Malgré toute la peine qu'il éprouve légitimement, il y a quelque chose d'indécent dans la manière dont Praveen Halappanavar tente d'instrumentaliser la
mort tragique de son épouse pour en faire le point de départ de la légalisation, fût-elle exceptionnelle, de l'avortement en Irlande. Que ce soient les articles répétés médias de son pays d'origine qui hurlent quasiment au meurtre, les démarches de l'ambassadeur de l'Inde auprès du gouvernement irlandais ou les pressions exercées par le veuf pour peser sur l'enquête, c'est une véritable campagne à laquelle celui-ci participe de manière visible et agressive. Sous l'effet de la douleur ? Sans doute.
Mais rappelons encore une fois que les Halappanavar avaient choisi d'avoir leur premier enfant en Irlande, qui a un des taux de mortalité maternelle les plus bas du monde, 3 pour 100.000, plutôt que dans leur pays d'origine, où ce taux était donné pour être le plus important au monde par la Banque mondiale en 2005. L'Inde, c'est aussi le pays de l'avortement sélectif des filles : il en manque aujourd'hui 60 millions.
Aujourd'hui, Praveen a protesté avec vigueur contre la présence au sein de la commission d'enquête mise en place par le HSE (Health Service Executive, instance exécutive du service de la Santé) de trois médecins travaillant à l'hôpital universitaire de Galway où Savita est morte, fin octobre, des suites d'une septicémie massive alors qu'elle était en train de faire une fausse couche. Il a menacé de boycotter l'enquête, déclarant qu'il n'autoriserait pas la commission d'enquête à avoir accès au dossier médical de sa femme si les trois médecins en faisaient partie. L'Irish Council for Civil Liberties a abondé en son sens, réclamant une « enquête indépendante ». L'
ICCL a été fondé par Mary Robinson en 1976, et se glorifie d'avoir fait légaliser le divorce, dépénalisé l'homosexualité, et promu l'« égalité » (et notamment les droits des transgenres) ; il milite par ailleurs pour une forme de légalisation de l'avortement.
Les autorités se sont aplaties, acceptant de gommer les noms des trois médecins contestés.
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Sabaratnan Arulkumaran |
Elles avaient pourtant déjà tout fait pour donner une certaine coloration à la commission d'enquête. Hilary White, de
LifeSiteNews, souligne aujourd'hui que la personne désignée pour diriger l'enquête, le professeur Sir Sabaratnam Arulkumaran qui dirige le service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Saint-George de Londres, est personnellement partisan de l'avortement légal et pour un meilleur accès à l'avortement là où il est légal. Il est le président-élu de la Fédération internationale de gynécologie qui elle-même prône la légalisation de l'avortement.
Lors d'un colloque international dont on trouve la teneur
ici, Sir Sabaratnam recommandait que pour la prévention des morts maternelles, on ait recours à diverses stratégies dont celle-ci :
« Traitement des fausses couches incomplètes ou septiques promptement et efficacement, sans stigmatisation, par l'utilisation de l'aspiration par vacuum ou par des méthodes médicales. » Autrement dit, cet expert indépendant a un
avis préconçu sur la procédure qu'auraient dû utiliser les médecins qui se sont occupés de Savita et lui ont refusé l'avortement (selon les dires de son mari) parce que l'Irlande « est un pays catholique ».
Bref, tout converge pour que les conclusions de l'enquête aillent dans le sens désirés par le mari de Savita… tandis que les gros médias du monde entier, sans que personne ne connaisse le dossier et se fondant uniquement sur ce que dit Praveen, dénoncent le caractère arriéré de la législation irlandaise et accusent le respect de la morale catholique de la mort de Savita.
Les évêques d'Irlande ont publié un
communiqué rappelant que la morale catholique ne place pas la vie de l'enfant au-dessus de celle de la mère, ni celle de la mère au-dessus de celle de son enfant, mais qu'en cas de danger pour la vie de la mère il est « permis d'entreprendre tout traitement nécessaire à condition que tout ait été mis en œuvre pour sauver la mère et son enfant », sans que l'on puisse attenter directement à la vie de l'enfant, même le traitement risque de causer indirectement et non intentionnellement la mort de l'enfant.
