26 février, 2022

Mgr Arthur Roche sur “Traditionis custodes” : un nouvel entretien où se confirme le changement de la “lex credendi”

Mgr Arthur Roche, préfet de la Congrégation pour le culte divin, ne cache rien de son approche de la liturgie réformée à la suite du Concile : elle constitue une nouvelle lex orandi répondant à la vision de Lumen gentium qui ne voit plus l’Eglise comme une « société parfaite » mais comme le peuple de Dieu en marche. Dans un entretien accordé à Christopher Lamb du journal catholique britannique The Tablet – ce vaticaniste a signé en 2020 un livre de défense et d’illustration du pape François face à la « guérilla » des « conservateurs » – l’archevêque anglais explicite davantage ces considérations qui portent en réalité sur la signification doctrinale de la messe de Paul VI et sur les objectifs profonds de Traditionis Custodes.

Sous le titre « Un préfet sous pression », Christopher Lamb signe une analyse au cours de laquelle il rapporte les propos de Mgr Roche, parfois en style indirect. Il présente le prélat comme « l’homme qui joue un rôle essentiel en traçant une voie stable à travers les turbulences des “guerres liturgiques” », par le fait pleinement assumées. A 71 ans, celui-ci n’a guère perdu depuis sa nomination à la tête de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements pour détricoter l’œuvre de Benoît XVBI. « Il s’agit, commente Christopher Lamb, « d’un des postes les plus sensibles et les plus exigeants de l’Église, qui l’oblige à travailler en étroite collaboration avec le pape et les évêques du monde entier. »

Mgr Roche lui a confié l’objectif de son département qui est, selon Lamb, « de poursuivre la mise en œuvre du document du Concile Vatican II sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium. » « Il s’agit, dit-il, de sa “Magna Carta”. »

Voilà qui a au moins le mérite de la clarté, notamment lorsque M. Roche souligne – toujours selon Christopher Lamb – « que l’intention du pape était d’“apporter l’unité” à l’Église et de mettre fin à l’idée qu’il existe deux Églises différentes avec deux liturgies différentes ». Ainsi, les deux rites, l’ancien et le nouveau, ne sont plus présentées comme les deux « formes » du rite romain parce qu’ils correspondraient, aux dires de Roche, à « deux Eglises différentes ».

A propos des Responsa venues, peu avant Noël, préciser les modalités de l’application de Traditionis Custodes, Lamb écrit, en un passage décidément très révélateur :

Ces clarifications indiquaient clairement que les confirmations et les ordinations selon les liturgies antérieures au Concile Vatican II sont désormais interdites, et recommandaient aux paroisses de ne pas faire de publicité pour les messes tridentines dans leurs bulletins. De nombreux membres de petits groupes très fidèles qui sont attachés au Missel de 1962 sont dévastés. Ils se plaignent de ce que le pape ait « annulé » la forme de messe à laquelle ils sont attachés.

Est-ce le but du pape, demandé-je à l’archevêque, de voir disparaître la liturgie d’avant Vatican II ? « Il est clair que le pape François, ainsi que ses prédécesseurs, accordent une grande attention à ceux qui trouvent cela difficile et il est donc encore possible d’utiliser le Missel de 1962 », a-t-il répondu. « Mais ce n’est pas la norme. C’est une concession pastorale. » Roche ajoutait : « Je ne suis pas en mesure de savoir » si l’ancienne forme de la messe finira par tomber en désuétude. Mais il souligne que l’objectif de Traditionis Custodes est de rapprocher les gens « de la compréhension de ce que le Concile a exigé ».

