18 janvier, 2014

Vincent Lambert : compte-rendu d'audience devant le tribunal de Châlons-en-Champagne

J'étais mercredi au tribunal administratif qui a jugé en séance plénière le référé-liberté introduit par les parents, un frère et une sœur de Vincent Lambert. Cet article a paru dans Présent, il a été pendant un jour en libre accès sur le site du seul quotidien de la presse écrite qui ne fait pas de concession à la culture de mort. Ce quotidien a besoin d'abonnés pour pouvoir poursuivre son travail d'information et de vérité. On peut s'abonner sur le site, ou encore bénéficier d'une offre de découverte en m'écrivant via les commentaires sous cet article (ces commentaires ne seront pas publiés). Merci de votre soutien, il nous est indispensable.

Qui l’eût cru ? Alors que le rouleau compresseur de la culture de mort semble n’avoir jamais été aussi pesant, aussi destructeur, alors que le président de la République venait d’inscrire parmi ses urgences, la veille à sa conférence de presse, le vote d’une « assistance médicalisée en fin de vie », Mme le rapporteur public dans l’affaire Vincent Lambert a demandé mercredi la suspension de la décision de le faire mourir de déshydratation et d’inanition.

Elle l’a fait au terme d’une intervention de cinquante minutes, très structurée, très travaillée, très juridique. Ce fut le moment le plus intense de cette audience exceptionnelle au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, où se pressaient de nombreux journalistes mais aussi des gens du cru, la curiosité piquée par cette cause célèbre et, à en juger d’après leurs réactions, touchés par les arguments contre la mise à mort de Vincent Lambert par une « procédure de fin de vie » alors qu’il n’est pas malade, mais handicapé. Et si demain c’était moi qu’on voulait débrancher ?

Cette femme jeune, profil volontaire et coiffure moderne – elle n’a pas l’allure d’une « intégriste » repliée sur ses certitudes religieuses, pour parler comme nos confrères des médias de progrès – n’a pas donné raison en tous points aux arguments développés par les défenseurs de la vie de Vincent Lambert. Mais, observant avec Montaigne que « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant », elle a souligné l’état de « vulnérabilité complète » de ce jeune homme handicapé, qui l’empêche de s’exprimer. C’est à ce titre qu’elle va demander la protection de sa vie, « sauvegarde d’une liberté fondamentale ».

Garanties

  Car dans le cas contraire, observe le rapporteur public, si l’on appliquait à Vincent Lambert une mesure qui a pour but de protéger des personnes mourantes d’une obstination déraisonnable, on aboutirait pour toute personne en cet état mais « non en fin de vie à des garanties moindres si on pouvait interrompre tout traitement en mettant sa vie en danger ». Elle a cité longuement le Pr Xavier Ducrocq, spécialiste en neurologie et membre du comité d’éthique du CHU de Nancy, et le Pr Jeanblanc, chef d’une unité de soins pour patients en état pauci-relationnel – ils avaient tous deux fait le voyage de Châlons pour soutenir de leur science et de leur compassion les parents, le frère et la sœur de Vincent Lambert.

Elle a noté que décider de la mort de Vincent Lambert en raison de son état de conscience minimale (mais c’est un état de conscience !) « revient à porter un jugement sur sa qualité de vie, sur la qualité de la vie, sur le sens d’une vie – et cela n’a pas à être apprécié par vous », lance-t-elle aux neuf juges qui siègent, solennellement, donnant un poids exceptionnel à cette décision de référé.

Alimenter Vincent Lambert constitue-t-il pour lui une « lourdeur, de la douleur, de la douleur ressentie ? » Elle répond à sa propre question : « Rien ne permet de déterminer que la nourriture et l’hydratation artificielles lui apportent plus de souffrance que de bienfaits. » Comme rien, chez ce jeune homme qui ne peut exprimer ce qu’il ressent, ne permet d’interpréter ses réactions de « refus de soins », invoqués par certains de ses soignants, comme un refus de vivre.

