prendre soin des réalités matérielles et temporelles, tels le climat, l’environnement ou le biome amazonien, assimilant ainsi le naturel au surnaturel, le royaume des cieux au royaume de la terre, le profane au sacré, sacralisant ainsi le naturel et désacralisant le surnaturel. Ils ont réussi à relativiser la vérité de la foi catholique en tant que seule vraie religion voulue par Dieu, grâce à une théorie et à une pratique relativistes de l’œcuménisme et du dialogue inter-religieux. Ils ont réussi à abolir le premier commandement du Décalogue par l’acte historiquement sans précédent d’une vénération cultuelle au Vatican (au cœur de la chrétienté catholique) d’une statue de la Pachamama, un symbole de premier plan de la religion païenne indigène des peuples autochtones d’Amérique du Sud.

À la lumière de ces attaques ciblées et bien orchestrées contre le Dépôt de la Foi et tout ce qui est authentiquement catholique, le refus du pape François d’affaiblir ou de modifier la loi du célibat sacerdotal et d’approuver une ordination diaconale féminine sacramentelle revêt une importance historique et mérite la reconnaissance et la gratitude de tous les vrais fils et filles de l’Église. La position du pape a frustré de nombreux participants influents au synode pan-amazonien. Leur agacement révèle le fait qu’ils ne s’intéressaient pas sérieusement à la réalité du peuple amazonien et à son évangélisation authentique, mais qu’ils ont utilisé le peuple amazonien comme un moyen d’atteindre impitoyablement leurs objectifs politiques ecclésiastiques. Ce faisant, ils ont créé un spectacle de cléricalisme cynique. Le théologien viennois Jan-Heiner Tück a qualifié la position du pape François de « refus provocateur ». Laissant libre cours à sa frustration, Tück a vendu la mèche en affirmant : « Pourquoi l’effort considérable d’un synode de quatre semaines à Rome, si à la fin tout reste pareil ? »

Après la publication de Querida Amazonía, le pape François a partagé avec un groupe d’évêques américains sa frustration par rapport à la réaction face à son Exhortation apostolique. Mgr William A. Wack de Pensacola-Tallahassee a rapporté ces paroles du pape François : « Il a déclaré que certaines personnes disent qu’il n’est pas courageux parce qu’il n’a pas écouté l’Esprit. Donc, ils ne sont pas fâchés contre l’Esprit. Ils sont en colère contre moi ici », a-t-il déclaré. « Pour certaines personnes, la question était avant tout le célibat et non d’Amazonie », a-t-il ajouté : « On pouvait voir sa consternation » [celle du pape François].

Dans leur frustration, le clergé et les laïcs qui doivent leur poste grâce à l’influence d’une « nomenklatura » ecclésiastique d’esprit mondain s’emploient désormais désespérément à limiter des dégâts. Tout à leurs fantasmes, ils répètent, comme un mantra, des phrases telles que « Le dernier mot n’a pas encore été prononcé », « Cette discussion va se poursuivre » et « ce n’est en aucun cas un sujet tabou ». Semant encore plus de confusion, le cardinal Christoph Schönborn a déclaré : « Ces décisions du synode amazonien peuvent encore mûrir ; les portes ouvertes n’ont pas été refermées. »

D’autres se consolent à l’idée que le Document final du synode panamazonien fait partie du magistère papal ordinaire.  Pourtant, les représentants du Saint-Siège ont rejeté ce point de vue. Lors de la conférence de presse où Querida Amazonía a été présentée, le cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du Synode des évêques, a précisé que le pape François parle dans l’Exhortation apostolique de « présentation » et non d’« approbation » du Document final du synode. Le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni, a déclaré : « L’Exhortation apostolique [Querida Amazonía] fait partie du magistère. Le Document final n’est pas du magistère. »

Avec la publication de Querida Amazonía, nous avons assisté à un événement quelque peu similaire, dans les circonstances et les réactions, à ce qui s’est produit lors de la publication de l’encyclique Humanae vitae de Paul VI en 1968. La position du pape François concernant la loi du célibat sacerdotal et par rapport à l’ordination féminine est un soulagement pour tous les vrais catholiques, le clergé et les fidèles laïcs. Le rocher de Pierre, qui au cours du pontificat actuel a été presque continuellement enveloppé de brume, est devenu au moins pour un temps un rocher dans le ressac, résistant à la pression des vagues déferlantes ; il a été illuminé par un rayon de la promesse divine du Christ.

