30 avril, 2016
“Amoris laetitia” : une
nécessaire clarification
Le
paradoxe des interprétations contradictoires d’« Amoris laetitia »
L´Exhortation Apostolique « Amoris laetitia » (= AL), récemment publiée
contient, pour notre temps, des éléments d’une grande richesse spirituelle et
pastorale à propos du mariage et de la famille chrétienne. Cependant cette
publication a déjà, bien malheureusement, en peu de temps donné lieu
à des interprétations nettement contradictoires au sein même de l´épiscopat.
Certains évêques et prêtres ont publiquement déclaré, que l´exhortation
Amoris Laetitia offrait désormais une possibilité très claire de donner la
sainte Communion aux divorcés-remariés sans leur demander de vivre dans la
continence parfaite. Selon eux c’est dans le changement radical de cette
pratique sacramentelle que résiderait le caractère tout à fait révolutionnaire
et novateur de l’exhortation. Interprétant Amoris Laetitia sur la question des
couples irréguliers le Président d´une Conférence épiscopale a déclaré, dans un
texte publié sur le site de la même Conférence : « Il s´agit d´une mesure de miséricorde, une
ouverture du cœur, de la raison et de l´esprit qui ne nécessite aucune loi,
dont on ne doit attendre aucune directive ni indications. On
peut et doit la mettre en pratique immédiatement ».
Cet avis est
confirmé par des déclarations récentes du Père Antonio Spadaro S.J., qui avait
écrit après le Synode des Évêques de 2015, que le synode avait posé les «
fondements » pour l´accès des divorcés-remariés à la Communion, en « ouvrant
une porte », qui était encore fermée lors du synode antérieur de 2014.
Maintenant, le père Spadaro dans son commentaire d’Amoris Laetitia affirme que,
sa prédiction s´est révélée juste. Il se dit que P. Spadaro faisait partie du
groupe de travail qui a rédigé l’exhortation.
La voie à des
interprétations abusives semble avoir été indiquée par le cardinal Christoph
Schönborn, archevêque de Vienne, lui-même. En effet lors de la présentation
officielle d’Amoris Laetitia à Rome il avait déclaré au sujet des unions
irrégulières : « La grande joie que me procure ce document réside dans le fait
qu’il dépasse de manière cohérente, la division artificieuse, extérieure et
nette entre les « réguliers » et les « irréguliers ». » Une telle
affirmation suggère l´idée qu´il n´y a pas une claire différence entre un
mariage valide et sacramentel et une union irrégulière.
A l’opposé,
certains évêques affirment qu’Amoris Laetitia doit être lue à la lumière du
Magistère pérenne de l´Église et que donc l´exhortation n´autorise pas la
Communion aux divorcés-remariés, pas même dans des situations exceptionnelles.
En principe cette affirmation est correcte et d’ailleurs souhaitable. Chaque
texte du Magistère doit en effet, théoriquement, être cohérent dans son contenu
avec le Magistère antérieur, sans aucune rupture.
Il n´est
cependant un secret pour personne qu’en divers lieux des personnes
divorcées-remariées sont admises à la Sainte Communion sans vivre dans la
continence. Certains passages d´Amoris Laetitia peuvent être objectivement
utilisés pour légitimer un abus déjà existant dans la vie de l´Église en divers
endroits.
Certaines affirmations
d’Amoris Laetitia sont objectivement sujettes à de mauvaises interprétations
Notre Saint
Père le pape Francois nous a tous invités à apporter notre propre contribution
à la réflexion et au dialogue, concernant les délicates questions du mariage et
de la famille. « La réflexion des pasteurs et des théologiens, si elle est
fidèle à l’Église, si elle est honnête, réaliste et créative, nous aidera à
trouver davantage de clarté » (AL, § 2).
En analysant
avec honnêteté intellectuelle le texte de l’exhortation apostolique il est
incontestable que certaines affirmations apparaissent difficiles à interpréter
selon la doctrine traditionnelle de l´Église. Cela s´explique par l´absence
d’une référence concrète et explicite à la doctrine et à la pratique constantes
de l´Église, fondées sur la Parole de Dieu, et rappelées par le pape Jean
Paul II : « L'Eglise, cependant, réaffirme
sa discipline, fondée sur l'Ecriture Sainte, selon laquelle elle ne peut
admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. Ils se sont rendus
eux-mêmes incapables d'y être admis car leur état et leur condition de vie sont
en contradiction objective avec la communion d'amour entre le Christ et
l'Eglise, telle qu'elle s'exprime et est rendue présente dans l'Eucharistie. Il
y a par ailleurs un autre motif pastoral particulier : si l'on admettait ces
personnes à l'Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et
comprendraient mal la doctrine de l'Eglise concernant l'indissolubilité du
mariage. La réconciliation par le sacrement de pénitence - qui ouvrirait la
voie au sacrement de l'Eucharistie - ne peut être accordée qu'à ceux qui […]
sont sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction
avec l'indissolubilité du mariage. Cela implique concrètement que … ils
prennent l'engagement de vivre en complète continence, c'est-à-dire en s'abstenant
des actes réservés aux époux » (Familiaris
consortio, § 84).
