21 novembre, 2014

Après la mort de 14 femmes de leur stérilisation en Inde, une attaque féministe contre le contrôle de la population

Kalpana Wilson, féministe, femme de gauche…
mais opposée au contrôle de la population.
Le texte dont je vous propose ci-dessous la traduction est dû à un professeur spécialiste de la théorie du genre : le Dr Kalpana Wilson, « Senior Fellow » au Gender Institute de la London School of Economics, en Théorie du genre, globalisation et développement. Il va de soi que je ne partage pas tous les points de vue de cette universitaire et il est encore plus certain qu'elle ne partage pas ceux de ce blog. Mais ce qu'elle expose ici est d'autant plus intéressant qu'elle dit tout cela à la place où elle est, depuis une perspective de « droits des femmes », « anticapitaliste », pour montrer que le discours actuel sur la surpopulation y est radicalement opposé. Publié il y a trois jours sur le site de la LSE, le texte n'y est plus disponible qu'en cache (ici). Je vous laisse faire la part des choses. — J.S.

L’horrible mort d’au moins 14 femmes ayant subi des opérations dans des camps de stérilisation dans le Chhattisgarh, l’un des Etats les plus pauvres de l’Inde, met en lumière la violence persistante des politiques de contrôle de la population dont le gouvernement Britannique est l’un des premiers promoteurs à l’échelle mondiale. Loin de donner aux femmes pauvres du Sud du globe les contraceptifs dont elles ont besoin, ces politiques les déshumanisent, les taxant de « reproduction excessive », et fixe des « objectifs » qui rendent possibles les atrocités comme celles du Chhattisgarh. Et bien que ces politiques soient enracinées dans des idées profondément racistes et patriarcales, elles sont aujourd’hui mises en œuvre au nom des droits et des « choix » reproductifs.
Il y a deux ans le gouvernement britannique et la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a joué un rôle majeur pour inciter le Royaume-Uni à jouer un rôle de premier plan à propos des questions de population, ont accueilli le sommet de Londres sur le planning familial. Avec USAID, le FNUAP et d'autres organisations internationales, ils ont annoncé une stratégie de planning familial chiffrée à 2,6 milliards de dollars. Quelques mois plus tard la Secrétaire au développement, Justine Greening a annoncé que le Royaume-Uni allait « entreprendre une action déterminée par rapport au planning familial » : outre les projets existants visant à inciter 120 millions de femmes et jeune filles supplémentaires dans les pays les plus pauvres à recourir au planning familial volontaire d'ici à 2020, ses initiatives allaient comprendre une distribution accrue d'implants contraceptifs.
Bien qu'il affirme s'opposer à toute forme de contrainte, il a déjà été révélé que le Département pour le développement international (DfID) contribuait au financement de stérilisations forcées dans les États indiens de Madhya Pradesh et de Bihar au cours desquelles – comme cela s’est produit dans le camp de stérilisation il y a quelques semaines – beaucoup de femmes pauvres sont mortes. [NDLR : une version amendée du texte publiée par The Guardian, précise que le DfID a protesté contre cette rédaction, assurant qu'il avait explicitement condamné les stérilisations forcées, prenant en outre des mesures pour assurer que l'aide britannique ne puisse y être consacrée.] On mentait à ces femmes, souvent issues des castes Dali, à propos de l'opération, on les menaçait de perdre leur carte de rationnement ou leur accès aux plans d’aide sociale du gouvernement, on les soudoyait avec des petites sommes d’argent, avant de les opérer dans des conditions d’insécurité épouvantables afin de remplir les objectifs fixés par le gouvernement.
La stérilisation des femmes a longtemps été le principal moyen utilisé pour mettre en œuvre des politiques de contrôle de la population de l'Inde. Pendant l’état d’urgence en Inde au milieu des années 1970, les libertés civiles étant suspendues, des hommes étaient emmenés de force vers des camps de stérilisation similaires pour y subir des vasectomie, mais cela a provoqué une opposition massive, et, au bout du compte, la défaite électorale historique du Parti du Congrès en 1977. Des recherches menées en 2005-2006 laissent penser qu’environ 37 % des femmes mariées avaient été stérilisées. Les morts officiellement répertoriées comme étant dues à la stérilisation entre 2003 et 2012 sont évaluées à 12 par mois en moyenne ; les chiffres réels pouvant être plus bien plus élevés encore. En 2012 un rapport de Human Rights Watch a prévenu que si cette politique de stérilisation n'était pas modifiée, les engagements pris par le gouvernement indien au Sommet sur le planning familial à Londres allaient conduire à de nouveaux abus et à une pression accrue sur les travailleurs de santé en vue d’atteindre ces objectifs.
Le soutien britannique à la stérilisation de masse des femmes pauvres et marginalisées qui caractérise la politique de population indienne n'est pas public. Mais un grand nombre des contraceptifs que le DfID et ses partenaires institutionnels recommandent de manière plus ouverte ne laissent pas aux femmes le droit au contrôle, et mettent leur vie en danger. Les féministes du Sud du globe et les féministes de couleur en Amérique du Nord et au Royaume-Uni ont fait campagne pendant des années contre les essais de nouveaux médicaments menés de manière contraire à l'éthique, et contre le dumping de contraceptifs injectables et implantables tels Net-En, Norplant et Depo-Provera. Ce dernier est par exemple, selon certaines sources, administrées de force à des femmes éthiopiennes en Israël.
La Fondation Gates a été critiquée de nombreuses fois pour ses étroites relations avec des géants pharmaceutiques, ainsi que pour son rôle dans le financement d’essais de médicaments et de programmes de vaccination qui se sont révélés contraire à l'éthique, et dangereux. Cela comprend des essais cliniques du vaccin HPV contre le cancer cervical, fabriqué par Glaxo SmithKline et Merck Sharp & Dohme en Inde en 2009, dont on a mensongèrement affirmé qu'il s'agissait d'une « étude d'observation post licence », pour lesquels 23.000 jeunes filles âgées de 9 à 15 ans issues de communauté pauvres ont été choisies, en se passant du nécessaire consentement parental. L’essai a été suspendu après la mort de sept adivasi – des jeunes filles indigènes âgées de 9 à 15 ans.
L'initiative actuelle du DfID avec Merck consiste à pouvoir l'implant de longue durée Implanon auprès de « 14,5 millions des femmes les plus pauvres » d'ici à 2015. L’Implanon a cessé d'être utilisé au Royaume-Uni en 2010 parce que les personnels de santé formés le trouvaient trop difficile à insérer, et l’on avait des craintes à propos de son innocuité. Outre des effets secondaires débilitants, il y avait des cas où l’implant disparaissait dans le corps des femmes. Merck a développé une nouvelle version, Nexplanon, détectable aux rayons X, mais a obtenu l’autorisation de continuer la vente des stocks existants d’Implanon. C’est ce médicament qui est promu par les programmes DfID et FNUAP dans les pays les plus pauvres, bien que ces pays affichent un déficit épouvantable de personnel de santé formé. En Ethiopie, l'un des pays cibles, les insertions massives font partie des transferts de tâches ou des auxiliaires formés à la hâte doivent jouer le rôle des médecins et des infirmières expérimentés.

