21 février, 2016
Les propos du pape François sur le
virus Zika et la contraception ont provoqué trois types de réactions. Pour la
majorité – les grands médias du monde entier – le pape vient de lever la
condamnation systématique de la contraception qui pourrait, dans certaines
circonstances, constituer un « moindre mal ».
Je reproduis ici les propos du
pape (vérifiés par rapport au
verbatim en italien. C’est à
partir de là qu’il faut en juger.
« L’avortement n’est pas un “moindre mal”. C’est un crime. C’est
éliminer l’un pour sauver l’autre. C’est ce que fait la mafia, hein ? C’est un
crime. C’est un mal absolu. Sur le “moindre mal” : éviter la grossesse est…
nous parlons en termes de conflit entre le cinquième et le sixième
commandement. Paul VI – le grand ! – lors d’une situation difficile, en
Afrique, a permis aux religieuses d’utiliser des contraceptifs pour cause de
violence. Il ne faut pas confondre le mal qui consiste à éviter la grossesse avec
l’avortement. L’avortement n’est pas un problème théologique, c’est un problème
humain, c’est un problème médical. On tue une personne pour sauver l’autre –
dans le meilleur des cas. Ou pour pouvoir s’amuser, non ? Il est contraire au
serment d’Hippocrate que les médecins doivent prononcer. C’est un mal en soi,
mais ce n’est pas un mal religieux au départ : non, c’est un mal humain.
Ensuite, évidemment, comme il s’agit d’un mal humain – comme chaque assassinat
– il est condamné. En revanche, éviter la grossesse n’est pas un mal absolu ;
dans certains cas comme celui-ci, comme celui-là que j’ai évoqué du bienheureux
pape Paul VI, c’était clair. Moi j’exhorterais aussi les médecins à tout faire
pour trouver des vaccins contre ces deux moustiques qui apportent ce mal ;
c’est là-dessus qu’il faut travailler. »
Il y a une ambiguïté
évidente : quand le pape parle de « certains cas comme celui-ci (questo), comme celui-là (quello) que j’ai évoqué, du bienheureux
pape Paul VI ». Evoque-t-il deux cas : celui du risque (non
définitivement confirmé à ce jour) de microcéphalie associé au virus Zika, et
celui de l’affaire des religieuses du Congo ? Ou un seul, ce
dernier ? Le langage est confus, comme souvent lorsque le pape tient des
propos improvisés.
On peut dire au moins ceci :
le pape répondait à une question sur le virus Zika, il avait cela très
présent à l’esprit comme le prouvent ses remarques sur le fait qu’il voudrait
voir « aussi » (anche) les
médecins trouver des vaccins.
Voilà pourquoi nombre de
catholiques font de ses propos une même lecture que les grands médias. Et ils
soulignent qu’il s’agit là d’une rupture évidente et manifeste par rapport à
l’enseignement traditionnel de l’Eglise. S’agissant de libres propos du pape, ils
n’engagent pas son autorité et ne bénéficient pas de l’infaillibilité
pontificale. Mais ils restent inquiétants et le risque existe que des
catholiques en soient poussés à croire qu’ils peuvent librement avoir recours à
la contraception chimique lorsque les circonstances le permettent, voire le
recommandent.
Pour d’autres catholiques, il faut
à tout prix justifier les paroles du pape. Ce qui peut se faire de deux
manières.
Premièrement : en affirmant
qu’il ne voulait pas du tout parler de la contraception artificielle. Le pape
se serait contenté de dire que dans certaines circonstances, il est légitime de
vouloir éviter une grossesse. C’est ce qu’a déclaré, par exemple, le P. Robert
Gahl, professeur associé de philosophie morale à l’Université pontificale de la
Sainte-Croix à Rome. Les médias ont mal compris parce qu’ils ignorent
l’enseignement de l’Eglise sur la régulation naturelle des naissances. Il
aurait également échappé aux auditeurs qu’en évoquant Paul VI le pape François
voulait en réalité rendre hommage à l’auteur de Humanae Vitae et réitérer sa condamnation de la contraception.
