25 octobre, 2014
Georg Gänswein, son secrétaire privé, a lu un message du pape émérite à l'occasion de la réouverture après réfection, mardi dernier, de la grande salle de conférences de 1800 places de l'Université pontificale Urbaniana à Rome, qui a reçu le nom de Benoît XVI. L'Urbaniana est consacrée à la formation du clergé missionnaire et des étudiants venus des territoires de mission. Texte passionnant en ces moments où l'on reparle de la nécessité pour l'Eglise de s'adapter aux réalités de notre temps, de dialogue inter-religieux et de paix dans le monde. Je vous en propose ici ma traduction. — J.S.
Je voudrais en premier lieu exprimer mon plus cordial remerciement au Recteur
magnifique et aux autorités académiques de l'Université pontificale, aux
officiers majeurs et aux représentants des étudiants pour leur proposition de
donner mon nom à l'Aula Magna restructurée. Je voudrais remercier de façon
toute particulière le grand chancelier de l'Université le cardinal Fernando Filoni,
d’avoir accueilli cette initiative. C'est un motif de grande joie pour moi que
de pouvoir être ainsi toujours présent aux travaux de l'Université pontificale.
Au cours des différentes visites
que j'ai pu y faire comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi,
j'ai toujours été frappé par l'atmosphère d’universalité que l'on respire dans
cette université où des jeunes venant de quasiment tous les pays de la terre se
préparent pour le service de l'Évangile dans le monde d'aujourd'hui. Aujourd'hui
encore, je vois intérieurement
devant moi dans cette salle une communauté composée de tant de jeunes qui nous
font percevoir de manière vivant l'extraordinaire réalité de l'Église
catholique.
« Catholique » : cette
définition de l'Eglise qui appartient à la profession de foi depuis les temps
les plus anciens porte en elle quelque chose de la Pentecôte. Elle nous
rappelle que l'Eglise de Jésus-Christ n'a jamais concerné un seul peuple
ou une seule culture, mais qu’elle était depuis le début destinée à l'humanité.
Les dernières paroles que Jésus a dites à Ses disciples furent celles-ci :
« Faites de tous les peuples mes disciples » '(Mt 28,19). Et au
moment de la Pentecôte, les apôtres ont parlé toutes les langues, pouvant ainsi
manifester par la force de l'Esprit Saint, toute l’étendue de leur foi.
Depuis lors l'Église a réellement grandi sur tous les
continents. Votre présence, chères étudiantes et chers étudiants, reflète le visage universel de
l'Eglise. Le prophète Zacharie avait annoncé un règne messianique qui
irait d'une mer à l'autre et qui serait un règne de paix. Et de fait,
chaque fois que l'Eucharistie est célébrée et que les hommes, à partir du
Seigneur, deviennent ensemble un seul corps, quelque chose de cette paix que
Jésus-Christ avait promis de donner à Ses disciples est présent. Vous,
chers amis, vous êtes les coopérateurs de cette paix que dans un monde défiguré
et violent, il devient toujours plus urgent de construire et de garder. C'est
pourquoi le travail de votre université est si important, où vous voulez apprendre
et connaître de plus près Jésus-Christ, pour pouvoir devenir Ses témoins.
Le Seigneur ressuscité a chargé Ses
apôtres, et à travers eux les disciples de tous les temps, de porter Sa parole
jusqu'aux confins de la Terre et de faire des hommes Ses disciples. Le concile
Vatican II, reprenant dans le décret Ad
Gentes une tradition constante, a mis en lumière les raisons profondes de
cette tâche missionnaire, et l’a ainsi redonnée avec une force renouvelée à l'Eglise
d'aujourd'hui.
Mais cela vaut-il encore pour
aujourd'hui ?, se demandent de nombreuses personnes à l'intérieur et à
l'extérieur de l'Eglise : la mission est-elle vraiment encore d'actualité
? Ne serait-il pas plus approprié de se retrouver dans le dialogue entre les
religions et de servir ensemble à cause de la paix dans le monde ? La question
inverse est celle-ci : Le dialogue peut-il se substituer à la mission ?
Beaucoup partagent en effet aujourd'hui l'idée que les religions devraient se
respecter et devenir, à travers leur dialogue, une force commune pour la paix.