Le pape
François n´a pas établi : « une nouvelle législation générale du genre
canonique, applicable à tous les cas » (AL, § 300). Cependant il déclare au §
336 : « Pas davantage en ce qui concerne la discipline sacramentelle, étant
donné que le discernement peut reconnaître que dans une situation particulière
il n’y a pas de faute grave ». Se référant évidemment aux divorcés
remariés le pape affirme au § 305 : « à cause des conditionnements ou
des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de
péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement –
l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse
également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet
effet l’aide de l’Église ». Dans la note 351 le pape précise son affirmation
affirmant que : « Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des
sacrements. »
Dans le même
chapitre VIII de l´exhortation, §
298, le Pape parle des « divorcés engagés dans une nouvelle union … avec
de nouveaux enfants, avec une fidélité prouvée, un don de soi généreux, un
engagement chrétien, la conscience de l’irrégularité de sa propre situation et
une grande difficulté à faire marche arrière sans sentir en conscience qu’on
commet de nouvelles fautes. L’Église reconnaît des situations où l'homme et la
femme ne peuvent pas, pour de graves motifs - par exemple l'éducation des
enfants -, remplir l'obligation de la séparation ». Le pape cite dans la note
329 la constitution pastorale Gaudium et
spes du Concile Vatican II d’une manière malheureusement incorrecte,
puisque le concile se réfère dans ce texte uniquement au mariage chrétien
valide. L´application de cette affirmation aux divorcés remariés peut donner
l´impression qu´on assimile, non pas en théorie mais en pratique, une union de
divorcés au mariage valide.
L´admission des divorcés-remariées à la
Sainte Communion et ses conséquences
Malheureusement
Amoris Laetitia est dépourvue de références littérales aux principes de la
doctrine morale de l´Eglise tels qu´ils ont été formulés dans le § 84 de
l´Exhortation Apostolique Familiaris
consortio et dans l´encyclique Veritatis
splendor du pape Jean Paul II, notamment sur les sujets suivants qui sont
d´une importance capitale: « le choix fondamental » (Veritatis splendor, §§
67-68), « péché mortel et péché véniel
» (ibid., §§ 69-70), « proportionnalisme, conséquentialisme »
(ibid., § 75), « le martyre et les normes
morales universelles et immuables » (ibid., §§
91ss.). Toutefois une citation littérale au § 84 de Familiaris consortio ou de certaines
affirmations plus marquantes de Veritatis
splendor rendrait l´exhortation invulnérable à des interprétations hétérodoxes.
Des allusions générales aux principes moraux et à la doctrine de l´Eglise sont
totalement insuffisantes dans une matière controversée à la fois si importante
et si délicate.
Des membres du
clergé et même de l´épiscopat affirment déjà que selon l´esprit du chapitre
VIII d’Amoris Laetitia il n'est pas exclu que dans certains cas
exceptionnels les divorcés-remariés puissent être admis à la Sainte Communion
sans qu’il leur ait été demandé de vivre en continence parfaite.
Si l’on admet
une telle interprétation de la lettre et de l´esprit de l’exhortation il est
alors logique, par honnêteté intellectuelle et selon le principe de
non-contradiction, d’accepter les conclusions suivantes :
Le sixième
commandement de Dieu interdisant tout acte sexuel en dehors d´un mariage
valide, ne serait plus universellement valable car il admettrait alors des
exceptions. En l’occurrence les divorcés-remariés pourraient légitimement
pratiquer l´acte conjugal et y seraient même encouragés afin de conserver la «
fidélité » mutuelle, cf. AL, § 298. Il y aurait donc une « fidélité »
dans un style de vie directement contraire à la volonté expresse de Dieu.
Malheureusement il se trouve qu’encourager et légitimer des actes qui sont en
eux-mêmes et en tous temps contraires à la volonté de Dieu irait contre la
Révélation Divine.
La parole
Divine du Christ : « Que l'homme donc ne sépare point ce que Dieu a
uni » (Mt 19, 6) ne serait plus alors valide pour toujours et pour tous
les époux sans exception.
Il deviendrait
possible dans certains cas particuliers de recevoir le sacrement de la
Pénitence et la Sainte Communion avec l´intention de continuer à violer
directement les commandements divins : « Tu ne commettras point
d'adultère » (Ex 20, 14) et : « Que l'homme donc ne sépare point
ce que Dieu a uni. » (Mt 19, 6; Gen 2, 24)
L´observance de
ces commandements et de la Parole de Dieu ne serait plus en ce cas que
théorique et non pas pratique, conduisant les divorcés-remariés à vivre
d’illusions : « Mettez la parole de Dieu en pratique et ne vous
contentez pas de l’écouter, ce serait vous illusionner. » (Jacques 1,
22) On pourrait donc parfaitement croire intellectuellement au caractère divin
du sixième commandement et à l´indissolubilité du mariage sans toutefois poser
les actes correspondants.
La Parole
Divine du Christ : « Celui qui répudie sa femme et qui en épouse une
autre, commet un adultère à son égard ; et si une femme quitte son mari et en
épouse un autre, elle commet un adultère » (Mc 10, 12) n´aurait plus de
portée universelle, mais admettrait des exceptions.
La violation
permanente, consciente et libre du sixième commandement de Dieu ainsi que de la
sacralité et de l´indissolubilité du premier mariage valide, dans le cas de
divorcés-remariés, ne serait plus alors toujours un péché grave, c´est à dire
une opposition directe à la volonté de Dieu.
