En « première » pour les blogs francophones, voici la lettre remise au pape François le 11 août dernier par des universitaires laïques et des théologiens ainsi que par des prêtres ayant charge d'âmes qui ont voulu ainsi mettre en évidence les dangers que font courir l'exhortation apostolique “Amoris laetitia” ainsi que certains actes, déclarations et omissions du souverain pontife lui-même. Il lui est demandé, avec beaucoup de respect filial mais aussi d'insistance, de rejeter publiquement sept propositions « hérétiques » dont la propagation est facilitée par “Amoris laetitia”, étant posé que les signataires se gardent de toute mise en cause personnelle du pape : il ne s'agit pas de dénoncer un « péché d'hérésie » mais de souligner en quoi la propagation de certaines hérésies est favorisée.
Faute de réponse du Saint-Père, cette lettre a été rendue publique ce 24 septembre 2017, en la fête de Notre-Dame de la Merci et de Notre-Dame de Walsingham.
La « correctio » vient d'être publiée en plusieurs langues sur un site dédié : correctiofilialis.org. Le texte est long, et par conséquent exhaustif ; il est assorti d'une partie explicative qui vise à faire comprendre les origines idéologiques de ces propositions qui se trouvent dans le modernisme et chez Luther.
La liste complète des noms des 62 signataires est ici. On remarque la présence, parmi les signataires français ou francophones, de Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, ainsi que le supérieur de district au Royaume-Uni, l'abbé Robert Brucciani. Et aussi : l'abbé Claude Barthe, le frère Jehan de Belleville, l'abbé Guy Pagès. Plusieurs autres noms ne figurent pas parmi les signataires ci-dessous et seront ajoutés dès que possible.
La présentation résumée de la « Correction filiale » sur le site correctiofilialis.org précise que les 62 signataires de 20 pays « représentent également d'autres personnes qui n'ont pas la liberté d'expression nécessaire pour signer ».
La traduction française des propositions hérétiques, rédigées en latin dans la « correctio » et dont les signataires demandent au pape de les rejeter explicitement se trouve ici sur le site de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.
– J.S.
Correctio filialis de haeresibus propagatis (français)
Le
16 juillet 2017
Fête
de Notre-Dame du Mont-Carmel
Très
Saint-Père,
C’est
avec une profonde tristesse, mais poussés par la fidélité envers Notre Seigneur
Jésus-Christ, par l'amour pour l’Eglise et pour la papauté, et par dévotion filiale envers votre personne nous
sommes contraints d’adresser à Votre Sainteté une correction à cause de la propagation d'hérésies entraînée par
l’exhortation apostolique Amoris laetitia et par d’autres paroles, actions et
omissions de Votre Sainteté.
Il
nous est permis d’effectuer cette correction en vertu de la loi naturelle, de
la loi du Christ et de la loi de l’Eglise, que par la divine providence vous avez la charge de sauvegarder
toutes trois. En vertu la loi naturelle : car de même que les sujets ont par
nature le devoir d'obéir à leurs supérieurs en toute chose légitimes, de mêmes
ils ont un droit à être gouvernés conformément à la loi, et donc d’insister,
quand cela est nécessaire, pour que leurs supérieurs gouvernent en ce sens. En
vertu de la loi du Christ : car son Esprit a inspiré l’apôtre Paul afin qu'il
réprimande Pierre en public lorsque ce dernier n’agissait pas selon la vérité
de l’Evangile (Gal. 2). Saint Thomas d’Aquin note que cette réprimande publique
adressée par un sujet à un supérieur était licite en raison du danger imminent
de scandale en matière de foi (Summa Theologiae 2a 2ae, 33, 4 ad 2), et
« la glose de saint Augustin » ajoute qu’à cette occasion, « Pierre lui-même montre par son exemple à ceux
qui ont la prééminence, s'il leur est arrivé de s'écarter du droit chemin, de
ne point refuser d'être corrigés, même par leurs inférieurs » (ibid.). La loi
de l’Eglise nous contraint aussi puisqu’elle affirme que « Les fidèles… ont le droit et même parfois le
devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de
l’Eglise » (Code de droit canonique 212:2-3 ; Code des canons
des Eglises orientales 15:3).
La
publication d’Amoris laetitia et d’autres actes par lesquels Votre Sainteté
a de manière suffisante clarifié le champ et le but de ce document ont provoqué
au sein l’Eglise des scandales concernant la foi et la morale. Des hérésies et
d’autres erreurs se sont alors répandues dans l’Eglise ; tandis que certains
évêques et cardinaux ont continué de défendre les vérités divinement révélées
sur le mariage, la loi morale, et la réception des sacrements, d’autres ont nié
ces vérités et ont reçu de Votre Sainteté non pas une réprimande mais des approbations.
A contrario, ceux parmi les cardinaux qui ont soumis des dubia à Votre
Sainteté, afin que, grâce à ce moyen éprouvé par le temps, la vérité de
l’Evangile puisse être facilement affirmée, n’ont reçu d’autre réponse que votre
silence.
Très
Saint-Père, le ministère pétrinien n’a pas été confié à Votre Sainteté afin de
lui permettre d’imposer des doctrines personnelles aux fidèles, mais afin
qu’elle puisse, comme un intendant fidèle, garder le trésor dans l’attente du
jour du retour du Seigneur (Luc 12 ; Tim. 6:20). Nous adhérons de tout
cœur à la doctrine de l’infaillibilité pontificale telle que l’a définie le
concile Vatican I, et par conséquent, nous adhérons à l’explication que ce
même concile a donnée de ce charisme, qui
contient cette déclaration : « Car le Saint Esprit n'a pas été
promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils fassent connaître, sous sa
révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu'avec son assistance ils gardent
saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les Apôtres,
c'est-à-dire le dépôt de la foi » (Pastor aeternus, cap. 4). C’est
pourquoi votre prédécesseur, le bienheureux Pie IX, a fait l’éloge de la
déclaration collective des évêques d’Allemagne, qui affirmait que
« l’opinion selon laquelle le pape est un “souverain absolu en raison de
son infaillibilité” est fondée sur une compréhension totalement fausse du dogme
de l’infaillibilité pontificale ». De même, lors du concile
Vatican II, la commission théologique qui a revu la Constitution
dogmatique sur l’Eglise, Lumen gentium, a noté que les pouvoirs du
pontife romain sont limités de bien des façons.
Ceux
parmi les catholiques, cependant, qui ne saisissent pas clairement les limites
de l’infaillibilité pontificale sont susceptibles d’être induits, par les
paroles et les actions de Votre Sainteté, en l’une ou l’autre de ces deux
erreurs désastreuses : soit ils en viendront à embrasser les hérésies qui sont
actuellement propagées, soit, conscients du fait que ces doctrines sont
contraires à la parole de Dieu, ils douteront des prérogatives des papes, voire
les nieront. D’autres fidèles encore sont amenés à remettre en doute la
validité de la renonciation au pontificat du pape émérite Benoît XVI. Ainsi,
l’office pétrinien, octroyé à l’Eglise par Notre Seigneur Jésus-Christ pour le
bien de l’unité et de la foi, est utilisé d’une telle façon qu'un chemin s’est
ouvert à l’hérésie et au schisme. En outre, constatant que les pratiques
aujourd’hui encouragées par les paroles et les actions de Votre Sainteté sont
contraires non seulement à la foi et à la discipline pérenne de l’Eglise mais
également aux affirmation magistérielles de vos prédécesseurs, les fidèles se
font la réflexion que les propres
déclarations de Votre Sainteté ne peuvent jouir d’une plus grande autorité que
celles des papes antérieurs ; de telle sorte que l’authentique magistère
pontifical souffre d’une blessure qui pourrait être très longue à guérir.
