Voici un texte important. Mgr Athanasius Schneider, connu pour son engagement franc et courageux au service de l'Eglise, de la foi, de la liturgie, a voulu apporter une réponse aux idées qui circulent concernant une éventuelle déposition d'un pape régnant, et de la perte de la charge pontificale du fait d'hérésie. Ces théories qui ajoutent à la confusion régnante depuis l'accession à la chaire de Pierre du pape François doivent être examinées à la lumière de la tradition et de la pratique multi-millénaire de l'Eglise.
Il s'agit de répondre à de multiples questions : un pape peut-il être hérétique ? Cela s'est-il déjà produit dans l'Eglise ? Comment celle-ci a-t-elle répondu à cette situation ? Que peuvent et doivent faire les catholiques du rang ?
C'est ce que fait ici Mgr Schneider, avec sérénité et sans faux-fuyants. Son analyse constitue en même temps un défi à l'égard des catholiques fidèles, appelés à se mobiliser pour l'Eglise sans pour autant prendre le risque de la déchirer.
Le texte si dessous est traduit de la version anglaise par mes soins et grâce à l'aide précieuse d'amis qui ont recherché les versions françaises des œuvres et textes cités, dans la mesure de leur disponibilité.
Mgr Athanasius Schneider a amendé cette traduction afin qu'elle reflète exactement sa pensée et il s'agit donc de la version autorisée en langue française.
En ces temps si troublés, et face à la tentation sédévacantiste, c'est un texte de grande importance. Partagez-le, faites circuler ce lien : https://leblogdejeannesmits.blogspot.com/2019/03/pape-heretique-mgr-schneider.html. – J.S.
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Sur la question d’un pape
hérétique
Comment traiter le problème d’un
pape hérétique de manière concrète ? Voilà une question qui n’a pas encore
été réglée selon un consensus général au sein de la tradition catholique tout
entière. À ce jour, aucun pape ni concile œcuménique n’ont fait de déclaration
doctrinale à ce sujet, et ils n’ont pas davantage émis de norme canonique
contraignante au sujet de l’éventuelle gestion d’un pape hérétique pendant la
durée de sa charge.
Il n’existe pas d’exemple
historique d’un pape ayant perdu la papauté pour cause d’hérésie ou sous l’accusation
d’hérésie. Le pape Honorius Ier (625-638) a été excommunié de manière
posthume par trois conciles œcuméniques (le troisième concile de Constantinople
en 681, le deuxième concile de Nicée en 787, et le quatrième concile de
Constantinople en 870) en raison de son soutien à l’hérésie monothéliste,
soutien qui avait contribué à la diffusion de cette hérésie. Dans la lettre par
laquelle le saint pape Léon II (+ 682-683) confirma les décrets du troisième
concile de Constantinople, il frappait d’anathème le pape Honorius (« anathematizamus Honorium »), s’exprimant
ainsi à propos de son prédécesseur : « Honorius qui n’a pas purifié
cette Eglise apostolique par l’enseignement de la tradition apostolique, mais a
tenté de subvertir la foi immaculée en une trahison impie (texte grec : a
permis que l’Eglise immaculée soit souillée par une trahison impie) » (Denzinger-Schönmetzer,
n. 563).
Le Liber Diurnus Romanorum Pontificum, collection très diverse de
formulaires utilisés par la chancellerie papale jusqu’au XIe siècle, contient
le texte du serment pontifical obligeant chaque nouveau pape, au moment d’assumer
sa charge, de jurer qu’il « reconnaissait le sixième concile œcuménique
frappant d’anathème éternel les initiateurs de l’hérésie (le monothélisme)
Sergius, Pyrrhus, etc., ainsi qu’Honorius » (PL 105, 40-44).
Dans certains bréviaires jusqu’au
XVIe ou au XVIIIe siècle, Honorius était mentionné comme hérétique dans la
leçon de matines du 28 juin, fête du saint pape Léon II : « In synodo Constantinopolitano
condemnati sunt Sergius, Cyrus, Honorius, Pyrrhus, Paulus et Petrus, nec non et
Macarius, cum discipulo suo Stephano, sed et Polychronius et Simon, qui unam
voluntatem et operationem in Domnino Jesu Christo dixerunt vel
praedicaverunt. » La persistance de la lecture de ce bréviaire au
cours de nombreux siècles montre que de nombreuses générations de catholiques n’ont
pas considéré scandaleux qu’un pape particulier, dans un cas très rare, ait été
jugé capable d’hérésie ou de soutien à l’hérésie. En ces temps-là, les fidèles
et la hiérarchie de l’Eglise savaient faire une claire distinction entre l’indestructible
unité de la foi catholique dont le magistère du siège de Pierre a reçu l’assurance
divine, et l’infidélité et la trahison d’un pape donné, dans l’exercice de son
office magistériel.
Dom John Chapman a expliqué dans
son livre The Condemnation of Pope
Honorius (« La condamnation du pape Honorius », Londres, 1907)
que le même troisième conseil œcuménique de Constantinople qui avait frappé d’anathème
le pape Honorius avait fait une claire distinction entre l’erreur d’un pape
particulier et l’infaillibilité de la foi du Siège apostolique en tant que tel.
Dans la lettre par laquelle ils demandaient au pape Agathon (678-681) d’approuver
les décisions conciliaires, les pères du troisième concile œcuménique de
Constantinople affirment que Rome a une foi indéfectible, promulguée d’autorité
à l’ensemble de l’Eglise par les évêques du Siège apostolique, les successeurs
de Pierre. On peut poser la question : comment était-il possible que le
troisième concile œcuménique de Constantinople puisse affirmer cela en
condamnant dans le même souffle un pape pour hérésie ? La réponse est
évidente. Le pape Honorius Ier était faillible, il avait tort, il était
hérétique, précisément parce qu’il n’a pas, comme il aurait dû le faire, affirmé
d’autorité la tradition pétrinienne de l’Eglise romaine. Il n’en avait en rien
appelé à cette tradition, se contentant au contraire d’approuver et de faire
prendre de l’importance à l’hérésie. Mais une fois désavouées par ses
successeurs, les paroles du pape Honorius Ier devenaient inoffensives par
rapport à la réalité de l’infaillibilité de la foi du Siège apostolique. Elles
se retrouvaient réduites à leur véritable valeur, celle de l’expression de son
opinion personnelle.