Il pourrait
exister des cas de violation grave, permanente, consciente et libre d´un des
autres commandements de Dieu (par exemple la corruption financière), dans
lesquels on pourrait accorder à la personne incriminée l`accès aux sacrements,
en fonction de circonstances atténuantes, sans lui demander une sincère
résolution d´éviter désormais les actes de péché et le scandale.
Le pérenne et
infaillible enseignement de l´Église ne serait plus universellement valide,
notamment celui confirmé par le pape Jean Paul II dans Familiaris consortio, § 84 et par le pape Benoit XVI dans Sacramentum caritatis, § 29, selon
lequel les divorcés-remariés ne peuvent recevoir les sacrements que s’ils
vivent dans la continence parfaite.
L´observation
du sixième commandement de Dieu et de l´indissolubilité du mariage serait un
idéal qui ne serait pas accessible à tous, mais en quelque sorte réservé à une
élite.
Les paroles
intransigeantes du Christ qui commandent aux hommes d´observer les
commandements de Dieu, toujours et en toutes circonstances même parfois au prix
de souffrances considérables, c´est à dire en acceptant la Croix, ne seraient
plus valides. Or nous lisons dans l’Ecriture : « Si ta main droite est
pour toi une occasion de chute, coupe la et jette-la loin de toi ; car il est
avantageux pour toi qu'un seul de tes membres périsse, et que ton corps entier
n'aille pas dans la géhenne. » (Mt 5, 30)
Admettre des
couples en « union irrégulière » à la Sainte Communion et leur
permettre de pratiquer les actes qui sont réservés aux époux dans le cadre d’un
mariage valide, équivaudrait à usurper un pouvoir, qui n’appartient à aucune
autorité humaine, car il s´agirait, ni plus ni moins, que de prétendre corriger
la Parole de Dieu même.
Danger d´une collaboration
de l´Église dans la propagation du « fléau du divorce »
Professant
la doctrine de toujours de Notre Seigneur Jésus Christ, l´Église nous
enseigne : «Fidèle au
Seigneur, l’Église ne peut reconnaître comme Mariage l’union des divorcés
remariés civilement. « Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est
coupable d’adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari pour en
épouser un autre, elle est coupable d’adultère. » (Mc 10,11-12) À leur égard, l’Église
fait preuve d’une sollicitude attentive, les invitant à une vie de foi, à la
prière, aux œuvres de charité et à l’éducation chrétienne de leurs enfants.
Mais aussi longtemps que dure leur situation, qui est objectivement contraire à
la loi de Dieu, ils ne peuvent recevoir l’absolution sacramentelle, ni accéder
à la communion eucharistique, ni exercer certaines responsabilités dans
l’Église. » (Compendium du Catéchisme de l’Église Catholique, § 349)
Vivre dans une
union maritale non valide en contredisant constamment le commandement de Dieu
ainsi que la sacralité et l’indissolubilité du mariage, ne signifie pas vivre
dans la vérité. Déclarer que la pratique délibérée, libre et habituelle des
actes sexuels dans une union maritale non valide pourrait dans un cas concret
n´être plus un péché grave, n´est pas conforme à la vérité mais constitue un
grave mensonge, et en conséquence cette situation n´apportera jamais une joie
authentique dans l´amour. Permettre à des personnes dans cette situation de
recevoir la sainte Communion constitue une simulation, une hypocrisie et un
mensonge. En réalité la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture reste toujours
valide : « Qui dit : "Je le connais", alors qu'il ne garde
pas ses commandements est un menteur, et la vérité n'est pas en lui. » (1
Jean 2, 4)
Le Magistère de
l´Église nous instruit sur la portée universelle des dix commandements de
Dieu : « Puisqu’ils expriment les devoirs
fondamentaux de l’homme envers Dieu et envers son prochain, les dix
commandements révèlent, en leur contenu primordial, des obligations graves. Ils sont foncièrement
immuables et leur obligation vaut toujours et partout. Nul ne pourrait en
dispenser. » (Catéchisme de
l´Église Catholique, § 2072) Ceux qui ont affirmé que les commandements de
Dieu, et notamment le commandement : « Tu ne commettras pas
d´adultère » acceptent des exceptions qui empêchent d’en imputer la
responsabilité à leurs auteurs rejoignent les Pharisiens du temps du Christ
puis les Gnostique chrétiens des deuxièmes et troisièmes siècles de notre ère.