En remerciant sincèrement le pape François d’avoir résisté à la pression d’assouplir la loi du célibat sacerdotal et d’approuver une ordination sacramentelle féminine, il faut aussi, en toute justice, souligner le fait que le texte de la Querida Amazonía dans son ensemble représente une amélioration par rapport au document final du synode amazonien. Pour ne citer que quelques exemples : Querida Amazonía parle de « conversion intérieure » (n. 56), alors que le Document final comporte des chapitres entiers regroupés sous le titre de « conversion intégrale » et de « conversion écologique » qui évoquent même la « conversion écologique de l’Église et de la planète » (n. 61). Le thème de la « maison commune » est largement discuté dans le Document final, alors qu’il n’est mentionné qu’une seule fois en Querida Amazonía, dans une citation. Les mots « changement climatique » et « climatique » sont absents dans Querida Amazonía, alors que le Document final les utilise par deux fois et parle même de « l’émission de dioxyde de carbone (CO2) » (n. 77). Le mot « écologie » est utilisé 27 fois dans le Document final et presque toujours dans l’expression « écologie intégrale », alors que l’expression « écologie humaine » est absente dans le Document final. Querida Amazonía, au contraire, n’utilise qu’une seule fois l’expression « écologie intégrale » et parle trois fois d’« écologie humaine » (n. 41) dans le sens proposé par le Pape Benoît XVI.

Le Document final ne parle pas des limites de la culture et du mode de vie des peuples d’origine, alors que Querida Amazonía mentionne deux fois ces limites, dans un sens moral (voir n. 22 et n. 36). Querida Amazonía met en garde contre un « indigénisme » fermé, alors que le Document final est muet sur ce sujet. Il est intéressant de citer l’affirmation suivante de Querida Amazonía : « Mon intention n’est donc pas de proposer un indigénisme complètement fermé, anhistorique, figé, qui se refuserait à toute forme de métissage. Une culture peut devenir stérile lorsqu’“elle se ferme sur elle-même et cherche à perpétuer des manières de vivre vieillies, en refusant tout échange et toute confrontation au sujet de la vérité de l'homme ” » (n. 37). Le Document final ne parle que de « transformation sociale », alors que Querida Amazonía parle davantage de transformation spirituelle et en particulier de la nécessité pour la culture d’être transformée par l’action du Saint-Esprit : « L’Esprit Saint enrichit sa culture par la puissance transformatrice de l’Évangile »(n. 68). Le Document final évite de parler d’une nécessaire attitude critique envers les diverses cultures, alors que Querida Amazonía fait cette déclaration avec justesse : « Les défis des cultures invitent l’Église à “un sens critique aigu mais aussi [à la] confiance” » (n. 67). Dans le Document final, les mots « immanence » et « vide moral » manquent, alors que Querida Amazonía lance cet avertissement réaliste : « Ce qui nous unit c’est ce qui nous permet de vivre dans le monde sans que l’immanence terrestre, le vide spirituel, l’égocentrisme confortable, l’individualisme de consommation et d’autodestruction nous dévorent. » (n. 108).