Le saint pape Agathon ne se
laissa pas embrouiller ni troubler par le comportement déplorable de son
prédécesseur Honorius Ier, qui avait aidé à la diffusion de l’hérésie.
Malgré ce fait, le pape Agathon conserva sa vision surnaturelle de l’inerrance du
siège de Pierre par rapport à l’enseignement de la foi, comme il devait l’écrire
aux empereurs de Constantinople : « Voilà la véritable règle de la
foi, que notre mère spirituelle a toujours conservée et défendue dans le succès
comme dans l’adversité. Par la grâce du Dieu tout puissant, cette Eglise ne
tombera jamais dans l’erreur et ne s’écartera jamais du droit chemin de la
tradition apostolique. Elle n’a jamais succombé et ne s’est jamais trouvée
corrompue par les nouveautés des hérétiques. Au contraire, dès les origines de
la foi chrétienne, elle a reçu le soutien de ses fondateurs, les princes des
apôtres du Christ, et elle demeure sans tache jusqu’à la fin, conformément à la
promesse de Notre-Seigneur et Sauveur, et à la parole qu’il adressa dans les
saints Evangiles au prince de ses disciples : “Pierre, Pierre, voilà que Satan
vous a recherché pour vous cribler comme on crible le froment ; mais j’ai prié
pour vous, afin que votre foi ne défaille point : lors donc que vous vous serez
converti, ayez soin d’affermir vos frères” (Luc XXII, 32). » (Ep. “Consideranti
mihi” ad Imperatores.)
Dom Prosper Guéranger a donné une
explication théologique courte et lucide de ce cas concret d’un pape hérétique.
Il affirme : « Quels applaudissements dans l’abîme, quand, un jour, [Honorius
Ier] le
représentant de Celui qui est la lumière parut de complicité avec les
puissances des ténèbres pour amener la nuit ! Un nuage avait semblé s’interposer
entre le ciel et les monts où Dieu réside en son vicaire ; sans doute, l’apport
social de l’intercession n’avait point été ce qu’il devait être.” L’Année Liturgique, Paris 1911, Le temps
après la Pentecôte, Tome 3, p. 403.)
Il y a en outre un autre fait de
poids : pendant deux mille ans, il n’y a pas eu un seul cas d’un pape
déposé pendant la durée de son office à cause du crime d’hérésie. Le pape
Honorius Ier a été déclaré anathème seulement après sa mort. Le dernier exemple
d’un pape hérétique ou semi-hérétique est celui du pape Jean XXII (1316-1334)
qui avait enseigné sa théorie selon laquelle les saints ne jouiraient de la
vision béatifique qu’après le Jugement dernier lors du Second avènement du
Christ. La manière dont ce cas particulier a été traité à l’époque était celle-ci
: il y eut des admonestations publiques (l’université de Paris, le roi de
France Philippe VI), une réfutation des théories papales erronées à travers des
publications théologiques, et une correction fraternelle de la part du cardinal
Jacques Fournier, qui devait lui succéder sous le nom de Benoît XII
(1332-1342).
L’Eglise, dans les cas concrets
très rares d’un pape coupable d’erreurs théologiques graves ou d’hérésie,
parvenait décidément à vivre avec un tel pape. La pratique de l’Eglise jusqu’à
présent a été de laisser le jugement définitif à propos d’un pape hérétique
régnant aux soins de ses successeurs ou d’un concile œcuménique ultérieur,
comme ce fut le cas pour le pape Honorius Ier. La même chose se fût probablement
produite pour le pape Jean XXII s’il n’avait pas rétracté son erreur.
Des papes ont plusieurs fois été
déposés par le pouvoir séculier ou par des clans criminels. Cela s’est produit
particulièrement au cours de ce qu’on appelle l’âge des ténèbres (Xe et XIe
siècles) où des empereurs germaniques déposèrent plusieurs papes indignes, non
point à cause de leur hérésie mais en raison de leur vie scandaleuse et
immorale, et de leurs abus de pouvoir. Cependant, ils ne furent jamais déposés
selon une procédure canonique, car cela est impossible en raison de la
structure divine de l’Eglise. Le pape reçoit son autorité directement de Dieu
et non de l’Eglise ; par conséquent, l’Eglise ne peut le déposer, pour
quelque raison que ce soit.
C’est un dogme de foi que le pape
ne peut proclamer l’hérésie ex cathedra.
Il s’agit là de la garantie divine selon laquelle les portes de l’enfer ne
prévaudront pas sur la cathedra veritatis,
c’est-à-dire le Siège apostolique de l’apôtre saint Pierre. Dom John Chapman,
expert de l’histoire de la condamnation du pape Honorius Ier, écrit :
« L’infaillibilité est en quelque sorte la pointe d’une pyramide. Plus les
énoncés du Siège apostolique sont solennels, plus nous pouvons être certains de
leur véracité. Lorsqu’ils atteignent le maximum de solennité, c’est-à-dire :
lorsqu’ils sont strictement ex cathedra,
la possibilité de l’erreur est entièrement éliminée. L’autorité d’un pape, même
dans les occasions où il n’est pas effectivement infaillible, doit être suivie
et révérée sans réserve. Qu’elle puisse se trouver du mauvais côté est une
contingence dont la foi et l’histoire ont montré qu’elle est possible » (The Condemnation of Pope Honorius,
Londres 1907, p. 109).