Nous
pensons cependant que Votre Sainteté possède le charisme de l’infaillibilité,
et le droit de juridiction universelle sur les fidèles du Christ, au sens
défini par l’Eglise. Dans notre protestation contre Amoris laetitia et contre d’autres actions, paroles et
omissions qui lui sont liées, nous ne nions pas l’existence de ce charisme
pontifical ni le fait que Votre Sainteté la possède, puisque ni Amoris
laetitia ni aucune des affirmations qui ont servi à propager les hérésies
insinuées par cette Exhortation ne sont protégées par cette garantie divine de
véracité. Notre correction est au
contraire un devoir dicté par la fidélité aux enseignements pontificaux
infaillibles qui sont incompatibles avec certaines affirmations de Votre
Sainteté.
En
tant que sujets, nous n’avons pas le droit d’adresser à l’égard de Votre
Sainteté cette forme de correction par laquelle un supérieur contraint ceux qui
lui sont soumis, par la menace ou à travers l’administration d’une punition
(cf. Summa Theologiae 2a 2ae, 33, 4).
Nous formulons plutôt cette correction pour protéger nos frères
catholiques – et tous ceux qui sont en dehors de l’Eglise, qu’il ne faut pas
priver de la clef de la science (cf. Luc
11:52) – dans l’espoir d’empêcher
la diffusion plus large de doctrines qui en elles-mêmes tendent à la
profanation de tous les sacrements et à la subversion de la Loi de Dieu.
*
* *
Nous
souhaitons maintenant montrer comment plusieurs passages d’Amoris laetitia,
en conjonction avec des actions, des paroles et des omissions, servent à
propager sept propositions hérétiques.
Les
passages d’Amoris laetitia auxquels nous faisons référence sont les
suivants :
AL 295 : « Saint Jean-Paul II proposait ce
qu’on appelle la “loi de gradualité”, conscient que l’être humain “connaît,
aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d'une croissance”. Ce
n’est pas une “gradualité de la loi”, mais une gradualité dans l’accomplissement
prudent des actes libres de la part de sujets qui ne sont dans des conditions
ni de comprendre, ni de valoriser ni d’observer pleinement les exigences
objectives de la loi. »
AL
296 : « Deux logiques parcourent toute l’histoire de l’Eglise : exclure et
réintégrer. La route de l’Église, depuis le Concile de Jérusalem, est toujours
celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration. La route de
l’Eglise est celle de ne condamner personne éternellement. »
AL
297 : « Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est
pas la logique de l’Évangile ! »
AL
298 : « Les divorcés engagés dans une nouvelle union, par exemple, peuvent
se retrouver dans des situations très différentes, qui ne doivent pas être
cataloguées ou enfermées dans des affirmations trop rigides sans laisser de
place à un discernement personnel et pastoral approprié. Une chose est une
seconde union consolidée dans le temps, avec de nouveaux enfants, avec une
fidélité prouvée, un don de soi généreux, un engagement chrétien, la conscience
de l’irrégularité de sa propre situation et une grande difficulté à faire
marche arrière sans sentir en conscience qu’on commet de nouvelles fautes.
L’Eglise reconnaît des situations où “l’homme et la femme ne peuvent pas, pour de
graves motifs – par exemple l'éducation des enfants –, remplir l'obligation de
la séparation”.[Note de bas de page 329 “Dans ces situations, connaissant et
acceptant la possibilité de cohabiter ‘comme frère et sœur’ que l’Eglise leur
offre, beaucoup soulignent que s’il manque certaines manifestations d’intimité
“la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis”.]
Il y aussi le cas de ceux qui ont consenti d’importants efforts pour sauver le
premier mariage et ont subi un abandon injuste, ou celui de “ceux qui ont
contracté une seconde union en vue de l'éducation de leurs enfants, et qui ont
parfois, en conscience, la certitude subjective que le mariage précédent,
irrémédiablement détruit, n'avait jamais été valide”. Mais autre chose est une
nouvelle union provenant d’un divorce récent, avec toutes les conséquences de
souffrance et de confusion qui affectent les enfants et des familles entières,
ou la situation d’une personne qui a régulièrement manqué à ses engagements
familiaux. Il doit être clair que ceci n’est pas l’idéal que l’Evangile propose
pour le mariage et la famille. Les Pères synodaux ont affirmé que le
discernement des Pasteurs doit toujours se faire “en distinguant attentivement”
les situations, d’un “regard différencié”. Nous savons qu’il n’existe pas de “recettes
simples”. »
AL
299 : « J’accueille les considérations de beaucoup de Pères synodaux, qui
ont voulu signaler que “les baptisés divorcés et remariés civilement doivent
être davantage intégrés dans les communautés chrétiennes selon les diverses
façons possibles, en évitant toute occasion de scandale. La logique de
l’intégration est la clef de leur accompagnement pastoral, afin que non
seulement ils sachent qu’ils appartiennent au Corps du Christ qu’est l’Eglise, mais
qu’ils puissent en avoir une joyeuse et féconde expérience. Ce sont des
baptisés, ce sont des frères et des sœurs, l’Esprit Saint déverse en eux des
dons et des charismes pour le bien de tous. (…) Non seulement ils ne doivent
pas se sentir excommuniés, mais ils peuvent vivre et mûrir comme membres
vivants de l’Eglise, la sentant comme une mère qui les accueille toujours, qui
s’occupe d’eux avec beaucoup d’affection et qui les encourage sur le chemin de
la vie et de l’Evangile.” »
AL
300 : « Etant donné que “le degré de responsabilité n’est pas le même dans
tous les cas”, les conséquences ou les effets d’une norme ne doivent pas
nécessairement être toujours les mêmes. » [Note de bas de page 336] :
« Pas davantage en ce qui concerne la discipline sacramentelle, étant
donné que le discernement peut reconnaître que dans une situation particulière
il n’y a pas de faute grave. »
AL
301 : « Par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui
se trouvent dans une certaine situation dite “irrégulière” vivent dans une
situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. Les limites n’ont
pas à voir uniquement avec une éventuelle méconnaissance de la norme. Un sujet,
même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les
“valeurs comprises dans la norme” ou peut se trouver dans des conditions
concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres
décisions sans une nouvelle faute. »
AL
303 : « Cette conscience peut reconnaître non seulement qu’une situation
ne répond pas objectivement aux exigences générales de l’Evangile. De même,
elle peut reconnaître sincèrement et honnêtement que c’est, pour le moment, la
réponse généreuse qu’on peut donner à Dieu, et découvrir avec une certaine
assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande
au milieu de la complexité concrète des limitations, même si elle n’atteint pas
encore pleinement l’idéal objectif. »
AL
304 : « Je demande avec insistance que nous nous souvenions toujours d’un
enseignement de saint Thomas d’Aquin, et que nous apprenions à l’intégrer dans
le discernement pastoral : “Bien que dans les principes généraux, il y ait
quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre
de défaillances (…). Dans le domaine de l’action, au contraire, la vérité ou la
rectitude pratique n’est pas la même pour tous dans les applications
particulières, mais uniquement dans les principes généraux ; et chez ceux pour
lesquels la rectitude est identique dans leurs actions propres, elle n’est pas
également connue de tous (…). Plus on entre dans les détails, plus les
exceptions se multiplient.” Certes, les normes générales présentent un bien
qu’on ne doit jamais ignorer ni négliger, mais dans leur formulation, elles ne
peuvent pas embrasser dans l’absolu toutes les situations particulières. »
AL
305 : « A cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est
possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas
subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre
dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir
dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de
l’Église. » [Note de bas de page 351 : « Dans certains cas, il
peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, “aux prêtres je
rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un
lieu de la miséricorde du Seigneur”. Je souligne également que l’Eucharistie
“n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment
pour les faibles”]. »
AL
308 : « Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne
prête à aucune confusion. Mais je crois sincèrement que Jésus-Christ veut une
Eglise attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité : une
Mère qui, en même temps qu’elle exprime clairement son enseignement objectif,
“ne renonce pas au bien possible, même [si elle] court le risque de se salir
avec la boue de la route”. »
AL
311 : « L’enseignement de la théologie morale ne devrait pas cesser
d’intégrer ces considérations. »
Les
paroles, actions et omissions de Votre Sainteté auxquelles nous souhaitons
faire référence et qui, prises en conjonction avec ces passages d’Amoris
laetitia servent à propager des hérésies au sein de l’Eglise sont les
suivantes :
– Votre
Sainteté a refusé de donner une réponse positive aux dubia qui vous ont été soumis par les cardinaux
Burke, Caffarra, Brandmüller et Meisner, par lesquels il vous était
respectueusement demandé de confirmer que l’Exhortation apostolique Amoris
laetitia n’abolit pas cinq enseignements de la Foi catholique.
