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Margot Bentley mange. Mais ne pourrait-on pas la faire mourir de faim et de soif ? |
L’affaire
Vincent Lambert s’inscrit au sein d’une tendance lourde au sein de la
communauté des bioéthiciens. Le refus de manger et de boire en vue d’obtenir la
mort, lorsque la procédure est choisie par le patient, est en train de devenir une
option communément acceptée dans certains pays, à telle enseigne qu’aux
Pays-Bas on estime qu’entre
4 et 10 % des
décès surviennent à la suite d’un tel « jeûne » délibéré. Ne
s’agissant ni d’une euthanasie, ni d’un suicide assisté, il n’y a pas de
statistiques certaines. Comme la sédation palliative, la mort par dénutrition
se situe dans une zone grise où la frontière entre un arrêt de soins légitime
ou l’administration de médicaments pour soulager la douleur et un processus
dont l’objectif est de faire mourir ne peut s’apprécier qu’au cas par cas.
Mais que le
processus puisse être utilisé de manière euthanasique ne fait aucun doute.
Son avantage –
tel que le présente le site néerlandais sur les soins palliatifs,
palliatievezorg.nl –
est de laisser au patient lui-même la responsabilité de l’acte ou de
l’abstention qui provoquera sa mort. On y explique que moyennant certaines
précautions : humecter la bouche, administrer des analgésiques en cas de
besoin, le malade va pouvoir bénéficier dans la plupart des cas d’une mort
paisible. Non sans souligner que la méthode était en vogue dans l’Antiquité,
chez les Romains et les Grecs de quelque niveau… Suivent quelques paragraphes
destinés à démontrer que cette mort par déshydratation, qui provoque l’arrêt
successif des organes vitaux, ne provoque pas de souffrance que des soins
simples ne puissent soulager. Vraiment ?
Entre le refus
de nourriture lié naturellement à l’entrée en phase terminale et la privation
volontaire de toute nourriture et de tout liquide, y compris chez de personnes
sans maladie mortelle mais souffrant de leur handicap ou d’une affection
pénible, il y a tout de même une différence. Le fait est que le processus
comprend l’administration de sédatifs et d’analgésiques. Ce n’est pas pour
rien.
La banalisation
du processus, la parution de récits de proches et de témoignages admiratifs, la
dénonciation
de cas où la liberté des personnes ayant choisi cette mort n’a pas été
respectée, voire assistée, est le signe d’une pression croissante pour le
rendre respectable. Et pour tenir pour nuls les témoignages de proches ayant vu
le côté traumatisant de la pratique, comme ce fut le cas pour la famille de
Terri Schiavo, aux Etats-Unis.
Terri Schiavo
n’avait pas eu le choix, puisqu’elle n’était pas en mesure d’exprimer sa
volonté. C’est le même cas de figure que celui de Vincent Lambert. Et c’est
l’étape suivante.
Et
ensuite ? Eh bien, il va falloir régler le cas des personnes ayant donné
des directives anticipées mais qui demeurent conscientes, voire qui continuent
d’absorber leur nourriture par la bouche.
Dans certaines
formes de démence, le refus de nourriture fait partie des symptômes de la
maladie et intervient sans que le patient soit en fin de vie. Une étude a
permis
d’établir
que dans ce cas de figure, tenant compte de la « qualité de vie » des
patients et de la volonté exprimée par les proches, il est le plus souvent – et
même presque toujours – décidé de ne pas administrer nourriture et hydratation
« artificielle » (administrée par un tube nasal ou directement dans
l’estomac). Une étude longitudinale sur 190 patients dans deux établissements
de soins aboutit à la conclusion que dans 94 % des cas, on s’abstint
d’administrer nourriture et hydratation, la mort intervenant chez les trois
quarts d’entre eux dans un délai inférieur à deux semaines.
Euthanasie ou
pas ? Est-on obligé de nourrir, « de force », un dément,
conscient du monde qui l’entoure, qui refuse de manger ? Il y a certes une
différence entre le fait de ne pas entreprendre un soin et celui de
l’interrompre en vue de tuer, mais tout de même…
Et cela se
complique encore. Car voici que des bioéthiciens s’emparent de cette question
relativement peu explorée en s’interrogeant sur le cas des personnes démentes
ou souffrant d’autres maladies dégénératives et qui, bien qu’ayant dans le
cadre de directives anticipées fait savoir qu’elles ne souhaiteraient pas
« vivre comme cela », mangent tout de même de bon appétit.
Conscientes mais incapables d’exprimer leur volonté : et si on les privait
quand même de nourriture et d’hydratation.
