28 août, 2011

Harry Potter : une interview de Michael O'Brien (5)



Retour sur Harry Potter (5)

J'ai commencé la semaine dernière la publication d'une très intéressante interview exclusive de l’auteur catholique bien connu, Michael O’Brien (auteur de Père Elijah) publiée par LifeSite, il y a quelques jours. Elle revient sur le phénomène Harry Potter à l’occasion de la sortie du film qui clôt l’adaptation cinématographique des sept volumes de la série. O'Brien a consacré un livre au phénomène et a réitéré ses critiques ces jours-ci, et s’est trouvé – comme tous ceux qui osent dénoncer les dangers de la série – sous le feu roulant des critiques. Il répond ici aux objections qu’on lui oppose. Je remercie LifeSite pour l’autorisation de traduire et de présenter cette interview au public francophone à travers mon blog. Les propos de Michael O’Brien ont été recueillis par Steve Jalsevac. Le premier épisode a paru ici. Le deuxième est ici. Le troisième est . Le quatrième est .



S. J. — On a pu vous objecter : « Rien n’est tout blanc ou tout noir, il faut être extrêmement épais pour rejeter toute référence à la magie. »


M. O'B. — Je ne suis pas en train de rejeter quelque référence que ce soit à la magie. Non, je crois que la magie est réelle, dans la mesure où les esprits mauvais peuvent assister à l’exercice de l’art de la magie et de la sorcellerie et d’autres activités occultes, et peuvent sembler donner à celui qui les pratique des pouvoirs plus élevés. Le monde de Potter parvient très bien à donner un impact dramatique énorme à cet effet de la magie, avec beaucoup d’étincelles et de flashes et de récompenses émotionnelles. Malgré cela, il propose aux lecteurs un univers très plat, habillé au moyen d’une redéfinition surchargée de ce qui est blanc et de ce qui est noir, ce qui est en haut et ce qui est en bas.

La véritable guerre dans les cieux et sur la terre a une puissance dramatique bien plus grande. L’un des problèmes de la série des Potter est qu’elle nous donne un message faussé à propos de la vraie nature de cette guerre. Les amoureux du monde de Potter recherchent en réalité, et d’une manière tristement limitée, une sorte de pseudo-transcendance. On voit s’exercer dans l’histoire des pouvoirs préternaturels qui sont parfois prodigieux, mais ce sont des pouvoirs dont tous les écrivains fantastiques chrétiens, comme Tolkien et C.S. Lewis, ont montré qu’ils étaient destructeurs s’ils étaient laissés entre des mains humaines. Dans l’univers réel, au milieu du drame immense que nous vivons, les pouvoirs qui appartiennent légitimement à l’homme sont du domaine des vertus et du caractère, et lorsqu’ils s’exercent en toute humilité, ils conduisent à la rédemption. Dans le monde de Potter, la rédemption du monde advient par l’acquisition de connaissances secrètes et par ce qui conduit à parfaire les pouvoirs surnaturels, sans jamais vraiment développer de manière significative le caractère ou les vertus que nous pouvons voir si clairement chez les héros de Tolkien et de Lewis.

S. J. — Nous sommes trop affaiblis pour gérer de tels pouvoirs sans succomber à l’orgueil, je présume…


M. O'B. — Oui, notre orgueil est vraiment à la racine de cela. En même temps, nous sommes trompés et nous nous trompons nous-mêmes par lui.


S. J. —Un article de John Granger dans Christianity Today annonçait : « Harry Potter est là pour longtemps. » L’avez-vous lu ?


M. O'B.— Je ne l’ai pas vu ; mais j’ai débattu avec M. Granger à la radio et à la télévision plusieurs fois, je connais donc son argumentaire.

S. J. — Pouvez-vous nous dire rapidement en quoi ses arguments pourraient bien être faussés, tels que vous les voyez ?


M. O'B.— Je ne sais pas exactement ce qu’il a affirmé dans cet article. Cependant, dans son livre et ses articles il voit dans la série des Harry Potter une métaphore chrétienne. Cela résulte d’une lecture totalement superficielle de la série, très sélective en ce qui concerne certains détails, et de la mise de côté d’une quantité impressionnante de détails qui contredisent les valeurs positives et l’utilisation occasionnelle de symboles chrétiens.