– Votre
Sainteté est intervenue dans l’établissement de la Relatio post
disceptationem du Synode
extraordinaire sur la famille. La Relatio proposait de permettre l'accès
à la communion des catholiques divorcés et remariés « au cas par cas », et
affirmait que les pasteurs doivent mettre l’accent sur les « aspects
positifs » de modes de vie que l’Eglise considère comme gravement
peccamineux, y compris le remariage civil après le divorce et la cohabitation
avant le mariage. Ces propositions ont été incluses dans la Relatio du
fait de votre insistance personnelle, malgré le fait qu'elles n’ont pas obtenu
la majorité des deux tiers requise par les règles du Synode pour qu’une
proposition figure dans la Relatio.
–
Dans un entretien en avril 2016, un journaliste a demandé à Votre Sainteté s’il
existe désormais des possibilités concrètes pour les divorcés remariés qui
n’existaient pas avant la publication d’Amoris laetitia. Elle a répondu
: « Io posso dire, si. Punto » ; c’est-à-dire, « Je peux dire oui.
Point. » Votre Sainteté a alors déclaré que la question du journaliste trouvait
sa réponse dans la présentation donnée par le cardinal Schönborn à propos d’Amoris
laetitia. Dans cette présentation, le cardinal Schönborn affirmait :
« La
grande joie que me procure ce document réside dans le fait qu’il dépasse de
manière cohérente, la division artificieuse, extérieure et nette entre les
“réguliers” et les “irréguliers”, et il place tout le monde sous l’instance
commune de l’Evangile, selon les paroles de Saint Paul : “Dieu, en effet,
a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde”
(Romains, 11, 32).
« On
se demande naturellement ce que dit le Pape à propos de l’accès aux sacrements
pour les personnes qui vivent en situations “irrégulières”. Le pape
Benoît XVI avait déjà dit qu’il n’existait pas de “recettes simples” (AL
298, note 333). Le pape François rappelle, à nouveau, la nécessité de bien
discerner les situations, dans la ligne de Familiaris Consortio (84) de
St Jean-Paul II (AL 298). “Le discernement doit aider à trouver les chemins
possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations. En
croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce
et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications
qui rendent gloire à Dieu” (AL 305). Et le pape François nous rappelle une
phrase importante qu’il avait écrite dans Evangelii Gaudium 44: “Un
petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de
Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir
à affronter d’importantes difficultés” (AL 304). Dans le sens de cette “via
caritatis” (AL 306), le Pape affirme, de manière humble et simple, dans une
note (351) que l’on peut aussi apporter l’aide des sacrements “dans certains
cas”. »
Votre
Sainteté a développé cette assertion en affirmant qu’Amoris laetitia avalise l’approche pratiquée vis-à-vis des
divorcés remariés dans le diocèse du Cardinal Schönborn où ils ont la
permission de recevoir la communion.
–
Le 5 septembre 2016 les évêques de la région de Buenos Aires ont émis une
déclaration sur l’application d’Amoris laetitia. Ils y déclaraient :
6) En otras circunstancias
más complejas, y cuando no se pudo obtener una declaración de nulidad, la
opción mencionada puede no ser de hecho factible. No obstante, igualmente es
posible un camino de discernimiento. Si se llega a reconocer que, en un caso
concreto, hay limitaciones que atenúan la responsabilidad y la culpabilidad
(cf. 301-302), particularmente cuando una persona considere que caería en una
ulterior falta dañando a los hijos de la nueva unión, Amoris laetitia
abre la posibilidad del acceso a los sacramentos de la Reconciliación y la
Eucaristía (cf. notas 336 y 351). Estos a su vez disponen a la persona a seguir
madurando y creciendo con la fuerza de la gracia. …
9) Puede ser conveniente
que un eventual acceso a los sacramentos se realice de manera reservada, sobre
todo cuando se prevean situaciones conflictivas. Pero al mismo tiempo no hay
que dejar de acompañar a la comunidad para que crezca en un espíritu de
comprensión y de acogida, sin que ello implique crear confusiones en la
enseñanza de la Iglesia acerca del matrimonio indisoluble. La comunidad es
instrumento de la misericordia que es «inmerecida, incondicional y gratuita»
(297).
10) El discernimiento no se cierra, porque «es
dinámico y debe permanecer siempre abierto a nuevas etapas de crecimiento y a
nuevas decisiones que permitan realizar el ideal de manera más plena» (303),
según la «ley de gradualidad» (295) y confiando en la ayuda de la gracia.
…
Point
n° 6. En d'autres circonstances plus complexes, et lorsqu'il n'a pas été
possible d'obtenir une déclaration de nullité, l'option évoquée peut ne pas
être mise en œuvre dans les faits. Nonobstant, un chemin de discernement est
également possible. Si on en arrive à reconnaître que, dans un cas concret, il
y a des limitations qui atténuent la responsabilité et la culpabilité (cf
301-302), particulièrement lorsqu'une personne estime qu'elle tomberait dans
une nouvelle faute en faisant du tort aux enfants de la nouvelle union, Amoris laetitia ouvre la possibilité de l'accès
aux sacrements de la Réconciliation et de l'Eucharistie (cf les notes 336 et
351). Ceux-ci à leur tour dispose la personne à continuer de mûrir et de
croître avec la force de la grâce. »
Point
n°9. Il peut être opportun qu'un éventuel accès aux sacrements se réalise de
manière discrète, surtout lorsque l'on prévoit des situations conflictuelles.
Mais en même temps il ne faut pas laisser d'accompagner la communauté pour
qu'elle grandisse dans l'esprit de compréhension et d'accueil, sans que cela implique
de créer des confusions quant à l'enseignement de l'église à propos du mariage
indissoluble. La communauté est un instrument de la miséricorde qui est
“imméritée, inconditionnelle et gratuite”. »
Point
n°10. Le discernement ne se renferme pas parce qu’il est « dynamique et
doit demeurer toujours ouvert à de nouvelles étapes de croissance et à de
nouvelles décisions qui permettront de réaliser l’idéal plus pleinement »
(303) selon la « loi de la gradualité » (295) avec confiance en
l’aide de la grâce.