Les
affirmations suivantes du Magistère restent toujours valides car elles font
partie du Magistère infaillible dans la forme du Magistère ordinaire et
universel : « Les préceptes négatifs de
la loi naturelle sont universellement valables : ils obligent tous et chacun,
toujours et en toute circonstance. En effet, ils interdisent une action
déterminée semper et pro
semper, sans exception. […] L'Eglise a toujours enseigné que l'on ne
doit jamais choisir des comportements prohibés par les commandements moraux,
exprimés sous forme négative par l'Ancien et le Nouveau Testament. Comme on l'a
vu, Jésus lui-même redit qu'on ne peut déroger à ces interdictions : « Si tu
veux entrer dans la vie, observe les commandements. Tu ne tueras pas, tu ne
commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux
témoignage. » (Mt 19, 17-18). » (Jean Paul II, Encyclique Veritatis splendor, § 52)
Le Magistère de
l´Église nous enseigne encore plus clairement : « La conscience bonne et pure est éclairée par la foi véritable. Car la
charité procède en même temps « d’un cœur pur, d’une bonne conscience et
d’une foi sans détours. » (1 Tm 1, 5 ; cf. 3, 9 ; 2 Tm 1,
3 ; 1 P 3, 21 ; Ac 24, 16). » (Catéchisme de l´Église Catholique, § 1794)
Si une personne
commet des actes moraux objectivement graves en pleine conscience, sans
troubles de santé mentale, en pleine liberté, et avec l´intention de répéter
cet acte dans le futur, il est impossible de lui appliquer le principe de
non-imputabilité de la faute en raison de circonstances atténuantes.
L´application du principe de non-imputabilité de la faute à de tels couples de
divorcés-remariés représenterait une hypocrisie et un sophisme gnostique. Si
l´Église admettait de telles personnes même en une seule occasion à la Sainte
Communion, elle contredirait ce qu´elle professe dans sa doctrine, donnant
elle-même un contre-témoignage public contre l´indissolubilité du mariage et
contribuant ainsi à la croissance du « fléau du divorce » (Concile
Vatican II, Gaudium et spes, § 47).
Afin d´éviter
une telle contradiction, à la fois intolérable et scandaleuse, l´Église,
interprétant infailliblement la vérité Divine sur la loi morale et
l´indissolubilité du mariage, a observé immuablement pendant deux mille années
la pratique de n´admettre à la Sainte Communion que les divorcés, qui vivent
dans la continence parfaite et « remoto scandalo » (en évitant le
scandale) sans aucune exception ou privilège exceptionnel.
La première
tâche pastorale que le Seigneur a confiée à son Église, est l´enseignement de
la doctrine (cf. Mt 28, 20). L´observation des commandements de Dieu est
intrinsèquement connexe à la doctrine. Pour cette raison l´Église a toujours
rejeté la contradiction entre la doctrine et la vie, la qualifiant de
gnostique, tout comme l´est la théorie luthérienne hérétique du « simul
iustus et peccator ». Il ne devrait pas y avoir de contradictions entre la
vie des enfants de l´Église et leurs croyances.
On ne peut pas,
à propos de l´observation du commandement exprès de Dieu sur l´indissolubilité
du mariage, parler d’interprétations théologiques opposées. Si Dieu a
dit : « Tu ne commettras pas l´adultère », aucune autorité humaine ne
peut dire : « En quelque cas exceptionnels ou pour une bonne fin tu peux
commettre l´adultère. »
Les paroles
suivantes du pape François au sujet de l´intégration des divorcés-remariés à la
vie de l´Église sont très importantes : « Ce discernement ne pourra jamais
s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par
l’Église. […] Il faut garantir les
conditions nécessaires d’humilité, de discrétion, d’amour de l’Église et de son
enseignement. […] On évite le risque
qu’un discernement donné conduise à penser que l’Église entretient une double
morale. » (AL, § 300) Ces affirmations louables de l´exhortation
apostolique restent toutefois sans consignes concrètes concernant la question
de l´obligation des divorcés-remariés de se séparer ou du moins de vivre dans
la continence parfaite pour accéder à la Sainte Communion.
Quand il s´agit
de la vie ou de la mort du corps, aucun médecin ne laisse une situation dans l’
ambiguïté. Le médecin ne dit pas
au patient : « Je vous laisse décider, en votre âme et conscience, de
l´application à votre cas concret des lois générales de la
médecine. » Un tel comportement serait certainement considéré comme
gravement irresponsable. Or la vie de l´âme immortelle est plus importante que
celle du corps, puisque de la santé de l´âme dépend son destin pour toute
l’éternité.
La vérité libératrice de la
pénitence et du mystère de la Croix
Affirmer que
les divorcés-remariés ne sont pas des pécheurs publics dans l´Église est une
affirmation fausse. Cependant, être pécheur est la condition véritable de tous
les membres de l´Église militante sur la terre. Si les divorcés-remariés
affirment que leurs actes volontaires et délibérés contre le sixième
commandement de Dieu ne sont pas des péchés, voire des péchés graves, ils se
trompent eux-mêmes et la vérité n´est pas en eux, comme le dit saint
Jean : « Si nous disons : « Nous n'avons pas de péché »,
nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous. Si nous confessons nos péchés,
lui, fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute
iniquité. Si nous disons : « Nous n'avons pas péché », nous faisons
de lui un menteur, et sa parole n'est pas en nous. » (1 Jean 1, 8-10)
L´acceptation
par les divorcés-remariés de la vérité qu´ils sont des pécheurs et même des
pécheurs publics, n`enlève rien à leur espérance chrétienne. Seulement
l´acceptation de la réalité et de la vérité les rend capables de prendre le
chemin d´une pénitence fructueuse selon les paroles de Jésus Christ.
Il serait très
salutaire de restaurer l´esprit des premiers chrétiens et celui des Pères de
l´Église. Il existait alors une solidarité vivante entre les fidèles et les
pécheurs publics, cependant il s’agissait d’une solidarité selon la vérité. Une
telle solidarité n´avait rien de discriminatoire ; au contraire, il y avait
une participation active de toute l´Église au chemin pénitentiel des pécheurs
publics par des prières d´intercession, des larmes, des actes d´expiation et de
charité en leur faveur.
