12 novembre, 2015
La jeune
Belge, dite « Laura », qui avait obtenu au printemps l’autorisation
de se faire euthanasier en raison de « souffrances psychiatriques
intolérables », a fait l’objet d’un documentaire poignant tourné par The Economist pendant les mois et les
jours qui ont précédé le jour fixé pour son injection létale. Elle s’appelle en
réalité Emily, c’est une Flamande de la ville de Bruges. A 24 ans, en
excellente santé physique, elle avait derrière elle une vie de désespérance, de
dépression profonde et de fréquents épisodes d’automutilation. Le documentaire
sur sa marche vers l’euthanasie a été mis en ligne le 10 novembre. Arrêtez
votre lecture ici si vous voulez voir son histoire plutôt que je ne vous la
raconte…
En fait,
l’histoire se termine bien. Emily, à la dernière minute, a choisi de vivre.
C’est une
bonne nouvelle. C’est une jeune vie sauvée. On peut espérer que la jeune femme
va pouvoir vivre une nouvelle vie, sans ce mal qui la rongeait. Mais le
documentaire de The Economist est
avant tout un plaidoyer pour le droit à l’euthanasie, qui présente
complaisamment la demande de fin de vie de la jeune femme. A travers la
compassion suscitée, l’idée est de faire accepter que l’option de l’euthanasie,
du simple fait qu’elle existe, donne le courage de continuer. Tant qu’Emily
« Laura » a pensé qu’il n’y avait pas d’issue, elle a désiré la mort
plus que tout. Une fois la mort à portée de mains, elle a retrouvé une certaine
paix de l’esprit.
Il y a
dans ce récit une contre-vérité. Pourquoi Emily a-t-elle obtenu d’une équipe de
trois médecins l’autorisation d’être euthanasiée, si ce n’est au motif du
caractère totalement incurable et insupportable de son affection
psychiatrique ? C’est parce qu’il n’y avait pas d’espoir de guérison, ni
même d’amélioration, de l’avis des spécialistes, que ceux-ci ont donné le feu
vert.
En
définitive, c’est l’approche de la mort qui a déclenché quelque chose dans son
esprit. Elle a trouvé des raisons de vivre puisqu’elle est encore là. Si ces
choses ont un sens, elles montrent bien que le désespoir de la jeune femme
n’était pas si profondément enraciné qu’il ne puisse céder devant telle ou
telle forme d’aide ou de soutien. Emily avait des ressources dans son propre
esprit, et au cours de ses dernières semaines avant la date prévue de
l’euthanasie, cet été, elle a bénéficié de l’écoute et du soutien de sa mère,
de ses amies, qu’on voit dans le documentaire tour à tour résignées et
atterrées devant sa décision.
Ainsi
donc, la maladie d’Emily n’était pas totalement incurable, hors d’espoir.
On peut arguer
que les médecins qui la traitent depuis des années ont failli, non pas parce
qu’il n’y avait objectivement pas de solution, mais parce qu’ils n’ont pas
trouvé de moyen de lui rendre un peu d’espoir. Au cours du documentaire Emily
montre au journaliste un tiroir plein d’antidépresseurs et autres médicaments
qui n’arrivaient pas à juguler sa haine d’elle-même et ses crises
d’automutilation, en encore moins à la guérir. Sans aucun doute les médicaments
aident-ils à rendre l’équilibre aux personnes souffrant de maladies de
l’esprit, mais il est clair qu’ils ne parvenaient pas à leur fin dans le cas de
la jeune femme.
Le film
commence par des images qu’Emily avait tournées d’elle-même il y a quelques
années pour y exprimer pour la première fois aux yeux du monde son désir de
mort, tapie dans un coin, les bras lacérés. Elle se souvient : dès l’âge
de trois ans, elle aurait préféré « ne pas être là » et son désir de
se tuer s’est manifesté quand elle avait six ans.
Le film ne
dit pas que ses parents se sont séparés très tôt : la vie commune avait
été rendue impossible par la violence et l’alcoolisme de son père. Emily a
passé la plus grande partie de son enfance avec ses grands-parents maternels,
qui l’ont entourée de leur affection. Mais il y avait cette faille, dont Emily
se persuade aujourd’hui qu’elle n’a eu aucun rôle majeur dans son désir
d’autodestruction.
Le fait
est que ses séances d’automutilation ont commencé tôt et que personne n’a su en
comprendre la gravité. Après le lycée – le documentaire n’en parle pas non
plus – elle a choisi de faire du théâtre, elle a emménagé avec une amie avec
qui elle vivait une « passion amoureuse très agréable » comme elle
l’a raconté au printemps, avant que sa propre dépression ne conduise à leur
séparation.