Les mots « droit » et « droits » sont utilisés dans le Document final dans un sens essentiellement humaniste. Le document parle avec insistance et dans un but évidemment idéologique du « droit fondamental » à la célébration de l’Eucharistie et à l’accès à celle-ci (n. 109). Querida Amazonía ne parle pas du « droit à l’Eucharistie », mais du droit des peuples autochtones à entendre l’Evangile (cf. n. 64), thème sur lequel le Document final reste muet. Le Document final évite de parler du danger qu’une communauté ecclésiastique devienne une ONG. Querida Amazonía, en revanche, fait l’audacieuse déclaration suivante : « Sans cette annonce passionnée, toute structure ecclésiale se transformera en une ONG de plus, et ainsi, nous ne répondrons pas à la demande de Jésus-Christ : “Allez dans le monde entier, et proclamez l’Évangile à toute la création”, (Mc 16, 15) » (n. 64).

Le mot « adoration » est absent du Document final alors qu’il est mentionné dans Querida Amazonía. Au lieu de parler de « théologie inculturée » (Document final), Querida Amazonía parle de « spiritualité inculturée ». Le Document final n’utilise que deux fois le mot « grâce », et ce de manière anthropocentrique, alors que Querida Amazonía nomme dix fois la grâce dans un sens plus théologique, comme on peut le voir par exemple dans les formulations suivantes : « Le Christ est la source de toute grâce » (n. 87) ; dans les sacrements la nature est élevée pour qu’elle soit le lieu et l’instrument de la grâce » (n. 81) ; la présence de Dieu par la grâce (note n. 105). L’indispensable citation biblique de 1 Co 9,16, sur la tâche missionnaire de l’Église, est absente du Document final, alors que Querida Amazonía parle en termes clairs de cette tâche avec la citation complète de 1 Co 9,16 : « Mais nous ne renonçons pas, en tant que chrétiens, à la proposition de la foi que nous recevons de l’Évangile. Même si nous voulons lutter avec tous, coude à coude, nous n’avons pas honte de Jésus-Christ. Pour ceux qui l’ont rencontré, vivent dans son amitié et s’identifient à son message, il est impossible de ne pas parler de lui et de proposer aux autres sa proposition de vie nouvelle : “Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile !” (1Co 9, 16). » Le Document final ne parle pas du sens authentique de la Tradition de l’Eglise, alors que Querida Amazonía parle de la Tradition comme de la racine d’un arbre en croissance constante. Citant la célèbre formule de saint Vincent de Lérins, l’Exhortation rappelle que « la doctrine chrétienne est consolidée par les années, élargie par le temps, affinée par l’âge » (Commonitorium, 23, cité dans la note 86).

Pourtant, tout en relevant les améliorations apportées à l’Exhortation Querida Amazonía, on ne peut passer sous silence les regrettables ambiguïtés et erreurs doctrinales qu’elle contient, ainsi que ses dangereuses tendances idéologiques. Par exemple, l’approbation implicite d’une spiritualité panthéiste et païenne par Querida Amazonía est très problématique, lorsqu’elle parle de la terre matérielle comme d’un « mystère sacré » (n. 5) ; de l’entrée en communion avec la nature : « nous entrons en communion avec la forêt » (n. 56) ; du biome amazonien comme « lieu théologique » (n. 57). L’affirmation selon laquelle le fleuve Amazone est « l’éternité cachée » (n. 44) et que « seule la poésie, avec sa voix humble, pourra sauver ce monde » (n. 46) se rapproche du panthéisme et du paganisme. Un chrétien ne peut souscrire à de telles idées et expressions.

Les juifs et les chrétiens n’ont jamais été autorisés à « recueillir d’une certaine manière » les symboles religieux autochtones païens. Dieu a interdit à son peuple élu de reprendre le symbole indigène du veau d’or et de Baal. Lorsqu’ils mirent le feu au port de Jamnia (voir 2 Mac 12:7-8), les soldats de Judas Macchabée considérèrent qu’il était possible de « recueillir » des symboles indigènes « d’une certaine manière » sans nécessairement considérer cela comme de l’idolâtrie, puisqu’il ne s’agissait que d’offrandes votives dans les temples (cf. 2 Mac 12:40). Cependant, Dieu condamne cette « recueil de symboles autochtones d’une certaine manière » et, comme chacun a pu le constater, c’est pour cette raison que ces soldats ont été tués. Toute la communauté a fait des actes d’expiation pour ce péché : « Se mettant en prières, ils demandèrent que la faute qui avait été commise fût livrée à l’oubli. (…) Et, après avoir fait une collecte, (Judas) envoya douze mille drachmes d’argent à Jérusalem, afin qu’un sacrifice fût offert pour les péchés des morts » (2 Mac 12, 42-43).

