20 décembre, 2015
Les déclarations du pape François
sur les dangers du « réchauffement climatique » ont la même autorité
magistérielle que l’enseignement de l’Eglise catholique sur le caractère
peccamineux de l’avortement, vient de déclarer un évêque de la Curie,
Mgr Marcelo Sánchez Sorondo. Une déclaration proprement ahurissante à plus
d’un titre, et en premier lieu parce que Mgr Sorondo est un proche du pape
François, chancelier à la fois de l’Académie pontificale des sciences et de
l’Académie pontificale des sciences sociales. A ce titre, il a été en première
ligne lors de la présentation de l’encyclique Laudato si’ qu’il évoquait en faisant sa déclaration sur le
« magistère ».
Mgr Sorondo s’exprimait en ces
termes lors d’un colloque de l’Acton Institute « pour l’étude de la
religion et de la liberté » à Rome le 3 décembre dernier à l’université de
la Sainte-Croix, sur le thème : « En dialogue avec Laudato si’ : les marchés libres
peuvent-ils nous aider à prendre soin de notre Maison commune ? »
Précisons d’abord que le prélat
parlait en son nom propre, et qu’il n’engage nullement le pape.
Mais ajoutons aussi qu’il ne
semble pas que Mgr Sorondo ait été publiquement rappelé à l’ordre pour cette
divagation publique.
Les déclarations de Mgr Sorondo
ont suscité de vives réactions parmi les intervenants et les quelque 200
participants au colloque dès lors qu’il a dit : « Pour la premier fois dans le magistère, (le pape François) a
dénoncé les causes scientifiquement identifiables de ce mal, en affirmant que
“de nombreuses études scientifiques signalent que la plus grande partie du
réchauffement global des dernières décennies est due à la grande concentration
de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène et
autres) émis surtout à cause de l'activité humaine.” »
Il devait préciser un peu plus
tard : « Foi et raison, la
connaissance philosophique et la connaissance scientifique sont réunies pour la
première fois dans le magistère pontifical dans Laudato si’. »
Aussitôt, le président-fondateur de
l’Acton Institute, le P. Robert Sirico, a rétorqué qu’il est « important
de souligner la distinction entre la dimension théologique de Laudato si’ et ses assertions
empiriques, scientifiques et économiques. (…) L’Eglise ne prétend pas parler
avec la même autorité en matière d’économie et de sciences (…) que lorsqu’elle
se prononce en matière de foi et de morale. »
Le P. Sirico a rappelé, citant le
Compendium de la doctrine sociale catholique : « Le Christ n’a pas
laissé à l’Eglise une mission dans l’ordre politique, économique ou
social ; le but qu’il lui a assigné est religieux… Cela signifie que
l’Eglise n’intervient pas dans les questions techniques avec sa doctrine
sociale, pas plus qu’elle ne propose ni n’établit des systèmes ou des modèles
d’organisation sociale. Cela ne fait pas partie de la mission qui lui a été
confiée par le Christ. »
Cela fait partie, en fin de
compte, de la distinction entre le spirituel et le temporel. Cela ne veut pas
dire qu’un prêtre ou un religieux, ou l’Eglise ne saurait s’intéresser aux
sciences naturelles, mais dans ces domaines elle n’a pas une autorité
différente de celle des scientifiques laïques. Domaine de l’hypothèse, de
l’expérimentation et de la vérification, les sciences sont ouvertes à la
contestation et l’histoire est truffée de cas où ce qui faisait
« consensus » à telle époque se révèle totalement erroné à la
suivante, à mesure que la connaissance du monde sensible progresse.
Ce qu’enseigne l’Eglise en matière
de foi et de morale, en revanche, protégé par l’infaillibilité pontificale, est
incontestable, s’impose à chaque catholique et ne saurait varier.
Interrogé sur le poids des
opinions du pape sur le réchauffement climatique exprimée dans Laudato si’, Mgr Sorondo a distingué
entre les déclarations infaillibles, et celles relevant de son « magistère
ordinaire » qui ne requièrent pas l’adhésion inconditionnelle des fidèles,
même si ceux-ci doivent s’y soumettre selon un « assentiment religieux de
la volonté et de l’esprit ».