Dans cette manière de penser on considère le plus souvent comme acquis le fait
que les diverses religions sont des variantes d'une seule et même
réalité ; que la religion serait le genre commun qui assume des formes
différentes selon les différentes cultures, mais qui exprime de toute façon une
seule réalité. La question de la vérité qui depuis l'origine a préoccupé les
chrétiens plus que toute autre, est ici mise entre parenthèses. On présuppose
qu'il serait impossible d'atteindre en dernière analyse l'authentique vérité
sur Dieu, et que l'on pourrait tout au plus rendre présent ce qui est ineffable
seulement à travers une variété de symboles. Cette renonciation à la vérité
semble réaliste et utile à la paix entre les religions dans le monde.
Mais cette renonciation est mortelle
pour la foi. En réalité la foi perd son caractère contraignant et son sérieux,
si tout s’y réduit à des symboles au fond interchangeables, capables de
renvoyer seulement de loin à l'inaccessible mystère du divin.
Chers amis, vous voyez que la
question de la mission se pose non seulement face aux questions fondamentales
de la foi, mais aussi par rapport à celle de ce qu'est l’homme. Dans le cadre
d'un bref propos de salutation, je ne peux évidemment pas tenter d'analyser de
manière exhaustive cette problématique qui aujourd'hui nous concerne
profondément, chacun de nous. Je voudrais cependant au moins mentionner les
directions que devrait prendre notre pensée. Je le fais à partir de deux points
de départ différents.
I.
1. L'opinion commune voudrait que les religions soient pour
ainsi dire côte à côte, comme les continents et les pays sur les cartes
géographiques. Cependant cela n'est pas exact. Les religions sont en mouvement
sur le plan historique, de même que sont en mouvement les peuples et les
cultures. Il existe des religions en attente. Les religions tribales sont de ce
type : elles ont leur moment historique et elles sont toujours en attente
d'une rencontre plus grande qui les porte vers la plénitude.
Nous, en tant que chrétiens,
sommes convaincus de ce que dans le silence, elles attendent la rencontre avec
Jésus-Christ, la lumière qui vient de Lui, qui seule peut les conduire
complètement vers leur vérité. Et le Christ les attend. La rencontre avec Lui
n’est pas l’irruption d'un étranger qui détruit leur propre culture et leur
propre histoire. Elle est au contraire l’entrée dans quelque chose de plus
grand, vers quoi ils sont en chemin. C'est pourquoi cette rencontre est
toujours, à un moment donné, purification et maturation. Par ailleurs la
rencontre est toujours réciproque. Le Christ est attentif à leur histoire, à leur
sagesse, à leur vision des choses.
Aujourd'hui nous voyons de manière
toujours plus nette un autre aspect : tandis que dans les pays de sa
grande histoire le christianisme est devenu, par tant de côtés, las, et que
certaines branches de ce grand arbre qui a grandi à partir du grain de sénevé
de l'Évangile sont devenus sèches et tombent à terre, une nouvelle vie surgit
de la rencontre du Christ avec les religions en attente. Là où il n’y
avait d’abord que lassitude, de nouvelles dimensions de la foi se manifestent
et portent la joie.
2. La religion n'est pas en soi un
phénomène unitaire. On y trouve toujours plusieurs dimensions distinctes. D'un
côté il y a la grandeur de pouvoir tendre, au-delà du monde, vers le Dieu
éternel. Mais de l’autre on y trouve des éléments qui proviennent de l'histoire
des hommes et de leur pratique de la religion. On peut certes y retrouver des
choses belles et nobles, mais aussi des choses viles et destructrices, là où l'égoïsme
de l'homme a pris possession de la religion, et au lieu d'une ouverture, l’a
transformée en renfermement dans son propre espace.
C'est pourquoi la religion n'est plus simplement un phénomène
uniquement positif ou uniquement négatif : l'un et l'autre aspect y sont
mélangés. A ses débuts, la mission chrétienne a perçu de manière très forte surtout
les éléments négatifs des religions païennes qu'elle rencontrait. Pour cette
raison, l'annonce chrétienne fut dans un premier temps extrêmement critique
vis-à-vis des religions. Ce n'est qu'en dépassant leurs traditions qu'elle
considérait pour partie même démoniaques que la foi pouvait développer sa force
rénovatrice. Sur la base d'éléments de ce genre, le théologien évangélique Karl
Barth met en opposition religion et foi, jugeant la première de manière
absolument négative, comme le comportement arbitraire de l'homme qui tente, à
partir de lui-même, de saisir Dieu.
