12 avril, 2016
La Bussola Quotidiana publiait dimanche une
« apologie du feu rouge ». Une joli fable – je ne résiste pas au
plaisir de vous la proposer en français. – J.S.
Hier matin je suis sorti de bonne
heure pour un rendez-vous. J'étais en retard, j’étais pressé et comme
d’habitude le feu de signalisation à côté de la maison était rouge. Je le
connais bien, ce feu, j'y passe toujours : il est inutile parce qu'au
croisement la visibilité est parfaite de tous les côtés et il n'y a guère de
trafic. Aussi comme d'autres samedis matins quand il n'y a pas beaucoup de
circulation, je regarde bien de tous côtés, je m'avance lentement dans le croisement
en passant la bande stop, et, en regardant bien pour voir si personne n’arrive,
je passe rapidement. Malheureusement, hier matin, cent mètres après le feu de
croisement, une patrouille de la police était embusquée. Signal rouge. On demande
mes papiers ; et en l'espace de quelques secondes, amende et retrait.
Alors j'essaie de faire raisonner
le flic que j'ai devant moi : c'est vrai, dis-je, je suis passé au rouge, c'est
une infraction grave ; mais je connais bien ce feu, j'ai regardé très
attentivement avant de traverser, parce que j’étais pressé, parce que ce
rendez-vous était très important pour moi et que je ne pouvais arriver en
retard. « Mais vous avez violé une loi, en sachant que vous le faisiez et en
voulant le faire – me répond le flic – vos motifs ne m'intéressent pas : voilà
le fait objectif et voilà où nous en resterons. » « C'est vrai, mais vous
pouvez pas me juger de la même façon qu'un autre qui arrive à 100 à l'heure
sans même s'arrêter », répliqué-je. Devoir payer la même amende et avoir le
même nombre de points retirés : ce n'est pas juste, les cas sont bien
différents.
Le flic me regarde attentivement,
je pense lui avoir cloué le bec avec ma logique. Il réfléchit un peu, puis il
répond : « Cher Monsieur, je mets une amende non parce que je juge vos
intentions ou la manière dont vous avez traversé le croisement, mais simplement
parce que vous l'avez fait. Voyez, je suis sur la chaussée depuis de longues années
et je sais très bien quelles sont les motifs pour lesquels se commettent ces
infractions, ils sont innombrables et ils sont parfois atténuants ou
aggravants, mais essayez d'imaginer ce qui arriverait si nous acceptions que
dans certains cas on puisse passer au rouge (et qui en déciderait ?) : ce
serait le chaos, il deviendrait impossible de faire évoluer le trafic de
manière ordonnée et ce serait un encouragement à ceux qui veulent transgresser
la loi en mettant en péril la sécurité de tous. »
Là c'est moi qui accuse le coup,
mais soudain me vient une illumination. La chance veut que j'aie lu, deux jours
auparavant, l'Exhortation apostolique Amoris
laetitia, et surtout les commentaires des théologiens de grand renom – j'ai
tout sur moi. Je m'en saisis et je le montre au flic : « Voyez, votre théorie
est abstraite et idéologique parce qu'elle ne considère que la norme objective –
que je ne discute pas – mais elle ne tient pas compte des personnes singulières
qui passent au rouge : des préoccupations et des angoisses qui les poussent à
commettre l'infraction, de la prudence avec laquelle ils agissent en cherchant à
ne faire de tort à personne, et du fait qu’étant données les conditions dans
lesquelles ils se trouvent c'est le mieux qu'ils puissent faire, même si
l'idéal serait d'attendre que le feu passe au vert. »
Je le vois vaciller un peu, alors je
frappe plus fort : « Une chose est de reconnaître qu'il y a eu une infraction
objective, autre est ma responsabilité personnelle. Pour être sincère, je crois
que vous ne devriez pas me sanctionner, mais vous devriez apprécier la manière
dont je suis passé au rouge. Et la loi qui oblige à attendre le vert ne serait
pas remise en question à cause de cela. Regardez ici – et je lui mets sous les yeux le journal – ce n'est pas moi
qui le dis, ce sont la fleur des experts : le père Spadaro dans la Civilta Cattolica, le prieur de Bose
Enzo Bianchi, Famiglia Cristiana, Avvenire… Ce sont eux qui le disent,
mais c'est évident : le trafic ne s'améliorera certainement pas en continuant à
infliger des amendes à tous ceux qui passent au rouge… »
Je pense l'avoir renvoyé dans ses
cordes, mais il faut croire que j'ai mal interprété son expression. Résultat :
amende, retrait de points, et aussi une plainte pour outrage à un membre des
forces de l'ordre. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi, mais il était
absolument convaincu que je voulais le prendre pour un imbécile.
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3 commentaires:
C'est très drôle, mais est-ce vraiment cela qu'a voulu dire François ? Je n'en suis pas certain.
Quoique je me pose la question...
Voici pourquoi. Par exemple cet extrait:
"Ce jugement, ce sont en dernier ressort les époux eux-mêmes qui doivent l’arrêter devant Dieu ».[249] D’autre part, « le recours aux méthodes fondées sur les ‘‘rythmes naturels de fécondité’’ (Humanae vitae, n. 11) devra être encouragé. On mettra en lumière que ‘‘ces méthodes respectent le corps des époux, encouragent la tendresse entre eux et favorisent l’éducation d’une liberté authentique’’ (Catéchisme de l’Église catholique, n. 2370). Il faut toujours mettre en évidence le fait que les enfants sont un don merveilleux de Dieu, une joie pour les parents et pour l’Église. À travers eux, le Seigneur renouvelle le monde »."
Voilà la fin du paragraphe 222, Le devoir des époux à l'égard du renouvellement des générations, de la société et de l'Église ? Il est exprimé, mais noyé. Et puis si le recours aux méthodes naturelles doit être encouragé, le jugement des époux sera-t-il libre ? On peut comprendre que l'utilisation des méthodes naturelles est parfois obligatoire. Mais de quel droit le pape s'immisce-t-il dans les jugements de conscience des époux ? L'ambiguïté toujours. Les jésuites se complaisent dans l'ambiguïté, les phrases à double sens etc.
Aujourd'hui les pays anciennement catholiques sont parmi les plus atteints par la dénatalité. Ce n'est pas un hasard. Humanæ vitæ dont on fait grand cas dans les cercles pro-vie est bien ambigüe lui aussi: il commence par affirmer le principe pour le noyer dans les exceptions, les réserves, les restrictions, les constats prétendument "scientifiques" sur la démographie, les ressources terrestres... Ce sont des encouragements implicites, larvés au mal, y compris l'avortement.
C'est quand même merveilleux de comparer le mariage à un feu rouge et l'Eglise à un flic...
Cette parabole n'est pas convaincante parce que le concept de loi recouvre plusieurs notions. Une loi morale n'a pas forcément le caractère nécessaire d'une loi scientifique, d'où l'importance en théologie morale de l'epikie, notion bien ancienne...
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