Si un pape répand des erreurs
doctrinales ou des hérésies, la structure divine de l’Eglise fournit déjà un
antidote : le ministère de suppléance des représentants de l’épiscopat et le sensus fidei invincible des fidèles. Sur
cette question, le facteur numérique n’est pas décisif. Il suffit qu’il y ait
quelques évêques seulement qui proclament l’intégrité de la foi, corrigeant
ainsi les erreurs d’un pape hérétique. Il suffit que des évêques instruisent et
protègent leurs troupeaux des erreurs d’un pape hérétique, et leurs prêtres et
les parents de familles catholiques feront de même. En outre, parce que l’Eglise
est aussi une réalité surnaturelle et un mystère, un organisme surnaturel
unique, le corps mystique du Christ, des évêques, des prêtres et des fidèles
laïcs – outre les corrections, les appels, les professions de foi et la
résistance publique – doivent également et nécessairement accomplir des actes
de réparation vis-à-vis de la majesté divine, ainsi que des actes d’expiation
pour les actes hérétiques d’un pape. Selon la constitution dogmatique Lumen Gentium (cf. n° 12) du concile
Vatican II, le corps entier des fidèles ne peut se tromper en matière de
foi, lorsque, des évêques jusqu’au dernier des fidèles laïcs, ils affichent un
accord universel en matière de foi et de morale. Même si un pape répand des
erreurs théologiques et des hérésies, la foi de l’Eglise dans son ensemble
restera intacte en raison de la promesse du Christ à propos de l’assistance
spéciale du Saint Esprit, de l’Esprit de vérité, dans son Eglise (cf. Jn 14,
17 ; 1 Jn 2, 27).
Lorsque, par l’insondable
permission de Dieu, à un certain moment de l’histoire et dans un cas très rare,
un pape répand des erreurs et des hérésies à travers son magistère quotidien ou
ordinaire non infaillible, la divine Providence éveille en même temps le
témoignage de certains membres du collège épiscopal, et aussi des fidèles, afin
de compenser les manquements temporels du magistère papal. Il faut dire qu’une
telle situation est très rare, mais non point impossible, comme l’a prouvé l’histoire
de l’Eglise. L’Eglise est véritablement un seul corps organique, et lorsqu’il y
a un échec et un manque à la tête du corps (le pape), le reste du corps (les
fidèles), ou d’éminentes parties du corps (les évêques) suppléent aux manques
pontificaux temporaires. L’un des exemples les plus célèbres et les plus
tragiques d’une telle situation s’est produit lors de la crise arienne au
quatrième siècle, lorsque la pureté de la foi a été maintenue non tant par l’ecclesia docens (le pape et l’épiscopat)
mais par l’ecclesia docta (les
fidèles), comme l’a déclaré le bienheureux John Henry Newman.
La théorie ou l’opinion (de la
perte de l’office papal par déposition ou par déclaration d’une perte ipso facto) identifie implicitement le
pape à l’Eglise tout entière, ou manifeste une attitude malsaine de papo-centrisme
– en dernière analyse, de papolatrie.
Les représentants d’une telle opinion (et notamment certains saints) sont ceux
qui faisaient montre d’un ultramontanisme exagéré ou d’un papo-centrisme qui
faisait du pape une sorte de demi-dieu, incapable de commettre une quelconque
erreur, y compris dans le domaine extérieur à l’objet de l’infaillibilité
pontificale. Ainsi, le fait pour un pape de commettre des erreurs doctrinales –
ce qui inclut aussi en théorie et logiquement la possibilité de commettre l’erreur
doctrinale la plus grave, c’est-à-dire une hérésie, est aux yeux de ceux qui
partagent cette opinion (sur la déposition du pape et la perte de son office en
raison de l’hérésie) insupportable ou impensable, même si le pape commet ses
erreurs dans un domaine étranger à l’objet de l’infaillibilité pontificale.
La théorie ou l’opinion
théologique selon laquelle un pape hérétique peut être déposé ou perdre son
office n’avait pas cours pendant le premier millénaire. Elle est apparue
seulement au cours du haut Moyen Âge, un moment où le papo-centrisme a atteint
un sommet, où inconsciemment, le pape était identifié avec l’Eglise en tant que
telle. C’était déjà la racine de l’attitude mondaine du prince absolu énonçant
la devise : « L’État, c’est moi ! », soit, en termes ecclésiastiques :
« L’Eglise, c’est moi ! »
L’opinion selon laquelle un pape
hérétique perd ipso facto son office
s’est répandue jusqu’à devenir opinion commune depuis le haut Moyen Âge jusqu’au
XXe siècle. Cela reste une opinion théologique et ne constitue pas un
enseignement de l’Eglise. À ce titre, elle ne peut pas revendiquer la qualité d’enseignement
pérenne et constant de l’Eglise en tant que tel, puisqu’aucun concile
œcuménique, aucun pape n’a soutenu explicitement une telle opinion. L’Eglise,
cependant, a condamné un pape hérétique, mais seulement de manière posthume et
non pendant la durée de son office. Même si certains saints docteurs de l’Eglise
(par exemple, saint Robert Bellarmin, saint François de Sales) ont partagé cette
opinion, cela ne prouve pas qu’elle est certaine, ni qu’il y ait un consensus
doctrinal général à son sujet. Même les docteurs de l’Eglise ont pu se
tromper : tel est le cas de saint Thomas d’Aquin en ce qui concerne l’Immaculée
Conception, la matière du sacrement de l’ordre ou le caractère sacramentel de l’ordination
épiscopale.
Il y a eu une période dans l’Eglise
où par exemple, il existait une opinion théologique communément partagée, mais objectivement
erronée affirmant que la remise des instruments constituait la matière du
sacrement de l’ordre. C’était cependant une opinion qui ne pouvait s’appuyer
sur l’antiquité et l’universalité, bien qu’une telle opinion fût pendant une
période limitée soutenue par un pape (par le décret d’Eugène IV) ou par des livres
liturgiques (pendant une période limitée). Cette opinion commune a cependant
été corrigée plus tard par Pie XII en 1947.
La théorie – de la déposition du
pape hérétique ou de la perte ipso facto
de son office pour cause d’hérésie – est seulement une opinion théologique, qui
ne remplit pas les catégories théologiques nécessaire de l’antiquité, de l’universalité,
et du consensus (semper, ubique, ab
omnibus). Il n’y a pas eu de déclarations du magistère universel ordinaire
ou du magistère pontifical pouvant soutenir les théories de la déposition d’un
pape hérétique ou de sa perte d’office ipso
facto pour cause d’hérésie. Selon une tradition canonique médiévale, qui a
été plus tard intégrée au Corpus Iuris
Canonici (la loi canonique en vigueur dans l’Eglise latine jusqu’en 1918),
un pape pouvait être jugé en cas d’hérésie : « Papa a nemine est iudicandus, nisi deprehendatur a fide devius »,
c’est-à-dire : « Le pape ne peut être jugé par quiconque, à moins qu’il
ne soit repris pour avoir erré dans la foi » (Decretum Gratiani, Prima Pars, dist. 40, c. 6, 3. pars).