Granger, tout comme nombre de chrétiens pro-Potter, se met en quatre pour trouver les bons points qui rachèteraient ces livres profondément désordonnés ; et bien évidemment dans une série qui compte plus de 4.200 pages, il y aura forcément des détails qui apporteront du poids à ses arguments, bien que cela exige de fermer les yeux dans une certains mesure sur les autres dimensions du livre.

Nous sommes tous immergés dans une révolution culturelle, qui a une influence sans précédent en raison du pouvoir des nouveau médias sur l’esprit et sur les émotions. Si nous espérons pouvoir juger correctement les vagues à venir de l’assimilation culturelle il nous faudra développer des dons de discernement qui ont été endormis depuis trop de temps au fond de nous. Il nous faut d’abord nous demander quel genre de messages la culture contemporaine nous délivre à propos de la nature du bien et du mal, et comment résister au mal ? Si ces messages sont faux, pourquoi les consommons-nous aussi avidement et avec une loyauté si belliqueuse ? Ces questions, nous les négligeons à nos risques et périls.

(à suivre)

© leblogdejeannesmits pour la traduction

5 commentaires:

Félicité a dit…

Merci beaucoup, chère madame, pour ce long travail de traduction.

armel h a dit…

"Dans le monde de Potter, la rédemption du monde advient par l’acquisition de connaissances secrètes et par ce qui conduit à parfaire les pouvoirs surnaturels"

Il y a là un contre-sens évident, et une contre-vérité,
puisque, justement, c'est un fait objectif que l'on peut constater en lisant les livres dont il est question,
celui qui, dans cette histoire, a cherché sa rédemption (en la liant, dans son discours, à celle du monde et à la justice) par "l’acquisition de connaissances secrètes" et la recherche d'une toujours plus grande perfection de ses pouvoirs surnaturels,

c'est le méchant, Voldemort.

Il est sans cesse montré comme celui qui a mis son salut dans ses pouvoirs, dans ses pouvoirs avant tout et uniquement - méprisant les vertus purement humaines, comme la loyauté ou l'amitié.

Harry apparaît dans l'histoire comme son pendant : de nombreux éléments laissent entendre qu'il pourrait, techniquement, suivre la même route, mais lui choisit, justement, et choisit librement,
de ne pas rechercher le pouvoir, et de mettre son salut dans l'amitié.

La fin le montre bien : Voldemort est vaincu à cause de sa trop grande foi en ses propres pouvoirs, Harry le vainc en renonçant à la recherche du pouvoir - qui pourtant l'avait tenté un moment.

(matérialisée de façon transparente par les "reliques de la mort")


Le critique du livre n'a donc pas compris un aspect pourtant essentiel du livre critiqué, au moins sur ce point.

Jeanne Smits a dit…

Pour Voldemort, c'est acquis.

Mais pour Potter aussi. Sinon que ferait-il à apprendre la sorcellerie pendant sept ans ? Il est justement formé à la magie pour pouvoir, lui "l'Elu", affronter son alter ego Voldemort, au moyen de sortilèges et de connaissances réservées aux sorciers qui servent systématiquement de ressort aux points forts des livres. Il les utilise souvent en trichant ou en contrevenant aux règles de l'école ; il va jusqu'à utiliser les sortilèges interdits.

Il a certes le sens de l'amitié… pour ses amis.

Pour les autres : esprit de vengeance, haine, malveillance.

Oui, il renonce au pouvoir, mais son message n'est pas un message de prise de pouvoir : HP vise à montrer que le recours aux forces occultes peut être utilisée pour le bien, que les mauvaises actions se justifient à cette fin, et le problème est justement là.

armel h a dit…

Ah oui mais non, là ça ne marche plus : apprendre la magie, dans cette histoire, n'est pas une spécificité de Harry dans le but de battre Voldemort :

c'est la trame de fond commune aux personnages, et c'est le principe de départ de cet univers imaginaire précisément :
un parallèle de la réalité dans un monde "magique",
une transposition des petits et grands faits de tous les jours dans un monde dont le point de départ est "et si la magie ça existait ?".