Cela
revient à affirmer que selon Amoris laetitia il ne faut pas engendrer la
confusion à propos de l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du
mariage, que les divorcés remariés peuvent recevoir les sacrements, et que le
fait de persister dans cet état est compatible avec la réception du secours de
la grâce. Votre Sainteté a écrit une lettre officielle datée du même jour à Mgr
Sergio Alfredo Fenoy de San Miguel, un délégué de la région des évêques de
Buenos Aires en Argentine, affirmant que les évêques de la région de Buenos
Aires avaient donné la seule
interprétation possible d’Amoris laetitia.
Querido hermano:
Recibí el escrito de la Región Pastoral
Buenos Aires «Criterios básicos para la aplicación del capítulo VIII de Amoris
laetítia». Muchas gracias por habérmelo enviado; y los felicito por el
trabajo que se han tomado: un verdadero ejemplo de acompañamiento a los
sacerdotes... y todos sabemos cuánto es necesaria esta cercanía del obíspo con
su clero y del clero con el obispo . El prójimo «más prójimo» del obispo es el
sacerdote, y el mandamiento de amar al prójimo como a sí mismo comienza para
nosotros obispos precisamente con nuestros curas.
El escrito es muy bueno y explícita
cabalmente el sentido del capitulo VIII de Amoris laetitia. No hay otras
interpretaciones.
[Mon
cher frère,
« J'ai
reçu l’écrit de la région pastorale Buenos Aires “critères de base pour
l'application du chapitre 8 d’Amoris laetitia”. Je vous remercie beaucoup de me
l'avoir envoyé, et je vous félicite pour le travail que vous avez
accompli : un véritable exemple d'accompagnement des prêtres… et nous
savons tous combien est nécessaire cette proximité de l'évêque avec son clergé
et du clergé avec l'évêque. Le prochain « le plus prochain » de
l'évêque et le prêtre, et le commandement d'aimer son prochain comme soi-même
commence, pour nous autres évêques, précisément avec nos curés.
« L'écrit
est très bon et il explicite parfaitement le sens du chapitre 8 d’Amoris
laetitia. Il n'y a pas d'autres interprétations.]
— Votre Sainteté a nommé Mgr Vincenzo Paglia
président de l’Académie Pontificale pour la vie et grand chancelier de l’Institut
pontifical Jean-Paul II pour les Etudes sur le mariage et la famille. En tant
que président du Conseil pontifical pour la famille, Mgr Paglia a été
responsable de la publication d’un livre, Famiglia e Chiesa, un legame
indissolubile (Libreria Editrice Vaticana, 2015), qui contient les conférences données lors de
trois séminaires soutenus par ce dicastère sur les thèmes : « Mariage :
foi, sacrement » ; « Famille, amour conjugal et génération » ; et « La famille
blessée et des unions irrégulières : quelle attitude pastorale ». Ce livre et
les séminaires dont il rendait compte avaient pour intention de mettre en avant
des propositions pour le Synode sur la famille et il faisait la promotion de
l’accès à la communion des catholiques divorcés et remariés.
— Des directives pour le diocèse de Rome ont
été publiées sous l’autorité de Votre Sainteté permettant la réception de l’Eucharistie
dans certaines circonstances par des catholiques divorcés et civilement
remariés vivant more uxorio avec leur partenaire civil.
—Votre
Sainteté a nommé Mgr Kevin Farrell au poste de préfet du nouveau dicastère pour
les laïques, la famille et la vie, et elle l'a promu au rang de cardinal. Le
cardinal Farrell a exprimé son soutien à la proposition du cardinal Schönborn
affirmant que les divorcés remariés doivent recevoir la communion. Il a déclaré
que la réception de la communion par les divorcés remariés est un « processus
de discernement et de conscience ».
—
Le 17 janvier 2017, L’Osservatore Romano, le journal officiel du Saint-Siège, a publié
les directives émises par l’archevêque de Malte et l’évêque de Gozo en vue de
la réception de l’Eucharistie par des personnes vivant au sein d’une relation
adultère. Ces directives permettaient la réception sacrilège de l’Eucharistie
par personnes vivant dans cette situation, et déclarait que dans certains cas
il est leur impossible à ces personnes et que cela leur serait même dommageable
de le tenter. Aucune critique de ces directives n’a été faite par L’Osservatore
Romano qui les a présentées comme des exercices légitimes de l’enseignement
épiscopal et de l’autorité épiscopale. Cette publication était un acte officiel
du Saint-Siège qui est restée sans correction de votre part.
Correctio
His
verbis, actis, et omissionibus, et in iis sententiis libri Amoris laetitia
quas supra diximus, Sanctitas Vestra sustentavit recte aut oblique, et in
Ecclesia (quali quantaque intelligentia nescimus nec iudicare audemus)
propositiones has sequentes, cum munere publico tum actu privato, propagavit,
falsas profecto et haereticas:
(1)
“Homo iustificatus iis caret viribus quibus,
Dei gratia adiutus, mandata obiectiva legis divinae impleat; quasi quidvis ex
Dei mandatis sit iustificatis impossibile; seu quasi Dei gratia, cum in homine
iustificationem efficit, non semper et sua natura conversionem efficiat ab omni
peccato gravi; seu quasi non sit sufficiens ut hominem ab omni peccato gravi
convertat.”
(2)
Christifidelis qui, divortium civile a sponsa
legitima consecutus, matrimonium civile (sponsa vivente) cum alia contraxit;
quique cum ea more uxorio vivit; quique cum plena intelligentia naturae actus
sui et voluntatis propriae pleno ad actum consensu eligit in hoc rerum statu
manere: non necessarie mortaliter peccare dicendus est, et gratiam
sanctificantem accipere et in caritate crescere potest.”
(3)
“Christifidelis qui alicuius mandati divini
plenam scientiam possidet et deliberata voluntate in re gravi id violare
eligit, non semper per talem actum graviter peccat.”
(4)
“Homo potest, dum divinae prohibitioni
obtemperat, contra Deum ea ipsa obtemperatione peccare.”
(5)
“Conscientia recte ac vere iudicare potest
actus venereos aliquando probos et honestos esse aut licite rogari posse aut
etiam a Deo mandari, inter eos qui matrimonium civile contraxerunt quamquam
sponsus cum alia in matrimonio sacramentali iam coniunctus est.”
(6)
“Principia moralia et veritas moralis quae in
divina revelatione et in lege naturali continentur non comprehendunt
prohibitiones qualibus genera quaedam actionis absolute vetantur utpote quae
propter obiectum suum semper graviter illicita sint.”
(7)
“Haec est voluntas Domini nostri Iesu Christi,
ut Ecclesia disciplinam suam perantiquam abiciat negandi Eucharistiam et
Absolutionem iis qui, divortium civile consecuti et matrimonium civile
ingressi, contritionem et propositum firmum sese emendandi ab ea in qua vivunt
vitae conditione noluerunt patefacere.”
Ces
propositions contredisent toutes des vérités qui sont divinement révélées et
que les catholiques doivent croire avec l’assentiment de la foi divine. Elles
ont été identifiées en tant qu’hérésies dans la pétition à propos d’Amoris
laetitia qui a été adressée par 45 savants catholiques aux cardinaux et aux
patriarches orientaux de l’Eglise. Il est nécessaire pour le bien des âmes que
leur condamnation soit rappelée par l’autorité de l’Eglise. En faisant la liste
de ces sept propositions nous n’avons pas l’intention de donner une liste
exhaustive des hérésies et erreurs qu'un lecteur sans préjugés, tentant de lire
Amoris laetitia dans son sens naturel et obvie, pourrait de manière
plausible estimer avoir été affirmées, suggérées ou favorisées par ce document
: une lettre signée par 45 universitaires et pasteurs catholiques envoyée à
l’été 2016 à tous les cardinaux de l’Eglise et au patriarches catholiques
orientaux donne la liste de 19
propositions de ce type. Nous cherchons plutôt à donner la liste des
propositions que les paroles, les actions et les omissions de Votre Sainteté,
comme cela a déjà été décrit, ont en effet soutenues et propagées, plaçant les
âmes dans un danger grave et imminent.
