22 novembre, 2018
Dans un important
entretien mené par Maike Hickson pour LifeSiteNews, l’ancien préfet de la
Congrégation pour la Doctrine de la foi, le cardinal Gerhard Müller parle avec
franchises des problèmes actuels au sein de l’Eglise, qu’il s’agisse de la
gestion de la crise des abus sexuels de la part de clercs, de la question de
l’homosexualité et de la reconnaissance dont celle-ci bénéficie de plus en
plus, de sa propre éviction de ce qui était jadis le Saint-Office. Le problème
n’est pas le cléricalisme, dit-il, mais l’athéisme qui s’est répandu au sein
même de l’Eglise à travers le rejet de ce que l’on pourrait résumer sous les
termes, droits de Dieu. Il n’est guère besoin de lire beaucoup entre les lignes
pour comprendre que l’ancien gardien de la Doctrine estime celle-ci gravement
menacée par la faute de la hiérarchie ecclésiastique elle-même. Voilà une
interview importante, menée de la manière la plus directe par Maike Hickson,
longue certainement mais qui mérite d’être lue attentivement jusqu’au bout. –
J.S.
LifeSite : Les
évêques des Etats-Unis viennent d’achever leur session d’automne à Baltimore ;
à cette occasion ils n’ont pas été autorisés à voter sur les directives
nationales à propos de l’implication épiscopale dans des cas d’abus sexuels
(que ce soit par commission ou par omission ou par occultation), parce que le
Vatican leur a dit de ne pas le faire. Les nouvelles directives auraient été
notamment constituées d’un code de conduite et elles prévoyaient la mise en
place d’un organisme de surveillance sous direction laïque chargé d’enquêter
sur les évêques accusés d’inconduite. De nombreux catholiques aux Etats-Unis
étaient dans l’attente de mesures concrètes, et ils sont aujourd’hui indignés.
Pensez-vous que cette décision soit sage, ou pensez-vous que les évêques des
Etats-Unis auraient dû pouvoir mettre en place leurs propres directives
nationales et leur propre commission, de même que l’ont fait les évêques de
France au début du mois ?
Cardinal Gerhard Müller : Il faut faire une distinction
stricte entre les crimes sexuels et les enquêtes à leur sujet par la justice
civile – aux yeux de laquelle tous les citoyens sont égaux (de telle sorte
qu’une lex séparée pour l’Eglise catholique contredirait l’état moderne,
démocratique du droit) – et les procédures canoniques visant les clercs, où
l’autorité ecclésiastique établit les pénalités relatives à toute inconduite
qui contredit frontalement l’éthique sacerdotale.
L’évêque dispose de la juridiction canonique vis-à-vis de
chaque clerc au sein de son diocèse, en lien, pour les cas spéciaux, avec la
Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui agit de par l’autorité du pape. Si
un évêque n’agit pas conformément à sa responsabilité, alors il peut être tenu
pour responsable par le pape. Les conférences épiscopales peuvent établir des
directives pour la prévention et pour les poursuites canoniques, ces deux
choses constituant pour l’évêque dans son propre diocèse un instrument de
valeur.
Nous devons garder
l'esprit clair au milieu de cette situation de crise aux Etats-Unis. Nous
n'arriverons à rien en nous aidant d’une loi de lynchage ou dans le cadre d’une
suspicion générale visant l'épiscopat tout entier, ou « Rome ». Je ne
considère pas que ce soit une bonne solution de voir les laïcs prendre le
contrôle désormais, simplement parce que les évêques (comme le croient
certains) ne sont pas capables de le faire de leurs propres forces. Nous ne
pouvons pas compenser les manques en mettant sens dessus dessous la
constitution hiérarchique-sacramentelle de l’Eglise. Catherine de Sienne en a
appelé franchement et sans cesse aux consciences des papes et des évêques, mais
elle ne les a pas remplacés dans leur position hiérarchique. C'est toute la
différence avec Luther, à cause duquel nous souffrirons toujours de la scission
de la chrétienté. Il serait important de voir la conférence des évêques des Etats-Unis
assumer sa responsabilité avec indépendance et de manière autonome. Les évêques
ne sont pas des employés du pape, sujets à des directives ; ils ne sont pas non
plus, comme dans l'armée, des généraux qui doivent une obéissance absolue au
haut commandement. Au contraire, ils portent ensemble avec le successeur de
Pierre, en tant que pasteurs désigné par le Christ lui-même, la responsabilité
de l'Eglise universelle. Mais nous pouvons attendre de Rome qu'elle serve
l'unité dans la foi et dans la communion des sacrements. L’heure est à la bonne
collaboration en vue de surmonter la crise, et non à la polarisation et au
compromis, qui font qu'à Rome on est en colère à propos des évêques des
Etats-Unis, et qu'aux Etats-Unis, les gens sont en colère à propos de Rome.
