23 septembre, 2010

La Cour européenne des droits de l'homme, les Eglises et les licenciements pour causes morales

Deux poids et deux mesures… Selon que vous serez mormon ou catholique !
Deux arrêts de chambre de la Cour européenne des droits de l'homme à la matière voisine ont donné lieu, aujourd'hui, à des décisions contraires. Il s'agissait de licenciements consécutifs à une conduite non conforme aux exigences morales des employeurs : l'Eglise mormone et l'Eglise catholique. L'employé de l'Eglise mormone a perdu son recours, celui de l'Eglise catholique a obtenu gain de cause.

 Dans la première affaire, Obst c. Allemagne, un membre de l'Eglise mormone, Michael Obst, avait été renvoyé en décembre 1993 après qu'il eut avoué à son pasteur que son mariage battait de l'aile et qu'il avait eu une liaison extra-conjugale avec une autre femme. Il était alors depuis près de huit ans directeur pour l'Europe au département des relations publiques. C'est sur le conseil de son pasteur qu'il avait avoué sa faute à son supérieur hiérarchique qui le licencia sans préavis quelques jours plus tard.

Au terme des habituels péripéties judiciaires qui donnèrent lieu à des décisions d'abord favorables à l'employé, affirmant la nullité du licenciement, puis à des décisions favorables à l'Eglise mormone au motif que la crédibilité de celle-ci était menacée. Michael Obst demandait donc à la Cour européenne de dire que son employeur n'avait pas respecté l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui protège le respect de la vie privée, et que les cours allemandes avaient méconnu ce droit.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a jugé que les juridictions allemandes avaient « pris en compte tous les éléments pertinents et ont précédé à une mise en balance circonstanciée et approfondie des intérêts en jeu ». Soulignant que c'était l'intéressé lui-même qui avait informé ses supérieurs hiérarchiques, elle a ajouté que M. Obst, né mormon, « était ou devait être conscient, lors de la signature du contrat de travail, de l'importance que revêtait la fidélité maritale pour son employeur » et que sa position publique lui donnait des « obligations de loyauté accrues ».

Donc, l'Eglise mormone avait eu raison !

Pour Bernhard Schüth, organiste et chef de chœur à la paroisse catholique Saint-Lambert à Essen depuis le milieu des années 1980, les choses se passèrent d'une façon un peu différente, en ce que ce n'est pas l'intéressé qui alla avouer des faits gênants à ses supérieurs. Séparé de sa femme en 1994, il se remit en ménage sans en avertir ses employeurs : ce sont ses enfants qui au jardin d'enfants révélèrent en juillet 1997 que leur père « allait être à nouveau papa » (comme le dit le communiqué de presse). Convoqué par le doyen, Bernhard Schüth eut un premier entretien ; puis il fut informé qu'il devrait quitter son poste après un délai assez long, à compter d'avril 1998 car s'étant mis en ménage avec une autre femme, outre l'adultère, il « s'était aussi rendu coupable de bigamie ».

Le parcours de M. Schüth devant les juridictions allemandes ressemble en tous points à ceux de M. Obst.

C'est la CEDH qui a pris une décision inverse dans son cas au terme d'une argumentation bizarre qui reproche aux juridictions allemandes d'avoir repris sans sembler l'avoir suffisamment examiné l'argumentation de l'Eglise catholique selon laquelle organiste et chef de chœur, et sans avoir mentionné la « protection juridique » dont devait jouir la « protection juridique dont celle-ci bénéficiait », se bornant à évaluer son « intérêt d'être maintenu dans son emploi ».

Comme le dit la CEDH, celle-ci « admet que, en signant son contrat de travail, M. Schüth a accepté un devoir de loyauté envers l’Église catholique qui limitait jusqu’à un certain degré son droit au respect de sa vie privée, mais précise que l’on ne saurait interpréter sa signature de ce contrat comme un engagement personnel sans équivoque de vivre dans l’abstinence en cas de séparation ou de divorce ».

Elle ajoute :

« Le fait qu’un employé ecclésiastique licencié n’ait que des possibilités limitées de trouver un nouvel emploi revêt une importance particulière. Cela est d’autant plus vrai lorsque la formation de cet employé revêt un caractère si particulier qu’il lui est difficile, voire impossible, de trouver un nouveau poste en dehors de l’Église employeur, ce qui est le cas de M. Schüth, qui travaille aujourd’hui à temps partiel pour une paroisse protestante. A cet égard, la Cour note que la réglementation de l’Église protestante concernant les musiciens d’église ne permet l’embauche d’une personne qui n’est pas membre d’une Église protestante que de manière exceptionnelle et uniquement dans le cadre d’un emploi secondaire. »


Donc : absence de violation de l'article 8 dans le cas de M. Obst, violation dans le cas de M. Schüth.

La contradiction est flagrante et il faut en montrer les éléments constitutifs.

Dans le premier cas, celui de Michael Obst, il y a violation privée des lois morales du mariage selon l'Eglise mormone, avouée volontairement à un pasteur, sans scandale public, le tout entraînant un licenciement abrupt assorti d'une excommunication de la communauté dont l'intéressé fait partie depuis sa naissance. La CEDH n'y trouve rien à redire.

Dans le deuxième cas, celui de Bernhardt Schüth, il y a au moins une forme de dissimulation, un état de vie qui, connu, constituait un scandale public. Mais si la « triche » conjugale est généralement mal vue, la discipline morale de l'Eglise à propos du remariage ou du concubinage des divorcés est ridiculisée et combattue par les médias et battue en brèche par les lois…

Elle est là, la logique de cette contradictions.

On notera que la Cour retient la difficulté pour un organiste catholique de trouver un nouveau travail ailleurs (rien de tel pour le chargé de relations publiques mormon qui était censé, vu son jeune âge, pouvoir retrouver rapidement un nouvel emploi), sans trouver matière à critique dans le dispositif que l'on pourrait estimer discriminatoire de l'Eglise protestante qui ne permet pas l'embauche à titre principal d'un musicien non protestant, alors même qu'il ne se trouve pas dans une fonction de « conseil ou de direction » ou de « travail à la catéchèse ».

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