Bien volontiers et à sa demande, je publie ci-dessous ma traduction du message adressé à l’occasion du Dimanche des Rameaux par le cardinal Burke à tous ceux qui le suivent sur son blog.
Il s’agit d’une traduction révisée et autorisée Son Eminence. – J.S.
Message pour la semaine la plus sainte de l'année
Chers amis,
Dès les débuts de mon service comme évêque d’un diocèse, il m’a semblé que chaque année, à l’approche des célébrations de Noël et de Pâques, un événement profondément triste se produisait dans le diocèse, ou une crise difficile à affronter pour le bien du diocèse. Alors même que j’anticipais avec joie les célébrations des grands mystères de notre salut, quelque chose se produisait qui, d’un point de vue humain, faisait planer un nuage sombre sur les célébrations, remettant en question la joie qu’elles inspiraient. Une fois, lorsque j’ai évoqué auprès d’un frère évêque cette pénible expérience, trop régulière, il m’a répondu simplement : « C’est Satan, qui essaie de vous voler votre joie. »
Il est logique que Satan, que Notre Seigneur décrit comme « homicide dès le commencement,… menteur, et le père du mensonge » (Jn 8, 44) veuille cacher à nos yeux les grandes réalités de l’Incarnation et de la Rédemption, cherchant à nous distraire des rites liturgiques par lesquels nous célébrons non seulement ces vérités, mais où nous recevons les grâces incommensurables et incessantes qu’elles ont gagnées pour nous. Satan veut nous convaincre que les privations de toutes sortes et la mort, ainsi que la tristesse et la peur qui accompagnent naturellement ces événements, démontrent que le Christ est faux, démentent Son Incarnation rédemptrice, et montrent que notre foi et la joie qu’elle inspire naturellement est un mensonge.
Mais c’est Satan qui est faux. C’est lui, le menteur. Le Christ, Dieu le Fils, est en effet devenu homme, Il a souffert sa Passion et sa Mort, si terriblement cruelles, afin de racheter notre nature humaine, de nous rendre la vraie vie, la vie divine qui surmonte les pires souffrances et même la mort elle-même, et qu’Il nous conduit sûrement et en toute sécurité vers notre véritable destin : la vie éternelle avec Lui.
Devant tant d’épreuves profondément décourageantes qui ont émaillé son ministère apostolique, jusqu’au point culminant de son martyre à Rome, saint Paul écrivait aux chrétiens de Colosse : « Maintenant je me réjouis dans mes souffrances pour vous, et ce qui manque aux souffrances du Christ, je le complète dans ma chair pour son corps, qui est l’Eglise » (Col 1, 24). Pour lui, comme pour nous, souffrir avec le Christ pour l’Église, pour l’amour de Dieu et du prochain, est la source imprenable et infaillible de notre joie. C’est l’expression la plus élevée de notre communion avec le Christ, Dieu le Fils incarné : partager avec Lui le mystère de l’amour divin de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. La vie du Christ, la grâce du Saint-Esprit déversée du Cœur du Christ pour habiter dans nos cœurs, nous inspire et nous fortifie pour embrasser les privations et la mort avec son amour, qui les conquiert et les transforme en gain pour l’éternité et en vie sans fin. Notre joie n’est donc pas un plaisir ou une émotion superficielle, mais le fruit d’un amour « fort comme la mort », que « les grandes eaux n’ont pu éteindre… et les fleuves ne submergeront pas » (Cant. 8, 6-7).
Notre joie n’enlève pas l’aiguillon des privations et de la mort, mais, avec confiance et courage, elle les affronte comme faisant partie du combat d’amour que nous sommes appelés à mener tout au long de notre vie – ne sommes-nous pas, après tout, par la grâce de Dieu, de vrais soldats du Christ (2 Tm 2, 3) ? – en ayant la certitude de la victoire de la vie éternelle. Ainsi, à la fin de sa vie, saint Paul a-t-il pu écrire à son fils spirituel, pasteur du troupeau comme lui, saint Timothée :
« Car pour moi, je vais être immolé, et le temps de ma dissolution approche. J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Reste la couronne de justice qui m’est réservée, que le Seigneur, le juste juge, me rendra en ce jour-là ; et non seulement à moi, mais aussi à ceux qui aiment son avènement. » (2 Tm 4, 6-8).
