Précision : Edward Pentin, vaticaniste à Rome, émettait hier après-midi des doutes sur l'authenticité de la lettre que je commente ci-dessous. Il vient de confirmer sur twitter l’information que j’ai aussi reçue d’autres biais, avec photo à la clef de l’entrée privée de la sacristie de Saint-Pierre, où le texte mis en ligne par Messa in Latino (voir ci-dessous) était affiché hier et ce samedi matin.
Le fait qu’il s’agisse d’une affiche expliquerait qu’il manque un numéro protocolaire.
Ce qui est vrai, c'est que cela ressemble au cauchemar que pourrait avoir un amoureux de la liturgie traditionnelle à propos d'une décision « progressiste ». Cela semble presque trop gros pour être vrai… D’où, notamment, l’idée que cela pouvait être un faux.
Deuxième précision : Selon Riposte catholique, qui a également relayé l'information sur la lettre de la Secrétairerie d’Etat, la raison pour laquelle celle-ci se mêle de prendre des décisions à propos des messes célébrées à Saint-Pierre est que « la Fabrique de Saint-Pierre", désormais dirigée par le cardinal Gambetti, est actuellement soumise à une « inspection, dirigée par un Commissaire pontifical ». Le site précise que la lettre porte la signature (cela ressemble plus à un paraphe) de Mgr Edgar Peña Parra, subsitut.
Par ailleurs, Edward Pentin notait ce matin que des canonistes ont mis en évidence des violations du droit canonique et des irrégularités doctrinales. Hélas, il me semble que les considérations juridiques ne suffiront pas, ce ne sont pas les considérations de droit canonique qui étouffent les autorités romaines à l’heure du “Pape Dictateur” !
– J.S.
Un nouveau coup vient d’être porté contre la liberté de célébrer selon la « forme extraordinaire » du rite romain, la Première Section de la Secrétairerie d’État du Vatican a fait circuler une note ce vendredi avec les détails des nouvelles dispositions restreignant toutes les messes « individuelles » dans la basilique Saint-Pierre, avec des mesures spéciales, encore plus restrictives, pour le rite traditionnel.
Les nouvelles règles entreront en vigueur à partir du 22 mars, lundi de la cinquième semaine de Carême. À partir de ce jour-là et pour une période indéterminée, tous les prêtres et les fidèles voulant avoir la messe quotidienne dans la basilique devront participer à des messes « concélébrées » à heures fixes, entre 7 et 9 heures du matin, et ce dans deux lieux seulement : la Chapelle du Chœur (« Cappella del Coro »), située à mi-hauteur de la nef, à gauche, en face de la Chapelle du Très Saint Sacrement, et habituellement fermée par une grille en fer forgé, et l’Autel de la Chaire de saint Pierre, derrière l’autel principal dans l’abside de la Basilique.
Toutes les célébrations individuelles de la Messe seront en pratique considérées comme des exceptions à cette règle.
Les groupes accompagnés d’un prêtre ou d’un évêque pratiquant le Novus Ordo seront « assurés » de la possibilité d’avoir une Messe célébrée individuellement par leur accompagnateur spirituel, mais ce ne sera plus dans la Basilique, ce cœur de la chrétienté. Ces messes seront reléguées dans les « Grottes vaticanes », c’est-à-dire la crypte où se trouvent les tombes de nombreux papes.
Les prêtres et fidèles qui préfèrent le rite latin traditionnel de l’Église catholique se verront confinés dans quatre créneaux horaires entre 7 et 9 heures du matin, et à un seul autel : la Chapelle Clémentine de la crypte.
Les termes de cette dernière disposition concernant les célébrations traditionnelles méritent une mention spéciale. Elle est ainsi rédigée : « En ce qui concerne le rite extraordinaire, les prêtres autorisés pourront célébrer à 7 heures, 7 h 30, 8 heures et 9 heures dans la Chapelle Clémentine de la Grotte vaticane. »
Étrangement, le texte fait référence au « rite extraordinaire », alors que le Benoît XVI, inventeur de cette expression en 2007 dans le Motu Proprio Summorum Pontificum reconnaissant le droit de cité de la messe traditionnelle, avait pris soin de préciser qu’il s’agissait de la « forme extraordinaire » de l’unique rite romain (le Novus Ordo étant désigné comme la « forme ordinaire »).
La référence aux prêtres « autorisés » est non seulement étrange, mais inquiétante. Célébrer dans la forme extraordinaire, depuis Summorum Pontificum, est un droit pour l’ensemble du clergé de rite romain. Il n’est nul besoin d’une autorisation spéciale pour ce faire. Quelle sorte d’« autorisation » sera nécessaire dans la basilique Saint-Pierre ? Une autorisation donnée par le service liturgique de la basilique elle-même ? Pour quels motifs ? Avec quel recours, si elle n’est pas donnée ? Ou s’agit-il d’une autorisation plus générale ? Les prêtres devront-ils présenter une note d’autorisation de leur évêque ? Va-t-on vers une généralisation d’un tel « laisser-passer » ?
Depuis l’entrée en vigueur du Motu Proprio en 2007, de nombreux prêtres attachés au rite traditionnel, voire qui le célèbrent exclusivement, se rendent à la basilique tôt le matin et demandent simplement à la sacristie de Saint-Pierre qu’on leur attribue un autel. En général, la procédure se déroule sans problème ; en pratique, avant l’entrée en vigueur des restrictions du COVID, plusieurs messes tridentines étaient souvent célébrées en même temps, par des prêtres seuls ou accompagnés de groupes ou de pèlerins. Les touristes et les gens du coin qui se trouvaient dans la basilique à ces heures matinales pouvaient s’y joindre s’ils le souhaitaient ; pour certains, c’était la première fois qu’ils étaient témoins de la révérence intemporelle et du silence d’une messe basse traditionnelle.