LifeSite : Une part
essentielle des discussions au cours de la réunion de la conférence des évêques
des Etats-Unis a continué de porter sur le scandale McCarrick, et sur le fait de savoir comment il a été
possible qu'une personne comme McCarrick ait pu s'élever aux plus hautes sphères
de l'Eglise catholique aux Etats-Unis, disposant par voie de conséquence d’une
importante influence à Rome. Quelles sont vos propres réflexions sur l’affaire
McCarrick et sur ce que l'Eglise devrait apprendre du fait qu'un réseau de silence ait entouré un homme
qui au cours de sa vie, a constamment bravé les lois de l'Eglise en pratiquant
l'homosexualité, en séduisant des
séminaristes qui dépendaient de lui, les conduisant vers le péché, et pire que
tout, en abusant de mineurs ?
Müller : Je ne le connais pas et je veux m'abstenir de tout
jugement. J'espère qu'il aura bientôt un procès canonique à la Congrégation
pour la foi, qui permette aussi de faire la lumière sur les crimes sexuels
commis avec de jeunes séminaristes. Lorsque j'étais préfet de la Congrégation
pour la foi (2012-2017) personne ne m'a rien dit de ce problème, très
probablement parce qu'on aurait craint de ma part une réaction trop « rigide ».
Que McCarrick, avec son clan et au moyen d'un réseau homosexuel, ait pu faire
des ravages, telle une mafia, au sein de l'Eglise, cela est lié à la
sous-estimation de la dépravation morale des actes homosexuels entre adultes.
Même si à Rome on a supposément seulement eu connaissance de quelques rumeurs,
il fallait enquêter sur l’affaire et vérifier la véracité des accusations, et
s'abstenir également de toute promotion épiscopale au très important diocèse de
la ville capitale, et s'abstenir de la même manière de le nommer cardinal de la
Sainte Eglise romaine. Etant donné qu'en outre on a même acheté le silence de
certains – ce qui constitue l'aveu de ses crimes sexuels à l'égard de jeunes hommes – toute personne
raisonnable se demande comment une telle personne ait pu être conseiller du
pape pour les nominations épiscopales. Je ne sais pas si cela est vrai,
mais c'est une chose qu'il faut
clarifier. Le mercenaire aide à chercher de bons pasteurs pour le troupeau de
Dieu : nul ne peut comprendre cela. Dans un tel cas, il faut une explication
publique très claire à propos de ces événements et des liens personnels, sans
compter la question de savoir quel était le degré de connaissance des autorités
ecclesiales impliquées à chaque étape. Une telle explication pourrait très bien
inclure la reconnaissance d’une mauvaise évaluation des personnes et des
situations.
LifeSite : Avez-vous
au cours de ces cinq dernières années été témoin de cas où celui qui était
alors le cardinal McCarrick s’est vu attribuer influence importante ou a été
chargé de missions spécifiques, soit par le pape, soit par le Vatican ?
Müller : Comme je l'ai déjà dit, je n'étais informé de rien.
On disait que la Congrégation de la foi était simplement responsable des abus
sexuels sur mineurs, mais non des affaires concernant des adultes – comme si
les infractions sexuelles commises par un clerc, soit avec un autre clerc ou
bien avec un laïc ne constituaint pas également une grave violation de la foi
et du caractère sacré des sacrements. J'ai insisté encore et encore pour dire
que la conduite homosexuelle des clercs ne peut en aucun cas être tolérée ; et
que la moralité sexuelle de l’Eglise ne saurait être relativisée par
l'acceptation mondaine de l’homosexualité. Il faut également faire la différence
entre la conduite peccamineuse dans un cas individuel, un crime, et une vie
vécue dans un état peccamineux continuel.