Cependant le code de droit canonique de 1917 a éliminé la norme du Corpus Iuris Canonici qui évoquait le
cas du pape hérétique. Le code de droit canonique de 1983 ne contient pas
davantage une telle norme.
L’Eglise a toujours enseigné que
même une personne hérétique, qui est automatiquement excommuniée pour cause d’hérésie
formelle, peut néanmoins validement administrer les sacrements et qu’un prêtre hérétique
ou formellement excommunié peut même dans un cas extrême poser un acte de
juridiction en accordant à un pénitent l’absolution sacramentelle. Les normes
de l’élection papale qui ont eu cours jusqu’à Paul VI inclusivement,
admettaient que même un cardinal excommunié pouvait participer à l’élection du
pape et qu’il pouvait lui-même être élu pape : « Aucun cardinal électeur
ne peut d’aucune manière être exclu de la participation active et passive à
l’élection du Souverain Pontife pour le motif ou sous le prétexte de n’importe
quelle excommunication, suspense, interdit ou autre empêchement
ecclésiastique ; ces censures doivent être considérées comme suspendues,
mais seulement en ce qui concerne cette élection » (Paul VI, Constitution
Apostolique Romano Pontifice eligendo,
n. 35). Ce principe théologique doit être appliqué également au cas d’un évêque
hérétique ou d’un pape hérétique, qui en dépit de leurs hérésies peuvent validement
poser des actes de juridiction ecclésiastique et qui par conséquent ne perdent
pas ipso facto leur office pour cause
d’hérésie.
La théorie ou l’opinion
théologique qui permet la déposition d’un pape hérétique ou la perte de son
office ipso facto pour cause d’hérésie est en pratique inapplicable. Si elle
était appliquée en pratique, elle créerait une situation semblable à celle du
Grand Schisme dont l’Eglise a déjà fait l’expérience désastreuse à la fin du
XIVe et au début du XVe siècle. En effet, il y aura toujours une partie du
collège des cardinaux et une part considérable de l’épiscopat mondial et aussi
des fidèles qui ne seront pas d’accord pour qualifier une erreur (ou des
erreurs) du pape d’hérésie (ou d’hérésies) formelle, et par conséquent ils
continueront de considérer le pape du moment comme le seul pape légitime.
Un schisme formel, avec deux
prétendants ou davantage au trône papal – ce qui sera la conséquence inévitable
de la déposition d’un pape, même canoniquement réalisée – fera nécessairement
davantage de tort à l’Eglise dans son ensemble qu’une période relativement
courte et très rare où un pape répand des erreurs doctrinales ou des hérésies.
La situation d’un pape hérétique sera toujours relativement courte en
comparaison avec les deux mille ans d’existence de l’Eglise. On doit laisser l’intervention,
dans ce cas rare et délicat, à la divine Providence.
La tentative en vue de déposer un
pape hérétique à n’importe quel prix est le signe d’un comportement bien trop
humain, qui au bout du compte est le reflet d’un refus de porter la croix
temporelle d’un pape hérétique. Elle peut également être le reflet de l’émotion
bien trop humaine de la colère. Dans tous les cas, elle proposera une solution
bien trop humaine, et en tant que telle, elle ressemble quelque peu au
comportement dans le domaine politique. L’Eglise et la papauté sont des
réalités qui ne sont pas purement humaines, mais également divines. La croix d’un
pape hérétique – même si elle est limitée dans la durée – est la plus grande
croix imaginable pour l’Eglise tout entière.
Une autre erreur affectant l’intention
ou la tentative de déposer un pape hérétique consiste en l’identification
indirecte ou subconsciente de l’Eglise avec le pape, ou à faire du pape le
point de focalisation de la vie quotidienne de l’Eglise. Cela revient au bout
du compte et subconsciemment, à céder à un ultramontanisme, un papo-centrisme,
une papolatrie malsains, c’est-à-dire un culte de la personnalité du pape. Il y
a bien eu des périodes dans l’histoire de l’Eglise ou pour une durée
considérable le siège de Pierre a été vacant. Par exemple, du 29 novembre 1268
au 1er septembre 1271, il n’y eut pas de pape et en ce temps-là il n’y eut pas
davantage d’antipape. Par conséquent, les catholiques ne doivent pas faire du
pape, et de ses paroles et de ses actions, leur point de focalisation
quotidien.
On peut déshériter les enfants d’une
famille. Mais on ne peut pas déshériter le père d’une famille, pour coupable ou
monstrueux que soit son comportement. Telle est la loi de la hiérarchie que
Dieu a établie jusque dans la création. Cette même loi est applicable au pape,
qui pendant la durée de son office est le père spirituel de toute la famille du
Christ sur terre. Dans le cas d’un père criminel monstrueux, les enfants
doivent s’écarter de lui ou éviter le contact avec lui. Cependant, ils ne
peuvent dire : « Nous allons élire un nouveau et bon père pour notre famille. »
Cela irait contre le bon sens et contre la nature. Le même principe devrait
être applicable par conséquent à la question de la déposition d’un pape
hérétique. Le pape ne peut être déposé par personne, seul Dieu peut intervenir
et Il le fera en son temps, car Dieu ne peut défaillir en sa Providence
(« Deus in sua dispositione non
fallitur »). Au cours du concile Vatican I, Mgr Zinelli, relateur
de la commission conciliaire sur la foi, évoqua en ces termes la possibilité d’un
pape hérétique : « Si Dieu permet un si grand mal (à savoir, un pape hérétique)
les moyens pour remédier à cette situation ne manqueront pas » (Mansi 52,
1109).
La déposition d’un pape hérétique
encouragera au bout du compte l’hérésie du conciliarisme, du sédévacantisme, et
une attitude mentale semblable à celle qui caractérise une communauté purement
humaine ou politique. Elle favorisera également une mentalité comparable au
séparatisme dans le monde protestant, ou à l’autocéphalisme dans la communauté
des Eglises orthodoxes.