Les apôtres n’ont jamais permis que l’on reprenne « d’une certaine manière » les symboles indigènes de la société gréco-romaine, comme la statue d’Artémis ou de Diane à Éphèse (voir Actes 19, 23 et suivants). Saint Paul « persuade et détourne un grand nombre de personnes, en disant : Ce ne sont pas des dieux, ceux qui sont faits par la main des hommes » (Actes 19:26). Les habitants d’Éphèse protestèrent contre la position intransigeante de saint Paul quant à l’adoption de symboles indigènes en déclarant : « (il y a danger) que le temple de la grande Diane ne soit tenu pour rien, et la majesté de celle que toute l'Asie et tout l'univers honorent commencera à s'anéantir » (Actes 19:27). Avec saint Paul, nous devrions nous écrier : « Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles et les symboles religieux indigènes ? » (cf. 2 Cor 6:16). Saint Vladimir n’a pas repris les symboles indigènes utilisés dans sa religion païenne, pas plus que saint Boniface en Allemagne. Ils suivaient ainsi le commandement de Dieu rapporté dans les Saintes Écritures et dans l’enseignement des Apôtres. Il est certain qu’aucun des Apôtres ou des saints missionnaires n’aurait pu tranquillement rester sans rien faire ni accepter volontiers l’affirmation de Querida Amazonía : « Il est possible de recueillir d’une certaine manière un symbole autochtone sans le qualifier nécessairement d’idolâtrie » (n. 79).

La désignation par Querida Amazonía de la Sainte Vierge Marie comme « mère de toutes les créatures » (n. 111) est également très problématique sur le plan théologique. La Sainte et Immaculée Mère de Dieu n’est pas la mère de toutes les créatures, mais seulement de Jésus-Christ, Rédempteur de l’humanité, et elle est donc aussi la mère spirituelle de tous les hommes rachetés par son divin Fils. On trouve l’idée et l’expression « mère de la création ou des créatures » dans les religions païennes, par exemple dans le culte de la Pachamama et dans le mouvement New Age, comme on peut le voir dans la description suivante : « La Terre-Mère, dans les religions anciennes et modernes non alphabétisées, est une source éternellement féconde de tout. Elle est tout simplement la mère, rien n’est séparée d’elle. Tout provient d’elle, tout retourne à elle, tout est elle. La forme la plus archaïque de la “Terre-Mère” est une Terre-Mère qui produit tout, inépuisablement, à partir d’elle-même » (Encyclopaedia Britannica). Les hymnes védiques parlent d’« Aditi », la déesse primitive du panthéon hindou, comme de la « mère de toutes les créatures ». Saint Anselme fournit la conception juste et la bonne terminologie, en disant « Dieu est le Père du monde créé et Marie la mère du monde recréé. Dieu est le Père par qui la vie a été donnée à toutes choses, et Marie est la mère de Celui, par qui une nouvelle vie a été donnée à toutes choses. Car Dieu a engendré le Fils, par lequel toutes choses ont été faites, et Marie lui a donné naissance en tant que Sauveur du monde. Sans le Fils de Dieu, rien ne peut exister ; sans le Fils de Marie, rien ne peut être racheté » (Oratio 52). Marie est la « Reine du ciel, la Regina cœli » et la « Reine de la création », mais elle n’est pas la « mère de toutes les créatures ».