L´Exhortation
Apostolique Familiaris consortio enseigne
: « Même ceux qui se sont éloignés du commandement du Seigneur et
continuent de vivre dans cet état (divorcés remariés) pourront obtenir de Dieu
la grâce de la conversion et du salut, s'ils persévèrent dans la prière, la
pénitence et la charité. » (§ 84)
Dans les premiers siècles de
l’Eglise les pécheurs publics étaient intégrés à la communauté priante des
fidèles et devaient implorer, à genoux et les bras levés, l´intercession de
leurs frères. Tertullien nous donne ce témoignage émouvant : « Le corps ne
peut se réjouir, quand souffre l´un de ses membres. Il est nécessaire que tout
entier il s´afflige et travaille à sa guérison. Lorsque tu tends des mains vers
les genoux de tes frères, c´est le Christ que tu touches, c´est le Christ que
tu implores. Pareillement, quand ils versent des larmes sur toi, c´est le
Christ qui compatit. » (De
paenitentia, 10, 5-6) Saint Ambroise de Milan s’exprime de la même
façon : « L´Église entière prit sur elle le fardeau du pécheur public, en
souffrant avec lui au moyen des larmes, des prières et de douleurs. » (De paenitentia 1, 81)
Certes, les formes de la
discipline pénitentielle de l´Église ont changé. Toutefois l´esprit de cette
discipline doit rester identique en tous temps dans l´Église. Aujourd’hui des
prêtres et des évêques, s´appuyant sur certaines affirmations d’Amoris
Laetitia, commencent à expliquer aux divorcés-remariés que leur condition ne
constitue pas un état objectif de pécheur public. Ils les tranquillisent en
déclarant que leurs actes sexuels hors mariage légitime ne constituent pas un
péché grave. Une telle attitude n’est pas conforme à la vérité. Ces pasteurs
privent les divorcés-remariés de la possibilité d´une conversion radicale à
l´obéissance à la volonté de Dieu, laissant ces âmes dans l´illusion. Une telle
attitude pastorale est très facile à adopter et ne coûte rien. Elle ne coûte
pas de larmes, de prières ni d´œuvres d´intercession et d´expiation fraternelle
en faveur des divorcés-remariés.
Quand on admet les
divorcés-remariés, même pour des raisons exceptionnelles, à la Sainte Communion
sans leur demander de mettre fin à leurs actes contraires au sixième
commandement de Dieu, en déclarant présomptueusement en outre que leurs actes
ne constituent pas un péché grave, on choisit le chemin facile, on écarte le
scandale de la croix. Une telle pastorale des divorcés-remariés est une
pastorale éphémère et trompeuse. A tous ceux qui aménagent aux
divorcés-remariés un tel chemin facile et sans aspérités, Jésus a déjà répondu
par ces paroles : « Passe derrière moi, Satan ! Tu me fais obstacle,
car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! Alors
Jésus dit à ses disciples : Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie
lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive. » (Mt 16, 23-25)
Concernant
la pastorale des divorcés-remariés il faut rappeler à notre temps que se mettre
à la suite du Christ c’est accepter la vérité de la Croix et de la pénitence,
qui seule apporte une joie qui demeure, évitant des joies éphémères qui sont en
fin de compte trompeuses. Les paroles du pape Saint Grégoire le Grand se
révèlent vraiment actuelles et lumineuses : « Nous ne devons pas nous habituer trop à
notre exil terrestre. Les commodités de cette vie ne doivent pas nous
faire oublier notre
vraie patrie afin que notre esprit ne devienne pas enfin somnolent au milieu de
ces commodités. Pour cette raison, Dieu unit à ses dons ses
« visites » ou punitions, afin que tout ce qui nous enchante dans ce
monde, devienne pour nous amer et allume dans l´âme ce feu qui nous pousse
toujours à nouveau au désir des choses célestes et nous fait progresser. Ce feu
nous fait de la peine plaisamment, nous crucifie doucement et nous attriste
joyeusement. » (In Ez., 2, 4, 3)
L´esprit
de la discipline pénitentielle authentique de l´Église des premiers siècles a
toujours perduré dans l´Église jusqu´à nos jours. Nous connaissons l´exemple
touchant de la Bienheureuse Laura del Carmen Vicuna, née en 1891 au Chili. Sœur Azocar, qui avait soigné Laura,