L’assimilation entre
l’enseignement du pape François sur le réchauffement et celui sur le caractère
peccamineux de l’avortement pose pourtant la question. Le pape
Jean-Paul II s’était exprimé en ces termes dans Evangelium vitæ : « C’est
pourquoi, avec l'autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses successeurs,
en communion avec les Evêques – qui ont condamné l'avortement à différentes
reprises et qui, en réponse à la consultation précédemment mentionnée, même
dispersés dans le monde, ont exprimé unanimement leur accord avec cette doctrine
–, je déclare que l'avortement
direct, c'est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un
désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d'un être humain
innocent. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu
écrite ; elle est transmise par la Tradition de l'Eglise et enseignée par le
Magistère ordinaire et universel. »
Bien des commentateurs ont
souligné le caractère particulièrement solennel de cette condamnation qui
s’appuie explicitement sur l’autorité apostolique pour porter un jugement moral
sur l’avortement.
Il va de soi que rien dans ce qui
est dit dans Laudato si’ du
réchauffement climatique ne présente une telle solennité – au contraire :
le pape François rappelle que l’Eglise se doit généralement en matière
scientifique de respecter la « diversité des opinions ». Mettre les
deux types d’enseignement sur le même plan est déjà un abus du sens des mots.
Dans la discussion qui a suivi,
Mgr Sorondo n’a pas hésité à renforcer encore sa comparaison entre gravité de
l’avortement et celle du « réchauffement » : « Ce jugement
doit être considéré comme faisant partie du magistère : ce n’est pas une
opinion. » « C’est selon le magistère ordinaire que l’avortement est
un péché grave – il s’agit du magistère ordinaire parce que cela ne
résulte pas de la révélation. » Il y a une présomption de « doctrine
morale » selon laquelle, même si l’opinion majoritaire va dans le sens
contraire, « l’avortement est
un péché grave » et que cela relève magistère.
Le journaliste Riccardo Cascioli
s’est publiquement rebellé, rappelant que les catholiques n’ont pas à se
soumettre à des affirmations qui relèvent de « théories
scientifiques » plutôt qu’a celles disant « la foi et la
morale ».
Réponse de Sorondo :
« Lorsque le pape a pris cela à son compte, il s’agit du magistère de
l’Eglise que cela vous plaise ou non – c’est le magistère de l’Eglise tout
comme l’avortement est un péché grave – égal (c’est la même chose)… C’est le
magistère de l’Eglise… Que cela vous plaise ou non. »
Cascioli a alors souligné que les
catholiques devaient pouvoir suivre leur conscience à propos de question
scientifiques théoriques, pour s’attirer cette réponse de Sorondo :
« Si vous étiez scientifique et que vous aviez une différence sérieuse
d’opinion », alors oui, « mais puisque vous êtes journaliste il vaut
mieux que vous suiviez l’opinion du pape » ! Et de souligner qu’il
est lui-même « au sein de l’Académie des sciences du pape ».
C’est le grand retour de
l’argument d’autorité dans le domaine où il a le moins de poids, celui des
sciences…
Et s’il est vrai que la foi et la
raison sont étroitement liées, et que l’une ne se détache pas de l’autre sans
dommage, nous en arrivons ici au point où la théorie scientifique est confondue
avec la vérité de foi. Foi et raison n’ont-elle jamais été réunies dans
l’enseignement pontifical ? On croit rêver. Mais il est vrai que Veritatis splendor n’a pas bonne presse
parmi les progressistes… Vrai encore que la philosophie réaliste, avec ses
distinctions et ses précautions méthodologiques, est devenue ringarde.
Chacun aura noté la passion, pour
ne pas dire la colère des réponses de Mgr Sorondo. L’important pour lui
est de faire du réchauffement climatique une affaire morale : celle de la « conscience
écologique » affirmée dans Laudato
si’, avec un ensemble de croyances et de règles de conduite qui s’imposeraient
à chaque catholique avec toute la force du Credo et des Dix commandements.
A en oublier presque le salut des âmes…
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1 commentaire:
C'est peut-être aussi de la part de Mgr Sorondo une façon de relativiser l'enseignement de Paul VI sur l'avortement.
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