Une des principales tendances erronées de Querida Amazonía est sa promotion du naturalisme, et de légers échos du panthéisme et d’un pélagianisme caché. Ces tendances peuvent être détectées dans l’importance et la valeur excessives qu’elle accorde à la prise en compte des réalités naturelles, terrestres et temporelles. Un tel réductionnisme confine l’existence des créatures et de l’humanité principalement dans le domaine de l’ordre naturel. Cette tendance naturaliste et néopélagienne est, en fait, la maladie spirituelle qui a le plus caractérisé et abîmé la vie de l’Église depuis le Concile Vatican II. Querida Amazonía fournit une preuve de cette tendance, bien que sous une forme quelque peu atténuée par rapport au Document final du Synode amazonien.

La tendance excessive à exalter et à promouvoir les réalités temporelles et naturelles affaiblit considérablement le mandat de l’Église, qui lui a été donné par son divin Rédempteur dans ces enseignements clairs de la Sainte Écriture : « Et en y allant, prêchez, et dites : Le royaume des Cieux est proche » (Mt 10,7) ; « qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations » (Lc 24,47) ; « Cherchez donc d’abord le royaume de Dieu et Sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » (Mt 6,33) ; « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. Vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde » (Jean 8:23) ; « Il n'est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu, pour faire le service des tables. (…) Pour nous, nous nous appliquerons entièrement à la prière et au ministère de la parole » (Actes 6:2.4) ; « Si c'est pour cette vie seulement que nous espérons dans le Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes » (1 Cor. 15:19) ; et «  la figure de ce monde passe » (1 Cor. 7:31). La signification et la prédication premières et authentiques de l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ sont en train d’être déformées et déplacées vers un but interne au monde. La mission première de Jésus-Christ, le Rédempteur de l’humanité, n’était pas de prendre soin du bien-être matériel de la planète ou du biome amazonien, mais de sauver les âmes immortelles pour la vie éternelle dans le ciel : « Car Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3:16). Jésus-Christ n’a pas dit : « Dieu a donné son Fils unique, afin que cette planète et ses nombreuses parties comme le biome amazonien ne périssent pas mais aient une vie naturelle abondante. »Jésus n’a pas dit non plus : « Va et proclame que le royaume de la Terre Mère est proche. »

La création matérielle souffre précisément de l’absence de la vie surnaturelle de la grâce du Christ dans l’âme des hommes. La Parole de Dieu nous enseigne cela : « Aussi la créature attend-elle d’une vive attente la manifestation des enfants de Dieu. Car la créature a été assujettie à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui l’(y) a assujettie avec espérance ; en effet, la créature aussi sera elle-même délivrée de cet asservissement à la corruption, pour participer à la glorieuse liberté des enfants de Dieu.  Car nous savons que toute créature gémit et est dans le travail de l’enfantement jusqu’à cette heure. Et non seulement elles, mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’adoption des enfants de Dieu, la rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or l’espérance que l’on voit n’est plus de l’espérance ; car ce qu’on voit, peut-on l’espérer ? » (Rom. 8:19-24). Plus l’Église affaiblit aujourd’hui sa mission et son activité primaires et surnaturelles, plus elle porte atteinte, aux yeux de Dieu et de l’éternité, à la rédemption et à la sanctification de la création naturelle.