 Pas d’obstination déraisonnable

« Cela n’est pas suffisant pour affirmer une disproportion du traitement, il n’y a pas d’obstination déraisonnable », et la décision de le faire mourir est une « atteinte manifestement illégale » à ses droits. C’est pour les juges « le devoir de faire cesser l’illégalité introduite par la décision ».

Il faut le noter : dans 80 % des cas, le juge administratif suit l’avis du représentant de l’Etat.

Il faut noter aussi combien cette prise de position de Mme le rapporteur est étonnante, non du point de vue juridique, mais par rapport au contexte : les médias quasi unanimes ont pris position pour le Dr Kariger, de l’unité de gériatrie et soins palliatifs, qui défendra à l’audience sa décision de « laisser mourir » – faire mourir en réalité ! – ce garçon qui n’est pas en fin de vie. Libération a bien salué en lui un « chrétien social » très engagé !

Parti pris

Le parti pris médiatique est tel qu’à mon arrivée au tribunal, mercredi matin, un aimable greffier m’oriente aussitôt vers François Lambert, demi-neveu de Vincent, qui n’a cessé de donner des interviews depuis samedi pour affirmer que son oncle aurait voulu mourir plutôt que d’être tétraplégique et en état de conscience minimale. Il ne cache rien de son engagement en faveur de la « mort choisie » : il est même intervenu au 33e congrès de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité à Bordeaux, en septembre dernier.

Je remercie poliment. C’est la salle d’audience que je cherche. Les journalistes y sont déjà nombreux. L’affaire Vincent Lambert sera un élément clef de l’évolution du débat sur l’euthanasie que la loi Leonetti a tenté de clore subrepticement en l’introduisant par le biais du refus de soins. Faut-il s’en étonner ? Jean Leonetti a répété mercredi dans les médias qu’il estimait sa loi applicable à Vincent Lambert, un jeune homme dont il ne connaît pas le dossier médical…

La salle d’audience ne sera même pas traversée par un frémissement au moment de la conclusion détonante de l’intervention du rapporteur public. Il faut dire que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a imposé à l’Etat français de faire communiquer au préalable aux avocats dans les causes où il intervient le sens de l’injonction qu’il défendra.

Les avocats du Dr Kariger, de Rachel Lambert, épouse de Vincent, du CHU de Reims et de François Lambert sont intervenus en dernier. Ils ont joué sur la corde sensible, invoqué les explications de Jean Leonetti sur sa loi, plutôt que de s’appuyer sur son texte littéral. Et l’un d’entre eux pousse même l’odieux jusqu’à relier sa demande à l’étalage d’éléments de la vie privée de la famille Lambert du temps où Vincent était petit…

Dignité humaine

Beaucoup plus juridiques étaient les interventions de Me Jérôme Triomphe et de Me Jean Paillot, spécialiste des questions éthiques. La presse aura retenu de l’intervention du premier ses premiers mots : « Je plaide pour la première fois depuis 1981 pour un condamné à mort. » Mais il s’attachera surtout à montrer que le maintien de la nourriture et de l’hydratation – dont l’arrêt provoque une atroce « traversée du désert » – n’est pas un traitement, mais un soin dû à une personne qui n’est nullement sur le point de mourir. Que la lettre de la loi Leonetti ne permet pas la mise à mort d’un homme qui n’est pas en état de vie artificielle mais qui vit – je pourrais en témoigner comme Jérôme Triomphe l’a fait.

Me Jean Paillot a souligné de son côté que Vincent Lambert est « handicapé, il n’est pas malade » : c’est en posant deux « mauvaises questions » qui n’auraient jamais dû l’être qu’est née cette affaire qui a jeté toute une famille dans l’incompréhension et la division. « S’interroger sur la qualité de sa vie, c’est se mettre en contradiction avec la dignité humaine » ; sa « condamnation à mort date du 12 novembre 2012 », où le « constat » que sa vie relationnelle ne progresserait plus a justifié l’idée qu’il ne « méritait plus de vivre ».

Deuxième mauvaise question : « Qu’aurait voulu Vincent ? Car cela, personne ne peut le dire. »



Article extrait du n° 8023 de Présent, du Vendredi 17 janvier 2014 

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