a raconté : « Je me souviens que la première fois que j’ai expliqué le
sacrement du mariage, Laura s’est évanouie, sans doute parce qu’elle comprit à
mes paroles que sa maman était en état de péché mortel aussi longtemps
qu’elle resterait chez ce monsieur. En ce temps-là à Junin, une seule famille
vivait conformément à la volonté de Dieu. » Dès lors, Laura multiplie prières
et pénitences pour sa maman. Elle fait sa première communion le 2 juin 1901
avec une grande ferveur ; elle écrit les résolutions
suivantes : « 1. Je veux, mon Jésus, t’aimer et te servir durant
toute ma vie ; pour cela je t’offre toute mon âme, tout mon cœur et tout
mon être. - 2. Je préfère mourir plutôt que de t’offenser par le péché ; je
veux donc m‘éloigner de tout ce qui pourrait me séparer de toi. - 3. Je promets
de faire tout mon possible, même de grands sacrifices, afin que tu sois
toujours plus connu et aimé, et afin de réparer les offenses que, tous les
jours, t’infligent les hommes qui ne t’aiment pas, spécialement celles que tu
reçois de ceux qui me sont proches. - Oh, mon Dieu, accorde-moi une vie
d’amour, de mortification et de sacrifice ! » Mais sa grande joie est
assombrie en voyant que sa mère, présente à la cérémonie, ne communie
pas. En 1902, Laura offre sa vie pour sa mère qui cohabite avec un
homme dans une union irrégulière en Argentine. Laura multiplie prières et
privations pour obtenir la vraie conversion de sa mère. Quelques heures avant
de mourir, elle appelle sa maman près d’elle. Celle-ci, comprenant
que c’était le moment suprême, s’exclame : « Maman, je vais mourir. C’est moi
qui l’ai demandé à Jésus et j’ai été exaucée. Il y a presque deux ans que je
lui ai offert ma vie pour la grâce de ton retour. Maman, je n’aurai pas la joie
de voir ton repentir avant que je ne meure ? » Bouleversée, sa maman
promet : « Demain matin, j’irai à l’église et je me confesserai. » Laura
cherche des yeux le prêtre présent et lui dit : « Père, ma mère en cet
instant promet d’abandonner cet homme ; soyez témoin de sa promesse ! »
Puis elle ajoute :
« Maintenant je meurs contente ! » C’est avec ces mots qu’elle
expire, le 22 janvier 1904 à Junin des Andes (Argentine), à 13 ans, dans
les bras de sa mère, qui retrouve alors la foi et met fin à l´union irrégulière
dans laquelle elle vivait.
L´exemple
admirable de la vie de la Bienheureuse Laura, une toute jeune fille, est une
démonstration du degré de sérieux qu’un vraie catholique doit accorder au
sixième commandement de Dieu ainsi qu’à la sacralité et à l’indissolubilité du
mariage. Notre Seigneur Jésus Christ nous commande d´éviter même l´apparence
d´une approbation d´une union irrégulière ou d´une union adultère. L´Église a
toujours fidèlement conservé et transmis sans ambiguïté dans sa doctrine et sa
pratique ce commandement divin. En offrant sa jeune vie la Bienheureuse Laura
n´avait certainement pas en tête diverses interprétations doctrinales ou
pastorales possibles. On ne donne pas sa vie pour une interprétation doctrinale
ou pastorale possible, mais pour une vérité Divine immuable et universellement
valide. Cette vérité a été démontrée par l´offrande de la vie d´un grand nombre
de Saints, à commencer par saint Jean Baptiste jusqu´aux simples fidèles de nos
jours dont Dieu seul connaît le nom.
La nécessité d´une
« veritatis laetitia »
L`exhortation
Amoris Laetitia contient effectivement et heureusement des affirmations
théologiques, doctrinales, spirituelles et pastorales de grande valeur.
Toutefois, affirmer que Amoris Laetitia devrait être interprétée selon la
doctrine et la pratique traditionnelles de l´Église, reste pratiquement
insuffisant. En effet quand un document ecclésiastique, qui en notre cas est
dépourvu de caractère définitif et d’infaillibilité, présente des affirmations
susceptibles de donner lieu à des interprétations ou des applications, aux
conséquences spirituelles dangereuses, tout membre de l´Église, et en premier
lieu les évêques comme collaborateurs fraternels du Souverain Pontife dans la
collégialité effective, a le devoir de signaler respectueusement ce fait et de
demander aux autorités compétentes une interprétation authentique.