Les décisions récentes du pape ont un fondement théologique profond, souligne-t-il. La question n’est pas que certains catholiques aient une préférence personnelle pour le latin. Il s’agit de la manière dont l’Église se perçoit et perçoit sa mission. Il s’agit du vieil adage Lex Orandi, Lex Credendi : notre manière de prier, c’est notre manière de croire. Roche fait remarquer que la constitution dogmatique de Vatican II sur l’Église, Lumen Gentium, s’est éloignée du modèle de l’Église comme « société parfaite » pour se rapprocher de la notion biblique de l’Église comme peuple de Dieu en pèlerinage. Dans le premier modèle, dit-il, c’était le prêtre qui « représentait les intentions du peuple » et les transmettait à Dieu dans la liturgie. Vatican II a changé cela. « A travers la compréhension du sacerdoce de tous les baptisés, ce n’est plus simplement le prêtre seul qui célèbre l’Eucharistie, mais tous les baptisés qui célèbrent avec lui », explique Arthur Roche. « C’est certainement la compréhension la plus profonde de ce que signifie la “participation”. Nous ne nous contentons pas de lire, de chanter, de déplacer des objets dans le sanctuaire ou de réussir à gérer les enfants ou quoi que soit, mais d’entrer profondément dans la vie divine, qui nous a été manifestée dans le mystère pascal. »

C’est donc bien la conception du sacerdoce et celle du sacrifice eucharistique qui sont en cause dans l’optique de Traditionis Custodes, et la volonté première n’est pas de mettre en évidence une « continuité » de Vatican II par rapport à la tradition de l’Eglise, mais ce que Vatican à « changé ». Sans nous attarder sur la possibilité effective d’une « herméneutique de la continuité », il suffit d’observer ici le choix assumé d’une « herméneutique de la rupture ».
Poursuivons avec Christopher Lamb :

La liturgie issue du Concile, explique l’archevêque, est également beaucoup plus « riche » qu’elle ne l’était en 1570 (lorsque la messe tridentine a été promulguée par le pape Pie V). Toutes les Écritures sont désormais disponibles, ainsi qu’une plus grande variété de prières, ce qui permet une « plus grande sensibilité » vis-à-vis des situations des personnes. « La liturgie n’est pas accessoire à notre identité », souligne M. Roche. « La liturgie, ce sont les entrailles de l’Église, qui donnent naissance aux chrétiens et qui nourrissent la vie chrétienne. »

Mgr Roche s’en prend également à l’affirmation des critiques selon laquelle les réformes liturgiques ont été imposées par un comité qui n’a pas respecté les souhaits des pères du Concile. Il qualifie cette affirmation de « ridicule » et me dit que les archives de sa congrégation montrent que Paul VI parcourait les nouveaux textes liturgiques « page par page » de 21 heures à 23 heures, semaine après semaine. Si les changements liturgiques et ecclésiologiques de Vatican II ont été approuvés à une écrasante majorité par les évêques qui y ont participé, M. Roche estime que le raisonnement qui sous-tend les réformes n’est toujours pas « pleinement compris ». La formation, dit-il, a été « très insuffisante » dans certains domaines de la vie catholique, et cela est plus vrai encore qu’ailleurs dans les séminaires, où de forts courants poussent à un retour aux styles vestimentaires et liturgiques d’avant Vatican II.

Où l’on comprend que c’est par insuffisance de formation que les séminaristes d’aujourd’hui se laissent séduire par la liturgie traditionnelle – il fallait y penser !

Christopher Lamb poursuit :

Il n’est pas rare que les prêtres nouvellement ordonnés qui sortent des séminaires du monde occidental commencent presque aussitôt à célébrer la messe tridentine. La congrégation dirigée par Roche demande aux séminaires d’enseigner « la richesse de la réforme liturgique demandée par le Concile Vatican II », et tout prêtre nouvellement ordonné qui souhaite célébrer la Messe en utilisant les livres liturgiques d’avant Vatican II devra obtenir l’autorisation du Saint-Siège. « Le Saint-Père se préoccupe de la formation », affirme Roche, selon lequel il a demandé il y a deux ans aux membres de sa congrégation, qui comprend des évêques et des cardinaux du monde entier, de discuter de cette question. « Tous ont estimé que la formation était plutôt inadéquate dans les séminaires en général, ainsi que dans la vie de l’Église. »

Mais était-ce parce que les séminaristes ne reçoivent pas une formation assez solide à la foi et au sacerdoce, ou parce qu’il se montrent si volontiers attirés par la liturgie traditionnelle ?

