On a beaucoup glosé sur le
revirement d’un universitaire néerlandais, Theo Boer favorable en 2002 à la
légalisation de l’euthanasie, cité par le tabloïde anglais The Daily Mail comme ayant supplié les Britanniques de ne pas
imiter les Pays-Bas à propos du suicide assisté : « Ne faites pas
notre erreur », c’est sa phrase montée à la une du quotidien conservateur.
En France, le Courrier
International s’est emparé du sujet dans un bref article informatif où
il parle de « Theo De Boer ». De nombreux sites d’information ont
cité l’article du Daily Mail
rapportant les propos de Theo Boer qui y sont présentés comme une sorte
d’interview.
Le Pr Boer, contacté par Alex Schadenberg d’Euthanasia Prevention Coalition a récusé ce procédé et lui a envoyé l’article
complet qu’il avait écrit pour les médias anglais, à charge pour Schadenberg de le publier sans aucune modification. Je vous en propose ici ma
traduction. Etant donnée la demande de Theo Boer, merci de ne pas tirer des
citations de ce texte qui forme un tout. On peut y renvoyer en utilisant ce lien : http://leblogdejeannesmits.blogspot.fr/2014/07/avec-le-recul-luniversitaire.html. – J.S.
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Theo Boer ne se dit plus favorable à une loi sur l'euthanasie. |
En 2001, les
Pays-Bas sont devenus le premier pays au monde à légaliser l’euthanasie, en
même temps
que le suicide assisté. Plusieurs garde-fous ont été mis en place
afin de définir qui pourrait en bénéficier, les médecins respectant ces
garde-fous ne feraient pas l’objet de poursuites. Parce que chaque cas est
unique, cinq commissions régionales de contrôle ont été mis en place afin
d’évaluer chaque cas et pour déterminer s’il s’était déroulé dans le respect de
la loi. Pendant les cinq ans qui ont suivi la promulgation de la loi, ces morts
provoquées par les médecins sont restées à un niveau stable – leur nombre a
même chuté certaines années. En 2007 j’écrivais qu’il n’y a « pas nécessairement
une pente glissante en matière d’euthanasie. Une bonne loi d’euthanasie,
combinée avec la procédure de contrôle de l’euthanasie, fournit la garantie
d’un nombre stable et relativement peu important d’euthanasies. » La
plupart de mes collègues arrivèrent à la même conclusion.
Mais nous avions tort, terriblement tort
même. Avec le recul, la stabilisation des nombres n’a constitué qu’une
pause temporaire. Au début de 2008, le nombre de ces morts affiche une
croissance de 15 % par an, année après année. Le rapport annuel des commissions
pour 2012 répertorie 4.188 cas cette année-là (à comparer avec les 1.882 cas en
2002). La tendance s’est maintenue en 2013 et j’estime que la barre des 6.000
sera franchie cette année ou l’année prochaine. L’euthanasie est en voie de
devenir une manière de mourir « par défaut » pour les malades du
cancer.
Outre cette
escalade, d’autres évolutions ont eu lieu. Sous le nom « clinique de fin
de vie », l’association néerlandaise pour le droit de mourir (NVVE) a fondé
un réseau de médecins euthanasieurs itinérants. Alors que la loi présuppose
(mais n’exige pas) une relation durable entre médecin et patient, où la mort
peut constituer la fin d’une période de soins et d’interaction, les médecins de
la clinique de fin de vie n’ont que deux options : administrer des drogues
létales ou renvoyer le patient. En moyenne, ces médecins voient le patient
trois fois avant de leur administrer les drogues qui vont mettre fin à leur
vie. La clinique de fin de vie s’est occupée de centaines de cas. La NVVE ne
fait pas montre de vouloir se satisfaire de cette situation. Elle ne connaîtra
pas le repos avant qu’une pilule létale soit rendue accessible à toute personne
de plus de 70 ans qui souhaite mourir. Certaines pentes sont réellement
glissantes.
D’autres
évolutions concernent un glissement dans le type de patient qui reçoit ce type
de traitement. Alors qu’aux premières années après 2002 on ne trouve guère de
personnes ayant des affections psychiatriques ou souffrant de démence dans les
rapports, leur nombre est aujourd’hui en très forte augmentation. On a
répertorié des cas où une grande partie de la souffrance de ceux qui ont été
euthanasiés ou qui ont reçu une assistance au suicide résidait dans le fait
d’être vieux, seuls ou venant de perdre un proche. Certains de ces patients
auraient pu vivre pendant des décennies.
Alors que la
loi voit l’euthanasie ou le suicide assisté comme l’exception, l’opinion
publique en vient – autre glissement – à les considérer comme des droits,
avec un devoir correspondant obligeant le médecin à agir. Une loi en cours
d’adoption oblige les médecins qui refusent d’administrer l’euthanasie à renvoyer
leurs patients vers un collègue « volontaire ». La pression exercée
sur les médecins pour qu’ils se conforment à la volonté des patients (ou dans
certains cas à celle de leur famille) peut être intense. La pression exercée
par les proches parents, conjointe au souci du patient quant au bien-être de
ceux qu’il aime, joue dans certains cas un rôle important dans la demande
d’euthanasie. Les commissions de contrôle elles-mêmes, malgré leur travail
important et consciencieux, n’ont pas pu mettre une halte à ces évolutions.
J’étais
autrefois favorable à la législation. Mais aujourd’hui, avec douze ans
d’expérience, mon point de vue est autre. A tout le moins, qu’on attende une
analyse honnête et intellectuellement satisfaisante des raisons qui ont
provoque l’augmentation explosive des statistiques. Est-ce parce que la loi
devrait avoir de meilleurs garde-fous ? Ou est-ce parce que la simple
existence d’une telle loi est une invitation à considérer le suicide assisté et
l’euthanasie comme une normalité plutôt qu’une solution de dernier
recours ? Avant que ces questions aient reçu une réponse, n’y allez pas.
Une fois le génie sorti de sa bouteille, il y a peu de chance qu’il y retourne
jamais.
Theo Boer est professeur d’éthique à l’Université
théologique protestante de Groningue. Il a fait partie pendant neuf ans d’une
commission régionale de contrôle. Au nom du gouvernement néerlandais, cinq
commissions de ce type déterminent si une euthanasie a été réalisée conformément
à la loi. Les opinions qu’il exprime ici sont les siennes en tant qu’éthicien
professionnel, et non pas celle d’une quelconque institution.
Lien vers l’article original sur le blog d’Alex
Schadenberg : ici.
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