La théorie ou l’opinion
permettant la déposition et la perte d’office se révèle en outre comme ayant à
sa racine la plus profonde – encore que ce soit inconsciemment – une sorte de
« donatisme » appliqué au ministère papal. La théorie donatiste
identifiait quasiment les ministres sacrés (prêtres et évêques) à la sainteté
morale du Christ Lui-même, exigeant par conséquent pour que leur office soit
valide l’absence d’erreurs morales ou d’inconduite dans leur vie publique.
Ladite théorie exclut de manière semblable la possibilité qu’un pape fasse des
erreurs doctrinales, c’est-à-dire des hérésies, déclarant du même coup son
office invalide ou vacant, comme le faisaient les donatistes en déclarant l’office
sacerdotal ou épiscopal invalide ou vacant en raison d’erreurs dans la vie
morale.
On peut imaginer qu’à l’avenir l’autorité
suprême de l’Eglise (le pape ou un concile œcuménique) puisse stipuler les
normes canoniques suivantes – ou des normes qui leur ressemblent – pour le cas
d’un pape hérétique ou manifestement hétérodoxe :
• Un pape ne peut être déposé d’aucune
manière et pour aucune raison, même pour raison d’hérésie.
• Tout pape nouvellement élu, en
prenant son office, est obligé en vertu de son ministère d’enseignant suprême
de l’Eglise de prononcer un serment de protection de la totalité du troupeau du
Christ des dangers des hérésies et d’éviter dans ses paroles et ses actions
toute apparence d’hérésie, conformément à son devoir de raffermir dans la foi
tous les pasteurs et les fidèles.
•
Un pape qui répand des erreurs théologiques manifestes ou des hérésies
ou qui aide à la diffusion d’hérésies par ses actions et omissions doit
obligatoirement être corrigé de manière fraternelle et privée par le doyen du
collège des cardinaux.
• À la suite de corrections
privées infructueuses, le doyen du collège des cardinaux est obligé de rendre
sa correction publique.
• En même temps que la correction
publique, le doyen du collège des cardinaux doit appeler à la prière pour que le
pape retrouve la force de confirmer sans ambiguïté l’Eglise tout entière dans
la foi.
• En même temps, le doyen du
collège des cardinaux doit publier une formule de profession de foi, rejetant
des erreurs théologiques enseignées ou tolérées par le pape (sans nécessairement
nommer le pape).
• Si le doyen du collège des
cardinaux manque ou échoue à faire cette correction, l’appel à la prière, et la
publication d’une profession de foi doivent être faits par n’importe quel
cardinal, évêque ou groupe d’évêques et si même les cardinaux et les évêques
manquent ou échouent à le faire, n’importe quel membre des laïcs catholiques ou
groupe de laïcs catholiques doit le faire.
• Le doyen du collège des
cardinaux ou un cardinal, ou un évêque ou un groupe d’évêques, ou un laïc
catholique ou un groupe de laïcs catholiques ayant fait la correction, appelé à
la prière et publié la profession de foi ne peuvent être sujets à une
quelconque sanction ou peine canonique, et ils ne peuvent être accusés de
manque de respect envers le pape pour cette raison.
Dans le cas extrêmement rare d’un
pape hérétique, la situation spirituelle de l’Eglise peut être décrite grâce
aux paroles du saint pape Grégoire le Grand (590-604), qui en son temps
qualifia l’Eglise de « vieux navire tout brisé, qui fait eau de toute
part ; et dans la grosse tempête qui le secoue chaque jour ses planches
pourries ont des craquements de naufrage » (Registrum I, 4, Ep. Ad
Ioannem episcopum Constantinopolitanum).
L’épisode de l’Évangile racontant
comment Notre Seigneur calme la mer déchaînée et sauve Pierre, qui coulait dans
l’eau, nous enseigne que même dans le cas le plus dramatique et humainement
désespéré d’un pape hérétique, tous les pasteurs de l’Eglise et les fidèles
doivent croire et avoir confiance en Dieu quant à l’intervention de sa
Providence, sachant que le Christ calmera la tempête qui fait rage, restaurant
chez les successeurs de Pierre, ses vicaires sur terre, la force de confirmer
tous les pasteurs et les fidèles dans la foi catholique et apostolique.
Le saint pape Agathon (678-681)
qui eut la tâche difficile de limiter les dommages causés par le pape Honorius
Ier à l’intégrité de la foi, a laissé les paroles vives d’un ardent appel à
chaque successeur de Pierre, qui doit toujours avoir à l’esprit son grave devoir
de garder intacte la pureté virginale du dépôt de la foi : « Malheur donc
à moi, si je néglige de prêcher la vérité de mon Seigneur, qu’ils ont, eux,
prêchée intacte ! Malheur à moi si j’ensevelis dans le silence le trésor que j’ai
reçu mission de distribuer à ceux qui le feront fructifier, je veux dire cette
vérité que par mes enseignements je dois faire profondément pénétrer dans les
âmes des chrétiens… Que dirai-je lors de mon examen futur par le Christ
Lui-même, si je rougis – à Dieu ne plaise ! – de prêcher ici la
vérité de ces paroles ? Quelle satisfaction pourrais-je invoquer à mon profit,
et pour les âmes qui m’ont été confiées, lorsqu’Il demandera des comptes
stricts de l’office que j’ai reçu ? » (Ep. “Consideranti mihi” ad Imperatores).
Lorsque le premier pape, saint
Pierre, était matériellement enchaîné, l’Eglise tout entière implorait sa
libération : « Pierre était donc gardé dans la prison ; mais l’Eglise
faisait sans interruption des prières à Dieu pour lui » (Actes, 12, 5).
Lorsqu’un pape répand des erreurs, voire des hérésies, il est dans des chaînes
spirituelles, ou une prison spirituelle. Donc, l’Eglise tout entière doit prier
sans cesse pour sa libération de cette prison spirituelle. L’Eglise entière
doit faire preuve d’une persévérance surnaturelle dans cette prière, et une
confiance surnaturelle dans le fait que c’est Dieu qui en définitive gouverne
son Eglise, et non le pape.
