Par une décision d’appel –
susceptible de cassation – la cour d’Arnhem, aux Pays-Bas, a jugé qu’Albert
Heringa, accusé d’avoir euthanasié sa mère au mépris de la loi néerlandaise qui
réserve cet acte aux médecins, devait échapper à toute sanction, au motif qu’il
a agi dans une « situation d’urgence », en conformité avec sa propre
conscience de son devoir. Ce sentiment de son devoir, ajoute la cour, a pesé
plus lourd, à juste titre, que l’interdiction légale. Albert Heringa, 74 ans,
s’est dit « très
heureux ».
L’affaire remonte à 2008. Cette
année-là, la maman de Heringa, « Moek », avait 99 ans. Elle n’était
pas malade mais aveugle et n’avait plus envie de vivre, jugeant sa souffrance
trop importante et sans espoir d’amélioration. Son médecin avait refusé de
l’euthanasier : elle s’était alors tournée vers son fils qui s’est jugé
habilité à agir dans le cadre de la loi autorisant l’euthanasie, malgré le fait
que celle-ci réserve au médecin le droit de tuer un patient qu’il juge victime
de souffrances insupportables et sans perspective d’amélioration. Il avait
notamment était poussé à agir par le fait que sa mère s’était mise à mettre de
côté ses médicaments pour prendre une surdose lorsqu’elle en aurait
suffisamment – mais il a été établi que cette surdose ne l’aurait pas tuée,
elle aurait simplement aggravé son état de santé.
Albert Heringa avait pris la précaution de respecter les critères de la loi d'euthanasie, dit le jugement de relaxe
Heringa a pris la précaution de
respecter les modalités de la loi – en dehors de la présence d’un médecin – et
d’enregistrer ses faits et gestes, filmant la manière dont il avait administré
des médicaments contre le malaria, des somnifères et des anti-vomitifs à sa
mère qui est morte, ainsi, d’empoisonnement. Ses enregistrements ont fait
l’objet d’un documentaire, Le dernier vœude Moek, qui a été diffusée par une télévision néerlandaise en 2010. Une
« transparence » dont les juges ont tenu compte.
Le ministère public ne pouvait
laisser passer une telle transgression. Elle a poursuivi le septuagénaire
malgré son « intention droite » en l’accusant de n’avoir pas respecté
les exigences de la loi. En première instance Heringa a été déclaré coupable
mais dispensé de peine. Le ministère public fit appel, réclamant une peine de
trois mois de prison avec sursis. La cour d’appel n’a pas voulu suivre, au
motif, donc, que Heringa s’était trouvé dans une situation d’urgence, et en
outre parce qu’il aurait respecté tous les critères de la loi d’euthanasie. Il
a été purement et simplement relaxé.
Décision pour le moins étrange,
puisque justement l’accusé n’a pas tenu compte de l’exigence centrale de la loi
quant à l’exécution de la mise à mort par le médecin. Les juges ont davantage
encore tordu la lettre de la loi qui n’excuse l’euthanasie que dans le cas où
il n’y a pas d’autre « solution raisonnable » pour soulager des
souffrances : il s’agit de trouver des moyens médicaux qui permettent
d’éviter l’euthanasie. En l’occurrence, la « solution raisonnable » a
été interprétée comme la possibilité de trouver un médecin prêt à pratiquer
l’euthanasie, et c’est parce qu’il n’en a pas trouvé que Heringa a été relaxé.
Le ministère public des Pays-Bas a critiqué la décision de la cour d'appel d'Arnhem
D’ores et déjà, le ministère
public néerlandais a publié un communiqué affirmant que « l’assistance au
suicide selon les conditions fixées par la loi d’euthanasie est et reste, aux
yeux du procureur, une tâche exclusivement réservée au médecin ». On
s’attend à un pourvoi en cassation, ce qui empêche de donner pour définitive le
nouveau dérapage judiciaire en faveur de l’euthanasie « privée ».
La NVVE (association néerlandaise
pour une fin de vie volontaire) a salué la décision comme « un pas dans la
direction où nous souhaitons aller » : « De nombreuses personnes
qui considèrent leur vie achevée veulent être aidées par des proches », a
expliqué Fiona Zonneveld.
Même sans être définitive, la
décision de la cour d’appel d’Arnhem apparaît comme révolutionnaire. Car ce
n’est pas seulement le court-circuitage du médecin qui est à noter dans cette
affaire, mais encore la justification de l’euthanasie sur une personne qui
était simplement « fatiguée de vivre », un cas que la loi ne prévoit
nullement. S’il est vrai que les commissions régionales de contrôle de
l’euthanasie acceptent sans rechigner de fermer les yeux sur des actes
euthanasiques pratiqués sur des vieillards souffrant de multiples affections
pénibles, rien ne le justifie en droit et encore moins lorsque celui qui
exécute l’euthanasie se borne à mettre en œuvre la demande d’une proche.
La cour d'appel a justifié une euthanasie pratiquée par un particulier alors que la loi la réserve au médecin
La cour est allée jusqu’à dire que
Heringa aurait dû vivre avec un « sentiment de culpabilité jusqu’à la fin
de ses jours » s’il n’était pas passé à l’acte.
Ce qui a changé depuis 2008, c’est
bien cette ouverture croissante des médecins à l’euthanasie : en 2011, la
fédération professionnelle des médecins néerlandais, KNMG, a déclaré que le
cadre de l’euthanasie légale dépasse celui des cas purement médicaux, la souffrance
« sans perspective et insupportable » pouvant être le résultat
d’autres causes. Est-ce à dire que la « situation d’urgence »
reconnue à Heringa n’existerait plus aujourd’hui ? D’autant qu’aujourd’hui
la Clinique de fin de vie se charge – goulûment – de ces cas dont les médecins
de famille ne voudraient pas ?
Il n’empêche : c’est une
nouvelle brèche
ouverte en faveur de l’euthanasie, et une bonne nouvelle pour les proches peu
scrupuleux qui peuvent avoir avantage à pousser leurs vieillards vers la
sortie.
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