12 juin, 2015
Les Pays-Bas comptaient, à la fin de 2014, 24 patients en état végétatif persistant. Vingt-quatre. Rapportés à la population néerlandaise totale, cela représente 3 personnes pour deux millions. Ce chiffre tient compte de quelques faux diagnostics qui ont été dépistés au moment où la faculté de médecine de l'université de Radboud, à Nimègue, rassemblait ces statistiques : au départ on en comptait 41, jugés en état végétatif par leur médecin traitant « sans l'ombre d'un doute ». 17 d'entre eux avaient donc certainement été diagnostiqués à tort… Si on tient compte de cet ensemble plus large, on arrive à un peu plus de 5 patients comparables à Vincent Lambert pour deux millions d'habitants. En France, cette proportion dépasse les 50 patients pour 2 millions d'habitants, soit dix fois plus. Comment cela est-il possible ? La réponse est simple : aux Pays-Bas, on cesse de les soigner, des « arrêts de soins » qui prennent différentes formes selon les cas, mais parmi lesquels l'arrêt de l'hydratation et de la nourriture est fréquente et considérée comme normale.
Si aux Pays-Bas tant de patients manquent à l'appel, c'est qu'ils sont morts, comme dans la chanson de Brassens… A la différence près qu'ils ont été précipités en dehors de la barque commune de notre humanité.
La France compte quelque 1.700 patients en état végétatif ou en état de conscience minimale, comme Vincent Lambert. Depuis la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, ils sont tous potentiellement voués à la mort de soif si par malheur ils ont lâché un jour, alors qu'ils étaient encore valides, qu'ils n'aimeraient pas vivre dans cet état – ou si un de leur proches était prêt à l'affirmer. L'exemple néerlandais montre qu'une telle situation n'a rien d'imaginaire. A proportion égale, il n'en resterait que 170…
Aux Pays-Bas, on ne s'encombre pas de questions quant à la volonté réelle ou supposée du patient. Dès 1996, cinq ans avant la légalisation de l'euthanasie, les directives officielles proposées aux médecins leur enjoignaient d'envisager un arrêt de traitement, l'arrêt de l'hydratation et la nourriture y étant assimilé, pour les personnes en « état végétatif » et n'espérant aucune amélioration de leur état au-delà d'une période de plusieurs mois, variable selon l'origine de la situation de « coma éveillé ». Les exigences de diagnostic se faisaient parallèlement plus strictes. Aux Pays-Bas comme ailleurs on connaît le taux d'erreur à cet égard : selon les sources et les dates, on évoque entre 3 et 4 faux diagnostics (connus) d'état végétatif sur 10.
Aujourd'hui, la pratique néerlandaise est encore plus expéditive. Un traumatisé crânien peut espérer 72 heures de traitements en soins intensifs. Si aucune amélioration n'apparaît, qu'il y a de grandes chances qu'il demeure dans un état végétatif et que les résultats d'une série de tests sont mauvais, on décide de ne plus traiter. Cela veut dire qu'on désintube (on applique des protocoles pour que l'asphyxie ne soit pas violente) afin qu'il meure ; ou, si le patient respire de manière autonome, qu'on s'abstient de tout traitement pour des pathologies existantes ou incidentes ; ou encore, que l'on cesse d'hydrater et de nourrir le patient, afin qu'il meure.
La décision est prise par le médecin, après avoir consulté un confrère indépendant, l'équipe médicale, et les proches. Si les proches veulent faire transférer le patient vers un établissement où il sera pris en charge, cela leur est possible s'il en existe un qui soit prêt à s'occuper du patient. Si ce n'est pas le cas, le médecin a le droit de décider de l'arrêt de tout traitement, mais aussi de l'arrêt de l'hydratation et de la nourriture, contre leur volonté. Mais il paraît que « la plupart du temps » les proches sont d'accord. On les pousse de toute manière fortement dans cette direction.
Il est remarquable que cette manière de traiter les personnes en état végétatif (vrai ou faux…) se soit installé aux Pays-Bas avant la légalisation de l'euthanasie. Elle est au début de la logique euthanasique ; elle en fait pleinement partie. L'euthanasie a été légalisée en 2001 aux Pays-Bas : depuis lors, on ne s'encombre guère d'états d'âme.
Pourquoi et comment le ferait-on ? Après tout, les assureurs de santé aux Pays-Bas remboursent très mal les soins de rééducation. On considère qu'ils sont « inutiles ». Et ce même si des centres existent où des enfants bénéficient de programmes de stimulation qui donnent de vrais résultats : c'est aux proches de payer la plus grosse part.
La prochaine étape ? On la connaît aussi. Ou du moins des « bioéthiciens » l'ont déjà imaginée. C'était en 1996 : un professeur britannique d'éthique médicale suggérait que l'on réalise certaines expériences médicales sur des personnes victimes d'une lésion cérébrale grave. David Morton s'exprimait dans le contexte d'un pays où l'arrêt des soins pour de tels patients était recommandée depuis plusieurs années déjà. Chargé du dossier des expérimentations animales par le gouvernement du Royaume-Uni, il estimait qu'il valait mieux « utiliser » ces patients plutôt que nos amies les bêtes, puisque de toute façon ils étaient voués à la mort. Il imaginait une nouvelle forme de don d'organes : celui qui consisterait à accepter par avance d'être soumis à des expériences, des recherches et des essais de médicaments en cas de cessation des « traitements ». Dès l'instant où l'hydratation et l'alimentation serait stoppée, l'équipe médicale pourrait envisager de passer aux essais. Pourquoi pas ? Quand on cesse de respecter la vie, tout est possible !
Il est vrai que les propositions de David Morton suscitèrent un tollé – surtout parmi les proches de ces patients.
Mais si l'on considère ces patients comme déjà morts, comme on l'entend dire les partisans de la mort de soif pour Vincent Lambert, pourquoi s'arrêter à si peu ?
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