Lorsque le pape Honorius Ier
(625-638) adopta une attitude ambiguë vis-à-vis de la diffusion de la nouvelle
hérésie du monothélisme, saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, envoya un
évêque de Palestine à Rome, lui disant ces paroles : « Allez au Siège
apostolique, où sont les fondations de la sainte doctrine, et ne cessez de
prier tant que le Siège apostolique n’aura pas condamné la nouvelle hérésie. »
Face au cas tragique d’un pape
hérétique, tous les membres de l’Eglise, à commencer par les évêques et jusqu’aux
simples laïcs, doivent utiliser tous les moyens légitimes, telles les
corrections privées et publiques du pape fautif, les prières constantes et
ardentes ainsi que les professions publiques de la vérité afin que le Siège
apostolique puisse de nouveau clairement professer les vérités divines confiées
par Notre Seigneur à Pierre et à tous ses successeurs. « Car le Saint
Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent
connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son
assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation
transmise par les Apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi » (Ier Concile
du Vatican, Constitution Dogmatique Pastor
Aeternus, Ch. 4).
Il faut rappeler à chaque pape et
à tous les membres de l’Eglise les mots sages et intemporels du concile
œcuménique de Constance (1414-1418) concernant le pape en tant que première
personne de l’Eglise liée par la foi, tenue de garder scrupuleusement l’intégrité
de la foi :
« Puisque le pontife romain
exerce un si grand pouvoir parmi les mortels, il est bon qu’il soit d’autant
plus lié par les liens irréfutables de la foi et par les rites qui doivent être
observés en ce qui concerne les sacrements de l’Eglise. C’est pourquoi nous décrétons
et ordonnons, afin que la plénitude de la foi puisse briller dans un futur
pontife romain avec une singulière splendeur dès les premiers instants où il
sera devenu pape, que désormais quiconque sera élu pontife romain fasse en
public la confession et profession suivante » (39e session du 9 octobre
1417, ratifiée par le pape Martin V).
Lors de cette même session, le
Concile de Constance décréta que tout pape nouvellement élu devrait faire un
serment de foi, proposant la formule suivante, dont nous citons les passages
les plus essentiels :
« Moi N. élu pape je
professe et promets de cœur et de bouche au Dieu tout-puissant, dont j’entreprends
de gouverner l’Eglise avec son secours, et en présence du bienheureux Pierre
Prince des apôtres, que tant qu’il plaira au Seigneur de me conserver cette vie
fragile, je croirai et tiendrai fermement la foi catholique selon la tradition
des apôtres, des conciles généraux et des saints Pères, (…) dont je conserverai
la foi tout entière, jusqu’à donner ma vie et répandre mon sang pour elle. Je
jure pareillement de poursuivre exactement le rite transmis des sacrements
ecclésiastiques de l’Eglise catholique. »
Combien est-il opportun, un tel
serment papal, et combien urgent est-il de mettre un tel serment en pratique,
spécialement en notre temps ! Le pape n’est pas un monarque absolu, qui peut
faire et dire ce qu’il veut, qui peut changer la doctrine ou la liturgie selon
son bon vouloir. Malheureusement, au cours des siècles passés – contrairement à
la tradition apostolique des temps anciens – le fait pour les papes de se
comporter comme des monarques absolus ou comme des demi-dieux en est venu à
être si communément accepté qu’il a fini par façonner la vision théologique et
spirituelle du moment des évêques et des fidèles, spécialement parmi les gens
pieux. Le fait que le pape doit être le premier dans l’Eglise à éviter les
nouveautés, obéissant de manière exemplaire à la tradition de la foi et de la
liturgie, a parfois été effacé de la conscience des évêques et des fidèles par
l’acceptation aveugle et pieuse d’une sorte d’absolutisme papal.
Le serment papal du Liber Diurnus Romanorum Pontificum
considère comme l’obligation principale et la qualité la plus insigne d’un
nouveau pape sa fidélité inébranlable à la tradition telle qu’elle lui a été
transmise par tous ses prédécesseurs : «
Nihil de traditione, quod a probatissimis praedecessoribus meis servatum
reperi, diminuere vel mutare, aut aliquam novitatem admittere; sed ferventer,
ut vere eorum discipulus et sequipeda, totis viribus meis conatibusque tradita
conservare ac venerari. » (« Ne rien changer à la tradition
reçue, à ce que j’ai trouvé gardé avant moi par mes prédécesseurs qui plurent à
Dieu, ne pas y porter atteinte, ni l’altérer, ni permettre d’innovation ;
avec une affection fervente en tant que leur vrai disciple et successeur,
sauvegarder avec révérence le bien transmis, de toute ma force et de tous mes
efforts. »)
Le même serment papal désignait
en termes concrets la fidélité à la lex
credendi (la règle de la foi) et à la lex
orandi (la règle de la prière). En ce qui concerne la lex credendi (la règle de la foi), le texte du serment
affirme :
« Verae fidei rectitudinem, quam Christo autore tradente, per successores
tuos atque discipulos, usque ad exiguitatem meam perlatam, in tua sancta
Ecclesia reperi, totis conatibus meis, usque ad animam et sanguinem custodire,
temporumque difficultates, cum tuo adjutorio, toleranter sufferre. » (« Je
promets de garder avec toute ma force, fût-ce au prix de la mort et en
répandant mon sang, l’intégrité de la vraie foi, dont l’auteur est le Christ et
qui par vos successeurs et disciples a été transmis à mon humble personne, et
que j’ai trouvée dans votre Eglise. Je promets également de supporter avec
patience les difficultés du temps. »)
En ce qui concerne la lex orandi, le serment papal
affirme : « Disciplinam et
ritum Ecclesiae, sicut inveni, et a sanctis praecessoribus meis traditum
reperi, illibatum custodire. » (« Je promets de garder intactes
la discipline et la liturgie de l’Eglise telle que je les ai trouvées et qu’elles
m’ont été transmises par mes saints prédécesseurs. »)
Au cours de ces cent dernières
années, il y a eu quelques exemples d’une forme d’absolutisme papal concernant
les changements apportés à la tradition liturgique de l’Eglise. Si nous
considérons la lex orandi, il y a eu
des modifications radicales faites par les papes Pie X, Pie XII et Paul VI, et
concernant la lex credendi, par le
pape François.