D'où la transposition du collège anglais et de ses coutumes,
d'où aussi les histoires de frasques et bêtises d'écolier, comme dans "Bennett au collège"... mais en version "avec magie"
(diriez-vous de "Bennett au collège" qu'il s'agit d'une honteuse apologie de la désobéissance et du rejet de toute autorité ?),
mais aussi transposition de la guerre (les derniers tomes donnent une saisissante transposition des inquiétudes du temps de la guerre, de a montée du totalitarisme, de la résistance - la radio libre, les réseaux, le maquis, l'inquiétude pour ses proches dont on est sans nouvelles...).

On ne peut donc pas dire que Harry "apprend la magie POUR affronter Voldemort" :
il apprend la magie comme tous ses petits camarades, donc comme, chez nous, dans la vraie vie, les enfants vont au collège,

et ce que finalement il apprend, au cours de sa scolarité, de plus utile contre son ennemi, de plus essentiel, qui lui sera finalement le plus utile, qui se montrera décisif dans son choix de suivre une voie différente de son ennemi,
c'est l'amitié.

C'est vraiment ce qui ressort de façon évidente.


Il va jusqu'à utiliser un sortilège interdit - on l'a vu précédemment essayer mais ne pas y arriver, dans un autre tome : chaque fois sous le coup de la colère, et sans que cela lui apporte rien au final, ce n'est jamais décisif.

C'est justement un des éléments qui montrent que Harry n'est pas bon naturellement, qu'il pourrait très bien suivre la même voie que son ennemi, qu'il a les mêmes tentations en lui :
écarter ses ennemis par la force, triompher par ses pouvoirs, réduire à néant ses adversaires...
...et que si, finalement, ce n'est pas la voie qu'il suit, c'est par ses choix - et par le soutien de ses amis et de ses proches.

La grande leçon de Harry Potter, c'est justement qu'on ne se fait pas soi-même - celui qui a voulu cela c'est le méchant, et c'est la cause de sa chute ;
Harry, livré à lui-même, est livré à sa colère et à son impulsivité,
ce n'est que secondé de ses amis qu'il réussit, qu'il se relève, qu'il suit la bonne voie.


(quant à la question de l'"utilisation des forces occultes", elle ne se pose pas ici :
la magie est le ressort de ce monde imaginaire, c'est le principe : se dire "on dirait que dans ce monde là, la magie existe au même titre que l'électricité".)

armel h a dit…

Quant à contrevenir aux règles (encore une fois un ressort habituel de l'aventure de collégiens dans un collège anglais),
il y a tout de même une observation essentielle à faire, et fort intéressante :

dans l'histoire, la distinction est clairement faite entre,

d'une part les bêtises et les frasques de collégiens qui jouent avec le règlement intérieur (...comme cela se passe dans tout internat : essayer de se balader dans l'internat de nuit, organiser une équipée nocturne dans le parc, utiliser des farces et attrapes...),

d'autre part le réel rejet d'une autorité reconnue comme mauvaise, injuste, et illégitime :

ceci est clairement exposé par les jumeaux Weasley, à la fin du 5e tome, quand ils décident de partir du collège :
ils expliquent que leurs bêtises d'autrefois n'ont rien à voir avec leur attitude présente,
qu'avant ils reconnaissaient finalement toujours la "ligne rouge" à ne pas franchir, qu'ils respectaient les règles du jeu,

mais que, l'autorité étant devenue illégitime (c'est le moment où le collège est pris en main par la directrice injuste et sadique, créature du ministère), il s'agit maintenant de rejeter cette autorité comme illégitime - et non en tant qu'autorité.



(Au sujet du personnage de Dolores Ombrage, puisqu'on en parle là,
je m'étonne que vous n'ayez pas souligné ce point tout de même particulièrement piquant et bien vu de la part de l'auteur :

certains de ceux qui, comme ce personnage, étaient les plus acharnés à nier le danger, dans leur aveuglement et leur refus d'envisager le risque d'un retour de la guerre,
se retrouvent après coup parmi les plus acharnés "collabos" du nouveau régime totalitaire, le secondant dans ses vélléités d'épuration -

là encore, transposition bien vue des circonstances de la guerre dans un monde imaginaire. C'est tout de même bien vu.)


(C'est justement à cause de toutes ces subtilités que, à mon sens, le vrai gros problème avec Harry Potter est qu'on en a fait une série pour enfants - ce qu'elle n'est pas. L'auteur, sans doute par aveuglement (elle dit elle-même qu'elle n'était pas familière du monde de la fantasy),
l'éditeur possiblement par calcul financier.)

 
[]