En
ces heures critiques, donc, nous nous tournons vers la cathedra veritatis,
l’Eglise romaine, qui par la loi divine a prééminence sur toutes les Eglises,
et dont nous sommes et avons l’intention de rester toujours les enfants loyaux,
et nous insistons respectueusement pour que Votre Sainteté rejette publiquement
ces propositions, accomplissant ainsi le mandat que Notre Seigneur Jésus-Christ
a donné à saint Pierre et à travers lui à tous ses successeurs jusqu’à la fin
du monde : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne
défaille pas ; et toi, lorsque tu seras converti, affermis tes
frères. »
Nous
demandons respectueusement à Votre Sainteté sa bénédiction apostolique, avec l’assurance de notre dévouement filial
en Notre Seigneur et de notre prière pour le bien de l’Eglise.
Signataires
Dr. Gerard J. M. van den Aardweg,
Rédacteur
en chef pour l’Europe, Empirical Journal of Same-Sex Sexual Behavior
M. Robert F. Cassidy STL
Salvatore J. Ciresi, M.A.
Directeur du St. Jerome Biblical Guild, Maître de conférences au Notre Dame
Graduate School, Christendom College
Fr Thomas Crean OP STD
Prof. Matteo D'Amico,
Liceo Classico Rinaldini di Ancona
Petr Dvorak
Chef du Department pour l’Etude de la
pensée ancienne et médiévale à l’Institut de philosophie de l’Académie tchèque
des sciences, Prague ; Professeur de philosophie à la faculté théologique
Saints Cyrille et Méthode de l’université Palacky, Olomouc, République tchèque
Christopher Ferrara Esq.
Président-fondateur de l’American Catholic Lawyers’ Association
Prof. Corrado Gnerre
Professeur à l’Istituto Superiore di Scienze Religiose of Benevento, Université
pontificale théologique de l’Italie méridionale
Dr. Maria Guarini, STB
Pontificia Università Seraphicum, Rome ; rédactrice en chef du site Chiesa
e postconcilio
Fr John Hunwicke
Ancien chargé de recherche principal, Pusey House, Oxford
Prof. Isebaert Lambert
Professeur titulaire à l’université
catholique de Louvain, également à la
Katholieke Universiteit Leuven flamande
Dr John Lamont STL DPhil (Oxon.)
Fr Seraphino Lanzetta STD
Maître de conférences en théologie à la
faculté de théologie de Lugano, Suisse ;
prêtre en charge de St Mary’s, Gosport,
dans le diocèse de Portsmouth
Prof. Massimo de Leonardis
Professeur et directeur du département de science politique à l'université
catholique du Sacré-Cœur à Milan
Msgr. Prof. Antonio Livi
Universitaire du Saint-Siège
, Doyen émérite de l’université pontificale du
Latran, Vice recteur de l’église de Sant'Andrea del Vignola, Rome
Dr. Carlo Manetti
Professeur dans des universités
privées en Italie
Prof. Roberto de Mattei
Ancien professeur d’histoire du christianisme à l’Université européenne de Rome,
ancien vice-président du Conseil national pour la recherche (CNR)
Prof. Stéphane Mercier
Université catholique de Louvain
Don Alfredo Morselli STL
Prêtre de paroisse de l’archidiocèse de Bologne
Dr. Martin Mosebach
Ecrivain et essayiste
Rev. Richard A. Munkelt PhD (Philosophie)
Chapelain et membre de la faculté, The Roman Forum
Prof. Lukas Novak
Faculté des arts et de la philosophie, Charles University, Prague
Abbé Guy Pagès,
Prêtre diocésain, Paris
Prof. Paolo Pasqualucci
Professeur de philosophie (à la retraite), université de Pérouse
Prof. Claudio Pierantoni
Professeur de philosophie médiévale à la faculté de philosophie de l’Université
du Chili
, Ancien professeur d’histoire de l’Eglise et de patrologie à la
faculté de théologie de la Pontificia Universidad Católica du Chili
Father Anthony Pillari, J.C.L., M.C.L
Prof. Enrico Maria Radaelli
Philosopher, curator des œuvres de Romano Amerio
Dr John Rao
Professeur associé d’histoire, St.
John’s University, NYC ; président,
The Roman Forum
Dr. Carlo Regazzoni
Licencié en philosophie à
l’université de Freiburg
Dr. Giuseppe Reguzzoni
Chercheur externe à l’université catholique de Milan et ancien rédacteur en
chef adjoint de la revue internationale catholique Communio (édition
italienne)
Prof. Arkadiusz Robaczewski
Ancien professeur à l’université catholique de Lublin
Fr Settimio M. Sancioni STD
Licencié en science biblique
Prof. Andrea Sandri
Chercheur associé, Université catholique du Sacré-Cœur à Milan
Dr Joseph Shaw
Tuteur en philosophie morale, St
Benet’s Hall, University of Oxford
Fr Paolo M. Siano HED (Historiae Ecclesiasticae Doctor)
Dr. Cristina Siccardi
Historienne de l’Eglise
Dr Anna Silvas
Chargée de recherche adjointe, University of New England, NSW, Australia
Prof. Dr Thomas Stark
Phil.-Theol. Hochschule Benedikt XVI, Heiligenkreuz
Rev. Glen Tattersall
Prêtre de paroisse, paroisse Bx John Henry Newman, archidiocèse de
Melbourne ; Recteur, St Aloysius’ Church
Prof. Piero Vassallo,
Ancien rédacteur de la revue théologique du cardinal Siri, “Renovatio”
Prof. Arnaldo Vidigal Xavier da
Silveira
Ancien professeur à l’Université pontificale de São Paulo (Brésil)
Elucidation
Afin
d’élucider notre Correctio, et
pour établir une défense plus ferme face à la diffusion des erreurs, nous
souhaitons attirer l’attention sur deux sources générales d’erreur qui nous
paraissent favoriser les hérésies dont nous avons donné la liste. Nous parlons
en premier lieu de cette fausse appréhension de la Révélation qui reçoit
généralement le nom de modernisme et en second lieu des enseignements de Martin
Luther.
A.
Le problème du modernisme
Le
sens catholique de la révélation est souvent nié par les théologiens
contemporains, et cette négation a eu pour résultat une confusion très répandue
parmi les catholiques quant à la nature de la révélation divine et de la foi.
Afin de prévenir tout malentendu pouvant résulter de cette confusion, et pour
justifier notre assertion par rapport à la propagation actuelle d’hérésie au
sein de l’Eglise, nous allons décrire l’appréhension catholique de la
révélation et de la foi, qui est tenue pour acquise dans ce document.
Cette
description est également nécessaire en vue de répondre aux passages dans Amoris
laetitia où il est affirmé que les enseignements du Christ et du magistère
de l’Eglise doivent être suivis. Parmi ces passages se trouvent ceux-ci :
« Bien entendu, dans l’Eglise une unité de doctrine et de praxis est
nécessaire » (AL 3). « Fidèles
à l’enseignement du Christ, nous regardons la réalité de la famille aujourd’hui
dans toute sa complexité » (AL 32).