Pie X est devenu le premier pape
de l’histoire de l’Eglise latine à faire une réforme si radicale de l’ordre du
psautier (cursus psalmorum) qu’elle
aboutit à la construction d’un nouveau type de divin Office en ce qui concerne
la distribution des psaumes. Le cas suivant est celui du pape Pie XII, qui a
approuvé pour l’usage liturgique une version latine radicalement modifiée du
texte millénaire et mélodieux du psautier de la Vulgate. La nouvelle traduction
latine, qu’on appelle le « psautier de Pie XII », était un texte
artificiellement fabriqué par des universitaires qui, dans son artificialité,
était à peine prononçable. Cette nouvelle traduction latine, critiquée judicieusement
au moyen de l’adage « accessit
latinitas, recessit pietas », a été ensuite de facto rejetée par toute
l’Eglise sous le pontificat de Jean XXIII. Pie XII a également modifié la
liturgie de la Semaine sainte, un trésor liturgique millénaire de l’Eglise, en
introduisant des rituels partiellement inventés ex novo. Des changements liturgiques sans précédent ont cependant
été exécutés par Paul VI au moyen d’une réforme révolutionnaire du rite de la
messe et du rite de tous les autres sacrements, une réforme liturgique qu’aucun
pape avant lui n’avait osé mettre en œuvre avec une telle radicalité.
Un changement théologique
révolutionnaire a été fait par le pape François dans la mesure où il a approuvé
la pratique de certaines Eglises locales d’admettre dans des cas particuliers
des adultères sexuellement actifs (qui cohabitent dans ce qu’on appelle des
« unions irrégulières ») à recevoir la sainte communion. Même si ces
normes locales ne représentent pas une norme générale au sein de l’Eglise,
elles signifient néanmoins une négation pratique de la vérité divine de l’indissolubilité
absolue d’un mariage sacramentel validé consommé. Son autre altération en
matière de questions doctrinales est relative au changement de la doctrine
biblique, d’une constance bimillénaire, sur le principe de la légitimité de la
peine de mort. Le changement doctrinal suivant est représenté par l’approbation
par le pape François de la phrase du document inter-religieux d’Abu Dhabi du 4
février 2019, qui affirme que la diversité des sexes ainsi que la diversité des
races et la diversité des religions correspondent à la sage volonté de Dieu.
Cette formulation en tant que telle exige une correction papale officielle,
sans quoi elle contredira évidemment le Premier commandement du Décalogue et l’enseignement
sans équivoque et explicite de Notre Seigneur Jésus-Christ, de telle sorte qu’elle
contredit la Révélation divine.
Sur cette toile de fond demeure l’épisode
impressionnant et qui donne à réfléchir de la vie du pape Pie IX, qui à la
demande d’un groupe d’évêques suggérant une modification minime du Canon de la
messe (il s’agissait d’introduire le nom de saint Joseph), répliqua : « Je ne
peux pas faire cela. Je ne suis que le pape ! »
Chaque pape et tous les fidèles
devraient dire assidûment, spécialement en notre temps, la prière ci-dessous de
Dom Prosper Guéranger, dans laquelle il loue le saint pape Léon II pour sa
défense énergique de l’intégrité de la foi à l’issue de la crise causée par le
pape Honorius Ier :
« Prévenez, ô Léon, le
retour de situations à ce point douloureuses. Soutenez le pasteur au-dessus de
la région des brouillards perfides qui s’élèvent de la terre ; entretenez dans
le troupeau cette prière qui sans cesse doit monter à Dieu pour lui de l’Eglise
(Act. XII, 5) : et Pierre, fût-il enseveli au fond des plus obscurs cachots, ne
cessera point de contempler le pur éclat du Soleil de justice ; et le corps
entier de la sainte Eglise sera dans la lumière. Car, dit Jésus, le corps est
éclairé par l’œil : si l’œil est simple, le corps entier resplendit (Matth. VI,
22).
« Nous connaissons
maintenant la force du roc qui porte l’Eglise ; nous savons que les portes de l’enfer
ne prévaudront point contre elle (Matth. XVI, 18). Car jamais l’effort de ces
puissances de l’abîme n’alla plus loin que dans la triste crise [du
pape Honorius] à laquelle vous avez mis un terme ; or leur
succès, si douloureux qu’il fût, n’était point à l’encontre des promesses
divines : ce n’est point au silence de Pierre [ du pape Honorius et au son soutien
de l´hérésie],
mais à son enseignement, qu’est promise l’immanquable assistance de l’Esprit de
vérité » (L’Année Liturgique,
Paris 1911, Le temps après la Pentecôte, Tome 3, pp. 403-404).
Le cas extrêmement rare d’un pape
hérétique ou semi-hérétique doit en définitive être enduré dans la souffrance à
la lumière de la foi au caractère divin et en l’indestructibilité de l’Eglise
et de l’office pétrinien. Saint Léon le Grand formula cette vérité, en disant
que la dignité de saint Pierre n’est pas amoindrie dans ses successeurs quelle
que soit leur indignité : « Cuius
dignitas etiam in indigno haerede non deficit » (Serm. 3, 4).
On pourrait se trouver dans la
situation véritablement extravagante d’un pape qui pratique l’abus sexuel de
mineurs ou de subordonnés au Vatican. Que devrait faire l’Eglise dans une telle
situation ? L’Eglise devrait-elle tolérer un prédateur sexuel papal de
mineurs ou de subordonnés ? Pendant combien de temps l’Eglise devrait-elle
tolérer un tel pape ? Devrait-il perdre la papauté ipso facto en raison de l’abus sexuel de mineurs de subordonnés ?