Cela ne résiste pas à une analyse
sans arrière-pensées des propos du pape François. C’est lui-même qui a placé la
discussion sur le plan de la contraception ; ou si l’on veut de la
« contraception artificielle », puisque dans le cas des religieuses
congolaises, il s’agissait bien de leur permettre de prendre une pilule
contraceptive.
Deuxièmement option :
ces catholiques s’affirment hostiles à la contraception, mais avec un beau sens
de la « nuance » et du « discernement ». Ainsi
l’enseignement de l’Eglise qui rejette la contraception souffrirait-il des
exceptions. C’est l’avis du P. Lombardi, porte-parole du Vatican, qui a trouvé
les propos du pape « assez clairs » : « Peut-être il y a
des cas très graves, exceptionnels, dans lesquels on peut voir s’il y a des
interventions à faire pour prévenir une “gravidance” (une grossesse)… » Il
a évoqué une « considération des cas exceptionnels pour voir ce qui est
juste à faire dans ces cas exceptionnels. (Ce) n’est pas une ouverture sans
réflexion, sans discernement de la gravité des cas. »
Et voilà la contraception hissée
au rang de « moindre mal », éventuellement acceptable pour éviter une
situation grave.
C’est même – à en croire des
commentaires lus ici ou là – ce qui permet de distinguer la morale catholique
des préceptes islamiques. Nous autres, nous ne raisonnons pas en termes de
« halal » ou « haram » – permis, défendu, pur,
impur… – n’est-ce pas ?
Que des catholiques veuillent
défendre le pape à tout prix, c’est compréhensible ; mais cela ne dispense
personne de raisonner en termes exacts ni de réaffirmer la vérité que l’Eglise
nous enseigne, et dont chacun est à sa manière comptable. Le pape est un homme
qui peut se tromper, faire preuve d’ignorance sur tel ou tel sujet ; il
peut même mentir, ou encore induire en erreur volontairement ou
involontairement. Cela ne change rien à sa dignité ou à sa primauté, au devoir
du catholique de l’aimer et de prier pour lui et pour le bien de l’Eglise qu’il
a la charge de conduire au Christ…
Revenons-donc sur l’opposition
« halal-haram »… Il y a ici une confusion : la confusion entre
la chose en elle-même et l’acte qui seule est susceptible d’analyse morale. La
contraception, c’est toute manœuvre visant à empêcher la conception qui peut
résulter d’un acte conjugal. Cette manœuvre est toujours un mal, puisqu’elle
sépare les dimensions unitive et procréative de l’acte conjugal. Elles sont
inséparables. Celui qui y a recours commet donc un mal moral. En revanche la
pilule hormonale, moyen contraceptif, a par ailleurs un effet
thérapeutique : une femme qui prend « la pilule » pour soulager
une affection gynécologique ne commet en rien un mal moral puisque son objectif
n’est pas d’empêcher la fécondité de l’acte conjugal. Elle ne commet pas un
acte contraceptif.
En ce sens on pourrait dire que ce
n’est pas la « chose » qui est « halal » ou non, c’est
l’utilisation qui en est faite, en fonction de l’intention de celui ou de celle
qui agit.
Il en va de même avec le fait de
tuer un être humain, qui est un mal en soi. Mais c’est un acte qui peut ne pas
constituer un mal moral : lorsqu’on tue en légitime défense (personnelle
ou dans le cadre de la société – lorsqu’un pays se défend dans un état de
guerre) on n’agit pas de manière répréhensible. Dans cette même logique,
L’avortement délibéré est toujours un acte moralement mauvais puisqu’il ne vise
pas un injuste agresseur, mais une vie humaine innocente.
Alors oui, la religion catholique
nous dit qu’il y a des péchés graves ou moins graves, véniels ou mortels :
elle tient compte de la matérialité des actions, de l’intention et de la
responsabilité, mais elle enseigne avec clarté qu’il est interdit de tuer
l’innocent, de voler, de tromper son conjoint, de violer… et, aussi d’avoir
recours à la contraception.
Ces maux ne sauraient être
utilisés comme des moyens pour obtenir un bien : voler pour nourrir les
pauvres, sacrifier délibérément un innocent pour sauver d’autres innocents,
tromper son conjoint pour « sauver » un mariage ennuyeux, avoir recours
à la contraception pour éviter une grossesse encombrante pour le couple, voire
dangereuse pour la femme.