Nous aimons Notre Seigneur, nous aimons l’Incarnation rédemptrice par laquelle Il est vivant pour nous dans l’Église, et ainsi nous sommes joyeux de combattre le bon combat avec Lui, de maintenir le cap, quelles que soient les épreuves que nous affrontons, et de garder la foi, lorsque le Père du mensonge nous tente afin que nous doutions du Christ, et même que nous en venions à le renier.
Satan n’a peut-être jamais eu de meilleur outil que le coronavirus pour nous voler notre joie de célébrer les jours les plus saints de l’année, les jours où le Christ a gagné pour nous la vie éternelle. Comme il aimerait arracher la sainteté à la seule semaine de l’année qui soit connue simplement sous le nom de Semaine Sainte ! La crise sanitaire internationale actuelle causée par le coronavirus COVID-19 continue de récolter sa tragique moisson de pertes et de morts, et elle engendre une profonde tristesse et une grande peur dans le cœur de l’homme. Il est certain que Satan se sert de la souffrance qui a frappé tant de foyers, de quartiers, de villes et de nations, pour nous inciter à douter de Notre Seigneur et de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour qui sont ses grands dons pour notre vie quotidienne. L’effet de l’intention meurtrière de Satan et de ses mensonges est d’autant plus grand que nous sommes loin du Seigneur, que nous avons pris sa vie en nous pour acquise, que nous l’avons même abandonnée alors que nous recherchions les plaisirs, le confort ou les succès mondains, qui passent.
Au sein de l’Église elle-même, nous avons été témoins d’un manquement à enseigner le Christ d’abord, comme Seigneur. Combien nombreux sont-ils aujourd’hui, ceux qui souffrent profondément d’une peur inutile parce qu’ils ont oublié ou même rejeté la royauté du Cœur de Jésus dans leur cœur et leur foyer. Souvenez-vous des paroles de Notre Seigneur à Jaïre, qui Lui demandait son aide pour sa fille qui se mourait : « Ne crains pas, crois seulement » (Mc 5, 36). Combien sont aujourd’hui sans espoir parce qu’ils pensent que la victoire sur le mal du coronavirus COVID-19 dépend totalement de nous, parce qu’ils ont oublié que, si nous devons faire tout ce que nous pouvons humainement faire pour combattre un grand mal, Dieu seul peut bénir nos efforts et nous donner la victoire sur la perte et la mort. Il est si triste de lire des documents – même des documents de l’Église – qui prétendent aborder les difficultés les plus importantes auxquelles nous sommes confrontés, et de n’y trouver aucune reconnaissance de la Seigneurie du Christ, et de cette vérité : nous dépendons totalement de Dieu pour notre être, pour tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, et, par conséquent, la prière et le culte de Dieu sont nos premiers et plus importants moyens de combattre tout mal.
Il y a quelques jours, un jeune adulte catholique m’a dit, comme si c’était une affaire de pure logique, qu’il ne célébrerait pas Pâques cette année à cause du coronavirus. Si la joie de notre célébration de Pâques était simplement une question de se sentir bien, alors je comprendrais son sentiment. Mais la joie de Pâques est enracinée dans la vérité éternelle, la victoire du Christ sur ce qui ressemblait clairement à son anéantissement, la victoire remportée dans sa nature humaine au nom de cette même victoire dans notre nature humaine, quelles que soient les épreuves que nous subissons. Si nous croyons au Christ, si nous avons confiance en ses promesses, alors nous devons célébrer avec joie sa grande œuvre de Rédemption. Célébrer les mystères de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Christ, ce n’est pas manquer de respect envers la souffrance de tant de personnes au temps présent : c’est reconnaître que le Christ est avec nous pour surmonter nos souffrances par son amour. Notre célébration est une lumière d’espérance pour ceux dont la vie est sévèrement éprouvée, et elle les invite à placer leur confiance en Notre Seigneur.