LifeSite : L'un des
problèmes de l’affaire McCarrick est que, en 2005 déjà, et en 2007, il y eut
des règlements judiciaires pour certaines de ses victimes, et pourtant
l'archidiocèse de Newark – à l'époque sous la conduite de Mgr John J.
Meyers – n’en a pas informé le public, ni ses propres prêtres. Il a tu ainsi
une information vitale pour ceux qui continuaient de travailler avec McCarrick
ou qui lui faisait confiance. Il en a été de même pour le cardinal Joseph
Tobin, lorsqu'il est devenu en janvier
2017 archevêque de Newark. A ma connaissance, ni Myers ni Tobin n'ont présenté d’excuses pour cette omission ni
pour la rupture de la confiance à l'égard de leurs prêtres. Pensez-vous que
l'archidiocèse aurait dû rendre publique l'existence de ces règlements
judiciaires, spécialement dans la mesure où
en 2002, la charte de Dallas avait exigé davantage de transparence ?
Müller : En des temps plus anciens, on partait du principe
que de tels cas difficiles pouvaient être réglé de manière silencieuse et
discrète. Mais cela permettait aussi au coupable de continuer d'abuser de la
confiance de son évêque. Dans la situation actuelle, les catholiques et le
public ont un droit moral de voir ces choses rendues publiques. Il ne s'agit
pas d'accuser quiconque, mais de tirer les leçons des erreurs.
LifeSite : Un tel
problème moral trouvera-t-il jamais une solution par la mise en place de
nouvelles directives, ou avons-nous besoin dans l'Eglise d'une conversion plus
profonde des cœurs ?
Müller : L'origine de toute cette crise se situe dans une
sécularisation de l'Eglise et dans la réduction du prêtre au rôle de
fonctionnaire. C'est au bout du compte l'athéisme qui s'est répandu au sein de
l’Eglise. Conformément à cet esprit mauvais, la Révélation au sujet de la foi
et de la morale est en train d’être adaptée au monde sans Dieu afin qu’elle
n'interfère plus avec une vie menée selon les convoitises et les besoins de
chacun. Seuls 5 % environ des coupables sont considérés comme souffrant de
pédophilie pathétique [pathologique ? NDT], alors que la grande majorité des
contrevenants ont largement piétiné le Sixième commandement en raison de leur propre
immoralité, défiant ainsi de manière blasphématoire la sainte Volonté de Dieu.
LifeSite : Que
pensez-vous de l’idée d'établir une nouvelle loi de l’Eglise proposant
d’excommunier les prêtres coupables d’abus sexuels ?
Müller : L'excommunication est une peine coercitive qui doit
être levée immédiatement en cas de repentir du coupable. Dans le cas d’abus
sérieux et d'autres offenses à l'égard de la foi et de l'unité de l’Eglise, on
peut imposer un renvoi permanent de l'état clérical, c'est-à-dire une interdiction
permanente d’agir comme prêtre.
LifeSite : L'ancien
code de droit canonique de 1917 définissait des peines précises encourues par
le prêtre responsable d’abus, ainsi que par un prêtre activement homosexuel.
Ces peines concrètes ont largement disparu du code de 1983 qui est plus vague
et qui ne mentionne même plus explicitement les actes homosexuels. Pensez-vous,
à la lumière de la grave crise des abus sexuels, que l'Eglise doive revenir à
un ensemble plus rigoureux de peines automatiques dans ce type d'affaires ?
Müller : Ce fut une erreur désastreuse. Les contacts sexuels
entre personnes du même sexe contredisent complètement et directement le sens
et la finalité de la sexualité fondée dans la création. Ils sont l’expression
d'un désir et d'un instinct désordonné, et en même temps le signe de la
relation brisée entre l'homme et son Créateur depuis la chute de l’homme.