« En ce sens, l’Encyclique Humanae vitae et l’Exhortation
Apostolique Familiaris consortio doivent être redécouvertes »
(AL 222). « Les paroles du Maître (cf. Mt 22, 30) et
celles de saint Paul (cf. 1 Cor 7, 29-31) sur le mariage sont
insérées – et ce n’est pas un hasard – dans l’ultime et définitive
dimension de notre existence, que nous avons besoin de revaloriser. »
(AL 325). Ces passages pourraient être
pris comme assurance de ce que rien dans Amoris laetitia ne sert à
propager des erreurs contraires à l’enseignement catholique. Une description de
la nature véritable de l’adhésion à l’enseignement catholique va clarifier
notre assertion selon laquelle Amoris laetitia sert bien à propager de
telles erreurs.
Nous
demandons donc à Votre Sainteté de nous permettre de rappeler les vérités
suivantes, enseignées par les Saintes Ecritures, la Sainte Tradition, le
consensus universel des Pères, et le magistère de l’Eglise, et qui résument
l’enseignement sur la foi, la révélation divine, l’enseignement magistériel
infaillible et l’hérésie :
1.
Les Evangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean,
dont l’Eglise affirme sans hésiter le caractère historique, transmettent
fidèlement ce que Jésus-Christ, alors qu'Il vivait parmi les hommes, a
réellement fait et enseigné pour leur salut éternel jusqu'au jour où Il a été
élevé au Ciel.
2.
Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme. Par
conséquent, tous ces enseignements sont les enseignements de Dieu Lui-même.
3.
Toutes les propositions qui sont contenues
dans la Foi catholique sont des vérités communiquées par Dieu.
4.
En croyant ces vérités avec un assentiment
qui est un acte de la vertu théologale de foi, nous croyons le témoignage d’un
locuteur. L'acte de foi divine est une forme particulière de l’activité
intellectuelle générale de croyance en une proposition au motif qu'un locuteur
l’affirme, et parce que le locuteur est tenu pour être honnête et bien informé
par rapport à l’assertion qu'il fait. Dans un acte de foi divine, Dieu est cru
lorsqu’Il dit quelque chose et Il est cru parce qu’Il est Dieu et qu’il a donc
bonne connaissance et qu'il est véridique.
5.
Croire au témoignage divin diffère de la croyance aux témoignages
d’êtres humains qui ne sont pas divins,
parce que Dieu est omniscient et parfaitement bon. Par conséquent, Il ne peut
ni mentir ni être trompé. Il est donc impossible que le témoignage divin soit
erroné. Parce que les vérités de la foi catholique sont communiquées par Dieu,
l'assentiment de la foi qui leur est donné est le plus certain. Un croyant
catholique ne peut avoir des raisons rationnelles pour douter de n’importe
laquelle de ces vérités ou ne pas y croire.
6.
La raison humaine peut de soi établir la
véracité de la foi sur le fondement de preuves publiquement disponibles de
l’origine divine de l'Eglise catholique, mais un tel raisonnement ne peut
produire un acte de foi. La vertu théologale de foi et l’acte de foi ne peuvent
être produites que par la grâce divine. Une personne qui a cette vertu mais
qui choisit alors librement et en
connaissance de cause de ne pas croire à une vérité de la foi catholique pèche
mortellement et perd la vie éternelle.
7.
La vérité d’une proposition consiste en ce
qu’elle dit de ce qui est, que cela est ; exprimé de manière scolastique, cela
consiste en l’adequatio rei et intellectus. Toute vérité est en tant que
telle vraie quels que soient la personne, le moment ou les circonstances où on
la considère. Aucune vérité ne peut contredire quelque autre vérité.
8.
La foi catholique n’épuise pas toute la
vérité sur Dieu, parce que seul l’intellect divin peut pleinement comprendre
l’Être divin. Néanmoins chaque vérité de la foi catholique est entièrement et
complètement vraie, en ce que les aspects de la réalité qu’une telle vérité
décrit sont exactement tels que ces vérités les présentent. Il n’y a pas de
différence entre le contenu des enseignements de la Foi et la manière dont les
choses sont.
9.
La parole divine qui communique les vérités
de la foi catholique est exprimée en langues humaines. Le texte inspiré hébreu
et grec des Saintes écritures est lui-même proféré par Dieu dans toutes ses
parties. Il ne s’agit pas d’un compte-rendu purement humain ni d’une interprétation
de la révélation divine, et aucune partie de sa signification n’est due
exclusivement à des causes humaines. En croyant l’enseignement des Saintes Ecritures
nous croyons Dieu directement. Nous ne croyons pas les affirmations faites par
Dieu sur la base de la croyance au témoignage de quelque autre personne ou
personnes non divines.
10. Lorsque l’Eglise
catholique enseigne infailliblement qu’une proposition est une partie
divinement révélée de la foi catholique et doit être crue avec l’assentiment de
la foi, les catholiques qui adhèrent à cet enseignement croient ce que Dieu a
communiqué, et ils le croient du fait qu’Il l'a dit.
11. Les langues
dans lesquelles la divine révélation est exprimée, et les cultures et les histoires
qui ont façonné ces langues, ne restreignent pas, ne déforment pas ni n’ajoutent
à la révélation divine exprimée par leur truchement. Aucune partie ni aspect
des Saintes Ecritures ou de l’enseignement infaillible de l’Eglise concernant
le contenu de la révélation divine n’est produit seulement par les langues et
les conditions historiques dans lesquels ils sont exprimés, et non par l’action
de Dieu dans la communication des vérités. Par conséquent, aucune partie du contenu
de l'enseignement de l’Eglise ne peut être révisée ou rejetée sur le fondement
de sa production par des circonstances historiques plutôt que par révélation
divine.
12. L’enseignement
magistériel de l’Eglise après la mort du dernier apôtre doit être compris et
cru comme un seul tout. Il n'est pas partagé
entre un magistère du passé et un magistère contemporain ou vivant, qui
pourrait ignorer l’enseignement magistériel antérieur ou le revoir à volonté.
13. Le Pape, qui
possède l’autorité suprême dans l’Eglise, n’est pas lui-même soustrait à la
soumission à l’autorité de l’Eglise, en accord avec la loi divine et la loi
ecclésiastique. Il est tenu d’accepter et de maintenir l’enseignement définitif
de ses prédécesseurs dans l’office papal.
14. Une
proposition hérétique est une proposition qui contredit une vérité divinement
révélée incluse dans la foi catholique.
15. Le péché
d'hérésie est commis par une personne qui possède la vertu théologale de foi, mais qui choisit alors
librement et en toute connaissance de cause de ne pas croire ou de douter d’une
vérité de la foi catholique. Une telle personne pèche mortellement et perd la
vie éternelle. Le jugement de l’Eglise par rapport au péché personnel d’hérésie
est exercé uniquement par un prêtre dans le sacrement de pénitence.
16. Le crime
canonique d’hérésie est commis lorsqu’un catholique a) doute publiquement d’une
ou plusieurs vérités de la foi catholique, ou refuse publiquement de donner son assentiment à une ou plusieurs
vérités de la foi catholique, sans douter de toutes ces vérités ni en les niant
toutes, ni en niant l’existence même de la révélation chrétienne, et b) persiste
dans cet négation. La persistance consiste en ce que la personne en question
continue de douter, ou de nier publiquement une ou plusieurs vérités de la foi
catholique après avoir été avertie par
l’autorité ecclésiastique compétente que son doute ou sa négation constitue un
rejet d’une vérité de la foi, et qu'il
est tenu de renoncer à ce doute ou à cette négation, et que la vérité en
question doit être publiquement affirmée comme étant divinement révélée par la
personne qui reçoit cet avertissement.