Oui, certes, la Semaine Sainte cette année est tellement différente pour nous ! La souffrance associée au coronavirus a même conduit à une situation dans laquelle de nombreux catholiques, pendant la Semaine Sainte, n’ont pas accès aux sacrements de la Pénitence et de la Sainte Eucharistie qui sont nos rencontres extraordinaires, mais aussi ordinaires, avec le Seigneur ressuscité, afin qu’Il puisse nous renouveler et nous fortifier dans Sa vie. Mais elle demeure la semaine la plus sainte de l’année, car elle commémore les événements par lesquels nous vivons dans le Christ, par lesquels la vie éternelle nous appartient, même face à une pandémie, une crise sanitaire mondiale. Je vous invite donc à ne pas céder au mensonge de Satan qui voudrait vous convaincre de ce que, cette année, vous n’auriez rien à célébrer au cours de la Semaine Sainte. Non, vous avez tout à célébrer, car le Christ nous a précédés dans toutes les souffrances et Il nous accompagne maintenant dans nos souffrances, afin que nous restions forts dans son amour, l’amour qui vainc tout mal.
Aujourd’hui, nous célébrons le dimanche des Rameaux, lorsque le Christ est entré à Jérusalem, connaissant pleinement la Passion et la Mort qui l’attendaient. Il savait combien l’accueil qu’Il avait reçu était éphémère : un accueil juste pour le Roi du Ciel et de la Terre, mais superficiel car ceux qui le Lui offraient n’avaient qu’une compréhension mondaine du salut qu’Il venait gagner pour nous. Ils n’étaient pas prêts à ne faire qu’un avec le Christ dans l’établissement de son Royaume éternel à travers les événements de sa Passion et de sa Mort. Après le dimanche des Rameaux, chaque jour de la Semaine Sainte est à juste titre appelé saint parce qu’il forme une partie de la manière ferme et fidèle dont le Christ a embrassé sa mission salvatrice, arrivée à son point culminant.
Prenez le temps aujourd’hui de réfléchir à l’accueil royal que vous avez véritablement réservé au Christ dans votre cœur et dans votre foyer. Relisez le récit de son entrée à Jérusalem et de la façon dont, après son entrée triomphale, il a pleuré sur Jérusalem :
« Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu » (Mt 23, 37).
Si vous ou votre foyer êtes loin de Notre Seigneur, souvenez-vous qu’Il désire être proche de vous, être l’hôte constant de votre cœur et de votre foyer.
Restez avec le Christ tout au long de la Semaine Sainte. D’une manière particulière, faites du Jeudi Saint un jour de profonde action de grâce pour les sacrements de la Sainte Eucharistie et du saint Sacerdoce, que Notre Seigneur a institués lors de la dernière Cène. Faites du Vendredi Saint un jour de silence au cours duquel vous entreprenez des pratiques pénitentielles, afin d’entrer plus profondément dans le mystère de la souffrance et de la mort du Christ. Le Vendredi Saint, soyez rempli de gratitude pour les sacrements de la Pénitence et de l’Onction des malades. Le Samedi Saint, veillez avec Notre Seigneur, en le louant et en le remerciant pour le don de sa grâce dans nos âmes par l’effusion du Saint-Esprit de son Cœur glorieux et transpercé. Réfléchissez particulièrement à la façon dont Sa grâce est en vous, par les Sacrements du Baptême, de la Confirmation et de la Sainte Eucharistie. Pendant tous ces jours, réfléchissez et remerciez Dieu pour le don du sacrement du saint mariage et de ses fruits, la famille – l’« église domestique » ou petite église du foyer –, le premier lieu où nous apprenons à connaître Dieu, à lui offrir la prière et le culte, et à discipliner notre vie selon sa Loi.