Le prêtre célibataire et le prêtre marié de rite oriental
doivent être des modèles pour le troupeau et ils doivent aussi donner l’exemple
de la rédemption qui englobe également le corps et les passions corporelles. Ce
n'est pas la convoitise déchaînée de la satisfaction, mais le don de soi
charnel et spirituel dans l’agapè à une personne de l'autre sexe qui
constitue le sens et la finalité de la sexualité. Cela conduit à la
responsabilité à l'égard de la famille et des enfants que Dieu a donnés.
LifeSite : Au cours
de la récente réunion de Baltimore, le cardinal Blase Cupich a déclaré qu'il
fallait « faire la différence » entre les actes sexuels consentis
entre adultes et les abus sur mineurs, suggérant que les relations
homosexuelles d'un prêtre avec un autre adulte ne constituent pas un problème
majeur. Quelle est votre propre réponse à ce type d'approche ?
Müller : On peut tout différencier – et même se considérer
alors comme un grand intellectuel – mais pas un péché grave qui exclut une
personne du Royaume de Dieu, du moins en tant qu’évêque que le devoir contraint
de ne pas afficher les goûts de son temps mais qui doit au contraire défendre
la vérité des Evangiles. Il semble que le temps est venu où « les hommes
ne supporteront plus la saine doctrine ; mais ils amasseront autour d’eux des
docteurs selon leurs désirs ; et éprouvant aux oreilles une vive
démangeaison, ils détourneront l’ouïe de la vérité, et ils la
tourneront vers des fables » (2 Tim. 4, 3-4).
LifeSite : Dans le
cadre de votre travail comme préfet de la CDF, vous aviez à surveiller les nombreux cas d’abus sexuels de
la part du clergé sur lesquels la CDF a enquêté. Est-il vrai que la majorité
des victimes dans ces affaires étaient des adolescents mâles ?
Müller : Plus de 80 % des victimes de ces délinquants
sexuels sont des adolescents de sexe mâle. On ne peut pas en déduire,
cependant, que la majorité des prêtres sont enclins à la fornication
homosexuelle, mais au contraire, simplement que la majorité des délinquants ont
recherché, dans le profond désordre de leur passion, des victimes mâles. De la
totalité des statistiques relatives à cette criminalité, nous pouvons savoir
que la majorité des responsables d'abus sexuels sont les parents proches, et
même les pères à l'égard de leurs propres enfants. Mais nous ne pouvons pas en
conclure que la majorité des pères sont enclins à de tels crimes. Il faut
toujours faire très attention de ne pas faire de généralisation à partir de cas
concrets de manière à ne pas tomber dans les slogans et les préjugés
anticléricaux.
LifeSite : Si tel est
le cas – et l'enquête sur les abus sexuels menés par les évêques d'Allemagne,
tout comme le rapport John Jay – ont fait état de chiffres similaires, l'Eglise
ne devrait-elle pas alors s'occuper plus
directement du problème de la présence de prêtres homosexuels ?
Müller : De mon point de vue, il n'existe pas d'hommes
homosexuels ni même de prêtres homosexuels. Dieu a créé l'être humain homme et
femme. Mais il peut y avoir les hommes et des femmes ayant des passions
désordonnées. La communion sexuelle a exclusivement sa place dans le mariage
entre un homme et une femme. En dehors de cela, il n'existe que la fornication
et l’abus de la sexualité, les deux choses soit avec des personnes du sexe
opposé ou dans l’intensification contre nature du péché avec les personnes du
même sexe. Seul celui qui a appris à se contrôler lui-même remplit la pré-condition
morale en vue de la réception de
l'ordination sacerdotale (voir 1 Tim. 3, 1-7).
LifeSite : Nous semblons actuellement confrontés à une
situation dans l'Eglise où il ne semble même pas y avoir de consensus sur le
fait que des prêtres ayant une activité homosexuelle jouent un rôle important
dans la crise des abus sexuels. Même certains documents du Vatican continuent
de parler de « pédophilie » ou de « cléricalisme » comme constituant
l'essentiel du problème. Le journaliste italien Andrea Tornielli va jusqu’à
prétendre que McCarrik n'avaient pas de relations homosexuelles, mais que tout
cela consistait plutôt une manière d'exercer son pouvoir sur autrui. En même
temps, nous en avons d'autres : tel le P. James Martin SJ, qui parcourt le
monde (et qui a même été invité à la rencontre mondiale des familles en
Irlande) pour promouvoir l'idée des « catholiques LGBT » et qui
prétend même que certains saints étaient probablement homosexuels. Tout cela
pour dire qu'il existe aujourd'hui une forte tendance au sein de l’Eglise à
minimiser le caractère peccamineux des relations de même sexe. Etes-vous
d’accord pour dire cela, et si c'est le cas, comment peut-on et doit-on y
remédier ?