C’est
alors qu’un psychiatre l’a convaincue de se faire interner – chose que le film
ne dit pas non plus – dans une institution psychiatrique où elle a fait la
connaissance d’une autre femme, Sarah, qui était en train d’organiser sa propre
euthanasie. Elles parlaient souvent de la mort et Emily, forcément fragile, a
eu l’idée de suivre son exemple. Dans le documentaire, elle qu’elle se serait
donné la mort, « mais c’eût été une mort affreuse, douloureuse, dans
l’isolement ». « Sans l’option de l’euthanasie, je me serais
suicidée », dit-elle. Vraiment ?
Cependant,
ses crises terribles se succédaient, faisant d’Emily « Laura » une
patiente si violente et agressive qu’on la renvoyait chez elle de temps en
temps pour que le personnel de la clinique psychiatrique puisse souffler. Elle
raconte dans le film comment elle avait l’impression d’abriter un
« monstre maléfique » dans sa cage thoracique : au pire de ses
crises, elle se scarifiait en imaginant qu’il pouvait alors sortir, s’éloigner,
mais la douleur pouvait revenir dans les cinq minutes. Elle se coupait et se
frappait la tête contre les murs, sans trouver la paix.
Le film
montre les trois médecins qui ont autorisé l’euthanasie d’Emily, et qui l’ont
suivie pendant plusieurs mois. Parmi eux, Lieve Thienpont, psychiatre spécialisée
dans l’évaluation des demandes d’euthanasie. Elle a écrit un livre sur le
sujet, Libera me, et pour elle on est
en plain dans la question de la « mort dans la dignité » : elle
conçoit l’euthanasie comme une solution possible. On peut sans risque d’être
injuste dire qu’elle est partisane de l’euthanasie.
Elle
paraît plusieurs fois dans le documentaire pour commenter sur le cas d’Emily.
On la voit même avec les deux autres médecins au moment où ils expliquent à la
jeune femme comment se passera concrètement l’euthanasie, en soulignant qu’elle
pourra refuser jusqu’à la dernière seconde, au dernier instant, sans craindre
que sa « crédibilité » n’en prenne un coup.
Lieve
Thienpont explique au cours d’un entretien filmé que les souffrances d’Emily
sont si graves qu’elles sont « incompatibles avec la vie » et en tout
cas avec une « qualité suffisante de vie » qui lui permettrait de
continuer.
Après des
échanges avec la mère, les amies de la jeune femme, le journaliste se rend dans
l’appartement d’Emily, apparemment le jour de l’euthanasie, programmée pour 17
heures. C’est à la fin, à l’arrivée du médecin, qu’elle dit ne pas vouloir de
l’injection létale. « Très rationnellement, j’ai dit : “Je ne peux
pas le faire.” Car les deux dernières semaines qui ont précédé ce fameux jeudi
où cela aurait dû se faire ont été relativement supportables. Il n’y a pas eu
de crises. Et je ne comprenais pas bien pourquoi il en était ainsi. Est-ce
parce que la sérénité de la mort était si proche ? Parce que nous nous
disions adieu et que je me sentais bien à cause de cela ? Ou bien quelque
chose a-t-il changé ? »
En
attendant, l’histoire d’Emily est bel et bien utilisée pour promouvoir
l’euthanasie, en tant qu’option possible pour tous ceux qui le désirent, voire
comme une solution qui au bout du compte, pourrait aider certains à continuer
de vivre. Mais aujourd’hui en Belgique, même si nombre de tels cas sont connus,
certains meurent des mains des médecins alors même qu’ils sont en bonne santé
physique, comme Emily.
Quel rôle
a joué le passé d’Emily dans sa dramatique histoire ? Le film n’en parle
pas. Il se contente de noter qu’elle n’est pas croyante, qu’elle n’a aucune
idée de l’existence ou non d’une vie après la vie.
On ne peut
s’empêcher de poser la question : n’avait-elle pas avant tout besoin d’un
soutien spirituel et
physique ? Son traitement psychiatrique était-il adapté ? A l’heure
où tant de jeunes ont des problèmes d’identité, induits notamment par des
méthodes pédagogiques qui déstructurent la pensée – à preuve, tous ces jeunes
qui ne comprennent pas la différence entre sujet et objet, qui ne savent pas
qui est « je » – le cas d’Emily devrait être un appel à une véritable
prise de conscience, au lieu d’être utilisé par le lobby de l’euthanasie.
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