La déclaration est claire mais on en voit déjà des présentations hasardeuses dans la presse, comme
ici :
Vatican Insider titre ainsi « L'avortement est possible si la vie de la femme est menacée ».
(C'est pourtant simple. Pour tragique et difficile que cela puisse sembler, il n'est jamais permis de prendre la vie d'une personne pour sauver une autre : ainsi on ne pourrait pas noyer intentionnellement quelqu'un pour sauver une personne qu'il risquerait d'entraîner au fond avec lui, mais il n'est pas interdit de sauver une personne de la noyade, fût-ce au risque de laisser l'autre couler faute de pouvoir venir le repêcher à temps.)
L'affaire Savita Halappanavar arrive à point nommé pour soutenir les visées du lobby de l'avortement au moment de la remise d'un rapport très dense sur l'état du droit irlandais à propos de l'avortement, avec notamment la question de l'accès à l'avortement en cas de « danger pour la mère ». Le cabinet irlandais a été saisi de ce rapport précisément aujourd'hui, mais le ministre de la Santé, le Dr James Reilly, a indiqué que la question est d'une « complexité énorme » et qu'aucune décision ne sera prise avant le début de l'année prochaine.
Je vous propose encore le commentaire d'un gynécologue-obstétricien qui a réagi aux premiers messages sur l'affaire Savita en ces termes :
Nous sommes en présence d'une menace de fausse couche tardive qui va en quelques jours
devenir inéluctable. L'ouverture de l'oeuf en est un temps essentiel car l'infection devient alors très fréquente et potentiellement très grave.
On connaît (j'ai connu) de tels cas où le refus de l'avortement proposé a pu (rarement) arriver à la naissance d'un enfant sans trop de handicap et je vois régulièrement une femme qui a vécu cette situation et ne manque pas de me sortir à chaque fois la photo de son fils ; je l'avais laissée choisir en lui disant que je refusais cet avortement médical mais que d'autres confrères consultés l'acceptaient : à notre époque procédurière anti-médecins la loi nous impose cette attitude.
Il faut savoir aussi que des cas de ce type exposent à des complications gravissimes (déformation extrème des membres, absence de dévelopement pulmonaire, destruction de cerveau etc). Quant à la mère, sa vie peut être menacée : infections, hémorragie, embolie amniotique, le risque augmentant avec la durée d'ouverture de l'oeuf.
Les antibiotiques doivent être systématiques sitôt l'oeuf ouvert, mais pas forcément avant : tant qu'il n'y a pas d'infection, l'antibiothérapie très précoce est discutable : question de résistances.
Ce cas manque beaucoup de détails scientifiques précis et il est évident que les partisans de la culture de mort ont sauté sur l'occasion. Avant de condamner éventuellement un retard à l'antibiothérapie il faudrait avoir accès à l'ensemble du dossier et ne pas se contenter du peu que l'on sait à cette heure. Il s'agit certainement d'un des cas les plus difficiles de l'obstétrique.
La mort de Savita se révélera peut-être avoir été inévitable. Ou alors évitable par des soins qui n'ont pas été correctement donnés. Ou alors, seulement en vidant le contenu de son utérus dès que l'infection eut été constatée et bien que le fœtus fût encore en vie, chose qui aurait consisté en une manœuvre ayant pour effet direct la mort de l'enfant qui n'était pas viable puisqu'elle n'était enceinte que de 17 semaines. Mais même ainsi, ce n'est pas alors la mise à mort de l'enfant qui aurait éventuellement sauvé Savita : l'avortement n'est pas un médicament ou une thérapeutique. L'évacuation de l'utérus (l'avortement) aurait simplement facilité (on ne sait dans quelle mesure) le traitement de l'infection.
Le monde entier hurle qu'il fallait tuer l'enfant pour sauver la mère. Dit en ces termes, c'est pourtant difficile à accepter, non ?
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