Si vous ne pouvez pas participer aux rites liturgiques pendant ces jours les plus saints, ce qui est en effet une grande privation, car rien ne peut remplacer la rencontre avec le Christ par les sacrements pendant ces jours, efforcez-vous dans vos foyers d’assister à la Sainte Liturgie par votre désir d’être en compagnie de Notre Seigneur, en particulier dans le mystère de son œuvre salvatrice. Notre Seigneur n’attend pas de nous l’impossible, mais Il attend de nous que nous fassions de notre mieux pour être avec Lui tout au long de ces jours de sa puissante grâce.
Il existe de nombreuses et merveilleuses aides pour nourrir un tel saint désir. Tout d’abord, il existe un riche trésor de prières dans l’Église, par exemple : la lecture des Saintes Écritures, ou encore les Psaumes pénitentiels, en particulier le Psaume 51 [50], et le récit de la Passion de Notre Seigneur dans les quatre Évangiles, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, la méditation des mystères de notre foi par la prière du Saint Rosaire, en particulier les Mystères douloureux, les Litanies du Sacré-Cœur de Jésus, de la Sainte Vierge (de Lorette), de Saint Joseph, et des Saints, le chemin de croix – qui peut également être fait à la maison en utilisant les images des quatorze stations représentées dans un livre de prière ou un objet sacré –, le chapelet de la miséricorde divine, les visites aux sanctuaires, grottes et autres lieux consacrés à Notre Seigneur et aux mystères de l’Incarnation rédemptrice, et la dévotion aux saints puissants pour nous aider, en particulier saint Roch, le protecteur contre les pestes.
À notre époque, nous avons aussi la bénédiction d’avoir accès, grâce aux moyens de communication, aux rites sacrés et aux dévotions publiques tels qu’ils sont célébrés dans certaines églises, en particulier dans les églises des monastères et des couvents auxquels participe l’ensemble de la communauté religieuse. Regarder un rite sacré qui est diffusé n’est certainement pas la même chose que d’y participer directement, mais, si c’est tout ce qui nous est possible, cela plaît sûrement à Notre Seigneur qui ne manquera jamais de nous combler de sa grâce en réponse à notre humble acte de dévotion et d’amour.
En tout état de cause, la Semaine Sainte ne peut être pour nous comme n’importe quelle autre semaine, mais doit être marquée par les sentiments les plus profonds de la foi en Jésus-Christ qui, seul, est notre salut. Les sentiments de foi en ces jours les plus saints sont, de même, des sentiments de gratitude et d’amour les plus profonds. Si votre gratitude et votre amour ne peuvent trouver leur expression la plus élevée dans la participation à la Sainte Liturgie, qu’ils trouvent leur expression dans la dévotion de vos cœurs et de vos foyers. En commémorant, avec le Christ, sa Sainte Mère et tous les saints, les événements du Triduum sacré, nous contemplons le mystère de sa vie en chacun de nous. Car tout le temps passé, chaque jour, en prière et en dévotion, à méditer la Passion de Notre Seigneur, nous aidera à être avec Notre Seigneur pendant ces jours les plus saints de la meilleure façon possible en ce moment. Combien la souffrance du temps présent doit nous apprendre le don incomparable de la Sainte Liturgie et des Sacrements !
En conclusion, je vous assure que vous-mêmes et vos intentions sont dans mes prières aujourd’hui et le resteront tout au long de la Semaine Sainte et en particulier pendant le saint Triduum du Jeudi, Vendredi et Samedi Saints. Puissions-nous tous accompagner le Christ avec une foi, une espérance et un amour profonds, alors que nous célébrons ces jours les plus saints où Il a souffert, est mort et est ressuscité des morts pour nous libérer du péché et de tout mal, et pour gagner pour nous la vie éternelle. Que la célébration de la Semaine Sainte, cette année, soit notre arme puissante dans le combat permanent contre le coronavirus COVID-19. En Jésus-Christ, la victoire sera la nôtre. « Ne craignez pas, croyez seulement » (Mc 5, 36).
Raymond Leo Cardinal BURKE
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