Dietrich Bonhoffer a repris
ce point de vue on se prononçant en faveur du christianisme « sans
religion ». Il s'agit sans aucun doute d'une vision unilatérale qui ne
peut pas être acceptée. Il est toutefois correct d'affirmer que toutes les
religions, pour demeurer dans le juste, doivent aussi être en même temps
toujours critiques à l’égard des religions. Cela vaut clairement, depuis
ses origines et sur la base de sa nature, pour la foi chrétienne qui, d'un côté,
considère avec un grand respect la profonde attente et la profonde richesse des
religions, mais qui de l'autre côté, voit aussi de manière critique ce qui est
négatif. Il va de soi que la foi chrétienne doit toujours de nouveau développer
cette force critique même à l’égard de sa propre histoire religieuse.
Pour nous chrétiens Jésus-Christ
est le Logos de Dieu, la lumière qui aide à distinguer entre la nature des
religions de la religion et leur distorsion.
3. En notre temps la voix de ceux
qui veulent nous persuader que la religion en tant que telle est dépassée
devient toujours plus forte. Seule la raison critique devrait orienter l'agir
de l'homme. Derrière une telle conception se trouve la conviction qu'avec la
pensée positiviste la raison dans toute sa pureté aurait définitivement acquis
la suprématie. En réalité, cette façon de penser et de vivre est elle aussi
historiquement conditionnée et liée à des cultures historiques déterminées. La
considérer comme seule valide diminuerait l’homme, lui enlèverait une dimension
essentielle de son existence. L'homme devient plus petit, et non plus grand lorsqu’il
n'y a plus d'espace pour un éthos qui, sur le fondement de son authentique nature,
renvoie au loin le pragmatisme ; lorsqu’il n'y a plus d'espace pour le
regard tourné vers Dieu. Le lieu propre de la raison positiviste se trouve dans
les grands champs d'action de la technique et d'économie, et celles-ci n’épuisent
toujours pas l’humain. Ainsi, à nous qui croyons, il nous appartient
d'ouvrir toujours de nouveau les portes qui, au-delà de la simple technique et
du pur pragmatisme, conduisent à toute la grandeur de notre existence, à la
rencontre avec le Dieu vivant.
II.
1. Ces réflexions, quoiqu'un peu
difficile, devraient montrer que même aujourd'hui, dans un monde profondément
changé, la tâche de communiquer aux autres l'Évangile de
Jésus-Christ demeure raisonnable.
Mais il y a aussi une deuxième
façon, plus simple, de justifier aujourd'hui cette tâche. La joie exige
d'être communiquée. L'amour exige d'être communiquée. La vérité exige d'être
communiquée. Celui qui a reçu une grande joie ne peut la garder simplement pour
lui : il doit la transmettre. La même chose vaut pour le don de l'amour,
pour le don de la reconnaissance de la vérité qui se manifeste.
Lorsqu’André rencontre le Christ
il ne peut rien faire d'autre que de dire à son frère : « Nous avons
trouvé le Messie » (Jn 1, 41). Et Philippe, à qui avait été donnée la
même rencontre, ne peut rien faire d'autre que de dire à Nathanaël qu’il avait
trouvé celui à propos duquel avaient écrit Moïse et les prophètes (Jn
1, 45). Nous annonçons Jésus-Christ non pour procurer à notre communauté
le plus de membres possible ; et encore moins par la force. Nous parlons
de Lui parce que nous sentons le devoir de transmettre cette joie qui a été
donnée.
Nous serons des annonciateurs
crédibles de Jésus-Christ lorsque nous L’aurons véritablement rencontré dans
les profondeurs de notre existence, lorsque par l'intermédiaire de la rencontre
avec Lui, nous sera donnée la grande expérience de la vérité, de l'amour et la
joie.
2. Elle fait partie de la nature
de la religion, cette profonde tension vers l'offrande mystique à Dieu, dans
laquelle on se consacre totalement à Lui, tout comme la responsabilité pour le
prochain et pour le monde qu'll a créé. Marthe et Marie sont toujours
indissociables même si, dans tel ou tel cas, l'accent peut être mis sur l'une
ou sur l'autre. Le point de rencontre entre ces deux pôles est l'amour où
nous touchons en même temps Dieu et Ses créatures. « Nous avons connu
l'amour et nous y avons cru » (1 Jn 4, 16) : cette phrase exprime la
nature authentique du christianisme. L'amour qui se réalise et se reflète de
manière multiforme dans les saints de tous les temps, est la preuve authentique
de la vérité du christianisme.
Benoît XVI
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