Quand il s´agit
de la foi Divine, des commandements de Dieu, de la sacralité et de
l’indissolubilité du mariage, tous les membres de l´Église, à commencer par les
simples fidèles jusqu´au plus haut représentant du Magistère doivent faire un
effort commun afin de conserver intact le trésor de la Foi ainsi que son
application pratique. Le Concile Vatican II enseigne : « La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient
du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut se tromper dans
la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le
sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, « des
évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs » (S. Augustin, De Praed. Sanct. 14, 27), elle apporte aux vérités
concernant la foi et les mœurs un consentement universel. Grâce en effet à ce
sens de la foi qui est éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, et sous la
conduite du magistère sacré, pourvu qu’il lui obéisse fidèlement, le Peuple de
Dieu reçoit non plus une parole humaine, mais véritablement la Parole de Dieu
(cf. 1 Th 2, 13), il s’attache
indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude 3), il y pénètre plus profondément par
un jugement droit et la met plus parfaitement en œuvre dans sa vie. » (Lumen gentium, § 12) Le Magistère, pour
sa part, « n’est pas au-dessus de la Parole de
Dieu, mais il est à son service, n’enseignant que ce qui a été transmis. »
(Concile Vatican II, Dei Verbum, §
10)
Le Concile
Vatican II a ainsi particulièrement encouragé tous les fidèles et surtout les
évêques à manifester sans crainte leurs préoccupations et leurs observations en
vue du bien de toute l´Église. La servilité et la soumission au
« politiquement correct » sont un mal pernicieux pour la vie de
l´Église. Le célèbre évêque et théologien du Concile de Trente, Melchior Cano
O.P., a prononcé cette mémorable phrase : « Pierre n´a pas besoin de
nos mensonges ni de nos adulations. Ceux qui, les yeux fermés et de manière
indiscriminée, défendent chaque décision du Souverain Pontife, sont ceux qui
sapent le plus l´autorité du Saint Siège. Ils détruisent ses fondements au lieu
de les consolider. »
Notre Seigneur
nous a enseigné sans ambiguïté expliquant en quoi consistent le vrai amour et
la vraie joie de l´amour : « Celui qui a mes commandements et qui les
garde, c'est celui-la qui m'aime. » (Jean 14, 21) Lorsqu’il donne aux
hommes le sixième commandement et l’obligation de l´observance de
l´indissolubilité du mariage Dieu s’adresse à tous les hommes sans exception et
pas seulement à une élite. Déjà dans l´Ancien Testament Dieu avait
affirmé : « Ce commandement que je te prescris aujourd'hui n'est
certainement point au-dessus de tes forces et hors de ta portée »
(Deutéronome 30, 11) et « Si tu le veux, tu garderas les commandements
pour rester fidèle à son bon plaisir. » (Ecclésiastique 15, 15) Jésus
dit à tous : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les
commandements. Lesquels ? Et Jésus
répondit : Tu ne tueras point ; tu ne commettras point d'adultère. » (Mt
19, 17-18) L´enseignement des Apôtres nous a transmis la même
doctrine : « Car l'amour de Dieu consiste à garder ses
commandements. Et ses commandements ne sont pas pesants. » (1 Jean 5, 4)
Il n´existe pas
de vraie vie surnaturelle et éternelle sans l´observation des commandements de
Dieu : « Je te prescris d'observer ses commandements. J'ai mis
devant toi la vie et la mort. Choisis la vie ! » (Deutéronome
30, 16.19) Il n´y a pas de vraie vie et de vraie joie d´amour authentique sans
la vérité. « L'amour consiste à vivre selon ses commandements. » (2
Jean 6) La joie d´amour consiste dans la joie de la vérité. La vie
authentiquement chrétienne consiste dans la vie et dans la joie de la
vérité : « Apprendre que mes enfants vivent dans la vérité, rien ne m'est
un plus grand sujet de joie. » (3 Jean 4)
Saint Augustin
nous explique l´intime connexion entre la joie et la vérité « Je leur demande à tous s’ils ne préfèrent pas la joie
de la vérité à celle du mensonge. Et ils n’hésitent pas plus ici que pour la
réponse à la question du bonheur. Car la vie heureuse c’est la joie de la
vérité, nous voulons tous la joie de la vérité. » (Confessions, X, 23)
Le danger d´une confusion
générale à propos de l´indissolubilité du mariage
Depuis déjà un
certain temps s’observe dans l´Église, en certains endroits, l´admission des
divorcés-remariés à la Sainte Communion sans leur demander de vivre en
continence parfaite. Les affirmations peu claires du chapitre VIII d’Amoris
Laetitia ont donné un nouveau dynamisme aux propagateurs affirmés de
l´admission des divorcés-remariés à la Sainte Communion en arguant de cas
particuliers.
On constate
maintenant que ces abus se répandent plus largement, cette pratique paraissant
avoir en quelque sorte été légitimée. Une grande confusion s’est également
installée à propos de l´interprétation en particulier des affirmations du
chapitre VIII d’Amoris Laetitia. La confusion est aujourd’hui à son
comble car aussi bien les partisans de l´admission des divorcés-remariés à la
Sainte Communion que leurs opposants déclarent : « La doctrine de l´Église
en cette matière n´a pas été changée. »
Tout en prenant
en compte de réelles différences historiques et doctrinales, notre situation
présente des ressemblances et des analogies avec la période de confusion
générale que fut celle de la crise arienne au IVème siècle. À cette
époque la foi apostolique traditionnelle qui affirmait la divinité du Fils de
Dieu fut garantie par le mot : « consubstantiel » (« homoousios »),
dogme défini par le Magistère universel lors du Concile de Nicée I en 325. La
plupart des évêques refusèrent ou esquivèrent l´utilisation du
mot « consubstantiel » (« homoousios »), ce qui
provoqua une crise de la foi d’ampleur universelle et une grande confusion. Le
clergé et surtout l´épiscopat proposèrent des expressions alternatives qui en
fin de compte étaient ambiguës et imprécises comme par exemple :
« semblable dans la substance » (« homoiousios ») ou simplement
« semblable » (« homoios »). La formule « homoousios » adoptée
par le Magistère universel de ce temps exprimait la pleine et vraie divinité du
VERBE d´une façon tellement précise qu’elle ne laissait plus aucune espace à
une interprétation équivoque.