Müller : Cela fait partie de la crise que de refuser d’en
voir les vraies causes et de les occulter à l’aide des termes de propagande du
lobby homosexuel. La fornication avec des adolescentes et des adultes est un
péché mortel qu’aucune puissance au monde ne peut qualifier de moralement
neutre. C’est le travail du diable – contre lequel le pape François met
fréquemment en garde – que de déclarer le péché, bon. « Quelques-uns
abandonneront la foi, s’attachant à des esprits d’erreur et à des doctrines de
démons, par suite de l’hypocrisie d’hommes proférant le mensonge et dont
la conscience porte la marque de l’infamie (cautérisée) » (1 Tim. 4, 1 et
ss.). Il est en effet absurde que subitement, des autorités ecclésiastiques
utilisent les slogans de combat anti-Eglise des jacobins, des nazis et des communistes
contre des prêtres sacramentellement ordonnés. Les prêtres ont l’autorité pour proclamer
le les Évangiles et administrer les sacrements de la grâce. Si l'un d'entre eux
abuse de sa juridiction en vue d'atteindre des buts égoïstes, il n'est pas
lui-même clérical de manière exagérée, mais au contraire, il est plutôt
anticlérical car il renie le Christ qui veut œuvrer à travers lui. L'abus
sexuel de la part de clercs devrait donc être tout au plus qualifié d’anticlérical.
Mais il est évident – et cela ne peut être nié que par celui qui veut demeurer
aveugle – que les péchés contre le Sixième commandement du décalogue trouvent
leurs racines dans des inclinations désordonnées et constituent ainsi des
péchés de fornication qui excluent du Royaume de Dieu, du moins tant que l’on
ne s'en est pas repenti et qu'on ne les a pas réparés, et tant que n'existe pas
la ferme résolution d'éviter de tels péchés à l’avenir. Toute cette tentative d'obscurcissement
de ces choses et un mauvais signe de la sécularisation de l’Eglise. On pense
comme le monde, et non comme Dieu le veut.
LifeSite : Lors du
récent synode sur la jeunesse à Rome, on a pu entendre un ton analogue. Le
document de travail utilise pour la première fois le terme « LGBT »
et le document final insiste sur la
nécessité d'accueillir des homosexuels
dans l’Eglise ; il a même rejeté « toute
forme de discrimination » à leur encontre. Mais de telles déclarations ne
sapent-elles pas en fait la pratique établie de l’Eglise de ne pas engager des
homosexuels pratiquants, par exemple comme enseignant dans les écoles
catholiques ?
Müller : L’idéologie LGBT est fondée sur une fausse
anthropologie qui nie Dieu comme Créateur. Puisqu'elle est dans son principe
athée, ou n'a peut-être de rapport avec une conception chrétienne de Dieu qu’à
la marge, elle n’a aucune place dans les documents de l’Eglise. Il s'agit là
d'un exemple de l'influence rampante de l'athéisme au sein de l’Eglise, qui a
été responsable de la crise de l’Eglise pendant un demi-siècle.
Malheureusement, il ne cesse pas de
fonctionner dans les esprits de certains pasteurs qui, croyant naïvement être
modernes, ne se rendent pas compte du poison qu’ils avalent jour après jour, et
qu’ensuite ils proposent à boire aux autres.
LifeSite : Ne pouvons-nous pas dire maintenant que nous
avons affaire à un fort « lobby gay » parmi les rangs de l'Eglise
catholique ?
Müller : Je ne peux pas le savoir car de telles personnes ne
se montrent pas à moi. Mais il se pourrait que cela leur ait fait plaisir que
je ne sois plus chargé à la Congrégation pour la Doctrine de régler les
affaires de crimes sexuels, spécialement aussi à l'encontre d'adolescents
mâles.