L’évolution actuelle de la vie de l’Église (et malheureusement aussi du Saint-Siège et du Pape) vers la promotion du naturel et du temporel, au détriment du surnaturel et de l’éternel, peut être résumée à juste titre par les paroles d’un des plus grands papes, Saint Grégoire le Grand, qui a dit que la poussière des préoccupations terrestres aveugle les yeux de l’Église (terrena studia Ecclesiae oculos pulvis caecat) : « Alors que les occupations terrestres occupent l’esprit du pasteur, la poussière aveugle les yeux de l’Église » (Regula pastoralis II, 7). Par son attention et son occupation excessives aux réalités terrestres – jusqu’à s’immiscer dans des questions scientifiques, techniques et économiques qui ne sont pas de sa compétence, comme les questions concernant le climat ou la flore et la faune d’un biome concret – l’Église de nos jours outrepasse les limites de son propre pouvoir et commet ainsi la faute d’un nouveau type de cléricalisme. Cet enseignement de Léon XIII est utile à cet égard : « Dieu a donc divisé le gouvernement du genre humain entre deux puissances : la puissance ecclésiastique et la puissance civile ; celle-là préposée aux choses divines, celle-ci aux choses humaines. Chacune d’elles en son genre est souveraine ; chacune est renfermée dans des limites parfaitement déterminées et tracées en conformité de sa nature et de son but spécial. Il y a donc comme une sphère circonscrite, dans laquelle chacune exerce son action jure proprio » (Encyclique Immortale Dei, 13).

Le penchant actuel de l’Église vers un pélagianisme et un naturalisme masqués est cause de dommages considérables pour le bien et le salut des âmes. Une fois encore, les paroles de Saint Grégoire le Grand sont d’une grande actualité : « Les sujets sont incapables d’appréhender la lumière de la vérité, car, tandis que les poursuites terrestres occupent l’esprit du pasteur, la poussière, poussée par le vent de la tentation, aveugle les yeux de l’Eglise. (…) La poussière ne peut nullement gêner et obscurcir l’œil orienté vers le haut afin de regarder vers l’avant. (…) L’ornement de l’Église, c’est-à-dire les bergers, auraient dû être libres de pénétrer les mystères intérieurs pour ainsi dire dans les lieux secrets du tabernacle, mais ils cherchent les voies larges des causes séculières à l’extérieur » (Regula pastoralis II, 7).

Saint Irénée disait que la gloire de Dieu est l’homme vivant. Cependant, la vraie vie de l’homme n’est pas naturelle mais surnaturelle et consiste en la vision de Dieu. L’homme le plus vrai est Jésus-Christ, le Fils de Dieu incarné : « Gloria enim Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei » (Adversus haereses IV, 20). L’affirmation suivante de Querida Amazonía, au contraire, souligne de manière excessive la valeur des créatures matérielles : « À cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en n’avons pas le droit » (n. 54).  Cette affirmation semble ignorer la dure réalité de la mort spirituelle de tant d’âmes humaines, créées à l’image et à la ressemblance de Dieu (voir Gn. 1, 27), qui par leur vie dans le péché et l’ignorance ne rendent pas gloire à Dieu mais au contraire l’offensent. Tant d’êtres humains offensent Dieu et ne Lui rendent pas gloire à cause du péché d’omission commis par l’Église de notre temps, qui assouplit la proclamation de la Révélation divine en tolérant les ambiguïtés doctrinales et les hérésies. En conséquence, beaucoup ne connaissent pas l’unicité de Jésus-Christ et de son œuvre rédemptrice ; ils ne connaissent pas non plus la sainte volonté de Dieu et ne Lui rendent donc plus gloire. La situation dans laquelle l’Église de nos jours a laissé l’humanité et le monde peut se résumer à juste titre dans les paroles de saint Paul : « Ils courent au hasard et combattent comme on frappe l’air » (1 Cor. 9:26).

Entrecoupée de ses nombreuses expressions théologiques problématiques, douteuses et ambiguës, Querida Amazonía contient également de précieuses affirmations, telles celles-ci, à propos des prêtres : « C’est son grand pouvoir qui peut être reçu seulement dans le sacrement de l’Ordre. C’est pourquoi lui seul peut dire : “Ceci est mon corps.” Il y a d’autres paroles que lui seul peut prononcer : “Je te pardonne tes péchés”, parce que le pardon sacramentel est au service d’une célébration eucharistique digne. Le cœur de son identité exclusive se trouve dans ces deux sacrements » (n. 88) ; « le Seigneur a voulu manifester son pouvoir et son amour à travers deux visages humains : celui de son divin Fils fait homme et celui d’une créature qui est une femme, Marie » (n. 101) ; « Nous croyons fermement en Jésus comme unique Rédempteur du monde, nous cultivons une profonde dévotion envers sa Mère » (n. 107) ; « Nous sommes unis dans la conviction que tout ne s’achève pas dans cette vie, mais nous sommes appelés à la fête céleste » (n. 109). Le pape François offre une vision surnaturelle et pieusement catholique à la fin de Querida Amazonía en priant : « Mère, fais naître ton Fils dans leurs cœurs » (n. 111), « Mère, règne toi-même en Amazonie, avec ton Fils » (n. 111).