Certains prêtres et prélats romains venaient chaque jour célébrer la messe traditionnelle sur le même autel, garantissant aux pèlerins de Rome un horaire et un rendez-vous sûrs.
Ce ne sera plus le cas ; les prêtres qui aiment la messe traditionnelle ne pourront plus venir sur un coup de tête, ou par pieuse habitude, avec la quasi-certitude d’obtenir un autel pour célébrer dans la basilique Saint-Pierre, marquant ainsi leur union avec le pape et toute la chrétienté. Avec seulement quatre créneaux horaires possibles chaque jour, leur espoir de pouvoir dire la messe dans la chapelle Clémentine sera faible. Et les visiteurs fortuits ne les verront plus : elle est minuscule, dans la crypte, sans fenêtre et ne peut accueillir qu’une poignée de fidèles.
Cela dit, la chapelle Clémentine est le cœur du cœur de la basilique, car c’est là que les reliques de saint Pierre étaient vénérées au début du Moyen Âge : son crâne, conservé dans un reliquaire en marbre placé là par l’empereur Constantin, a été déplacé à Saint-Jean de Latran à la fin du Moyen Âge. La chapelle se trouve juste derrière la niche qui se trouve actuellement au-dessus des autres reliques de saint Pierre. L’autel a été consacré en 1950 par le pape Pie XII, couronnement des fouilles archéologiques qui ont mis au jour la tombe de l’apôtre et premier pape sous son pontificat.
La chapelle Clémentine est en effet un lieu particulièrement sacré et il est certain que les prêtres pourront considérer comme un privilège de pouvoir y célébrer la messe ; néanmoins cette mesure limite considérablement les droits et le développement de la messe latine traditionnelle.
Combien de temps tout cela restera-t-il en vigueur ? La lettre de la Secrétairerie s’ouvre avec une explication selon laquelle le « temps du Carême » est un moment opportun pour « revenir au Seigneur », en particulier à travers la sainte messe et l’écoute de la Parole de Dieu. Elle invoque la nécessité d’un « climat de révérence et de décorum liturgique » pour justifier la décision d’envoyer toutes les messes individuelles sous terre, hors de la nef et du chœur de la basilique. Comme si les messes basses traditionnelles pouvaient perturber le climat de révérence et de décorum liturgique recherché... Ceux qui ont eu la chance d’assister à une messe traditionnelle à l’un ou l’autre des autels de Saint-Pierre peuvent témoigner de ce que suivre la cérémonie est parfois assez difficile à cause des prières à très haute voix et des chants sonores à d’autres autels où la messe Paul VI est célébrée – et en différentes langues !
Les explications de la lettre peuvent sembler indiquer que les restrictions (qui ne sont en aucun cas motivés par le COVID-19) seront propres à la période du Carême, mais d’un autre côté, elle précise « à partir de maintenant », sans mentionner de délai, et par ailleurs les dispositions ne seront effectives que dans une semaine, à partir du 22 mars, moins de deux semaines avant Pâques qui, cette année, tombe le 4 avril. C’est peu pour un effort de carême…
Les célébrants Novus Ordo ayant une vision plus traditionnelle, en particulier ceux qui préfèrent ne pas concélébrer, seront également confrontés à une sorte de persécution liturgique. Ce n’est que s’ils sont à la tête d’un groupe qu’ils auront la possibilité de célébrer sans concélébrant, et seulement dans les Grottes vaticanes. S’ils viennent à titre individuel, ils devront se joindre aux messes programmées dans la Chapelle du Chœur à 7 ou 8 heures, ou à la Chaire de Pierre à 7 h 30 ou 9 heures, pour concélébrer avec un certain nombre d’autres prêtres, et probablement pas en latin, mais en italien, ou peut-être dans la langue qui se trouvera être celle du célébrant principal.
Lesdites « concélébrations » auront des lecteurs et des chantres et bénéficieront de toutes sortes d’« animations liturgiques ».
Les nouvelles règles signifient également qu’il n’y aura plus de célébrations aux autels des saints dont les reliques reposent sous les autels latéraux à droite et à gauche de la nef de Saint-Pierre : saint Jean Paul II, par exemple, et saint Pie X. Ce n’est que les jours de leur fête qu’une messe – et une seule – pourra être célébrée à leurs autels.
Il est bien sûr difficile de ne pas craindre, face à ces restrictions autoritaires imposées aux messes individuelles, et surtout à la messe traditionnelle, au cœur de Rome et sous la férule de la Secrétairerie d’État, de nouvelles attaques contre la liturgie tridentine, tant dans cette ville que dans le reste du monde catholique. D’aucuns y voient le signe que le remplacement du cardinal Robert Sarah à la tête de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, il y a trois semaines, produit déjà ses premiers effets. D’autres observent que les changements qui faisaient l’objet de rumeurs depuis le début de l’année sont liés au remplacement du cardinal Comastri, longtemps « curé » de Saint-Pierre, par le franciscain nommé cardinal à seulement 55 ans lors du dernier consistoire, Mauro Gambetti.
Voici ma traduction intégrale de la fameuse lettre datée de ce jour,
fuitée par Missa in Latino, simplement signée d’un paraphe et munie du cachet de la première section (« Affaires générales ») de la Secrétairerie.
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