30 novembre, 2006

L’avortement pour réduire la mortalité maternelle ?

L’adoption par le Nicaragua d’une loi interdisant toute forme d’avortement a conduit nombre d’organisations internationales à faire pression sur cet Etat pour violation du droit des femmes (voire des droits de l’homme). Le Dakota du Sud vient de rejeter par référendum une loi interdisant totalement l’avortement ; la Pologne fait également des tentatives en ce sens et les députés du Chili viennent de rejeter une proposition socialiste de libéralisation de « l’IVG ». Bref, il est des pays où l’on ne se contente pas du statu quo, d’autres où l’on refuse les pressions internes et externes, et cela rend les gros médias fous.

Scandale ! Au XXIe siècle, des législations nationales continuent d’interdire – ou le font de nouveau – les interventions indispensables pour sauver la vie de la mère ! Vu comme cela, on serait tenté de hurler avec les loups ; de se demander si en certains cas, il n’est pas terriblement inhumain de « « préférer » la vie un embryon de quelques semaines à celle d’une femme dans la force de l’âge, ayant éventuellement d’autres enfants… Ainsi tire-t-on des larmes dans les chaumières, et c’est un jeu passablement cynique. Car on nous assène le fait brut, apparemment incontestable : des femmes vont mourir à cause de ces lois.

Mais existe-t-il vraiment beaucoup de cas où un avortement direct peut sauver la vie d’une femme enceinte ? Aujourd’hui, dans un pays ayant des services médicaux corrects, il semblerait qu’il n’y en ait… aucun. L’Irlande est de ces pays : en 1992, un groupe de gynécologues parmi les plus reconnus déclarait publiquement : « Nous affirmons qu’il n’existe pas de circonstance médicale qui justifie un avortement direct, ce qui veut dire : aucune circonstance où la vie de la mère ne peut être sauvée que par l’arrêt volontaire de la vie de son enfant à naître. » Déclaration d’autant plus intéressante que l’Irlande affiche l’un des taux de mortalité maternelle les plus bas du monde, sinon le plus bas (chiffres de l’Organisation mondiale de la santé en 2003), tandis qu’au Royaume-Uni, où l’avortement est légal jusqu’à 24 semaines, le nombre de morts maternelles est plus de cinq fois plus élevé…

Quelles sont donc les conditions périlleuses pour la mère ? Le cancer, par exemple. Mais rien n’oblige un médecin à ne pas appliquer un traitement indispensable qui peut avoir pour effet la mort de l’enfant à naître. En Irlande, où tout avortement direct est pourtant interdit, un médecin peut même être poursuivi s’il refuse un traitement nécessaire à la survie d’une femme enceinte qui le demande : c’est que dans ce cas, la mort de l’enfant à naître n’est en aucun cas recherchée pour-elle même, elle n’est que l’effet secondaire, attendu mais non voulu.
Certes des mères peuvent en toute connaissance de cause refuser un traitement dont l’issue serait fatale pour leur enfant, et offrir leur propre vie pour que celui-ci vive. Ce fut le cas de Jeanne Beretta-Molla. Son sacrifice fut héroïque ; il fut reconnu comme tel lors de sa canonisation en 2000. Mais ce n’est pas un sacrifice obligatoire.

Autre cas de danger potentiel pour la mère : la grave faiblesse cardiaque. Dans les pays de médecine avancée, l’aide experte des soignants permet de sauver et l’enfant et la mère. Dans les pays de médecine rudimentaire, ce n’est pas l’avortement qui empêchera les facteurs de risques de jouer à plein à tout moment de la grossesse…

Reste le cas de la grossesse ectopique : celle où l’embryon se fixe ailleurs que sur la paroi de l’utérus, avec une chance quasi nulle de survie. Est-il légitime de mettre fin à ce genre de grossesse ? Oui, répondent des médecins, car une fois de plus ce n’est pas la mort de l’enfant qui est recherchée, mais la sauvegarde de la vie de la mère dans des conditions où la grossesse n’a pour ainsi dire aucune chance d’être menée à bien puisque, si le tout-petit se développe, sa mère en mourra rapidement. C’est comme si on mettait un rôti à cuire au frigo : on ne peut pas parler d’une grossesse car il ne peut y avoir de développement normal, l’intervention pour sauver la mère se justifie pleinement, comme le disait un médecin.

Les sectateurs de l’avortement avancent désormais le cas d’El Salvador où, semble-t-il, l’excès de zèle d’un Procureur de la capitale conduit les hôpitaux à refuser toute intervention en cas de grossesse ectopique si le décès de l’embryon n’est pas constaté ou une rupture de trompe diagnostiquée. Vrai ou faux, c’est ce qui se raconte (même si l’on trouve des compte-rendus d’expérience de soins donnés dans ce cadre dans un hôpital de San Salvador qui ne laissent aucun doute quant à la volonté de sauver les mères affectées). La disparition du sens moral joue parfois dans les deux sens ; d’une part, on avorte par millions, de l’autre on ne comprend plus, par exemple, la différence entre un acte directement voulu et recherché, et les conséquences indirectes et donc non voulues.

Cet article de Jeanne Smits a paru dans Présent daté du 30 novembre.

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