Ce dont l’Église d’aujourd’hui et les autorités du Saint-Siège à Rome ont besoin, ce n’est pas d’une conversion aux réalités du monde intérieur, mais aux réalités surnaturelles de la grâce du Christ et de son œuvre rédemptrice. En affirmant que « Cette conversion intérieure est ce qui permettra de pleurer pour l’Amazonie et de crier avec elle devant le Seigneur » (n. 56), Querida Amazonía semble méconnaître et sous-estimer l’urgence d’une véritable conversion à Dieu. L’Église entière – à commencer par le Pape – ne devrait pas pleurer sur la région amazonienne, mais sur la mort spirituelle de tant d’âmes immortelles à cause de leur rejet de la Révélation divine et de la volonté divine telle qu’elle est révélée dans Ses commandements et la loi naturelle. Le Pape, les évêques et l’Église entière devraient pleurer à cause des péchés horribles d’apostasie, de trahison du Christ, de blasphèmes et de sacrilèges perpétrés par un nombre non négligeable de catholiques et de membres du clergé, et même du haut clergé. D’une manière particulière, le pape, les évêques et l’Église tout entière doivent également pleurer sur l’indicible et horrible génocide des innocents enfants à naître.

La conversion la plus urgente n’est pas une conversion écologique, ni une conversion en vue de pleurer sur le biome amazonien. La conversion la plus urgente est la conversion à Dieu, à son règne, à sa grâce. Le Pape et les évêques sont les premiers à devoir prier avec des larmes : « Convertissez-nous, Seigneur, et nous serons convertis : renouvelez nos jours, comme ils étaient au commencement (converte nos, Domine, ad Te, et convertemur, sicut a principio) » (Lam. 5,22). Le Seigneur dit aussi : « Revenez à moi, et je reviendrai à vous » (convertimini ad Me, et convertar ad vos) (Zacharie 1:3). Qu’elles sont belles et consolantes, les paroles du Psaume 84, que le prêtre et les fidèles récitent au début de chaque Sainte Messe dans la forme constante du Rite Romain, selon l’usage le plus ancien du Rite Romain (usus antiquior) : « Deus, Tu conversus vivificabis nos, et plebs Tua laetabitur in Te (Tournez-vous vers nous, ô Dieu, et donnez-nous la vie, et votre peuple se réjouira en vous) ».

Compte tenu des attaques spirituelles dramatiques qui visent le roc de Pierre, la publication de Querida Amazonía – où pape François prend position en faveur de la norme apostolique du célibat sacerdotal et de la vérité divine de l’ordination sacramentelle réservée au sexe masculin – est, malgré ses limites et ses erreurs théologiques, une lueur d’espoir au milieu de la confusion permanente.

Que tous les petits de l’Église, qui ont été repoussés à la périphérie par l’establishment ecclésiastique mondain, prient désormais pour que cette lueur se développe en une lumière rayonnante, et que le pape François proclame avec sa plus haute autorité d’enseignement, c’est-à-dire ex cathedra, cette vérité divinement révélée, que le Magistère universel de l’Église a toujours cru et pratiqué, à savoir que le sacrement de l’Ordre, dans ses trois degrés du diaconat, du presbytérat et de l’épiscopat, est par institution divine réservé au sexe masculin.

