04 février, 2013

Le ministre et le cardinal

Luc Ferry, Gianfranco Ravasi et la génération décervelée 

En ce XXIe siècle commençant, qu’on se le dise, la question du dialogue et des relations entre la foi et la raison a été éclipsée par une nouvelle donne – même si elle garde son rôle premier et son caractère crucial. Aujourd’hui, c’est raison et guimauve, foi et chamallows…

Un ex-ministre s’en plaint, il faut dire qu’il est doublé d’un philosophe. Luc Ferry en a assez de « l’indignation, premier carburant de l’audimat ». Il s’en explique dans sa chronique « débats et opinions » dans Le Figaro de jeudi : « Chaque jour, j’éprouve l’impression irrésistible que les journaux, spécialement ceux du matin à la radio, font tout pour m’extorquer un sentiment que je déteste, mais auquel, comme tout le monde, je finis par céder : l’indignation. »

Et de fulminer contre l’exploitation ad nauseam des faits divers les plus révoltants, « tous anecdotiques » : « Si atroces ou choquants soient-ils, ils ne présentent guère d’intérêt réel. Leur commentaire n’apportera jamais à personne la moindre clef de compréhension du monde. » La presse « surfe sur l’émotionnel pur ».

Que Luc Ferry me pardonne, je ne suis pas totalement d’accord. Une grand-mère morte de froid dans le parc d’une clinique, un ex-futur président de la République soupçonné de proxénétisme, cela ne nous explique sans doute pas le monde mais en dit long sur son état, et cela au moins devrait faire réfléchir – surtout un ex-ministre de l’Education nationale.

Comment ne pas jubiler, cependant, lorsqu’avec Tocqueville, Luc Ferry égratigne les « passions démocratiques », les plus faciles, les plus vulgaires : « Les démocraties, traversées par la dynamique de l’égalisation des conditions, favorisent quatre sentiments puissants qui irradient dans tout le peuple : la colère, la jalousie, la peur, et finalement, pour couronner le tout comme un facteur commun, l’indignation. »

Pour en sortir ? « Aller de la presse aux livres pour y puiser, hors le temps court de la communication, la distance nécessaire à la réflexion critique. »

Bravo, Luc Ferry. C’est envoyé !

Seulement… Les adolescents et les jeunes adultes qui ont subi des années de matraquage décervelant dans les écoles de l’Education nationale en sont-ils encore capables ? Sont-ils nombreux à savoir juger autrement qu’en deux ou trois mots : « J’aime », « J’aime pas » ? A qui la faute si leurs capacités d’analyse ont été inhibées, si des méthodes pédagogiques aux effets très sûrs brident leur raisonnement, développant à outrance leur cerveau visuel, émotionnel, instinctif, global au détriment de la parole, de la lecture consciente et exacte ? Qui a été ministre de l’Education, Luc Ferry, vous ou le rédacteur en chef du journal du matin ?

Nous savons tous que l’Education nationale est un Etat dans l’Etat, et que toute velléité de réforme, voire de clairvoyance, est quasiment vouée à l’échec. Mais quand même, vous êtes libre, maintenant, M. le ministre, parlez ! (Et surtout, commencez par aller au livre – celui d’Elisabeth Nuyts sur L’école des illusionnistes, vous comprendrez pourquoi vous en êtes à vous indigner contre l’indignation…)

*

Comme un écho, une déclaration d’un autre « ministre », celui de la culture, si l’on veut, mais du Vatican, est venue nourrir jeudi cette réflexion. Le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture, a affirmé que l’Eglise veut se mettre au diapason de la culture des jeunes, de leur « nouvel alphabet émotionnel ».

Les assises du Conseil avaient démarré mercredi avec un concert rock d’un groupe catholique italien (rock médiocre et bons sentiments ?).

Le cardinal a pris acte du fait que le message évangélique passe mal dans la société de l’hypercommunication, il a pointé les « incohérences » de comportements que vivent beaucoup de jeunes, à la fois « individualistes » et « engagés » pour des causes humanitaires, « déconnectés » et « connectés ».

Réponse, de lui et de ses collaborateurs : il faut être présent dans les réseaux sociaux, participer à cet immense monde de la communication immédiate (et nécessairement superficielle) pour faire passer le message : « Si l’on n’est pas présent sur ces réseaux, on n’existe pas. »

Mais comment existe-t-on lorsqu’on y est ? Avec tout le respect dû aux princes et évêques de l’Eglise, et bien conscient de leur désarroi, on peut quand même se demander si le ramollissement des cervelles n’a pas conquis de nouveaux territoires…

Mgr Carlos Alberto Azevedo, un des responsables du Conseil de la Culture, a ainsi déclaré : « Les cultures juvéniles émergentes démontrent la vulnérabilité des formules répétitives » que l’Eglise a jadis utilisées pour exprimer la foi.

Mais justement, et il le sait bien, c’était jadis. A une époque où ces « formules répétitives » étaient en effet expliquées aux jeunes qui les répétaient ensuite : c’était le catéchisme.

Ce catéchisme qu’ils ne connaissent plus, ce catéchisme dont l’apprentissage fécond exige des facultés de raisonnement et de réflexion qui leur sont déniées.

A qui la faute ?

Et surtout : à renforcer le « langage émotionnel » à l’intention d’une génération lobotomisée, quelle perspective ? Le renforcement des « passions démocratiques » dans les intelligences et les cœurs, sans doute. Ceux-ci méritent autre chose.



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