Les
descriptions, ci-dessus, du péché personnel d’hérésie et du crime canonique
d’hérésie sont données seulement afin de pouvoir les exclure du sujet de notre
protestation. Nous nous soucions seulement des propositions hérétiques propagées par les paroles, les actions et les
omissions de Votre Sainteté. Nous n’avons ni la compétence pour, ni l’intention
de nous occuper de la question canonique de l’hérésie.
B.
L’influence de Martin Luther
En
second lieu, nous nous sentons obligés en conscience de mettre en évidence la sympathie sans précédent de Votre Sainteté
à l’égard de Martin Luther, et l’affinité entre les idées de Luther sur la loi,
la justification et le mariage, et ce qu'enseigne ou favorise Votre Sainteté
dans Amoris laetitia et ailleurs. Cela est nécessaire afin que notre
protestation contre les sept propositions hérétiques dont la liste est donnée
dans ce document puisse être complète ; nous souhaitons montrer, fût-ce de
manière sommaire, que ce ne sont pas des erreurs sans relation entre elles,
mais plutôt, qu’elles constituent une
partie d’un système hérétique. Les catholiques doivent être mis en garde non seulement contre ces sept
erreurs, mais également contre ce système hérétique en tant que tel, la moindre raison n’étant pas les éloges de Votre
Sainteté à l’égard de la personne qui en a été à l’origine.
Ainsi,
lors d’une conférence de presse le 26 juin, 2016, Votre Sainteté a
déclaré :
« Je
crois que les intentions de Martin Luther n’étaient pas erronées : c’était un
réformateur. Peut-être certaines méthodes n’étaient-elles pas justes, mais à
l’époque, si nous lisons l’histoire du Pasteur, par exemple, un allemand
luthérien qui s’est converti ensuite quand il a vu la réalité de ce temps, et
est devenu catholique – nous voyons que l’Eglise n’était pas forcément un
modèle à imiter : il y avait de la corruption dans l’Eglise, il y avait de la
mondanité, il y avait de l’attachement à l’argent et au pouvoir. Et pour cela,
il a protesté. Ensuite, il était intelligent, et il a fait un pas en avant en
expliquant pourquoi il faisait cela. Et aujourd’hui, luthériens et catholiques,
avec tous les protestants, nous sommes d’accord sur la doctrine de la
justification : sur ce point si important, lui ne s’était pas trompé. »
Dans
une homélie donnée en la cathédrale luthérienne de Lund en Suède, le 31 octobre
2016, Votre Sainteté a déclaré :
« Catholiques
et Luthériens, nous avons commencé à marcher ensemble sur un chemin de
réconciliation. A présent, dans le contexte de la commémoration commune de la
Réforme de 1517, nous avons une opportunité nouvelle pour prendre un chemin
commun, qui durant les cinq dernières années a progressivement pris forme dans
le dialogue œcuménique entre la Fédération Luthérienne Mondiale et l’Église
catholique. Nous ne pouvons pas nous résigner à la division et à l’éloignement
que la séparation a provoqués entre nous. Nous avons l’occasion de réparer un
moment crucial de notre histoire, en surmontant les controverses et les
malentendus qui souvent nous ont empêchés de nous comprendre les uns les
autres.
« Jésus
nous dit que le Père est le vigneron (cf. v. 1), qu’il prend
soin du sarment et le taille pour qu’il porte plus de fruit (cf. v. 2). Le Père
se soucie constamment de notre relation avec Jésus, pour voir si nous sommes
vraiment unis à lui (cf. v. 4). Il nous regarde, et son regard d’amour nous
encourage à purifier notre passé et à travailler dans le présent pour faire de
cet avenir d’unité que nous désirons une réalité.
« Nous
aussi, nous devons regarder avec amour et honnêteté notre passé et reconnaître
notre faute et demander pardon, Dieu seul est juge. On doit reconnaître avec la
même honnêteté et le même amour que notre division s’éloignait de l’intuition
originelle du peuple de Dieu, qui désire être uni, et que notre division a été
historiquement perpétuée plus par des hommes de pouvoir de ce monde que par la
volonté du peuple fidèle, qui toujours et en tout lieu a besoin d’être guidé
avec assurance et tendresse par son Bon Pasteur. Toutefois, il y avait une volonté
sincère des deux côtés de professer et de défendre la vraie foi, mais aussi
nous sommes conscients que nous avons enfermé en nous-mêmes, par crainte et à
cause de préjugés, la foi que les autres professent avec un accent et un
langage différents. (…)
« L’expérience
spirituelle de Martin Luther nous interpelle et nous rappelle que nous ne
pouvons rien faire sans Dieu : “Comment puis-je avoir un Dieu
miséricordieux ?” C’est la question qui hantait constamment Luther. En
effet, la question de la relation juste avec Dieu est la question décisive de
la vie. Comme on le sait, Luther a trouvé ce Dieu miséricordieux dans la Bonne
Nouvelle de Jésus-Christ incarné, mort et ressuscité. Par le concept “uniquement
par la grâce divine”, on nous rappelle que c’est toujours Dieu qui prend
l’initiative et qu’il précède toute réponse humaine, en même temps qu’il
cherche à susciter cette réponse. La doctrine de la justification, par
conséquent, exprime l’essence de l’existence humaine face à Dieu. »
Outre
avoir déclaré que Martin Luther avait raison à propos de la justification,
et en lien étroit avec ce point de vue, Votre
Sainteté a déclaré plus d’une fois que nos péchés sont le lieu où nous
rencontrons le Christ (confer vos homélies du 4 septembre et du 18 septembre
2014), en justifiant ce point de vue à partir de saint Paul qui en réalité se glorifie de ses propres «
infirmités » (“astheneìais”, cf. 2 Cor. 12:5, 9) et non de ses péchés,
de telle sorte que la puissance du Christ puisse résider en lui. Dans un
discours adressé aux membres de Communion
et Libération le 7 mars 2015, Votre Sainteté a déclaré :
« Le
lieu privilégié de la rencontre est la caresse de la miséricorde de Jésus
Christ envers mon péché. Et pour cela, en certaines occasions, vous m’avez
entendu dire que l’endroit, le lieu privilégié de la rencontre avec Jésus
Christ est mon péché. »
En
outre, s’ajoutant à d’autres propositions d’Amoris laetitia dont la
liste a été envoyée par lettre à tous les cardinaux et patriarches catholiques
orientaux, et qui y ont été qualifiées d’hérétiques, erronées ou ambiguës, nous
lisons également ceci :
« Cependant,
il ne faut pas confondre des plans différents : il ne faut pas faire peser
sur deux personnes ayant leurs limites la terrible charge d’avoir à reproduire
de manière parfaite l’union qui existe entre le Christ et son Eglise ;
parce que le mariage, en tant que signe, implique “un processus dynamique qui
va peu à peu de l'avant grâce à l'intégration progressive des dons de
Dieu” » (AL 122).
Bien
qu’il soit vrai que le signe sacramentel du mariage entraîne un processus
dynamique vers la sainteté, il est hors de doute que par le signe sacramentel,
l’union du Christ avec son Eglise est parfaitement reproduite par la grâce dans
le couple marié. Ce n’est pas une question d’imposer une charge immense sur
deux personnes limitées, mais plutôt de reconnaître le travail du sacrement et
de la grâce (res et sacramentum).