Dans les années
357 – 360, suite à divers événements, presque tout l’épiscopat était devenu
arien ou semi-arien. En 357 le pape Libère avait signé une des formules
ambiguës adoptées par le synode de Sirmium qui écartaient l´expression «
homoousios ». De plus le pape avait scandaleusement excommunié Saint Athanase,
défenseur de la foi traditionnelle de l´Église selon la formule nicéenne. Saint
Hilaire de Poitiers fut l`unique évêque qui osa formuler de graves reproches au
pape Libère à cause de l’ambiguïté de son comportement. En 359 les synodes
parallèles de l´épiscopat occidental à Rimini et de l´épiscopat oriental à
Séleucie avaient accepté des formules pleinement ariennes, qui étaient encore
pires que la formule ambiguë signée par le pape Libère. Décrivant la situation
confuse de cette époque Saint Jérôme avait constaté : « Tout le monde fut
surpris de se voir devenu arien » (« Ingemuit totus orbis, et arianum
se esse miratus est » : Adv.
Lucif., 19).
Il existe de
même à notre époque une grande confusion, qui croît, en ce qui concerne la
discipline sacramentelle des divorcés-remariés. Des éléments réels incitent à
penser que cette confusion peut atteindre une dimension encore plus vaste, si
le Saint Siège évite de proposer et de proclamer la formule suivante du
Magistère universel et infaillible : « La
réconciliation par le sacrement de pénitence - qui ouvrirait la voie au
sacrement de l'Eucharistie - ne peut être accordée qu'à ceux qui prennent
l'engagement de vivre en complète continence, c'est-à-dire en s'abstenant des
actes réservés aux époux. » (Pape Jean Paul II, Familiaris consortio, § 84) Cette
formule est malheureusement et incompréhensiblement absente de l´exhortation
Amoris Laetitia. En revanche ce texte contient de manière inexplicable
l’affirmation : « Dans ces situations (des divorcés-remariés), connaissant
et acceptant la possibilité de cohabiter ‘‘comme frère et sœur’’ que l’Église
leur offre, beaucoup soulignent que s’il manque certaines manifestations
d’intimité la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être
compromis. » (AL, § 298, note 329) Une telle affirmation laisse
l´impression d´une contradiction avec l´enseignement pérenne du Magistère
universel, tel qu’il a été formulé dans le texte précédemment cité de Familiaris consortio, § 84.
Il est urgent
que le Siège Apostolique confirme et proclame à nouveau, peut-être sous la
forme d´une interprétation authentique d’Amoris Laetitia, la formule citée de Familiaris consortio § 84. Cette formule
peut, d’une certaine manière, être considérée comme l´« homoousios »
de nos jours. L´absence d´une telle confirmation officielle et explicite de la
formule de Familiaris consortio, § 84
de la part du Siège Apostolique pourrait entraîner une confusion majeure dans
la discipline sacramentelle avec des répercussions graduelles et inévitables
dans le domaine doctrinal. De cette manière serait créée une situation à
laquelle on pourrait appliquer dans l’avenir le constat suivant : « Tout
le monde fut surpris d’avoir en pratique accepté le divorce » («
Ingemuit totus orbis, et divortium in praxi se accepisse miratus est »).
Cette
confusion dans la discipline sacramentelle à l’égard des divorcés-remariés
aurait inéluctablement des répercussions doctrinales
qui contrediraient la nature même de l´Église Catholique, telle qu’elle a été
décrite par Saint Irénée au IIème siècle : « L'Église, ayant reçu
cette prédication et cette foi, bien que dispersée dans le monde entier, les
garde avec soin, comme n'habitant qu'une seule maison, elle y croit d'une
manière identique, comme n'ayant qu'une seule âme et qu'un même cœur, et elle
les prêche, les enseigne et les transmet d'une voix unanime, comme ne possédant
qu'une seule bouche. » (Adversus
haereses, I, 10 , 2)
Le Siège de Pierre, c´est à dire le
Souverain Pontife est le garant de l´unité de la foi et de la discipline
sacramentelle issues des apôtres. Au regard de la confusion existant dans la
pratique sacramentelle à l’égard des divorcés-remariés et des diverses
interprétations de l’exhortation Amoris Laetitia par les prêtres et les
évêques, il est légitime de lancer un appel à notre cher pape François, Vicaire
du Christ et « doux Christ en terre » (Sainte Catherine de Sienne), afin
qu´il ordonne la publication d´une interprétation authentique d’Amoris
Laetitia. Celle-ci devrait nécessairement contenir la proclamation explicite du
principe disciplinaire du Magistère universel et infaillible de l’Eglise à
l’égard de l´admission des divorcés-remariés aux sacrements, tel qu’il a été
formulé dans Familiaris consortio, § 84.
Dans la grande confusion de la crise
arienne du IVème siècle saint Basile le Grand avait ainsi lancé un appel urgent
au pape Damase afin que par sa parole il éclaircisse la situation et
rétablisse l’unité de la foi et de la charité (cf. Ep. 70).
Une interprétation authentique
d’Amoris Laetitia par le Siège Apostolique apportera à toute l´Église une joie
dans la clarté (« claritatis laetitia »). Une telle clarté garantira un
amour dans la joie (« amoris laetitia »), un amour et une joie qui ne
seront pas selon la pensée des hommes, mais selon la pensée de Dieu (cf. Mt 16,
23). Et c'est cela qui compte,
pour la joie, la vie et le salut éternel des divorcés-remariés et de tous les
hommes.
+ Athanasius Schneider, Évêque auxiliaire
de l´archidiocèse de Sainte Marie en Astana, Kazakhstan
© Tous droits réservés par Mgr Athanasius Schneider. Reproduction libre à condition de faire figurer ces mentions.
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