Les déclarations du pape font de
tout cela un beau salmigondis qu’il importe de débrouiller un peu.
Il y a d’abord la notion du
« moindre mal ». Comme je l’écrivais
déjà vendredi, cela supposerait qu’il y eût un mal grave à éviter grâce à
la contraception. Quel mal ? Telle que la question est posée, il s’agirait
de l’avortement ; utiliser la contraception comme seul autre choix
possible par rapport à l’avortement – autrement dit, considérer celui-ci comme
une fatalité dans le cas d’un diagnostic de microcéphalie. Or dans le cas d’un
tel diagnostic, l’avortement n’est pas une option, et il existe un bien à
choisir : accueillir l’enfant comme un don, quel qu’il soit.
Ou alors, la contraception,
l’évitement de la grossesse, serait à considérer comme un moindre mal par
rapport à la conception d’un enfant contaminé par Zika, et microcéphale
(rappelons que le lien entre les deux n’est pas à ce jour établi). Mais la
conception d’un enfant handicapé serait-il donc un « mal
moral » ? En aucun cas ! Même si le handicap est un malheur, un
mal si l’on veut. Ne pas confondre la chose et l’acte susceptible d’un
jugement moral…
Un couple peut-il éviter la
conception d’un enfant alors qu’il craint de donner le jour à un
handicapé ? Oui, répond l’Eglise. Pie XII disait aux sages-femmes en
1951, affirmant que l’usage des périodes infécondes dans les rapports sexuels était
licite pourvu que « des motifs sérieux comme ceux qu’il n’est pas rare de
trouver dans ce qu’on appelle l’indication médicale, eugénique, économique et
sociale » existent. Il y a une indication « eugénique ». Elle permet
d’éviter les grossesses par des moyens licites – des moyens bons, non point un
« moindre mal » –, et non par le recours à des moyens mauvais,
fussent-ils utilisés pour cette bonne fin.
Si le pape voulait parler de
l’abstinence pendant les périodes fertiles, il serait faux de la désigner comme
un « moindre mal » ; ce serait un agir bon, correct, conforme à
la loi divine…
Allons plus loin. Quel
« conflit » y aurait-il entre le 6e et 5e commandement ? Si l’on
comprend bien le pape François, il s’agit d’attenter au 6e commandement pour ne
pas tuer, pour ne pas contrevenir au 5e commandement, présenté comme plus
grave. En réalité, il s’agit alors de justifier une transgression en
affirmant : « Si je ne fais pas ceci qui est interdit, je ferai cela
qui est encore plus gravement interdit (et auquel rien ne me contraint). »
Cela paraît absurde.
Passons à l’avortement, qui ne
serait pas un « problème théologique », un « mal
religieux » mais un « problème humain ». Sans doute est-ce une
manière de dire que l’interdiction de l’avortement n’est pas un précepte
religieux mais qu’elle relève de la naturelle. Soit. Le pape François ajoute
que l’évitement de la grossesse n’est pas du même ordre, ce qui est juste,
puisque éviter une grossesse peut constituer un acte moralement bon – c’est
toute la logique de la régulation naturelle des naissances – mais en laissant
planer plus que fortement l’idée que la contraception puisse être un mal, un
mal relatif acceptable afin d’éviter
des grossesses.
La finalité de l’acte conjugal ne
serait-elle donc pas accessible à un jugement moral humain, fondé sur la nature
même de cet acte ? Le refus de la contraception ne relèverait-il plus que
d’un interdit religieux ? Comme
le commandement de ne pas manger de la viande les vendredis de carême, ou de ne
pas profaner les Saintes Espèces ? Voilà qui relativiserait fortement la
réflexion sur la contraception, et sur plus d’un plan : d’abord parce que
la contraception chimique possède une forme d’action abortive, et aussi parce
qu’elle soulève des questions (et admet des réponses) de moralité humaine qui
ne dépendent pas d’une vérité révélée.
