Voici la traduction intégrale par mes soins (d'après traduction anglaise faite par Maike Hickson pour LifeSiteNews) d'une récente déclaration du cardinal Walter Brandmüller, l'un des deux survivants des quatre signataires des Dubia adressés au pape François à propos d'Amoris laetitia, toujours restées sans réponse.
Le cardinal accuse le synode de manipulation en vue de mettre en place une nouvelle conception de la religion, visant à l'Eglise catholique par une « religion naturelle panthéiste de l'homme », variante du modernisme du début du XXe siècle, dit-il. Et laisse entendre son effroi devant une telle apostasie qui fait penser aux « temps eschatologiques ».
De manière somme toute amusante, le cardinal en veut notamment pour preuve l'absence quasi totale du Concile Vatican II dans l'Instrumentum laboris qui se borne quasiment à citer l'assemblée d'Aparecida de 2007, au mépris bien plus large de l'ensemble de la doctrine de l'Eglise… Cela montre en tout cas qu'on n'est jamais allé aussi loin dans la promotion de la religion de l'homme.
La dernière ligne de sa déclaration fait allusion a ce qu'a dit le pape François à l'orée du synode, lorsqu'il a affirmé que l'Instrumentum Laboris était un « texte martyr », destiné à être détruit. En attendant, les Circuli minores ont clairement et majoritairement abouti à l'affirmation que l'on devait envisager l'ordination des viri probati et la possibilité d'un ministère ordonné pour les femmes.
Voici donc ma traduction intégrale non officielle de la déclaration du cardinal Brandmüller. – J.S.
Ce n’est pas l’Amazonie qui est
en jeu : tout est en jeu.
Par le Cardinal Walter
Brandmüller
On commettrait une erreur fatale
à penser que les promoteurs de l’actuel Synode des évêques ne se préoccupent
vraiment que du bien-être des tribus indigènes des forêts amazoniennes. De
toute évidence, Ils sont plutôt instrumentalisés au service d’un programme qui
concerne l’Église universelle et qui plonge en grande partie ses racines dans
le XIXe siècle.
Ce qui est en jeu ici, c’est la
foi catholique, ni plus ni moins, la foi judéo-chrétienne pure et simple. Mais
il faut d’abord se poser ici cette question décisive et fondamentale :
« Qu’est-ce donc que la religion ? »
On ne conteste guère que la
« religion » constitue un élément essentiel de l’existence humaine.
Cependant, la signification de cela n’est pas du tout claire – ou connue par le
grand nombre. Il existe même des réponses contradictoires à cette question.
Essentiellement, la question est de savoir si la religion est le résultat de
tentatives de l’homme en vue de préserver et de gérer sa propre existence – c’est-à-dire,
si elle est un produit humain et culturel – ou bien, si elle doit être comprise
autrement.
Dans le premier cas, la religion
trouve sa source dans la réflexion sur l’expérience des profondeurs
existentielles de la personne, c’est-à-dire de sa finalité. Mais alors la
religion n’est rien d’autre que la rencontre de l’homme avec lui-même. Il s’agirait
alors aussi de la conséquence du culte de la raison tel qu’il a été promu par
les Lumières. Apparaît dès lors – souvenons-nous de Rousseau – l’idéal du
« bon sauvage », par opposition au penseur autonome européen éclairé.
La religion en tant que rencontre
avec soi-même propose une conception de la religion qui a en effet des
conséquences considérables, dans la mesure où l’évolution de la vie d’une
personne peut de soi entraîner des changements, voire des contradictions, quant
à ces expériences "religieuses". C’est également ici qu’intervient la
notion d’évolution, ce qui signifie que, parallèlement à la progression du
développement humain, il se produit aussi un développement de la conscience (de
soi) religieuse. Dès lors, les nouvelles idées changeantes peuvent alors
dépasser et remplacer celles qui avaient été acquises précédemment. Ainsi, cela
peut conduire à un pas en arrière – mais celui-ci sera considéré comme un
progrès – un recul par rapport à la culture de l’Europe, comme dans le cas de l’Amazonie.
L’histoire de la religion
judéo-chrétienne est en fort contraste avec cette conception de la religion
comme autoréalisation de l’homme.
