02 août, 2015

Le mythe de la « demande non satisfaite » de contraceptifs explosé : l’exemple de l’Ouganda

C’est la tarte à la crème des organisations internationales, de l’Organisation mondiale de la santé à l’ONU, du FMI à la Banque mondiale en passant par les ONG d’aide au développement : il faut de toute urgence prendre en compte la « demande non satisfaite » de contraceptifs dans les pays pauvres afin que les femmes puissent accéder au planning familial. La « santé sexuelle et reproductive » est à ce prix, à tel point que les dons internationaux sont souvent accordés sous condition de promouvoir l’accès à la contraception bon marché pour toutes. Mais voilà : l’existence de cette « demande non satisfaite » n’est pas démontrée. Le mythe vient même d’être explosé dans une région de l’Ouganda où une étude vient de prendre de court ceux qui l’ont réalisée. En général, la « demande non satisfaite » de contraception y est minime aussi bien parmi les femmes que parmi les hommes.
Elle a été conduite dans le District de l’Iganga, dans l’est de l’Ouganda. Zone rurale fertile, verdoyante et densément peuplée : la terre, riche, y permet de soutenir une population de 226 personnes par kilomètre carré (contre 410 aux Pays-Bas, zones urbaines comprises, 114 en France métropolitaine). C’est bien plus que la moyenne pour le reste de l’Ouganda.
Le District de l’Iganga a été ciblée par un projet de développement, l’Uganda Village Project, qui a développé des actions sur trois ans visant à promouvoir la santé et l’assainissement sous le nom Healthy Villages Initiative. Parmi les cinq objectifs visant à améliorer la santé des populations et leur accès à l’eau, le premier concerne la diffusion du planning familial et de la contraception. C’est u bilan d’évaluation de cette action qui a été mené en comparant les situations dans 63 villages, certains ayant bénéficié de l’initiative, d’autres non. 945 familles ont été interrogées.
Orrin Tiberi, co-auteur de l’étude, avoue qu’il était lui-même persuadé du fait que la raison principale pour laquelle les femmes des zones rurales de l’Ouganda n’ont recours ni au planning familial ni à la contraception est la difficulté d’y accéder – c’est la fameuse « demande non satisfaite ». C’est le discours officiel et il l’entendait partout. Dès lors que les femmes auraient accès aux contraceptifs modernes et à une éducation au planning familial, c’était sûr : la taille des familles allait diminuer parce que les femmes allaient d’elles-mêmes choisir d’avoir moins d’enfants. C’est la raison pour laquelle les organisations internationales, les ONG et même le gouvernement ougandais a fait de la distribution de moyens contraceptifs dans les zones rurales une priorité absolue.
Eh bien, assure Tiberi, si la « demande non satisfaite » est parfois invoquée pour expliquer pourquoi telle ou telle famille compte de nombreux enfants, c’est loin d’être l’explication la plus fréquente.
Dans le cadre de l’étude, les chefs de famille féminines âgées de 18 à 49 ans ont été interrogées au sujet de la contraception, du planning familial et de la santé infantile, ainsi que sur la taille idéale de leurs familles telle qu’elles la percevaient elles-mêmes.
« Les résultats m’ont stupéfait », avoue Orrin Tiberi. La « difficulté d’accès » s’est révélée un « facteur négligeable : seules 8 femmes sur 400 l’ont invoquée comme raison pour la non-utilisation de la contraception, soit que celle-ci fût « trop chère », soit qu’elle fût « difficile à trouver ».
La majorité des femmes – 52 % – ont expliqué qu’elles ne voulaient pas, personnellement, utiliser un moyen contraceptif ; 36 % supplémentaires ont invoqué une inquiétude quant aux effets des contraceptifs sur la santé. Au total, seules 2 % ont affirmé n’avoir aucun accès à un moyen contraceptif, tandis que 8 % – bien moins que ne le veut le discours communément admis – expliquaient que leur mari y était opposé.
Mieux : l’enquête a permis d’établir que les femmes du District de l’Ouganda ont à peu près le nombre d’enfants qu’elles désirent. Avec 5,27 enfants par femme en moyenne, elles ont largement plus de grossesses que ne peut l’admettre un discours malthusien. Invitées à dire le nombre d’enfants qu’elles recommanderaient d’avoir, la moyenne de leurs réponses se situe à 4,95 enfants par famille.
Etonné, Orrin Tiberi a fouillé dans les statistiques nationales de l’Uganda Demographic and Health Survey, ce qui lui a permis de constater que l’information n’avait rien de nouveau. Dès 2011, un échantillon représentatif de femmes âgées de 15 à 49 ans a répondu souhaiter une famille de 4,8 enfants. Les hommes en désiraient un peu plus : 5,7 enfants par famille. L’étude de 2015 a révélé que dans la zone orientale de l’Ouganda, la réalité se situe à la moyenne de ces deux chiffres « idéaux » : on ne peut pas dire que les femmes ou que les hommes l’emportent systématiquement.
La même institution souligne que la taille idéale des familles n’a pas vraiment varié au cours des dix dernières années : autrement dit, les Ougandais ont à peu près le nombre d’enfants qu’ils désirent. Et ce malgré un matraquage systématique en vue d’« éduquer » la population au planning familial : Tiberi évoque une « pression intense » de la part du gouvernement national et de nombreuses institutions internationales.
Malgré que ces faits sont connus, le discours sur la « demande non satisfaite » ne varie pas d’un iota…
L’échec de la propagande pourrait conduire les autorités à jeter l’éponge : faut-il vraiment faire le bonheur des gens contre leur gré ? Mais non : l’article publié par le Huffington Post souligne qu’il faut travailler davantage pour le planning familial. Il ne faut pas se borner à rendre la contraception accessible, il faut « éduquer », expliquer aux femmes que la contraception ne pose aucun risque pour la santé (on ne s’interdit aucune désiformation, en effet), il faut « inclure les hommes dans la conversation », comme ils disent, il faut mobiliser les organisations des femmes qui parlent aux femmes comme « mothers2mothers », promouvoir une approche plus « inclusive ».
Bref, créer de la demande, et l’adapter à l’offre, qui continuera d’exploser…

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