LifeSite : Vous avez
récemment révélé que, alors que vous travailliez à la Congrégation pour la
Doctrine de la foi, le pape a mis sur pied une commission qui devait conseiller
la CDF à propos des peines possibles pour les prêtres coupables d’abus sexuels.
Cette commission a cependant eu tendance à se montrer plus indulgent à l’égard
de tels prêtres, contrairement à vous qui souhaitiez la réduction à l'état laïc
dans les cas graves (comme l'affaire du P. Mauro Inzoli). Il se trouve que le
magazine jésuite America a révélé l'an dernier – au moment de votre
renvoi de votre position de préfet de la CDF – que « nombre de cardinaux
avaient demandé à François de renvoyer le cardinal Muller de ce poste parce
qu'il avait à diverses occasions manifesté publiquement son désaccord où
s'était éloigné des positions du pape, et ils avaient le sentiment que cela
portait atteint à l’office et au magistère pontificaux ». Voyez-vous à
titre personnel un lien possible entre vos normes plus strictes et votre attitude à l'égard des prêtres
coupables d'abus sexuels et un groupe de cardinaux proches du pape qui
souhaitaient une approche plus clémente ? Si ce n'est pas le cas, diriez-vous
tout de même que vous avez été renvoyé en raison de votre défense plus ferme de
l’orthodoxie ?
Müller : La primauté du pape est sapée par les sycophantes
et les carriéristes à la cour pontificale – c'est ce que disait déjà le célèbre
théologien Melchior Cano au XVIe siècle – et non par ceux qui conseillent le
pape de manière compétente et responsable. S'il est vrai qu'il y a un groupe de
cardinaux qui m'a accusé devant le pape d'idées déviantes, alors l'Eglise est
en bien mauvais état. S'il s'était agi d’hommes courageux et droits, ils auraient
parlé avec moi directement, et ils auraient su qu'en tant qu'évêque et cardinal
je dois représenter l'enseignement de la foi catholique, et non pour justifier
les opinions privées différentes d'un pape. Son autorité s’étend à la foi
révélée de l'Eglise catholique et non aux opinions théologiques individuelles –
les siennes ou celles de ses conseillers. Ils peuvent peut-être m’accuser
d’interpréter Amoris laetitia d'une manière orthodoxe, mais ils ne
peuvent pas prouver que je dévie de la doctrine catholique. En outre, il est
irritant de voir des personnes sans éducation théologique promues au rang
d’évêques qui à leur tour, pensent devoir en remercier le pape au moyen d’une
soumission puérile. Peut-être auraient-ils pu lire mon livre Le pape,
mission et mandat (édition Herder Verlag,
disponible en allemand et en espagnol ; les traductions italiennes et
anglaises sont en voie de réalisation). Nous pourrions alors continuer de
discuter à ce niveau-là.
Le magistère des évêques et du pape est établi sous la
parole de Dieu dans la Sainte Ecriture et la Tradition, et Le sert. Il n'est
pas du tout catholique de dire que le pape en tant que personne individuelle
reçoit la Révélation directement du Saint Esprit est qu'il peut désormais
l’interpréter selon ses propres caprices, tous les autres devant le suivre,
aveugles et sourds. Amoris laetitia doit être absolument en accord avec
la Révélation, et ce n'est pas à nous d’être en accord avec Amoris laetitia,
du moins pas dans l'interprétation qui contredit, de manière hérétique, la
Parole de Dieu. Et ce serait un abus de pouvoir que de sanctionner ceux qui
insistent pour une interprétation orthodoxe de cette exhortation apostolique et
de tous les documents magistériels pontificaux. Seul celui qui est en état de
grâce peut aussi recevoir avec fruit la sainte communion. Cette vérité révélée
ne peut être renversée par aucune puissance au monde, et aucun catholique ne
peut jamais croire le contraire, ni être obligé d'accepter le contraire.
