Voici une information que je considère un peu comme un chaînon manquant sur le plan universitaire : trois médecins néerlandais se sont penchés sur la sédation palliative dans le Journal of Medical Ethics du British Medical Journal et ont confirmé que les aspects moraux problématiques de cette pratique ne sont pas correctement évalués ni pris en compte.
Cela fait plusieurs années que la « palliation sédative » ou la « sédation profonde continue » me semble être une sorte d’échappatoire pour les partisans de l’euthanasie, permettant de contourner l’interdit ou d’éviter l’acte d’euthanasie là où il est légal par une mise à mort lente. Cela est aujourd’hui plus ou moins assumé, plus ou moins dénoncé par voie médiatique.
Rappelons que la sédation palliative consiste à placer le patient dans un coma profond et de le priver d’alimentation et d’hydratation. Elle peut avoir pour objectif de soulager la souffrance ou l’angoisse extrême alors que la mort est imminente et que la fourniture d’aliments ou de liquides devient elle-même source de souffrances, auquel cas elle ne présente aucune intention homicide et constitue une forme légitime de soins palliatifs. Elle peut aussi avoir pour objectif d’écourter la vie, et dès lors c’est la privation de nourriture et de liquides qui provoque la mort à plus ou moins brève échéance – de quelques jours à deux semaines.
Les trois auteurs, spécialistes de l’éthique médicale, se sont penchés sur les directives de l’association royale néerlandaise médicale (KNMG) sur la mise en place et la mise en œuvre de la sédation palliative. Rien Janssens, J.M. van Delden et Guy A.M. Widdershoven met en cause l’idée-force de ces directives selon laquelle contrairement à l’euthanasie, la palliation sédative constituerait une « pratique médical normale ». Leur point de vue est d’autant plus intéressant qu’ils ne semblent pas être opposés, à titre personnel, à l’euthanasie légale.
BioEdge donne d’importants détails sur l’article dont seul l’abstract est en accès libre.
Aujourd’hui, 12 % des décès aux Pays-Bas se passent dans le cadre de (ou par suite de…) la sédation palliative. Chiffre énorme en vérité si l’on considère qu’en 2003, le procureur général des Pays-Bas avait soutenu que la mort d’un patient sous sédation palliative, mort du fait du retrait de l’hydratation, était la conséquence d’un « homicide volontaire » – la cour n’avait pas suivi.
Devant les questions soulevées la KNMG a publié des directives en 2005, mises à jour en 2009.
Elles définissent la sédation palliative comme constituée par l’utilisation, au cours des deux dernières semaines de vie, de médicaments induisant un état d’inconscience profonde chez les patients présentant des « symptômes réfractaires », et le retrait simultané de l’alimentation et de l’hydratation. Les directives affirment principalement que la sédation palliative n’est pas l’euthanasie, pas même une « euthanasie lente » et qu’il s’agit d’une « pratique médicale normale ». Fournir des liquides au patient sous sédation palliative est considéré comme « médicalement futile ».
Pour les auteurs de l’article du JME, cette approche passe à côté de quelques problèmes importants et présente des incohérences. Je les reprends tels que rapportés par Michael Cook, de BioEdge.
1. Comment les médecins peuvent-ils avoir une certitude quant à l’espérance de vie de « deux semaines » du patient ? Le président d’un comité de suivi régional de l’euthanasie a même déclaré en 2007 qu’il n’est pas « professionnel » d’« endormir une personne ayant une longue espérance de vie et de cesser de le nourrir et de l’hydrater ; ce n’est jamais qu’une euthanasie par un autre moyen, car sans nourriture et sans fluides tout le monde meurt au bout d’une semaine. »
2. Les directives considèrent la sédation palliative à la fois comme une « procédure médicale radicale » et comme une « pratique médicale normale ». Comment peut-elle être les deux à la fois ?
3. Dans la mesure où il s’agit d’une « pratique médicale normale » – ce que l’euthanasie n’est pas – son objectif doit être de soulager la souffrance, et non pas de mettre fin à la vie. Or une enquête de 2004 permet d’établir que dans 17 % des cas, les médecins l’avaient utilisé pour faire cesser la vie.
4. Parce qu’elle la considère comme un « acte médical normal », la KNMG affirme que le médecin n’est pas tenu de consulter un collègue avait de la mettre en place – et de fait la plupart des médecins ne le font pas. L’Association européenne pour les soins palliatifs et l’American Medical Association l’exigent, en revanche.
Pour les auteurs de l’article, la KNMG a même éliminé le recours à la consultation préalable d’un collègue afin de distinguer la sédation palliative de l’euthanasie, puisque cette dernière requiert une telle consultation. Les auteurs notent qu’avant ces directives, la consultation préalable à la sédation palliative exigée dans un centre d’oncologie aboutissait dans 41 % des cas à un refus.
« Considérer la consultation comme une simple option pour la simple raison que la consultation obligatoire fait ressembler la sédation palliative à l’euthanasie semble manquer de force persuasive », selon les auteurs.
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