Comme les approches antérieures de la question de la population, qui remontent à Malthus, celles qui sont en cours reposent sur l'idée de rendre les pauvres responsables de leur propre pauvreté, en dédouanant le capital. De même, la croissance de la population dans le Sud du globe est  reliée au changement climatique, en détournant l'attention du rôle des émissions carbone du Nord, et elle est tenue pour responsable des crises alimentaires causées par l'accaparement des terres par des sociétés transnationales et des gouvernements étrangers. Alors qu’on affirme que le contrôle de la population est lié à une mortalité maternelle en baisse et à un meilleur taux de survie des enfants, ceux-ci ne peuvent s’obtenir sans changer le modèle économique dominant, rendant possible des investissements substantiels pour rendre les soins accessibles. Mais le discours actuel sur la population insiste sur le fait que les politiques néolibérales imposées par la Banque mondiale et le FMI, où les soins ainsi que l'éducation, les systèmes d’assainissement et d’autres services publics essentiels été décimés depuis des années 1980, peuvent rester en place. Il est révélateur que l'ancien Secrétaire au développement, Andrew Mitchell, ait pu décrire les politiques de population comme étant  d'un « excellent rapport qualité-prix », citant l'exemple de la Tanzanie : il a affirmé qu'elle « aura besoin de 131.000 professeurs de moins en 2035 si la fécondité continue de baisser – ce qui économisera des millions de livres sur le long terme ».

Le contrôle de la population aujourd'hui fait en réalité partie d'une stratégie plus large du capital global, où le travail des femmes est élargi et intensifié, la responsabilité pour la survie du foyer étant de plus en plus féminisée, tandis qu’un nombre croissant de femmes sont incorporées dans des chaînes de valeur mondiale, dominées par des sociétés transnationales. C'est bien cela, et non une préoccupation à propos des droits et des choix, qui est à la racine des politiques comme celles de la DfID et de la Fondation Gates qui empêchent les femmes au Sud du globe d’obtenir un vrai contrôle de leur corps. De plus en plus, les femmes demandent la justice reproductive : cela implique d’exposer cette stratégie au grand jour et de confronter les structures de pouvoir et d’inégalité,  seul moyen d'empêcher d'autres morts comme celles qui se sont produites au Chhattigarh.









• Voulez-vous être tenu au courant des informations originales paraissant sur ce blog ? Abonnez-vous gratuitement à la lettre d'informations. Vous recevrez au maximum un courriel par jour. S'abonner

© leblogdejeannesmits



Aucun commentaire:

 
[]