A l’aune de la réflexion du pape,
bien des portes s’ouvrent du coup : la contraception devient envisageable,
sous condition de « discernement », dans bien des situations :
le risque accru de donner naissance à un trisomique, lié à l’âge de la femme ;
le risque de transmission du sida ; la liste est longue et l’inventivité
de l’homme est sans bornes…
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2 commentaires:
De propos confus, voire incompréhensibles, on ne peut rien tirer.
Ce qui est important, c'est de bien saisir qu'il n'y a pas de rapport formel entre un viol et l'acte conjugal. C'est pourquoi Paul VI avait constaté que les religieuses en danger de viol pouvaient avaler une pilule. Il n'avait pas "autorisé" les religieuses, il avait constaté que le droit naturel leur permettait de faire cela. Le pape n'est pas un dictateur, mais il est un oracle du droit naturel. Si je me trompe qu'on veuille bien me le signaler.
Il n'y a rien d'extraordinairement compliqué à comprendre sur la différence de nature entre un viol et un acte conjugal.
Finalement, en relisant les propos du pape, je ne suis pas sûr que ces propos n'aient pas un sens.
Ce qui est aussi difficile à admettre c'est que François atteste de la vérité scientifique de théories controversées. Il prend partie sans titre en sanctionnant comme vérité indéniable des propositions que certains hommes ne considèrent pas comme des vérités scientifiques. Or il n'a aucune autorité scientifique. D'ailleurs il ne démontre rien. Il ne fait que choisir arbitrairement entre des thèses sans se donner la peine d'étayer rationnellement celle qu'il adopte. Ici il donne comme vérité scientifique incontestable que la piqure de la mère par le zirka rend microcéphale l'enfant porté par cette mère. Il a déjà fait cela dans Laodato si sur d'autres sujets. Je l'écris en tremblant, mais cela ne me semble pas très honnête.
D'une deuxième part, par ses propos peu clairs, il semble en effet encourager les laboratoires pharmaceutiques à faire des fortunes en vendant des produits nocifs à la santé des femmes en vue d'éviter une grossesse tout en usant du mariage.
Enfin « En ce sens on pourrait dire que ce n’est pas la « chose » qui est « halal » ou non, c’est l’utilisation qui en est faite, en fonction de l’intention de celui ou de celle qui agit. » En un sens sans doute, mais il y a des actes qui sont mauvais en soi comme le mensonge qui n'est jamais permis quels que soient les mobiles du menteur.
Le pire dans les propos du pape, et c'est bien dans la continuité de sa condamnation du "lapinisme", c'est qu'il considère qu'une grossesse peut être un mal. Or une grossesse, même non-voulue, même d'un enfant handicapé dans une famille pauvre, est un bien. Elle est un bien même si elle apparaît comme un mal à la mère, au père ou à l'entourage. Une grossesse est un bien, c'est un petit d'homme qui arrive au jour pour continuer l'humanité. En cela tout en condamnant fermement l'avortement, François le favorise en lui offrant des prétextes. J'écris cela en tremblant... car il s'agit du pape. Cependant je le fais en faisant usage de ma liberté de jugement. Elle est sacrée.
Contre la société dépressive, dont notre pape visiblement malade est un membre, relisons la Genèse:
« Gn 1,26. Il dit ensuite: Faisons l'homme à Notre image et à Notre ressemblance, et qu'il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes, à toute la terre, et à tous les reptiles qui se remuent sous le ciel.
Gn 1,27. Dieu créa donc l'homme à Son image; Il le créa à l'image de Dieu, et Il les créa mâle et femelle.
Gn 1,28. Et Dieu les bénit, et Il leur dit: Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre, et assujettissez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui se remuent sur la terre. » (Traduction Fillion)
L'aventure humaine est positive. Elle est bonne. Les femmes n'ont pas à avoir honte de mettre des enfants au monde.
N'ayons donc pas peur de cette "recrue continuelle du genre humain" :
« Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfants qui naissent, à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'avancent, semblent nous pousser de l'épaule et nous dire : Retirez-vous c'est maintenant notre tour.-Sermon sur la mort » (du site citations de Bossuet)
Ils disent, ces enfants: "C'est maintenant notre tour" de jouer. Nous avons hâte d'occuper le terrain, de jouer la partition que notre Créateur nous a assignée.
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