Mêlant toujours citations littérales et indirectes, Lamb écrit :

Comment l’archevêque répond-il aux affirmations selon lesquelles le Saint-Siège ne fait pas assez pour dialoguer avec les personnes attachées au Missel de 1962 ? « Je ne pense pas que ce soit vrai », répond Mgr Roche. Il a rencontré des groupes traditionalistes, et les questions qu’ils soulèvent vont probablement continuer à être discutées. (Plusieurs jours après notre entretien, on annonce que le Pape a rencontré une fraternité de prêtres traditionalistes et leur a accordé une concession pour continuer à célébrer les sacrements selon l’ancien rite). En outre, les Responsa ad dubia que l’archevêque a publiées en décembre, et dont certains ont dit qu’elles étaient indûment restrictives, étaient une réponse à des questions spécifiques qui lui avaient été posées par des évêques. Il a présenté le document directement au pape en novembre dernier, qui l’a approuvé. Il ne peut s’agir de répondre aux préférences liturgiques d’un groupe, dit-il. « L’Église nous donne la liturgie. Nous prions en tant que communauté ecclésiale et jamais simplement en tant qu’individus, ni comme une question de préférence personnelle. »

Jean-Paul II et Benoît XVI, explique l’archevêque, ont fait des concessions pastorales à ceux qui n’étaient pas capables d’accepter les réformes liturgiques du Concile, et avec Summorum Pontificum en 2007, Benoît XVI a levé de nombreuses restrictions sur l’utilisation de l’ancienne forme. Mais Roche affirme que l’enquête menée auprès des évêques du monde entier a montré que ce qui fut au départ une concession s’était transformé en une « promotion du retour à ce qui existait avant le Concile Vatican II ». Cela « ne pouvait pas être toléré parce que le Concile avait changé la façon dont nous allons de l’avant. C’est une question simple ». Il n’avait jamais été dans l’intention de Benoît XVI d’encourager ces divisions dans l’Église. Benoît XVI avait également espéré que ses concessions ramèneraient ceux qui « opéraient en dehors de l’enceinte de l’Église », mais, comme le souligne Roche, il n’y a pas beaucoup de preuves que cela se soit produit (il parle ici de la Fraternité Saint-Pie X établie par l’archevêque Marcel Lefebvre).

« Le Concile a changé la façon dont nous allons de l’avant » : voilà qui est clair, là encore : cela ne serait pas compatible avec la manière dont ont prié et célébré des générations de saints depuis bien avant saint Pie V !

L’évocation de l’entretien continue :

Il aime travailler pour François, qu’il décrit comme « une grande inspiration » et qui est pour lui « à la fois le Saint-Père et un frère évêque ». Il écarte l’idée que le prochain pape puisse conduire l’Église dans une direction différente. « Se dresser contre Pierre est un acte étonnant, plein d’orgueil démesuré », écrit Roche en réponse à une question que je lui ai envoyée par courriel. La croyance selon laquelle « les choses changeront sous un nouveau pontificat n’est pas seulement déplacée mais révèle une énorme ignorance du mandat donné à l’ensemble de l’Église par le Concile Vatican II ».

Mgr Roche affirme que son ministère met déjà en œuvre le style synodal de l’Église que François tente d’instaurer. En 2017, le pape a publié une décision, Magnum Principium, qui a donné aux évêques davantage d’autorité sur les traductions liturgiques, et Roche explique qu’il travaille avec eux de manière collégiale : « Nous avons changé la façon dont nous travaillons avec les évêques par rapport à l’époque où je suis arrivé dans la congrégation. »

Le meilleur pour la fin ? Si la messe traditionnelle n’est plus une option sérieuse aux yeux de Mgr Roche, qui se positionne en porte-parole du pape François, il y a des choix liturgiques qui ont toute sa sympathie. Comme l’explique Christopher Lamb :

Le bureau de Roche est également chargé de superviser les adaptations, ou usages, du rite romain pour les différents pays. Il suit l’appel de Vatican II en faveur des « variations et adaptations légitimes » au sein du même rite. Lors du synode de 2019 sur l’Amazonie, les évêques ont fait la demande d’adapter la liturgie pour inclure les traditions et les symboles de cette région, comme cela s’est fait avec l’usage zaïrois du rite romain, utilisé en Afrique subsaharienne. « Nous avons passé les 50 dernières années à traduire, la prochaine phase consistera à faire face à l’adaptation », explique Roche. Il la décrit comme une « question délicate ».

Délicate peut-être, mais acceptée et voulue dans son principe.


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