Mgr Negri écrit à Mgr Viganò : nouvel épisode des discussions à cœur ouvert sur Vatican II
De manière générale, on peut se demander si nous assistons à l'alignement de camps adverses en pleine crise doctrinale alimentée par nombre d'actes et d'écrits du pape François – comme la signature du funeste Document d'Abu Dhabi ? Il me semble que les choses ne sont pas si simples. La liberté de ton des discussions à un moment où l'on assiste à de nombreuses aberrations dans l'Eglise n'est pas en soi une rupture.
Je note d'ailleurs dans le texte de Sandro Magister – pour qui j'ai par ailleurs un grand respect – une manière d'exacerber la tension lorsqu'il accuse Mgr Viganò d'être « au bord du schisme » parce qu'il propose de rejeter en bloc Vatican II, concile pastoral, plutôt que de rectifier fermement certaines de ses propositions comme le souhaite Mgr Schneider. A l'heure où un vent de folie moderniste et pire souffle dans l'Eglise (pensez aux Jésuites hispanophones qui publient l'article d'un confrère regrettant l'absence de Gay Prides cette année…), on assiste une nouvelle fois à la marginalisation de ceux qui ont pour souci l'intégrité doctrinale, dans leur amour pour l'Eglise.
L'article de Magister contient d'ailleurs une fâcheuse phrase floue, puisqu'il affirme que Mgr Viganò propose, pour ceux qui s'attachent à de « vaines tentatives » de récupérer ce qui peut l'être de Vatican II, de « “bouter hors du Temple” dans le même temps toutes les autorités de l’Église qui, reconnues coupables de cette tromperie et “invitées à s’amender” ne se raviseraient pas ». D'après le contexte de l'article de Magister, on comprend que Mgr Viganò voudrait même voir Benoît XVI « bouté hors du Temple ».
Or ce qu'écrivait Viganò s'appliquait à ceux qui « par mauvaise foi ou même par malice » ont « trahi l'Eglise », et il précisait clairement que d'autres ont pu tromper ou être trompés pour d'autres motifs, y compris de bonne foi.
On peut lire un commentaire intéressant sur le texte de Sandro Magister sur le site benoit-et-moi.
Voici donc l'échange de lettres entre Mgr Viganò et Mgr Negri, publié sur le site de ce dernier. Ma traduction a été révisée et autorisée par Mgr Viganò. – J.S.
Très chère Excellence,
Au fur et à mesure que les circonstances de la vie tendent à révéler un nombre croissant d’éléments de dégradation tant dans la vie de l’Eglise que dans la vie sociale, je voudrais vous faire part de mon adhésion à votre message qui me semble avoir recueilli le cœur même de notre expérience ecclésiale. Ce cœur vivant de notre expérience ecclésiale est de plus en plus marqué par la conscience quotidienne de ce que le temps qui nous est donné fuit, et que notre existence reste fortement conditionnée par la temporalité des événements et des faits.
Il me semble que l’Eglise, par moments, selon un rythme souvent ponctuel, reprend conscience de sa propre identité et de la tâche missionnaire qui caractérise sa vie et son histoire.
Nous ressentons chaque jour plus fortement la pression des événements qui demandent à être jugés selon la clarté de la Parole du Seigneur et vécus comme une obéissance à sa volonté. De tout cela, nous sommes heureux : nous sommes heureux parce que nous nous abandonnons chaque jour au Seigneur avec la conscience profonde que sa présence nous soutient à tout moment et qu’il n’y a aucune possibilité que notre existence soit arrachée à la compagnie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Vraiment, c’est l’abandon de notre vie à sa volonté, qui est notre force ; elle est surtout le désir que notre vie puisse vibrer du grand élan de la mission et que notre vie considère l’avenir comme une réalité à remplir à chaque instant de la prise de conscience de la présence du Christ, en demandant que cette présence du Christ fasse vivre chaque jour l’aventure de la mission. En cela et par cela notre vie commence chaque matin avec le grand désir de soutenir la vie chrétienne en nous-mêmes et en nos semblables ; elle s’achève chaque soir avec la conscience que nous avons contribué, pauvrement mais toujours sincèrement, à la maturation de la conscience chrétienne dans le monde.
Nous nous attachons à vous, Excellence, et nous aimerions pouvoir vous accompagner, en tant que derniers disciples, vos pas très sûrs sur le chemin du vrai, du beau et du bien. Que le Seigneur fasse de votre présence dans l’Église et parmi les hommes une présence pleine de vérité, de capacité de sacrifice et de bienveillance envers tous les hommes ; ainsi nous aurons l’impression de correspondre de façon pauvre mais réelle à la grande invitation de la liturgie de à chaque instant : celle de ne pas perdre le temps mais de le rendre chaque jour avec une pleine volonté et avec une grande ouverture au cœur même de Dieu, parce que dans notre vie quotidienne nous sommes précisément appelés à faire l’expérience de la grandeur de Dieu et du désir de contribuer quelque peu, mais de façon bien réelle cependant, à l’établissement du Royaume de Dieu dans le monde.