Dans une telle situation une nouvelle théorie ou opinion canonique ou
théologique pourrait apparaître, visant à permettre la déposition d’un pape et
la perte de son office en raison de crimes moraux monstrueux (par exemple, l’abus
sexuel de mineurs et de subordonnés). Une telle opinion serait la contrepartie
de l’opinion permettant la déposition d’un pape et la perte de son office à
cause de l’hérésie. Cependant, une telle nouvelle théorie ou opinion (la
déposition d’un pape et la perte de son office en raison de crimes sexuels) ne
correspondrait certainement pas à l’esprit et à la pratique pérennes de l’Eglise.
La tolérance d’un pape hérétique
comme une croix n’équivaut pas à la passivité ou à l’approbation de ses
mauvaises actions. On doit faire tout ce qui est possible pour remédier à la
situation d’un pape hérétique. Porter la croix d’un pape hérétique ne signifie
en aucune circonstance le consentement à ses hérésies ou la passivité. De même des
gens ont à supporter, par exemple, un régime inique ou athée telle une croix
(combien de catholiques ont vécu sous un tel régime dans l’Union soviétique, et
supporté cette situation comme une croix en esprit d’expiation) ; ou des
parents qui doivent supporter comme une croix un enfant adulte devenu incroyant
ou immoral ; ou des membres d’une famille obligés de supporter comme une croix,
par exemple, un père alcoolique. Les parents ne peuvent pas « déposer » leur
enfant dévoyé de son appartenance à leur famille, de même que les enfants ne
peuvent pas « déposer » leur père dévoyé de l’appartenance à leur famille ou de
son titre de « père ».
La voie plus sûre qui consiste à ne pas déposer un pape hérétique
représente une vision plus surnaturelle de l’Eglise. Cette voie, avec ses
contre-mesures et contre-réactions pratiques et concrètes, ne signifie d’aucune
façon la passivité ou la collaboration avec les erreurs papales, mais un
engagement très actif et une vraie compassion à l’égard de l’Eglise, qui, au
temps d’un pape hérétique ou semi-hérétique, fait l’expérience de son Golgotha.
Plus un pape répand des ambiguïtés doctrinales, des erreurs ou même des
hérésies, plus lumineuse sera la foi catholique pure qui brille dans les petits
dans l’Eglise : la foi d’enfants innocents, de sœurs religieuses, la foi tout
spécialement des religieuses cloîtrées, qui sont les joyaux cachés de l’Eglise, la foi des laïcs héroïques et vertueux de toutes
conditions sociales, la foi de prêtres et d’évêques individuels. Cette flamme
pure de la foi catholique, souvent nourrie de sacrifices et d’actes d’expiation,
brillera plus vive que la lâcheté, l’infidélité, la rigidité spirituelle et l’aveuglement
d’un pape hérétique.
L’Eglise est d’un tel caractère
divin qu’elle peut exister et vivre pendant une période de temps limité
nonobstant un Pape régnant hérétique, précisément en raison de cette vérité :
le pape n’est pas synonyme de l’Eglise et il ne lui est pas identique. L’Eglise
est d’un tel caractère divin que même un pape hérétique n’est pas capable de
détruire l’Eglise, même s’il endommage gravement sa vie, et pourtant son action
n’a qu’une durée limitée. La foi de l’Eglise tout entière est plus grande et
plus forte que les erreurs d’un pape hérétique et cette foi ne peut pas être
vaincue, pas même par un pape hérétique. La constance de l’Eglise tout entière
est plus grande et plus durable que le désastre relativement passager d’un pape
hérétique. La vraie pierre sur laquelle réside l’indestructibilité de la foi et
de la sainteté de l’Eglise est le Christ lui-même, le pape n’étant que son
instrument, de même que chaque prêtre ou évêque est seulement un instrument du
Christ, le Souverain Prêtre.
La santé doctrinale et morale de
l’Eglise ne dépend pas exclusivement du pape, puisque de par la loi divine la
santé doctrinale et morale de l’Eglise est garantie dans les situations
extraordinaires d’un pape hérétique par la fidélité de l’enseignement des
évêques, et au bout du compte aussi par la fidélité de la totalité des fidèles
laïcs, comme l’ont suffisamment démontré le bienheureux John Henry Newman et l’histoire.
La santé morale et doctrinale de l’Eglise n’est pas à ce point dépendante des
erreurs doctrinales relativement passagères d’un pape unique qu’elle impliquerait
de ce fait la vacance du siège papal. Tout comme l’Eglise peut supporter un
temps son pape, comme cela s’est déjà produit dans l’histoire pour une période
pouvant aller jusqu’à plusieurs années, de même l’Eglise est par constitution
divine si forte qu’elle peut également supporter un éphémère pape hérétique.
L’acte de déposition d’un pape
pour cause d’hérésie ou la déclaration de la vacance du siège papal en raison
de la perte de la papauté ipso facto de
la part d’un pape hérétique constituerait une nouveauté révolutionnaire dans la
vie de l’Eglise, et ce en regard d’une question de haute importance concernant
la constitution et la vie de l’Eglise. Il faut suivre, dans une affaire aussi
délicate – même si elle est de nature pratique et non strictement doctrinale –
la voie plus sûre (via tutior) du
sens pérenne de l’Eglise. Nonobstant le fait que trois conciles œcuméniques
successifs (le troisième concile de Constantinople en 681, le deuxième concile
de Nicée en 787, et le quatrième concile de Constantinople en 870), et le saint
pape Léon II en 682, ont excommunié le pape Honorius Ier pour cause d’hérésie,
ils n’ont pas déclaré, pas même implicitement, qu’Honoris Ier avait perdu
la papauté ipso facto pour cause d’hérésie.
En fait, le pontificat d’Honorius Ier a été considéré valide même après
son soutien à l’hérésie dans ses lettres au patriarche Serge en 634, puisqu’il
a régné encore quatre ans après cela, jusqu’en 638.
Le principe suivant, formulé par
le saint pape Étienne Ier (+ 257), bien que dans un contexte différent, doit
constituer une ligne directrice quant au traitement du cas très délicat et rare
d’un pape hérétique : « Nihil
innovetur, nisi quod traditum est », c’est-à-dire : « Que l’on n’innove
rien en dehors de ce que porte la tradition. »
21 mars 2019
+ Athanasius Schneider, évêque
auxiliaire de l’archidiocèse de Sainte Marie in Astana
© Jeanne Smits pour la traduction
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