C’est la
solution imaginée par Pr Thaddeus Mason Pope, exposée dans la dernière
livraison du Journal of Clinical Ethics. Il assure que les médecins devraient
avoir l’obligation d’aider les patients qui choisissent consciemment cette
forme de suicide (VSED, voluntary stop
eating and drinking ou « arrêt volontaire de boire et de manger), en
leur administration les substances nécessaires pour éviter les souffrances
liées à la mort de soif et de faim. Et il va plus loin, en citant le cas d’une
femme canadienne.
Il s’agit de
Margot Bentley, 82 ans, souffrant de la maladie d’Alzheimer. Ses proches ont
demandé qu’on arrête de la nourrir en invoquant ses directives anticipées, au motif
qu’elle l’aurait voulu et bien qu’elle continuât de manger de bon appétit. La
Cour suprême de la Colombie britannique a
décidé
en février dernier qu’il faut la « maintenir en vie ». Fureur du
lobby euthanasique. Le Pr Pope commente :
« Mme
Bentley peut bien avoir la capacité de “faire part d’un choix”. Mais il ne
s’agit là que d’une composante de cette capacité.
Elle ne
comprend pas les données pertinentes, ne peut avoir une juste appréciation de
la situation et des conséquences entraînées par celle-ci, et ne peut raisonner
à propos du traitement qu’elle reçoit ou des options de soins. Si l’on
considère que la capacité du consentement se situe à un niveau aussi bas, alors
le “consentement” tel qu’on l’admet aujourd’hui va bien souvent aller à
l’encontre des décisions antérieures les plus claires et les plus nettes. »
Autrement
dit : cette femme n’étant plus en mesure d’exprimer son consentement
éclairé, il faudrait agir conformément à ses directives anticipées et la priver
de nourriture et de liquides en vue de la faire mourir. Même si elle réclamait
de la nourriture, sans doute…
« Les
commentateurs médicaux, éthiques et légaux sont presque arrivés à un consensus
en ce qui concerne le droit des patients capables d’exprimer leur volonté de
faire le choix contemporain du VSED.
Beaucoup moins
claire est la réponse à la question de savoir si les individus peuvent choisir
le VSED à l’avance, en exerçant une autonomie prospective. Fort heureusement,
des médecins comme des philosophes sont en train de créer les théories, les
outils et les maximes qui permettent de définir quand et comment la pratique du
VSED décidé par avance peut être mise en œuvre manière légitime et sûre. »
Cette nouvelle
dérive vers l’abandon des plus fragiles a provoqué
l’indignation
de Wesley J. Smith, spécialiste de la défense du respect de la vie finissante.
Il note que la nouvelle tendance se veut opposée au « paternalisme »
animant les médecins qui cherchent à protéger la vie « contre » la
volonté des patients. Question de Wesley Smith à Pope : et si le
patient avait refusé par avance qu’on le retourne dans son lit, soin de base
nécessaire pour éviter les escarres ? Le tweet en retour fut sans appel :
oui, il faut alors s’abstenir de donner ce soin, le « paternalisme médical »,
c’est fini.
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3 commentaires:
Il est clair que si, pour des raisons de confort personnel travesties en compassion, l'on refuse à un enfant vivant, en pleine croissance et en plein développement le droit de vivre, on le refusera aussi à un vieillard dès que sa présence pèsera.
Nier le droit de vivre abouti au devoir de mourir pour ne pas gêner, pour ne pas coûter.
La dépression et le désir de mourir d'un certain nombre de vieillards s'enracine, comme la plupart des suicides, dans le vécu de ne pas être aimé, de ne plus avoir sa place.
Shimon LEVI
Lorsqu'un suicidaire se présente dans un service de psychiatrie, ou chez un psychiatre, après un passage à l'acte manqué, le DEVOIR du médecin est de TOUT faire pour le sortir de sa dépression et faciliter sa réinsertion.
Ce serait une FAUTE professionnelle, un manquement grave à l'éthique médicale, que de lui fournir une corde solide, avec mode d'emploi et apprentissage de la confection d'un nœud efficace. Faute professionnelle, même si la personne est handicapée par son suicide raté et garde des séquelles graves, s'il a perdu sa femme et ses enfants, sa situation, et tous ses biens, même encore si la personne déclare qu'elle veut mourir et qu'elle recommencera. Le devoir du médecin responsable est dans tous les cas de faire vivre avec ce que la vie offre (ou laisse) à la personne à ce moment là.
John-Paul LUCAS.
Il est clair que si, pour des raisons de confort personnel travesties en compassion, l'on refuse à un enfant vivant, en pleine croissance et en plein développement le droit de vivre, on le refusera aussi à un vieillard dès que sa présence pèsera.
Nier le droit de vivre abouti au devoir de mourir pour ne pas gêner, pour ne pas coûter.
La dépression et le désir de mourir d'un certain nombre de vieillards s'enracine, comme la plupart des suicides, dans le vécu de ne pas être aimé, de ne plus avoir sa place, de ne compter pour personne.
Shimon L.
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