15 février, 2014

Vincent Lambert a-t-il le droit de vivre ? Des experts en neurologie sollicités par le Conseil d'Etat

Eric Kariger, le médecin qui a par deux fois décidé
que Vincent Lambert « n'aurait pas voulu vivre ».
Il est « désavoué » par la décision du Conseil d'Etat,
note Jérôme Triomphe, avocat des parents du jeune homme.
Car les juges veulent en savoir plus sur l'état réel de
Vincent Lambert avant de prendre une décision
de vie ou de mort à son égard.
17 juges du Conseil d'Etat – son vice-président et les présidents de section – ont décidé aujourd'hui de remettre à plus tard, en tout cas avant l'été, leur décision dans l'affaire Vincent Lambert. Ils ont décidé de demander un rapport d'experts à trois neurologues d'une part, trois spécialistes qui vont devoir déterminer si l'état de Vincent Lambert peut s'améliorer, et s'il est possible d'interpréter certains de ses gestes comme des « refus de vivre », et d'autre part Jean Leonetti, auteur de la loi sur la fin de vie qui est au cœur de ce débat.

Rien n'est donc joué mais un point est déjà acquis : la possibilité de l'utilisation de la loi Leonetti en vue de faire mourir une personne diminuée, mais en bonne santé. L'euthanasie justifiée par l'absence de qualité de vie

Voici  ce que j'en écrivais dans Présent ce matin, avant de connaître la décision du Conseil d'Etat rendue publique à 16 h cet après-midi.

L’affaire Vincent Lambert, un révélateur

A l’heure d’écrire ces lignes la décision du Conseil d’Etat, réuni en formation plénière à propos de la vie ou de la mort de Vincent Lambert, n’était pas encore connue. Mais quelle qu’elle soit, l’affaire aura révélé ce qu’à Présent nous disions depuis 2005 : la loi Leonetti sur la fin de vie est déjà une loi d’euthanasie.

Vincent Lambert a 38 ans. Il a été victime d’un accident de la route, il y a cinq ans, qui l’a laissé très gravement handicapé et, après une période en coma artificiel et en « état végétatif », il se trouve dans un état de « conscience minimale plus » qui lui permet de percevoir le monde qui l’entoure et d’éprouver des sensations ; son néocortex – « siège de la conscience » comme ils disent – étant particulièrement préservé.

Il est par ailleurs en bonne santé.

Comme quelque 1 700 patients traumatisés crâniens dans son état en France, il est tout sauf « en fin de vie ». Mais son épouse s’est rangée à l’avis du médecin du CHU de Reims qui a décidé que, étant « suspecté un refus de vivre » du fait du refus de soins (toilette, rasage) constatés à la fin de 2012, il fallait suivre la « volonté » de Vincent Lambert et le « laisser mourir » en lui supprimant l’alimentation et l’hydratation qui lui sont actuellement administrées directement dans l’estomac.

Au terme d’un long feuilleton devant les juridictions administratives – une première décision d’urgence lui avait sauvé la vie en mai dernier alors qu’il avait été privé de nourriture depuis 31 jours ! – on arrive à une croisée des chemins, celui du respect pur et simple de la vie étant définitivement barré.

Jeudi matin, un rapporteur public s’est en effet exprimé pour donner le point de vue du gouvernement devant les dix-sept présidents de section du Conseil d’Etat réunis pour donner leur avis sur cette affaire « exceptionnelle et dramatique », comme il l’a dit.

Rémi Keller a un à un rejeté les arguments contestant l’interprétation de la loi Leonetti dans le sens de l’euthanasie, c’est-à-dire de la possibilité offerte à un médecin, après avoir consulté un autre médecin et les proches d’un patient, de décider de provoquer la mort d’un patient qui n’est pas en fin de vie en le privant d’eau et de nourriture.

Il l’a fait en invoquant le droit des pays européens ou américains qui ont pris ces dernières années des décisions similaires – c’est dire l’importance de la dimension internationale des progrès de la culture de mort, et du combat qu’il faut lui livrer à ce niveau.

Il l’a fait en estimant que nourrir et hydrater un patient par sonde gastrique au motif que les « fonctions vitales de la mastication et de la déglutition » sont atteintes constitue un « traitement médical » et non un soin, et qu’on peut à ce titre le suspendre ou le refuser dès lors que l’un ou l’autre des critères de la loi Leonetti est rempli. Ce traitement doit être « inutile » : pour Vincent Lambert, Rémi Keller reconnaît qu’il est « inopérant ». Ou il doit être « disproportionné » : comme, dans le cas de Vincent Lambert, il ne s’agit pas d’une technique lourde ou qui entraîne des « souffrances » : on ne le retiendra pas non plus.

Reste « l’obstination déraisonnable » qui se juge d’après le maintien en « survie artificielle ». Sur ce point, Rémi Keller se fait prudent, se référant, comme fréquemment au cours de sa longue intervention, aux travaux préparatoires à la loi Leonetti et au rapport d’évaluation signé par le même Jean Leonetti en 2008. Tout va tourner autour d’un seul point : l’état de Vincent Lambert peut-il s’améliorer ? Si oui, l’obstination n’est pas déraisonnable et il faut le laisser vivre. Si non, le retrait de nourriture en vue de le faire mourir entre bien dans le cadre de la loi.

Et à cette fin, le rapporteur public a suggéré qu’on soumette Vincent Lambert à de nouvelles expertises à faire en moins de six semaines, et que Leonetti (qui a fait savoir partout que sa loi s’applique selon lui aux « pauci-relationnels » comme lui) soit aussi consulté.

Trois solutions étaient donc possibles lors de l’annonce publique du résultat de l’affaire vendredi à 16 heures. Les juges pouvaient choisir de ne pas suivre Rémi Keller et voter pour la vie de Vincent Lambert, en décidant que nul ne peut connaître sa volonté aujourd’hui, mais cela laisserait ouverte la possibilité de mise à mort dans le cadre de directives anticipées. Ou bien ils pouvaient demander une expertise, instaurant – comme l’a plaidé le conseil des parents de Vincent Lambert, Me Claire Le Bret-Desaché – un jugement sur la qualité et la valeur d’une vie humaine. Ou enfin décider de la mise en œuvre immédiate du « protocole de fin de vie ».

Dans tous les cas, sur le plan médiatique, politique et probablement judiciaire, c’est l’interprétation euthanasique de la loi Leonetti qui est justifiée en plein jour.


Article extrait du n° 8044 de Présent, du Samedi 15 février 2014  



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