LifeSite : Dans quel
domaine avez-vous été vous-même en tant que préfet de la CDF le plus opposé à
des innovations proposées pour l’Eglise ? Quels éléments de votre
témoignage vous paraissent, avec le recul, avoir contribué le plus à votre renvoi
et au fait que vous avez été traité de manière telle qu'on ne vous a même pas
donnée une autre charge au Vatican ?
Müller : Je ne me suis opposé à aucune innovation ou
réforme. Parce que la réforme signifie le renouveau dans le Christ, et non
l'adaptation au monde. On ne m'a pas dit la raison du non renouvellement de mon
mandat. Cela est inhabituel parce que le pape laisse par ailleurs tous les préfets
continuer leur travail. Il n'y a pas de raison que l'on oserait évoquer sans se
rendre ridicule. On ne peut, après tout, déclarer en contredisant frontalement Benoît XVI, que
Müller manque des qualifications théologiques suffisantes, qu’il n'est pas
orthodoxe, ou qu’il est négligent dans la poursuite des crimes contre la foi et
dans les cas de crimes sexuels. C'est pourquoi on préfère rester silencieux et
laisser les médias de la gauche libérale faire des commentaires rancuniers et
d'une malveillante satisfaction.
LifeSite : Certains
observateurs comparent actuellement votre renvoi de votre position importante
au Vatican – qui est certainement dû, aussi, à votre propre résistance polie à
propos d’Amoris laetitia – avec le traitement indulgent réservé à
quelqu’un comme l'ancien cardinal McCarrick. Même aujourd’hui, il n'a jusqu’ici
même pas été réduit à l'état laïc, en dépit de sa conduite criminelle. Ainsi
certains peuvent penser que ceux qui tentent de préserver l'enseignement
catholique sur le mariage et la famille tel qu'il a toujours été enseigné sont
mis de côté, tandis que ceux qui favorise les innovations dans ce domaine moral
bénéficient d’un traitement indulgent, voire sont promus – tels le cardinal
Cupich et le P. James Martin.
Souhaitez-vous commenter cela ?
Müller : Chacun peut réfléchir aux critères selon lesquels
certains sont promus et protégés, tandis que d’autres sont combattus et
éliminés.
LifeSite : Dans le
contexte de l'apparente suppression des ecclésiastiques orthodoxes et de la
promotion de représentants progressistes, le père Ansgar Wucherpfennig, SJ,
vient de recevoir du Vatican la permission de reprendre sa position de recteur
d’une école universitaire de troisième degré jésuite à Francfort, malgré le
fait qu'il soutient l'ordination des
femmes et la bénédiction des couples homosexuels. On lui demande même de
publier des articles sur ces sujets. Quel serait votre commentaire à ce
propos ?
Müller : C'est un exemple de la manière dont l'autorité de
l'Eglise romaine se sape elle-même, et dont
les connaissances expertes et claires de la congrégation pour la foi
sont mises de côté. Si ce prêtre qualifie la bénédiction de relations
homosexuelles de développement plus avant de la doctrine, au service de
laquelle il continue de travailler, ce n'est rien d'autre que la présence de
l’athéisme au sein du christianisme. Il ne nie pas théoriquement l'existence de
Dieu, mais plutôt, il lui dénie d'être la source de la moralité en présentant
ce qui est péché devant Dieu comme une bénédiction.
Le fait que le récipiendaire du sacrement de l’ordre doive
être de sexe mâle n'est pas le résultat de circonstances culturelles ou d'une
loi de l’Eglise, positive mais modifiable, il est au contraire fondé dans la
nature de ce sacrement et dans son institution divine, de même que la nature du
sacrement du mariage requiert la différence des deux sexes.
LifeSite : A partir
de vos observations, pensez-vous que l'Eglise se rapproche du moment où elle
aura un contrôle suffisant et cohérent sur la crise des abus, et qu'elle a
trouvé le bon remède, et si ce n’est pas le cas quel est à votre avis à ce
stade le plus important obstacle à une amélioration substantielle ? Comment
l'Eglise peut-elle regagner la confiance des familles catholiques ?
Müller : Toute l’Eglise, avec ses prêtres et ses évêques,
doit plaire à Dieu plutôt qu'à l'homme. L'obéissance dans la foi est notre salut.
Propos recueillis par
Maike Hickson, traduction par Jeanne Smits
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