De
manière surprenante, nous constatons ici, de même que dans plusieurs autres
parties de cette exhortation apostolique, un lien étroit avec le dénigrement du mariage par Luther. Aux yeux
du révolutionnaire allemand, la conception catholique d’un sacrement comme
étant efficace ex opere operato, d’une manière soi-disant « mécanique »,
est inacceptable. Bien qu’il maintienne la distinction entre signum et res,
à partir de 1520, avec La Captivité babylonienne de l’Eglise, il ne
l'applique plus au mariage. Luther nie que le mariage ait un quelconque lien
avec la sacramentalité, étant entendu que nous ne lisons nulle part dans la
Bible que l'homme qui épouse une femme reçoit une grâce de Dieu, et que nous ne
lisons nulle part que le mariage a été institué par Dieu pour être le signe de
quoi que ce soit. Il soutenait que le mariage est un simple symbole, ajoutant
que, alors qu'il peut représenter l’union du Christ avec l’Eglise, de telles
figures et allégories ne sont pas des sacrements au sens où nous employons ce
terme (cf. Œuvres de Luther, {Luther’s Works, LW} 36:92).
Pour cette raison, le mariage – dont le but fondamental est la conception des
enfants et leur éducation selon les voies de Dieu (cf. LW 44:11-12) – selon Luther appartient à
l’ordre de la création et non à celui du salut (cf. LW 45:18) ; il n’a été
donné que dans le but d’éteindre le feu
de la concupiscence, et comme rempart contre le péché (cf. LW 3, Gen. 16:4).
En
outre, partant de sa vision personnelle de la manière dont la nature humaine
est corrompue par le péché, Luther est conscient que l'homme n’a pas toujours
le souci de respecter la loi de Dieu. Par conséquent, il est convaincu qu'il
y’a une double manière pour Dieu de
régner sur l’humanité, à quoi correspond une vision morale double à propos du
mariage et du divorce. Ainsi, le divorce est généralement accepté par Luther
dans le cas d’adultère, mais seulement pour des personnes non spirituelles.
Son
raisonnement soutient qu'il existe deux formes de gouvernement divin dans ce
monde : la spirituelle et la temporelle. Par son gouvernement spirituel, le
Saint Esprit conduit les chrétiens et les personnes droites sous l’Evangile du
Christ ; par son gouvernement temporel, Dieu retient les non chrétiens et les
méchants de manière à conserver une paix extérieure (cf. LW 45:91). Les lois
qui régulent la vie morale sont également au nombre de deux : l’une est
spirituelle, pour ceux qui vivent sous l’influence du Saint Esprit, et l’autre
est temporelle ou mondaine, pour ceux qui ne peuvent pas respecter la loi
spirituelle (cf. LW 45:88-93). Cette
double vision morale est appliquée par Luther à l’adultère par référence à
Mt 5:32 : ainsi, les chrétiens ne
doivent pas divorcer même en cas d’adultère (c’est la loi spirituelle) ; mais
le divorce existe et a été accordé par Moïse à cause du péché (la loi du monde).
La permission de divorcer est ainsi considérée comme une limite imposée par
Dieu sur les gens charnels en vue de limiter leur inconduite et pour les
empêcher d’agir de manière pire encore en raison de leur malice (cf. LW 45:31).
Comment
pourrions-nous ne pas voir ici une similitude proche avec ce qui a été suggéré
par Votre Sainteté dans Amoris laetitia ? D’une part, le mariage est
supposément sauvegardé en tant que sacrement, tandis que de l’autre, le divorce
et le remariage sont considérés de
manière « miséricordieuse » comme un statu quo qui doit – fût-ce
seulement de manière « pastorale » – être intégré dans la vie de l’Eglise,
en contradiction ouverte avec la parole de Notre Seigneur. Luther a été conduit
à accepter le remariage parce qu’il identifiait la concupiscence avec le péché
; puisque pour lui le mariage était le remède à la concupiscence. En réalité,
la concupiscence n’est pas en tant que
telle peccamineuse, de même que le remariage alors qu’on a un conjoint vivant
n’est pas un status, mais une privation de vérité.
Cependant,
la contradiction de Luther avec lui-même, engendrée par sa vision double du
mariage – vu en soi comme une chose appartenant en propre à la Loi et non à
l’Evangile – est alors supposément surmontée par la préséance de la foi :
une « confiance cordiale » en vue d’adhérer de manière subjective à Dieu. Il
soutient que la foi justifie l’homme pour autant que la justice punitive se replie
en la miséricorde et qu’elle se
transforme de manière permanente en amour qui pardonne. Cela est rendu possible
par le biais d’un « joyeux marchandage » (fröhlicher Wechseln) par
lequel le pécheur peut dire au Christ : « Vous êtes ma justice comme je
suis votre péché » (LW 48:12 ; cf. aussi 31:351; 25:188). Par cet «
heureux échange », le Christ devient le seul pécheur et nous sommes justifiés à
travers l'acceptation de la Parole dans la foi.
Lors
de son pèlerinage à Fatima au commencement de ce centenaire providentiel, Votre
Sainteté a fait une claire allusion à cette vision luthérienne de la foi et de
la justification, en déclarant le 12 mai 2017 :
« On
commet une grande injustice contre Dieu et contre sa grâce quand on affirme en
premier lieu que les pécheurs sont punis par son jugement sans assurer
auparavant – comme le montre l’Evangile – qu’ils sont pardonnés par sa
miséricorde ! Nous devons faire passer la miséricorde avant le jugement
et, de toute façon, le jugement de Dieu sera toujours fait à la lumière de sa
miséricorde. Evidemment la miséricorde de Dieu ne nie pas la justice, parce que
Jésus a pris sur lui les conséquences de notre péché avec le châtiment mérité.
Il n’a pas nié le péché mais il a payé pour nous sur la Croix. Et ainsi, dans
la foi qui nous unit à la Croix du Christ, nous sommes libérés de nos
péchés ; mettons de côté toute forme de peur et de crainte, parce que cela
ne convient pas à celui qui est aimé (cf. 1 Jn 4, 18). »
L’Evangile
n’enseigne pas que tous les péchés
seront de fait pardonnés, ni que le Christ seul a fait l’expérience du «
jugement » ou de la justice de Dieu, ne laissant que miséricorde pour le reste
de l’humanité. S’il est vrai qu’il
existe une « souffrance par procuration » de Notre Seigneur afin
d’expier nos péchés, il n’y a pas de « punition par procuration », car le
Christ a été fait « péché pour nous »
(cf. 2 Cor. 5:21), et non pécheur. Par amour divin, et non
en tant qu’objet de la colère de Dieu, le Christ a offert le sacrifice suprême
du salut pour nous réconcilier avec Dieu, ne prenant sur lui que les
conséquences de nos péchés (cf. Gal. 3:13). Ainsi, afin que nous puissions être
justifiés et sauvés, il ne suffit pas d’avoir la foi selon laquelle nos péchés
ont été enlevés par une supposée punition par procuration ; notre justification
se trouve dans une conformation à notre Sauveur obtenue par la foi qui œuvre à
travers la charité (cf. Gal. 5:6).
Très
Saint-Père, que Votre Sainteté nous permette également d’exprimer notre
étonnement et notre douleur devant deux événements qui se sont produits au cœur
de l’Eglise, qui suggère de la même manière la faveur dont jouit l’hérésiarque
allemand sous votre pontificat. Le 15 janvier 2016, un groupe de luthériens
finlandais ont reçu la sainte communion au cours de la célébration d’une sainte
messe qui a eu lieu en la basilique Saint-Pierre. Le 13 octobre 2016, Votre
Sainteté a présidé une rencontre de catholiques et de luthériens au Vatican,
s’adressant à eux depuis une plate-forme ou une statue de Martin Luther avait
été érigée.
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