Quand juifs et chrétiens parlent
de la religion – avec ses formes d’expression propres quant à la doctrine, la
morale et le culte – ils désignent la manière dont l’homme répond à une réalité
extra ou supra-mondaine qui lui vient de l’extérieur. En langage clair, il s’agit
de la réponse de l’homme à la révélation de l’auto-communication du Créateur à
Sa créature, l’homme. C’est un véritable événement dialogique entre Dieu et l’homme.
Dieu parle – sous quelque forme
que ce soit – et l’homme donne une réponse. C’est un dialogue. La conception
religieuse du Modernisme, au contraire, revient à un monologue : l’homme reste
seul avec lui-même.
Cet événement dialogique a
commencé par l’appel de Dieu à l’homme, comme en témoigne l’histoire du peuple
d’Israël.
Le discours de Dieu à son peuple
élu s’est déroulé au cours d’une histoire mouvementée qui, à chaque étape, a
conduit à un niveau supérieur. La Lettre aux Hébreux commence par ces mots :
« Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé
autrefois à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a
parlé par le Fils. » L’Évangile de saint Jean appelle ce Fils le Verbe
incarné du Dieu éternel. Il est et Il apporte la Révélation finale, qui peut
être trouvée sous forme écrite dans les livres bibliques et dans la tradition
orale authentique de la communauté des disciples choisis par Jésus-Christ, d’où
l’Église est issue. Tout cela s’est produit une fois pour toutes et vaut
universellement, qu’il s’agisse de l’espace ou du temps.
Mais cela signifie, en ce qui
concerne notre problème concret du « Synode sur l’Amazonie », que les
faits décrits ci-dessus excluent une conception de la religion soumise à des
limites géographiques ou dans le temps. Mais cela signifie aussi qu’une Église
amazonienne est impensable d’un point de vue théologique. C’est l’Église Une,
Sainte, Catholique et Apostolique (et donc Romaine) à qui la transmission de l’Évangile
et la transmission de la Grâce du Christ à tous les peuples de tous les temps
ont été confiées, et à laquelle est promise la lumière et la puissance de l’Esprit
Saint pour l’accomplissement de sa mission.
L’Église s’acquitte de cette
mission – avec l’aide de l’Esprit Saint – en accomplissant son ministère
magistériel et pastoral à travers l’histoire.
Cela étant clairement posé d’emblée,
il convient maintenant de relever un constat presque alarmant. L’Instrumentum Laboris du Synode ne
contient – hormis cinq citations plutôt marginales – aucune référence aux
Conciles et au Magistère pontifical. L’absence totale de Vatican II est
particulièrement spectaculaire (à l’exception de deux références plutôt
marginales). Le fait que des documents aussi importants et pertinents sur le plan
thématique que le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad Gentes – sans même parler des
Constitutions majeures sur la liturgie, la Révélation et l’Église – ne soient à
aucun moment cités, est tout simplement incompréhensible. Il en va de même pour
le Magistère post-conciliaire et les encycliques importantes.
Cette méconnaissance de la
tradition doctrinale de l’Église – et le fait que, à sa place, on cite presque
exclusivement le Synode latino-américain d’Aparecida de l’année 2007 – ne peut être
comprise que comme une rupture spectaculaire avec l’histoire antérieure. De
plus, la quasi absolutisation de cette assemblée d’Aparecida soulève aussi la
question de la compréhension latino-américaine de la Communio ecclésiale au niveau universel.
Considérons enfin, au passage,
une contradiction ouverte dans l’Instrumentum
Laboris par rapport au Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad Gentes. Ce décret stipule (n° 12) que
l’Église ne veut en aucun cas (nullo modo
!) s’immiscer dans la politique (c’est-à-dire la politique des pays de mission)
et ne revendique donc aucune autorité matérielle. Il s’agit là d’une
affirmation claire d’un document conciliaire qui, cependant, est diamétralement
contredite par une grande partie de l’Instrumentum
Laboris.
