07 juillet, 2014
Conformément à
l’ordonnance de référé rendue vers 23 h vendredi soir par le tribunal
administratif de Paris, l’homme de 73 ans condamné
à ne plus recevoir les soins nécessaires à son maintient en vie a été entendu
ce lundi après-midi pour dire ce qu’il en pensait, lui.
En présence
Me Jérôme Triomphe, avocat de la femme et des filles du malade, et du
directeur juridique de l’hôpital parisien où il se trouve en réanimation depuis
deux mois, le patient a répondu très clairement à la double question qui lui
était posée par le juge Rouvière : voulait-il être soigné ? Voulait-il
être soigné dans un autre hôpital, en Israël, près des siens ? Oui !
On peut
souffrir de problèmes respiratoires, avoir besoin de dialyses, avoir le cœur
fragile, risquer l’infarctus – et pourtant ne pas avoir envie de se
« laisser partir » avec des soins palliatifs, si professionnels et
efficaces soient-ils…
Les faits. Cet
homme de 73 ans avait subi une première hospitalisation de deux mois en
réanimation au début de l’année. Il avait été question d’arrêter les soins à ce
moment-là, mais le patient avait non seulement une forte envie de vivre, mais
aussi une chance de s’en sortir. Ses proches plaidèrent pour qu’on le soigne.
Il fit des progrès, et put être installé en maison de rééducation où il
récupérait petit à petit.
Une rechute le
conduisit de nouveau en réanimation. Cette fois, au bout de deux mois, il fut
décidé par l’équipe médicale de ne plus le dialyser, cette procédure pouvant
entrainer une hypotension et un infarctus. Le chef de service assure avoir
obtenu l’adhésion du patient à son projet de cesser les soins devenus inutiles
dans le cadre d’une absence de « projet thérapeutique ». On allait
installer les soins palliatifs. Il mourrait dans la dignité. L’arrêt des
dialyses allait en effet immanquablement entraîner le décès du patient dont le
sang ne serait plus purifié.
Une des filles
du patient, accourue en urgence depuis Israël – sa femme et ses enfants se sont
installés là-bas, pas lui – et entourée d’une femme médecin et d’une infirmière
amies qui l’ont soigné, est venue dire le refus de la famille face à cette
décision d’abandon. C’était une parole contre l’autre : celle des
responsables de l’hôpital qui ont pris la décision définitive d’en rester là,
contre celle des proches de cet homme qui n’est pas si vieux, et qui devant
elles avait dit vouloir être soigné.
D’où le
référé-liberté, organisé dans l’extrême urgence parce que le patient risquait
de mourir.
En ordonnant
que le malade soit entendu de manière « contradictoire » en quelque
sorte, le juge lui a donné un sursis. Une dialyse pratiquée à la suite
d’analyses que l’équipe médicale a relancées pour assurer sa survie au moins
jusqu’à cette réunion de lundi après-midi s’est très bien passée, sans
hypotension, sans infarctus. Heureusement pour le malade d’ailleurs : le
chef de service avait bien précisé à l’audience qu’en cas de difficulté, le
patient ne serait pas réanimé…
Ce sursis a
donc abouti à une claire affirmation de la volonté du patient. Vivre, ou du
moins donner une chance à la vie ! Car il n’est pas en fin de vie, il est
conscient, il peut encore espérer tenir des jours, des semaines, des mois
peut-être ; même si ses pathologies sont lourdes nul ne saurait prédire sa
fin avec certitude.
Et voilà que la
décision de cesser les soins – tout ; les analyses, les traitements, les
dialyses – apparaît dans cette affaire de plus en plus clairement comme une
décision d’« euthanasie lente ». Certes il faut se garder de tout
jugement à l’emporte-pièce : il est bien des moments où un patient, trop
lourdement malade, ne peut plus tirer bénéfice des traitements. Et il est vrai
aussi que le malade peut préférer refuser des traitements trop lourds, trop
pénibles, sans qu’il soit question ni d’euthanasie ni de suicide assisté.
Mais dans cette
affaire la manière assurée avec laquelle le malade – parfaitement conscient – a
saisi l’offre qui lui était faite, grâce au référé engagé par sa famille, de
tout tenter quand même, laisse entrevoir que l’arrêt des soins n’avait rien de
la décision d’un homme trop épuisé pour lutter encore. Mais tout d’un choix dicté
peut-être par la compassion, plus sûrement par l’idée que la qualité de vie du
patient ne serait plus au rendez-vous (même si, pour être précis, cette idée a
été vigoureusement récusée par le chef de service à l’audience).
En fait,
l’arrêt de soins a été dicté par cette appréciation : « Pas d’espoir
de guérison. »
Mais s’il faut
arrêter de soigner les malades qui n’ont « pas d’espoir de
guérison », cela va faire du monde…
La famille du
patient a maintenant la charge de trouver les moyens de le faire transférer –
ce qui ne pose pas un problème insurmontable de l’avis des médecins qui
s’occupent de lui – non seulement sur le plan médical, administratif, de
l’émigration vers Israël, mais encore sur le plan pécuniaire. Tout sera à la
charge des proches, l’hôpital parisien ayant indiqué que le patient ne
recevrait plus de soins de réanimation si son état le demandait – on se
contente de le maintenir en condition pour son départ.
La volonté du
patient est donc entendue, son autonomie respectée – mais pour autant, la
poursuite de son traitement ne sera pas (pour autant qu’on puisse en juger dans
l’état actuel) prise en charge par l’assurance-maladie. Il me semble que le
nœud de l’affaire est là.
Voilà une affaire qui étoffe
la jurisprudence sur la fin de vie : il va falloir l’analyser de manière
plus précise. Pour l’heure il faut noter que, contrairement à ce qui se passe
pour Vincent Lambert, profondément handicapé mais non malade, le patient
souffre de plusieurs pathologies potentiellement mortelles. Mais à la
différence de Vincent Lambert, il est visiblement conscient et peut exprimer sa
volonté. Dans les deux cas, c’est cette volonté, réelle ou supposée, qui prend
le pas sur tout le reste. Il n’y a pas de respect de la vie en tant que tel, mais
plutôt le constat – plus ou moins évidemment abusif – de « l’inutilité »
des soins. Deux points qui montrent comment nous glissons vers l’euthanasie.
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