Une telle lumière qui rayonnerait du roc de Pierre serait plus éclatante encore si le pape François publiait une déclaration concernant la norme apostolique du célibat sacerdotal qui correspond à la position prise par tous les pontifes romains. Car malgré les pressions exercées pour assouplir la loi du célibat, tous les pontifes romains ont toujours résisté et tenu bon. Une telle déclaration pourrait être similaire à celle de Benoît XV, dans laquelle celui-ci déclarait : (Étant l’un des principaux ornements du clergé catholique et la source des plus hautes vertus) « loin d’abroger la loi sacrée et très salutaire du célibat ecclésiastique, jamais le Saint-Siège n’en tempérera par une partielle atténuation » (Allocution Consistoriale, 16 décembre 1920).

Puissions-nous tous écouter ces paroles opportunes de Notre Seigneur, qu’il adressa à Sainte Brigitte : "Ô Rome, si tu connaissais tes jours, tu pleurerais sûrement et ne te réjouirais pas. Rome était autrefois comme une tapisserie teinte dans de belles couleurs et tissée de fils nobles. Sa terre était teinte en rouge, c’est-à-dire dans le sang des martyrs, et tissée, c’est-à-dire mélangée avec les os des saints. Aujourd’hui, ses portes sont abandonnées, dans la mesure où leurs défenseurs et gardiens se sont tournés vers l’avarice. Ses murs sont abattus et laissés sans surveillance, car personne ne se soucie de la perte des âmes. Au contraire, le clergé et le peuple, qui sont les murs de Dieu, se sont dispersés pour travailler à des fins charnelles. Les vases sacrés sont vendus avec mépris, en ce sens que les sacrements de Dieu sont administrés pour des faveurs mondaines » (Livre des Révélations, 3, 27).

Et voici les paroles du Christ adressées au Pape, son Vicaire sur terre : « Commencez à réformer l’Eglise que j’ai achetée de mon propre sang afin qu’elle soit réformée et ramenée spirituellement à son premier état de sainteté » (Livre des Révélations, 4, 142).

Historiquement, la cause profonde des crises particulièrement désastreuses de l’Église romaine a toujours été le détournement du pape et de la Curie romaine de la primauté des tâches surnaturelles et spirituelles au profit des réalités temporelles et terrestres. L’actuelle Curie romaine traverse une grande crise en raison d’une nouvelle immixtion excessive dans les affaires temporelles et terrestres, à tel point que le Saint-Siège est devenu – selon certains commentateurs – une sorte de filiale des Nations unies. De fait, le Saint-Siège est utilisé comme un outil efficace pour la mise en œuvre d’une idéologie naturaliste mondiale unique à travers le « Pacte global pour l’éducation », et d’une uniformisation de toutes les religions à travers le concept fascinant de « Fraternité humaine ». Le Seigneur interviendra sûrement pour purifier Rome et la papauté, comme Il l’a fait tant de fois par le passé.

Nous pouvons espérer que les prières, les sacrifices et la fidélité à la foi catholique des petits dans l’Église obtiendront la grâce nécessaire pour que le pape François puisse accomplir au moins les deux actes indispensables de son ministère pétrinien mentionnés ci-dessus, pour le plus grand honneur du sacerdoce du Christ et la sanctification de la hiérarchie sacrée, puisque toute vraie réforme de l’Église doit commencer par la tête et ensuite s’étendre à tout le corps.

« Que le Seigneur garde le Souverain Pontife et le fasse vivre ; qu'il ne le livre pas aux mains de ses ennemis. (Dominus conservet eum et non tradat eum in animam inimicorum eius). »

 18 février 2020 
+ Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de Sainte Marie à Astana


© leblogdejeannesmits pour la traduction.



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1 commentaire:

Denys a dit…

Merci à Mgr Schneider, merci Mme Smits de nous avoir traduit son document.
Prions plus que jamais pour le pape François, le principal adversaire - ne l'oublions pas - du démon sur la terre

 
[]