Bref, les auteurs de l’Instrumentum Laboris ignorent le Concile
Vatican II et – comme mentionné plus haut – tous les documents du Magistère
post-conciliaire qui interprètent le Concile. Mais cela constitue – comme cela
a déjà été mentionné également – une rupture avec la tradition dogmatique. Et
en fait aussi avec l’universalité de l’Église. Le fait que cette rupture soit,
pour ainsi dire, mise en œuvre de manière « sournoise », c’est-à-dire de
manière cachée et secrète, est d’autant plus inquiétant.
La méthode pratiquée ici,
cependant, suit le modèle d’Amoris
Laetitia"-, où la tentative de faire disparaître la doctrine de l’Église
se trouve dans la note 351, dont on a tant parlé.
En considérant ce qui a été dit,
il est peut-être devenu évident que les différends au sujet du Synode de l’Amazonie
ne concernent que très superficiellement la population indigène de l’Amazonie,
qui est elle-même très peu nombreuse.
C’est plutôt cette question,
effrayante, qui surgit : celle de savoir si les protagonistes de ce synode
ne sont pas davantage préoccupés par la tentative secrète de remplacer la
religion comme réponse de l’homme à l’appel de son Créateur par une religion
naturelle panthéiste de l’homme, c’est-à-dire par une nouvelle variante du
modernisme du début du XXe siècle. Il est difficile de ne pas penser aux textes
eschatologiques du Nouveau Testament !
Il appartient maintenant aux
évêques réunis du Synode sur l’Amazonie – et en dernière analyse au Pape
François lui-même – de décider si une telle rupture avec la tradition
constitutive de l’Église doit survenir malgré les conséquences inévitables et
dramatiques.
Les remarques du Pape François
sur le sort attendu de l’Instrumentum
Laboris – peuvent-elles éveiller l’espoir ?
1 commentaire:
Bonjour,
Je viens de redécouvrir ce texte du cardinal Brandmuller.
Celui-ci parle "d'une nouvelle variante du modernisme du début du XXe siècle".
Mais pourquoi donc ce cardinal ne parle t-il pas aussi, ou plutôt, d'une nouvelle variante du néo-modernisme du milieu du XX° siècle, qui a inspiré au moins quatre textes du Concile : la première partie de Dignitatis humanae, Gaudium et spes, la première partie de Nostra aetate et Unitatis redintegratio ?
Et pourquoi donc le même cardinal ne parle-t-il pas également des expressions et surtout des omissions de Jean-Paul II qui, pendant un quart de siècle, dans le domaine du dialogue interreligieux, et en direction des religions non chrétiennes, ont amplement préparé le terrain aux confusions emblématiques du pontificat actuel ?
Ces expressions et ces omissions "assisiennes" et "wojtyliennes" ont pourtant amplement contribué,
- d'une part, à la légitimation et à la valorisation de toute une tentative de "catholicisation" de l'égalitarisme diversitaire et de l'horizontalisme humanitaire interreligieusement corrects, alors que cet égalitarisme et cet horizontalisme sont, à l'origine, d'inspiration maçonnique ou théosophique (cf. Chicago 1893 et Kyoto 1970), et non d'inspiration catholique et théologale,
et
- d'autre part, à toute une pré-configuration des esprits, dans la durée et en profondeur, qui est à l'origine du fait qu'aujourd'hui bien des clercs catholiques (des philosophes, des théologiens, des évêques, des cardinaux, et même des papes) ne voient pas, ou ne voient plus "où est le problème", en présence de cette tentative de "catholicisation", équivoque et chimérique, ou fallacieuse et tendancieuse.
Vraiment merci beaucoup pour toute prise en compte de ce commentaire, étant précisé que je commence vraiment à en avoir "ras le bol" de toute cette amnésie rétrospective catholique conservatrice, qui exonère le pape Jean-Paul II de sa grande part de responsabilité dans la désurnaturalisation et dans la déthéologalisation du regard et du discours catholiques post-conciliaires, à propos de la religion en général et au sujet des religions non chrétiennes en particulier.
Bonne journée et bonne continuation, en ce qui vous concerne et en ce qui concerne votre blog, compte tenu du fait que ce que vous faites est aussi incontournable qu'indispensable, au bénéfice de l'information et de la motivation des catholiques.
Un lecteur.
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