Que le Seigneur nous bénisse et nous réconforte sur le chemin de nos jours.
Monseigneur Carlo Maria Viganò répond à Monseigneur Luigi Negri
Excellence,
J’ai lu avec beaucoup d’émotion vos paroles, qui m’ont beaucoup touché. C’est une consolation de voir que Votre Excellence a saisi, avec la perspicacité et la lucidité qui ont toujours caractérisé votre jugement, le cœur du problème.
Le temps présent, surtout pour ceux qui ont un regard surnaturel, nous ramène aux choses fondamentales de la vie, à la simplicité du Bien et à l’horreur du Mal, à la nécessité de choisir le camp dans lequel mener nos petites et grandes batailles quotidiennes. Certains y voient une dévalorisation, comme si la clarté de l’Evangile était désormais incapable de donner des réponses satisfaisantes à une humanité complexe et structurée ; pourtant, alors que certains de nos frères évêques sont presque obsédés par l’inclusion et la green theology, appelant de leurs vœux un Nouvel Ordre Mondial et une Maison commune pour les religions abrahamiques, parmi le peuple et les prêtres le constat l’idée que les Pasteurs eux-mêmes – heureusement, pas tous – s’éloignent au moment même d’une confrontation historique, gagne du terrain.
C’est vrai : le temps nous échappe, Excellence, et avec lui s’effritent les châteaux de sable de la rhétorique presque initiatique de ceux qui ont voulu construire leur propre succès dans le temps si fugace et dans la fragilité des choses qui passent. Il y a quelque chose d’inexorable dans ce qui arrive aujourd’hui : les mirages éphémères qui étaient censés remplacer les vérités éternelles nous apparaissent, à la lumière crue de la réalité, dans leur misérable et artificielle imposture, dans leur fausseté ontologique et inexorable. Nous nous découvrons tels des enfants, selon les paroles de Notre Seigneur ; nous reconnaissons presque instinctivement le bien et le mal, la récompense et le châtiment, le mérite et la culpabilité. Mais la sérénité de l’enfant reposant sur le sein de sa mère, la fière confiance de l’enfant accroché à la main de son père, peuvent-elles être considérées comme insignifiantes ?
Combien de paroles futiles ont été dites, combien de palliatifs inutiles nous ont été servis, en pensant que la Parole éternelle du Père ne convenait plus, qu’il fallait la mettre au goût du jour pour la rendre plus séduisante aux oreilles sourdes du monde ! Et pourtant, il aurait suffi de la faire nôtre, cette Parole, pour n’avoir besoin de rien d’autre. Si jusqu’à présent nous nous sommes laissés troubler par la confusion du siècle, désormais nous pouvons nous abandonner avec une confiance filiale et nous laisser guider, car nous reconnaissons la voix du divin Pasteur et nous le suivons là où il veut nous conduire. Même lorsque les autres, qui devraient parler, restent silencieux.
Notre pauvreté n’est pas un obstacle, mais plutôt une aide en ces temps : plus nous sommes humbles, plus resplendit la maîtrise de l’Artiste qui nous tient comme un instrument entre ses mains habiles, comme la plume avec laquelle l’Ecrivain compose sagement la page.
Je demande à Votre Excellence de prier afin que nous tous, que le Seigneur, dans la plénitude du sacerdoce appelle non pas serviteurs mais des amis, puissions devenir des instruments dociles de Sa Grâce, en redécouvrant la divine simplicité de la Foi qu’Il nous a commandé de prêcher à tous les peuples. Tout ce que nous y ajouterions par orgueil n’est qu’une pathétique parure dont nous devons apprendre à nous débarrasser dès maintenant, si nous ne voulons pas que les flammes du Purgatoire s’en chargent, là où nos quelques paillettes d’or seront purifiées des scories, pour nous rendre dignes de la vision béatifique. Ne perdons pas les jours précieux où la maladie et la vieillesse nous donnent l’occasion d’expier nos fautes et celles des autres : ce sont des jours bénis que nous pouvons offrir à la Majesté de Dieu pour l’Église et ses ministres.
Recevez, très chère Excellence, l’expression de ma profonde gratitude pour vos paroles inspirées, avec l’assurance de mon souvenir dans le Saint Sacrifice de l’Autel. Et priez pour moi.
Nunc dimittis servum Tuum,
Domine, secundum verbum Tuum in pace…
Un très grand merci à ceux qui ont déjà généreusement contribué.
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